D-121 - Décision d'un comité d'arbitrage

L'appelant a rencontré la plaignante lors d'une fête dans une résidence privée, alors qu'il n'était pas de service, et aurait [Traduction] « eu des relations sexuelles avec elle sans qu'elle n'y consente, commettant ainsi une agression sexuelle ». La plaignante soutenait qu'elle ne pouvait pas être consentante parce que les actes sexuels avaient été facilités par la consommation de drogue. L'appelant a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec la plaignante, en précisant toutefois qu'elles étaient de nature consensuelle.

Le comité d'arbitrage a fait valoir que l'issue du présent cas reposait sur la crédibilité des témoins. Il a jugé que la plaignante était crédible, même s'il a reconnu qu'il y avait des incohérences dans son témoignage et dans les déclarations qu'elle avait faites auparavant. Contrairement à ce qu'a déclaré le témoin expert, le comité d'arbitrage a conclu que la plaignante avait consommé une drogue hallucinogène à son insu, et que l'appelant le savait. Par conséquent, la plaignante n'était pas apte à donner son consentement. Le comité d'arbitrage a donc statué que l'allégation était établie et qu'il était prouvé que l'agression sexuelle avait été facilitée au moyen d'une drogue administrée subrepticement.

Le comité d'arbitrage a ordonné à l'appelant de démissionner dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

Conclusions du CEE

Le CEE a réaffirmé que le commissaire de la GRC devait faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait du comité d'arbitrage, dont celles portant sur la crédibilité. Étant donné que les témoignages de la plaignante et de l'appelant comportaient tous deux des incohérences, le comité d'arbitrage a eu tort de faire des déclarations sans nuance et de conclure que la plaignante était crédible. La crédibilité de la plaignante aurait dû être évaluée par rapport au contexte global et à d'autres témoignages.

Le CEE a jugé que le comité d'arbitrage avait commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que la plaignante avait consommé une drogue hallucinogène à son insu, car cette conclusion n'était pas étayée par les éléments de preuve. Le CEE a conclu que le comité d'arbitrage n'avait pas de motifs valables pour faire abstraction du témoignage du témoin expert. Puisque cette erreur avait des répercussions sur l'ensemble des constatations et des conclusions du comité d'arbitrage, le CEE a recommandé, pour cette seule raison, que le commissaire de la GRC accueille l'appel et qu'il rende la décision qu'aurait dû rendre le comité d'arbitrage.

Le CEE a conclu que l'intimé n'avait pas prouvé que la plaignante n'avait pas consenti aux relations sexuelles. Il a également conclu que, si la plaignante n'avait pas donné son consentement, les éléments de preuve ne permettaient pas d'établir que l'appelant, selon toute vraisemblance, savait que la plaignante n'était pas consentante, qu'il était insouciant quant à son consentement ou qu'il n'avait pas pris des mesures raisonnables pour s'assurer de son consentement. Le CEE a recommandé au commissaire de la GRC de conclure que l'allégation d'agression sexuelle n'avait pas été établie.

Recommandations du CEE datées le 30 juin 2011

Le CEE a recommandé au commissaire de la GRC d'accueillir l'appel et de rendre la décision qu'aurait dû rendre le comité d'arbitrage, selon lui. Le CEE lui a aussi recommandé de conclure que l'allégation n'a pas été établie.

Nouvelle décision du commissaire datée le 16 septembre 2013

Le commissaire a rendu une nouvelle décision dans cette affaire, telle que résumée par son personnel :

[TRADUCTION]

Le commissaire a statué de nouveau sur l'appel interjeté par le membre appelant relativement à la mesure disciplinaire, et ce, après que la Cour fédérale du Canada a accueilli une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire datant du 27 juillet 2012 et renvoyé l'affaire à celui-ci pour qu'il rende une nouvelle décision conforme aux motifs de la Cour (MacLeod c. Canada (Procureur général), 2013 CF 770, 2013-07-10).

Le commissaire a d'abord indiqué que les procédures disciplinaires, malgré qu'elles étaient de nature administrative, pouvaient s'avérer difficiles et complexes lorsqu'il s'agissait de parvenir à un règlement équitable, comme c'était le cas en l'espèce. Le présent cas découle d'une seule allégation de comportement scandaleux contre un membre chevronné de la Gendarmerie royale du Canada à qui on reprochait essentiellement d'avoir eu, lors d'une fête et alors qu'il n'était pas de service, des rapports sexuels de groupe en état d'ébriété à côté d'un homme inconscient. À l'exception de la question de savoir si la plaignante était consentante ou non, l'appelant a reconnu avoir commis les gestes reprochés.

