Discours de Michael Wernick, greffier du Conseil privé, au Symposium des dirigeants de la défense

Discours

25 octobre 2018
Michael Wernick, greffier du Conseil privé

Le discours prononcé fait foi

Bon après-midi. Merci de me donner l’occasion de revenir vous parler. J’étais content de le faire l’année dernière, et je vois les progrès qui ont réalisés dans de nombreux domaines. Je suis de près les activités de votre ministère et des FAC. Ce sont des questions et des domaines auxquels le premier ministre et le Cabinet consacrent beaucoup de temps.

Je souhaite commencer par vous remercier – sur les plans personnel et institutionnel – du travail que vous faites au service de notre pays. Que ce soit en uniforme ou en civil, votre rôle est extrêmement important. Aux matchs de hockey, on chante « Protégera nos foyers et nos droits ». C’est ce que vous faites réellement, et je vous en suis très reconnaissant, personnellement et en tant que chef de la fonction publique civile.

Je garderai mon discours bref. Je préfère avoir une discussion avec vous. Vous avez l’air bien tranquille, mais je suis certain que vous aurez des questions à me poser. C’est le meilleur moyen d’aborder les sujets qui vous intéressent. Je vais rester jusqu’à ce qu’on me dise que je n’ai plus de temps.

Je vais me contenter de faire quelques remarques et observations générales sur certaines questions soulevées qui ont été mentionnées par Gord (Venner, sous-ministre adjoint, Politiques, Défense nationale). Je suis certainement heureux de pouvoir expliquer où nous en sommes dans le cycle du gouvernement alors que nous arrivons aux trois quarts du chemin vers les élections à date fixe de l’année prochaine, et ce que cela peut avoir comme signification pour nous tous.

Je vais commencer avec un cadre un plus grand avant de focaliser mes propos. Je pense que les personnes qui observent comment le monde évolue – et je sais que vous porterez tous un grand intérêt à ce sujet – trouvent que la scène est très troublante et plutôt stressante dans les affaires mondiales. Il se passe beaucoup de choses, et ce ne sont pas que des choses positives. Différentes forces se livrent une lutte fondamentale dans le monde. Ce n’est pas comme la Guerre froide, où on pouvait voir les étoiles rouges sur les chars d’assaut. La situation manque de clarté, mais cette lutte est tout aussi profonde, fondamentale et importante pour nos enfants et nos petits-enfants.

J’ai tendance à décrire ce conflit comme une lutte entre différentes forces – des institutions, des gouvernements et des personnes. Essentiellement, nous avons des forces qui prônent l’isolement et la division, qui veulent créer des murs et qui veulent nous tourner les uns contre les autres. Le populisme se perd dans l’autoritarisme. Ces forces dirigent certains pays ou en déstabilisent d’autres. Il y a aussi d’autres forces dans le monde, qui étaient auparavant dominantes et que nous tenions pour acquises. Celles qui appuient l’ouverture, la tolérance, la diversité, l’inclusion, la libre circulation des personnes, le libre-échange, la libre migration, la circulation des idées et les sociétés ouvertes.

Ces différentes forces s’affrontent dans une lutte qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, de pays en pays, d’élection en élection.

En tant que pays – et ce n’est pas une déclaration politique partisane – le Canada est sans équivoque dans le camp de l’ouverture. Le Canada est de plus en plus appelé à diriger ce camp et à prendre sa place dans cet espace. Nous sommes un pays qui défend ses valeurs, et l’ouverture fait partie de nos valeurs – l’ouverture aux gens, au commerce, à la migration, aux idées, à l’apprentissage et à l’autre, pour ne pas voir l’autre comme une menace. Malheureusement, ce sont des leçons qu’il faut retenir encore et encore, génération après génération, et une lutte qu’il faut mener encore et encore. Quand vous pensez que la question est réglée, vous vous rendez compte que ce n’est pas le cas.

Je pense qu’un grand nombre des questions qui émergeront sur la scène politique nationale ou lors de réunions ou de sommets internationaux se prêtent à ce cadre. Les alliances militaires et en matière de sécurité sont très importantes dans ce contexte, de même que les accords commerciaux. Les institutions sont également importantes, de même que la primauté du droit, les faits et les données probantes, des éléments qui ne sont plus accompagnés de certitude. Une grande part de mes inquiétudes concerne la gouvernance et les institutions. Une bonne part de notre système démocratique est gérée par des conventions, et non des règles écrites. Si ces conventions sont brisées, il est très difficile de recoller les morceaux, et cela m’inquiète.

