D-084 - Décision d'un comité d'arbitrage
Une allégation d'inconduite a été formulée au sujet d'un membre de la GRC (l'« intimé ») qui a frappé un prisonnier au visage avec le poing fermé et le coude. L'incident a été enregistré sur bande vidéo. Au cours de son témoignage devant un comité d'arbitrage de la GRC, l'intimé a déclaré que, comme il craignait que le prisonnier soit sur le point d'être violent, il avait pris ce qu'il jugeait être les mesures nécessaires dans les circonstances pour le maîtriser. L'incident s'est produit dans une pièce fermée d'un détachement de la GRC où on avait emmené le prisonnier après qu'un autre membre de la GRC l'eut arrêté pour conduite avec facultés affaiblies. L'intimé a rencontré le prisonnier dans un couloir, et ce dernier lui a demandé s'il devait accepter de signer une déclaration dans laquelle il promettait de comparaître devant un tribunal pour répondre d'une accusation criminelle. Même si l'intimé l'a encouragé à signer la déclaration, le prisonnier a hésité à le faire. Par conséquent, l'intimé l'a informé qu'il ne serait pas remis en liberté. Comme le prisonnier refusait de bouger, l'intimé a dû le pousser plusieurs fois avec la main ouverte pour le faire entrer dans une pièce où il souhaitait le fouiller avant de le placer dans une cellule. Dans cette pièce, il y a eu une discussion au cours de laquelle le prisonnier s'est penché vers l'intimé et l'a accusé d'essayer de jouer au dur et de faire le « baveux ». L'intimé a réagi en tentant d'agripper le prisonnier par le cou afin de le forcer à se tourner pour qu'il puisse commencer à le fouiller. Toutefois, le prisonnier s'est esquivé en baissant la tête. L'intimé a ensuite donné au prisonnier un coup de pied au genou, et un gardien civil qui se trouvait dans la pièce a tenté de maîtriser le prisonnier par derrière. Le prisonnier a continué à se débattre et ne pouvait toujours pas être maîtrisé. L'intimé a alors frappé le prisonnier au visage quatre fois avec le poing fermé et deux fois avec le coude, tout en lui disant : « Vas-tu finir par comprendre? » Le prisonnier a arrêté de résister, puis l'intimé a pu le fouiller. Le prisonnier a dû passer la nuit au détachement et a été remis en liberté le lendemain matin par un membre de la GRC qui a déclaré que le prisonnier s'était excusé à maintes reprises pour son comportement. À la suite d'une plainte formulée par le père du prisonnier plus tard dans la même journée, un enquête sur l'incident a été commandée. Deux témoins experts en matière de recours à la force et de techniques de contrôle policier ont défendu l'intimé pour avoir fait usage de force dans les circonstances, parce que le prisonnier affichait un comportement menaçant et agressif. Ils ont fondé leur analyse sur les modèles de recours à la force adoptés par la GRC et d'autres services de police et sur un examen de l'altercation enregistrée sur bande vidéo. Ils ont aussi tenu compte des explications de l'intimé sur les raisons pour lesquelles il avait dû frapper le prisonnier.
Deux des trois membres du comité d'arbitrage ont conclu que la conduite de l'intimé n'avait pas été scandaleuse parce qu'il avait agi conformément aux paramètres des procédures régissant le recours à la force et que la preuve présentée avait montré que les gestes du prisonnier avaient constitué une menace pour la sécurité de l'intimé. Dans une opinion dissidente, le président du comité d'arbitrage a déclaré qu'il jugeait scandaleuse la conduite de l'intimé, en partie parce que, selon lui, le commentaire fait au prisonnier par l'intimé pendant qu'il le frappait laissait entendre qu'il tentait de lui donner une leçon, et aussi en partie parce que le prisonnier était en état d'ivresse et qu'il n'avait pas reçu de directives claires de vive voix.
Conclusions du Comité externe
La décision du comité d'arbitrage est erronée, car, pour déterminer si la conduite d'un membre est scandaleuse, il ne faut pas se contenter d'établir si le membre en question a enfreint des procédures policières. Il fallait plutôt que le comité d'arbitrage tienne compte de la perspective d' « une personne raisonnable au courant de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, de la GRC ». Par conséquent, il aurait fallu aussi évaluer les facteurs pertinents suivants : les motifs pour lesquels l'intimé avait frappé le prisonnier, son propre comportement vis-à-vis le prisonnier avant l'altercation et la possibilité qu'il ait contribué à l'agitation du prisonnier et la mesure dans laquelle l'intimé a cherché à envisager d'autres options pour obtenir la coopération du prisonnier, comme une intervention verbale. Il fallait également tenir compte du fait que le prisonnier était en état d'ébriété avancée et que cela pouvait modifier son comportement. Les éléments de preuve révèlent que l'intimé a formulé de nombreux commentaires, tant avant l'altercation qu'après celle-ci, qui laissent entendre qu'il était très exaspéré par le prisonnier et que cet état d'esprit l'avait peut-être influencé dans sa décision d'avoir recours à la force pour maîtriser le prisonnier. Aussi, il n'était pas nécessaire que l'intimé provoque le prisonnier en le menaçant de lui infliger des blessures s'il refusait de collaborer. Enfin, l'intimé n'a pas fait suffisamment d'efforts pour fournir des directives claires au prisonnier de vive voix, surtout étant donné qu'il savait que ce dernier était dans un état d'ébriété avancée.
Recommandation du Comité externe datée du 26 février 2004
L'appel devrait être accueilli et une nouvelle audience devrait être ordonnée.
Décision du commissaire datée du 4 novembre 2004
Le commissaire a accepté les conclusions et la recommandation du Comité externe et a accueilli l'appel et a ordonné une nouvelle audience.