C-031 - Décision d'une autorité disciplinaire

L’appelant est allé à un restaurant rapide alors qu’il n’était pas en service et a commandé un hamburger au fromage. Il a attendu longtemps avant d’obtenir son hamburger, qui a finalement été placé sur un comptoir de service. Il l’a examiné et trouvait que la viande semblait crue. Il s’est mis à jurer à voix haute au comptoir de service et a tenté de photographier la galette de viande. Le gérant du restaurant, âgé de 21 ans, a commencé à retirer la galette du comptoir, et l’appelant a alors saisi son poignet et l’a tiré assez vivement. Le gérant a échappé la galette derrière le comptoir et a indiqué qu’il allait appeler la police. L’appelant lui a répondu qu’il était policier. Il est ensuite allé derrière le comptoir, a repris la galette qui était par terre et l’a photographiée. Après avoir reçu un remboursement et continué à s’exprimer vivement pendant plusieurs minutes, l’appelant est parti. Le gérant a composé le 911 et l’appelant a plus tard été accusé de voies de fait et d’avoir troublé la paix, deux accusations qui ont ensuite été suspendues.

À la suite d’une enquête criminelle, d’une enquête déontologique et d’une rencontre disciplinaire, l’intimé a rendu une décision écrite dans laquelle il a notamment conclu que l’appelant avait contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologieconduite déshonorante ») en employant une force inappropriée et indésirable contre le gérant du restaurant rapide (décision). L’intimé a fait valoir que l’appelant avait employé une force limitée, mais néanmoins inappropriée, injustifiée et attribuable à son incapacité à maîtriser ses émotions. Pour cette contravention, l’intimé a imposé à l’appelant la confiscation de deux jours de solde. L’appelant interjette appel de la conclusion selon laquelle il a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie.

Conclusions du CEE

Le CEE s’est penché sur les arguments de l’appelant en appel. Premièrement, l’appelant n’a pas établi, et le dossier n’a pas révélé, que la décision rendue était inéquitable sur le plan procédural. Rien n’indiquait que l’intimé avait un parti pris ou n’avait pas gardé l’esprit ouvert, ni que l’appelant n’avait pu faire entendre son point de vue ou que celui-ci n’avait pas été pris en considération. Deuxièmement, l’intimé n’a pas commis d’erreur en déterminant que la force employée par l’appelant constituait une contravention à l’article 7.1 du code de déontologie ou en lançant le processus disciplinaire pour cette raison. Il ressortait clairement du Guide des mesures disciplinaires (Guide) de la GRC que la force prétendument employée faisait partie des contraventions à l’article 7.1. Troisièmement, pour déterminer si l’allégation de conduite déshonorante avait été établie, l’intimé n’a pas commis d’erreurs de fait en appréciant simplement la preuve à sa disposition d’une façon qui ne plaisait pas à l’appelant.

Toutefois, le CEE a conclu que l’intimé avait commis une erreur mixte de fait et de droit en omettant de considérer et d’appliquer correctement aux faits dont il était saisi le critère servant à établir si la force utilisée par l’appelant était susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie. Ce critère consiste à établir comment une « personne raisonnable », au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et celle de la GRC en particulier, considérerait la force employée par l’appelant contre le gérant du restaurant rapide. Au titre de l’alinéa 45.16(2)b) de la Loi sur la GRC, le CEE a conclu que la commissaire devrait accueillir l’appel pour cette raison et rendre la conclusion qui aurait dû être rendue. Plus précisément, la personne raisonnable susmentionnée considérerait que la force employée par l’appelant, qui était manifestement inappropriée, serait susceptible de jeter le discrédit sur la GRC, en contravention de l’article 7.1. La personne raisonnable donnerait une certaine latitude à un policier non en service qui exprime ses préoccupations quant à un repas insuffisamment cuit ayant été commandé à un restaurant, mais elle n’irait pas jusqu’à tolérer qu’il saisisse et tire le gérant du restaurant contre son gré, même s’il employait cette force pendant seulement une seconde. La personne raisonnable serait préoccupée si la GRC, après examen de la preuve, concluait que l’incident de recours à la force par le policier était suffisamment grave pour justifier le dépôt d’une accusation criminelle de voies de fait contre celui-ci, peu importe si l’accusation était suspendue par la suite. Enfin, la personne raisonnable, au fait des principes du Guide, reconnaîtrait que, même si la force employée par le policier était relativement limitée et qu’elle n’a pas mené à une condamnation au criminel ni causé de blessure, elle faisait néanmoins partie des conduites susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie, qui sont décrites dans le Guide.