Les autres problèmes auxquels je pense souvent concernent ce à quoi Gord faisait allusion. Nous vivons dans un monde où les changements et les bouleversements technologiques surviennent rapidement – vous savez comment faire une analyse du contexte, et je suis sûr que vous avez parlé de toutes ces choses – et l’introduction des technologies numériques n’a rien de nouveau. Mais l’introduction de l’intelligence artificielle dans toutes sortes de choses est un sujet complètement différent. Il y a toutes sortes d’autres tendances dont je pourrais parler. Si vous cherchez de bons livres pour le temps des fêtes, je vous recommande ceux de Yuval Harari. Selon moi, son dernier livre, 21 leçons pour le XXIe siècle, est une lecture incontournable pour les personnes qui s’intéressent à la direction que prend le monde. C’est en fait un livre optimiste sur les progrès humains qui ne ruinera pas vos fêtes en vous faisant sombrer dans la déprime. On y parle de la façon dont l’ingéniosité et les valeurs humaines ont résolu de grands problèmes dans le passé et de la manière dont nous pouvons résoudre les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd’hui.

Il y a un cliché qui dit que notre valeur dépend de la qualité de nos gens. Tout dépend de la façon dont nous regroupons nos gens et des environnements de travail que nous créons. Le sentiment d’inclusion fait partie intégrante des conversations auxquelles je participe ces temps-ci. Et je ne parle pas du genre de conversations sur la diversité que nous avions dans les années 90. Je ne veux pas dire non plus que nous devrions déclarer victoire ou nous laisser aller dans la complaisance. Je ne parle pas de compter le nombre de femmes dans une pièce ou d’assurer la représentation des minorités visibles, des peuples autochtones ou des personnes handicapées. Toutes ces choses sont importantes pour refléter les valeurs de notre pays. Nous avons actuellement des conversations sur l’inclusion des voix, des perspectives, des idées et des talents. Le gouvernement et la population canadienne nous lancent de grands défis. Nous avons besoin de chaque idée et de chaque perspective pour trouver des solutions, qu’il s’agisse de politiques, de règlements, de services ou de programmes.

Nous n’avons pas la tâche facile dans la fonction publique civile. Nous aimons la hiérarchie et nous aimons les processus. Une bonne part de ce que tente de faire la haute direction consiste à simplifier les processus, à éliminer les obstacles et à accélérer le rythme des opérations pour qu’on puisse obtenir des décisions et des réponses plus rapidement. Il ne faut pas cependant se départir des éléments importants de la diligence raisonnable. La façon dont l’argent des contribuables est dépensé importe, de même que les résultats et la valeur qu’on obtient avec cet argent.

L’approbation des personnes gouvernées dépend en bonne partie de la mesure dans laquelle le gouvernement offre des services et des programmes qui répondent à leurs besoins, leur donne le sentiment d’avoir leur mot à dire et s’assure qu’on prend note de ce qu’elles ont à dire. Cela nous ramène à mon premier point sur les forces qui prônent l’isolement et la division. Ces forces s’épanouissent dans des environnements où les gens se sentent marginalisés, exclus et ignorés, et lorsque les gens sentent qu’ils sont, ainsi que leurs enfants, des victimes du système, qu’ils n’ont rien à gagner et que les institutions sont là pour assurer des avantages à d’autres personnes. L’inclusion est donc une chose importante. Ce n’est pas une chose qui est « bonne à avoir », mais plutôt une chose qu’il « faut avoir » dans une gouvernance démocratique.

On se retrouve donc à se creuser la tête pour trouver un moyen de promouvoir l’inclusion dans la fonction publique civile, et ce n’est pas facile. Faire sortir les gens de leur zone de confort et changer leur façon de penser, d’apprendre et de prendre des décisions est un défi constant. Je ne peux qu’imaginer l’ampleur de ce défi dans un service qui, par nécessité, s’appuie sur le commandement, le contrôle et la hiérarchie. On a besoin d’une assurance que les ordres seront suivis sans attendre. Introduire l’inclusion dans les conversations dans cette salle est un défi, et je suis heureux de contribuer autant que possible à la transmission de pratiques et d’idées de la fonction publique civile aux forces armées.

Beaucoup des sujets que vous avez choisis pour ce symposium ne sont pas sortis de nulle part et ne viennent pas de notre propre environnement. Nous sommes enracinés dans un pays – dans une société – qui évolue et change sa façon de penser et de traiter toutes sortes de questions. Parfois, nous avançons; parfois nous reculons; parfois nous faisons du slalom. Mais nous – et je parle ici de ma fonction publique, composée de 260 000 hommes et femmes – sommes la plus grande institution du pays. La fonction publique est le plus grand employeur du pays et compte les plus importants effectifs du pays. Elle est formée de personnes, et non d’algorithmes. Nous devons prendre part à ces conversations sociales et nous demander ce que nous allons faire pour nos gens et ce que nous allons faire dans notre environnement.

Nous avons participé à une conversation sur l’égalité des sexes dans les années 1980. Nous avons participé à une conversation sur la dualité linguistique du pays, et nous avons amené un changement majeur dans la façon dont le pays voit les LGBTQ, leur inclusion et les questions qui les touchent. Vous vous souviendrez qu’il y a un an, nous avons présenté nos excuses pour la façon dont l’État canadien – et je sais que nous en avons parlé – a traité toute une catégorie de Canadiens. Une conversation a lieu actuellement sur la réconciliation avec les peuples autochtones et la place des Canadiens autochtones dans notre vie économique, politique, culturelle et sociale, et je sais que les Forces armées canadiennes et le MDN ont aussi débattu de ces questions. Vous avez fait beaucoup de progrès, et je vous remercie sincèrement de vos efforts à cet égard.