Le commissaire s'est ensuite penché sur les détails de l'allégation, selon lesquels l'appelant aurait eu des rapports sexuels non consensuels avec la plaignante, [Traduction] « commettant ainsi une agression sexuelle ». Lors de l'audience disciplinaire, le comité d'arbitrage a établi que cette infraction avait été commise après avoir conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la plaignante avait été droguée et que l'appelant ne pouvait pas croire sincèrement, mais à tort, qu'elle avait donné son consentement.

En ce qui concerne la constatation du comité d'arbitrage suivant laquelle la plaignante et l'hôte de la fête avaient été drogués, le commissaire a dit s'être inspiré de l'analyse de la Cour fédérale, aux paragraphes 51 à 63 de son jugement, et de la conclusion selon laquelle sa décision (antérieure) par laquelle il avait confirmé cette constatation de la part du comité d'arbitrage était déraisonnable. Le commissaire a ensuite déclaré : [Traduction] « La Cour a conclu que cette erreur était cruciale, car je présume qu'elle la considérait comme un élément central de l'analyse de la question du consentement. Dans ma décision, j'ai écarté l'arrêt R. c. Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330 comme critère d'analyse dans cette procédure administrative, mais la Cour m'a donné d'autres directives à prendre en considération. »

Pour ce qui est de la question de savoir si l'appelant croyait sincèrement, mais à tort, que la plaignante avait donné son consentement, le commissaire a indiqué que, puisque la question de la crédibilité n'avait toujours pas été examinée, outre les constatations du comité d'arbitrage, l'élément subjectif de l'analyse de la question de savoir si la plaignante avait donné son consentement demeurait inchangé. Il a également déclaré que la Cour était toutefois convaincue que le [Traduction] « léger signe de tête » et le sourire que la plaignante avait faits à l'appelant, comme ce dernier l'avait décrit, ainsi que son consentement manifesté par le fait qu'elle était par-dessus lui pendant les rapports sexuels, constituaient une preuve suffisante que l'appelant croyait sincèrement, mais à tort, qu'elle acceptait d'avoir des rapports sexuels avec lui.

Le commissaire a ensuite rendu les conclusions suivantes :

À la lumière de cette analyse, il semble donc évident que, si la seule question que devait trancher le comité d'arbitrage était de savoir si la plaignante avait consenti à avoir des rapports sexuels avec l'appelant, compte tenu de l'analyse déficiente des éléments de preuve disponibles, la Cour considère donc qu'il n'y a pas suffisamment de preuves pour établir la véracité de l'allégation selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, il semble aussi évident que la décision du comité d'arbitrage et la mienne, du même coup, devraient être annulées.

Néanmoins, je suis fermement convaincu et persuadé que les gestes ayant été décrits, ne serait-ce que ceux que l'appelant a reconnu avoir commis devant le comité d'arbitrage, sont tellement en deçà des attentes de l'organisation qu'ils s'avèrent scandaleux. Les membres de la Gendarmerie royale du Canada doivent respecter des normes de conduite à la hauteur du rôle spécial et unique qu'occupent les agents de la paix dans la collectivité. Le fait qu'un membre de la Gendarmerie puisse commettre des gestes si dépravés en état d'ébriété, de sorte qu'ils sont soumis à un examen tout à fait public, constitue une menace pour l'intégrité de la Gendarmerie. Il est franchement décevant que ce membre puisse éviter toute sanction pour ces gestes en raison du libellé trop restrictif de l'avis d'allégation.

C'est donc à contrecoeur que j'annule la conclusion du comité d'arbitrage selon laquelle l'allégation avait été prouvée et que je réintègre [l'appelant] dans ses fonctions.

Décision du commissaire de la GRC datée le 27 juillet 2012

Le commissaire a rendu sa décision dans cette affaire, telle que résumée par son personnel :

[TRADUCTION]

Dans une décision rendue le 27 juillet 2012, le commissaire Paulson a rejeté l'appel de l'appelant contre la décision rendue par le comité d'arbitrage sur le fond et sur la peine.