Le CEE a conclu qu’il y avait lieu de confirmer la confiscation de deux jours de solde imposée à l’appelant pour sa contravention à l’article 7.1 du code de déontologie. L’appelant n’a pas établi, et rien au dossier n’indiquait, que la décision d’imposer cette mesure disciplinaire justifiait une intervention.

Recommandation du CEE

Le CEE a recommandé à la commissaire d’accueillir l’appel interjeté contre la conclusion de l’intimé selon laquelle l’appelant s’était conduit de façon déshonorante, puisque l’intimé n’a pas considéré ni appliqué le critère juridique pertinent. Il a recommandé aussi à la commissaire de rendre la conclusion que l’intimé aurait dû rendre à cet égard, à savoir que la personne raisonnable susmentionnée considérerait que la force employée par l’appelant contre un gérant de restaurant rapide, alors qu’il n’était pas en service, serait susceptible de jeter le discrédit sur la GRC, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie. Le CEE a recommandé aussi à la commissaire de confirmer la mesure disciplinaire imposée à l’appelant, soit la confiscation de deux jours de solde.

Décision de la commissaire de la GRC datée le 23 mars 2020

La commissaire a rendu la décision suivante, telle que résumée par son personnel :

[Traduction]

L’appelant est un membre affecté aux Services généraux de la GRC. En avril 2016, il exerçait des tâches administratives en raison d’un problème de santé sans lien avec la présente affaire. Le 18 avril 2016, il a commandé un hamburger au fromage dans un restaurant alors qu’il n’était pas en service. Lorsqu’il l’a obtenu, il a eu l’impression que la galette de viande était crue. Il s’est fâché et a proféré des jurons. Alors qu’il tentait de photographier la galette, le gérant du restaurant l’a enlevée. L’appelant a saisi le poignet du gérant et l’a tiré pour l’en empêcher, ce qui a fait perdre l’équilibre au gérant. Celui-ci a indiqué qu’il appellerait la police. L’appelant a alors déclaré qu’il était policier. Le gérant ne croyait pas que l’appelant était policier, mais la déclaration de ce dernier l’a [Traduction] « fait paniquer ». Il a composé le 911. L’appelant a obtenu les coordonnées du propriétaire du restaurant et est parti avant l’arrivée des policiers. L’incident a été filmé par des caméras de surveillance.

Une enquête criminelle a donc été ouverte. L’appelant a été accusé de voies de fait et d’avoir troublé la paix dans un lieu public ou à proximité, en contravention du Code criminel. Les accusations ont ensuite été suspendues et l’appelant a fait l’objet de mesures de déjudiciarisation pour l’accusation d’avoir troublé la paix.

Une enquête déontologique a été ouverte sur trois allégations. L’intimé a conclu que l’allégation no 2 (l’appelant s’est servi indûment de son titre de policier dans ses communications avec les employés du restaurant) n’avait pas été établie. Toutefois, il a conclu que l’allégation no 1 (l’appelant a manqué de respect envers les employés du restaurant) et l’allégation no 3 (l’appelant a employé une force inappropriée et indésirable contre le gérant du restaurant) avaient été établies. Comme mesures disciplinaires, l’intimé a imposé la confiscation d’un jour de solde pour l’allégation no 1 et la confiscation de deux jours de solde pour l’allégation no 3.

L’appelant a accepté la conclusion relative à l’allégation no 1. Toutefois, il fait appel de la conclusion de l’intimé selon laquelle l’allégation no 3 avait été établie au motif que la décision de l’intimé était inéquitable sur le plan procédural et manifestement déraisonnable.

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