C-060 - Décision d'une autorité disciplinaire
L’intimé soutenait que l’appelante avait contrevenu au code de déontologie en ne prenant pas les mesures appropriées pour prêter assistance à un membre exposé à un danger potentiel et en désobéissant à un ordre de ne pas quitter le travail avant la fin de son quart (les allégations). Quelques heures à peine avant la rencontre disciplinaire, l’appelante a reçu une copie d’un enregistrement de deux heures et vingt minutes environ. Selon elle, l’enregistrement réfutait d’importants éléments de preuve contre elle. Après la rencontre disciplinaire, l’intimé a rendu une décision dans laquelle il concluait que les allégations avaient été établies et que l’appelante devait se faire confisquer un total de 56 heures de solde.
L’appelante a interjeté appel. Des documents lui ont ensuite été communiqués, dont des courriels échangés entre l’intimé et son conseiller en déontologie. Ces courriels portaient sur le processus décisionnel.
L’appelante a fait valoir bon nombre de positions en appel. Toutefois, seulement deux d’entre elles s’avéraient essentielles aux recommandations du CEE :
i. l’intimé a décidé d’avance que les allégations avaient été établies;
ii. l’intimé n’a pas voulu l’entendre sur les allégations lors de la rencontre disciplinaire.
L’intimé n’a pas demandé la permission de contester les éléments de preuve de l’appelante justifiant ces positions, même si la gestionnaire des instances l’avait informé par écrit de son droit de le faire.
Conclusions du CEE
Le CEE a conclu que le processus décisionnel était inéquitable sur le plan procédural.
Tout d’abord, il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part de l’intimé envers l’appelante. La majeure partie de la preuve montrait que l’intimé avait :
- reçu de son conseiller en déontologie un projet de décision, postdaté du jour de la rencontre disciplinaire, qui indiquait que les allégations visant l’appelante avaient été [traduction] « établies »;
- dit au conseiller en déontologie qu’il imposerait des mesures disciplinaires d’une certaine sévérité;
- annoncé à la rencontre disciplinaire que les allégations avaient été établies et permis ensuite à l’appelante de s’exprimer uniquement sur la question des mesures disciplinaires;
- rendu une décision qui reprenait en grande partie le projet de décision, mais dans laquelle il avait ajouté des motifs.
Une personne bien renseignée qui étudierait cette affaire en profondeur, de façon réaliste et pratique, estimerait que l’intimé ne l’avait pas tranchée équitablement, selon toute vraisemblance.
De plus, l’intimé n’a pas donné à l’appelante toute la latitude voulue pour se faire entendre. Il l’en a privée de deux façons. Premièrement, il lui a seulement permis de présenter des observations écrites en déclarant au début de la rencontre disciplinaire que les allégations avaient été établies, pour passer ensuite à un autre point sans lui donner l’occasion de s’exprimer sur les allégations. Cette façon de faire allait à l’encontre de la jurisprudence du CEE et de la GRC selon laquelle les membres ne peuvent être limités, sans leur consentement, à présenter uniquement des observations écrites à l’autorité disciplinaire. Deuxièmement, l’intimé a refusé de reporter la rencontre disciplinaire après avoir appris que l’appelante avait reçu une copie de l’enregistrement quelques heures à peine avant cette rencontre. L’enregistrement avait trait aux questions à trancher, car il montrait les incidents à l’origine des allégations. De plus, l’intimé s’est fondé sur cet enregistrement pour rendre sa décision. L’appelante, quant à elle, n’a pu préparer une cause traitant suffisamment d’un long enregistrement qu’elle aurait pu utiliser pour évaluer l’exactitude d’autres éléments de preuve.
Le CEE a conclu que l’intimé aurait dû rendre l’une ou l’autre des conclusions suivantes :
i. il devait se retirer en tant que décideur parce qu’il avait tranché l’affaire d’avance;
ii. les allégations n’avaient pas été établies parce que l’appelante n’avait pas eu toute la latitude voulue pour présenter des observations à leur sujet.
La Loi sur la GRC semble exiger qu’un manquement à l’équité procédurale lors d’une procédure devant une autorité disciplinaire soit corrigé en appel (dans la mesure du possible) plutôt que par la tenue d’une nouvelle audience. Le fait que l’appelante a été privée de sa seule et unique possibilité de présenter des observations de vive voix ne peut être corrigé en appel. Une tentative en ce sens signifierait que les autorités disciplinaires ne sont pas tenues de respecter les principes fondamentaux selon lesquels elles doivent être impartiales et entendre l’autre partie. Les allégations en l’espèce sont préoccupantes. Elles sont aussi étayées par certains éléments de preuve. Toutefois, le droit d’un membre de voir sa cause entendue et tranchée équitablement par une autorité disciplinaire impartiale doit être respecté. Autrement, quel serait le but du processus disciplinaire, ou de la rencontre disciplinaire plus particulièrement?
Recommandation du CEE
Le CEE a recommandé à la commissaire d’accueillir l’appel, de conclure que les allégations n’ont pas été établies et d’annuler les mesures disciplinaires imposées par l’intimé.
Décision de la commissaire de la GRC datée le 2 décembre 2022
La commissaire a rendu la décision suivante, telle que résumée par son personnel :
[Traduction]
L’appelante fait appel de la décision de l’intimé selon laquelle deux allégations portées contre elle avaient été établies, à savoir qu’elle n’avait pas pris les mesures appropriées afin de prêter assistance à un collègue exposé à un danger réel, imminent ou potentiel, en contravention de l’article 4.2 du code de déontologie, et qu’elle ne s’était pas conformée à une directive légitime, en contravention de l’article 3.3 du code de déontologie. À la lumière de ces conclusions, l’intimé a ordonné la confiscation d’un total de 56 heures de solde.
L’appelante soutient que la décision de l’intimé contrevient aux principes d’équité procédurale et est manifestement déraisonnable parce que l’intimé aurait préjugé de l’affaire avant la rencontre disciplinaire, l’aurait empêchée de présenter des observations de vive voix sur les allégations et ne lui aurait pas donné assez de temps pour examiner des renseignements communiqués tardivement. L’appelante demande l’annulation de la décision et la restitution des heures de solde confisquées en guise de pénalités financières.
Le CEE a recommandé que l’appel soit accueilli en raison d’un manquement à l’équité procédurale. Il a conclu que le droit de l’appelante à l’équité procédurale avait été irrémédiablement compromis et a donc recommandé que les allégations soient réputées non établies dans une nouvelle décision.
L’arbitre a accueilli l’appel au motif que les actes de l’intimé avaient suscité une crainte raisonnable de partialité, ce qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Toutefois, contrairement au CEE, l’arbitre a conclu que le manquement pouvait être corrigé en appel. L’arbitre a ensuite rendu la décision que l’intimé aurait dû rendre, a conclu que les allégations avaient été établies et a imposé les mesures disciplinaires suivantes : la confiscation de 24 heures de solde pour l’allégation no 1 et de 8 heures de solde pour l’allégation no 2.