Sur le fond, le commissaire a indiqué que l'intimé n'avait pas à prouver que l'appelant avait agressé sexuellement la plaignante au sens des critères d'une agression sexuelle prévus dans le Code criminel; il devait plutôt établir que l'appelant, en ayant des relations sexuelles avec la plaignante sans qu'elle y consente, s'était comporté d'une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie, en contravention du paragraphe 39(1) du Code de déontologie.

Le commissaire n'a trouvé aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion du comité d'arbitrage selon laquelle la plaignante, malgré des incohérences dans son témoignage, était un témoin crédible. En outre, il n'a trouvé aucune erreur manifeste ou dominante dans la conclusion du comité d'arbitrage selon laquelle la plaignante n'avait pas consenti à avoir des relations sexuelles avec l'appelant. La preuve produite à l'audience, notamment le témoignage clair de la plaignante à ce sujet, corrobore la conclusion du comité d'arbitrage selon laquelle elle n'a pas donné son consentement.

Il était loisible au comité d'arbitrage de conclure, en se fondant sur tous les éléments de preuve, dont les degrés et les effets d'intoxication faible et modéré rapportés dans les lettres d'opinion du témoin expert, les symptômes décrits par l'hôte de la fête et la plaignante ainsi que les effets des drogues hallucinogènes expliqués par l'expert, que l'administration d'une drogue était la seule explication plausible pour rendre compte de ce que la plaignante et l'hôte de la fête avaient subi.

Le commissaire a déclaré qu'il était raisonnable de la part du comité d'arbitrage de conclure que l'appelant savait que l'hôte de la fête et la plaignante avaient été drogués. Cette conclusion était étayée par la déclaration de l'appelant selon laquelle il ne se souciait pas du fait que l'hôte de la fête se trouvait sur le lit pendant les actes sexuels et qu'il puisse se réveiller. En outre, le commissaire a rejeté l'explication avancée par l'appelant pour justifier pourquoi il s'était rendu dans la chambre de l'hôte de la fête. Il a également indiqué que la plaignante et l'hôte de la fête avaient ressenti des symptômes très sévères après avoir consommé des cocktails provenant de la même source, ce qui corroborait le témoignage de la plaignante.

Le commissaire a déclaré que, même s'il acceptait la thèse voulant que l'appelant ne savait pas que la plaignante avait été droguée, il conclurait néanmoins que celui-ci n'avait pas assez pris de mesures pour obtenir le consentement de la plaignante ou s'assurer de son consentement lorsqu'il était la voir dans la chambre.

Le commissaire a conclu que la preuve établissait, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant avait eu des relations sexuelles avec la plaignante sans qu'elle y consente, ce qui signifie qu'il l'avait agressée sexuellement, comme il était indiqué dans les détails de l'allégation relative au manquement au Code de déontologie. Il a souscrit à la décision du comité d'arbitrage selon laquelle l'allégation d'inconduite avait été établie.

En ce qui concerne la peine, le commissaire a conclu que le comité d'arbitrage n'avait commis aucune erreur manifeste ou dominante dans son examen des facteurs aggravants. Il a également accepté les facteurs atténuants retenus par le comité d'arbitrage.

Le commissaire a convenu avec le CEE que le comité d'arbitrage n'avait pas commis d'erreur en accordant peu d'importance au problème de dépendance à l'alcool de l'appelant et à la thérapie qu'il avait suivie pour le régler, puisqu'aucune preuve concluante ne permettait d'établir un lien entre l'alcoolisme de l'appelant et l'inconduite à caractère sexuel. Le commissaire a également souscrit à la conclusion du CEE selon laquelle le comité d'arbitrage n'avait pas commis d'erreur en ne traitant pas de la valeur fondamentale de « compassion » de la Gendarmerie dans ses motifs liés à sa décision sur la peine, et ce, étant donné que l'appelant n'avait pas demandé au comité d'arbitrage d'envisager une peine moins sévère en tenant compte de cette valeur.

Le commissaire a confirmé la peine imposée par le comité d'arbitrage et a ordonné à l'appelant de démissionner de la GRC dans les 14 jours suivant celui où il s'est vu signifier la décision du commissaire, sans quoi il serait congédié.

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