La santé mentale est une conversation qui a commencé il y a presque 15 ans et qui était dirigée par des personnes comme Michael Kirby (ancien président de la Commission de la santé mentale du Canada et ancien sénateur) et Michael Wilson (membre du conseil d’administration de la Commission). Ces derniers ont sorti ce sujet de l’ombre et de la stigmatisation pour en faire un sujet dont nous allons parler et pour lequel nous allons essayer de trouver des solutions. Un Canadien sur cinq est aux prises avec des problèmes de santé mentale dans sa famille. Dans cette salle, il y a des gens qui sont en difficulté ou qui connaissent quelqu’un en difficulté dans leur famille, et je me compte parmi eux. Les problèmes de santé mentale ont une signification particulière dans le service militaire avec le trouble de stress post-traumatique, mais la conversation sur la santé mentale comporte d’autres aspects.

Nous allons aussi essayer de trouver des solutions concernant les changements climatiques, possiblement le défi le plus urgent de notre siècle et probablement le principal défi en matière de sécurité. Nous devons nous demander comment nous allons écologiser nos opérations.

Nous sommes forgés par des forces. Plus récemment, nous avons vu un mouvement se lever contre le harcèlement – plus précisément le harcèlement sexuel et la violence sexuelle – qui, curieusement, s’est cristallisé dans l’industrie du divertissement. Le mouvement « Moi aussi » renverse des personnes de pouvoir partout dans le monde. Nous ne sommes pas à l’abri de ces comportements au Canada ou dans la fonction publique. Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir aux problèmes de harcèlement et à la manière de créer des environnements de travail respectueux et sûrs pour tous. Je sais que vous vous êtes aussi penchés sur cette question, et le chef d’état-major de la défense a fait preuve d’un grand leadership dans ce domaine. Cette conversation est loin d’être terminée, et le temps est à l’action.

Pour ma deuxième série d’observations, j’aimerais parler du fait que nous vivons dans un pays en mouvement. Nous avons provoqué un grand changement la semaine dernière avec la légalisation du cannabis. C’est un grand changement de société pour un employeur et ses effectifs. Je doute que nous revenions sur cette décision. Pas un seul parti politique n’a déclaré qu’il criminaliserait de nouveau le cannabis après les prochaines élections. Nous devons accepter ce que signifie cette mesure pour nos environnements de travail et en tant qu’employeur.

Voilà quelques-uns des sujets que je voulais aborder.

Je reconnais que nous avons fait beaucoup de travail et de progrès. Je pense aussi qu’il y a d’autres enjeux à examiner.

Vous participez à un processus de réforme stratégique majeure. Il y a certainement des décisions d’approvisionnement importantes qui font leur chemin dans le processus décisionnel du gouvernement. Je vais simplement vous dire que, de mon point de vue, je vois les choses arriver à leur aboutissement l’année prochaine. Nous en sommes à la quatrième année d’un mandat de quatre ans. Le gouvernement n’aura plus de temps pour prendre des décisions d’ici la fin du mois de juin.

Il reste moins de cent jours de travail parlementaire. On a passé le point où on pouvait déposer un projet de loi et être certain qu’il sera adopté d’ici juin. Les ministres ont des aspirations et veulent en faire plus : « juste une dernière mesure législative ». Il ne reste aussi qu’un seul budget. Encore une fois, c’est tout ce qu’il reste. Les ressources sont limitées, et où seront-elles allouées dans le dernier budget avant les élections? Ce sera certainement un exercice intéressant. Même le temps du Cabinet et du Conseil du Trésor est maintenant compté.

Et pendant ce temps, le monde continue de tourner. La situation se poursuit en Syrie, en Irak et en Lettonie. Il y a toutes sortes de défis à relever autour du globe. Le Canada est un partenaire important dans les alliances, et le monde continue de tourner. Nous allons devoir nous orienter pendant une période assez longue où les ministres ne seront pas très présents. Nous allons avoir de la difficulté à obtenir des décisions. Nous allons fonctionner selon les conventions, comme je l’ai mentionné plus tôt. Pendant une période électorale, un gouvernement ne prend pas de décisions majeures qui encombreraient le gouvernement suivant, même s’il pense être réélu.

Il y a des choses que nous allons devoir gérer en 2019. À moins d’une crise, le jour du scrutin sera le 21 octobre 2019, et je sais que nous allons très rapidement mettre en place un gouvernement fonctionnel capable de prendre des décisions, quel que soit le parti élu par les Canadiens. En 2015, nous sommes passés d’un gouvernement conservateur fonctionnel à un gouvernement libéral entièrement fonctionnel en 16 jours civils. Aucun pays dans le monde ne réussit aussi bien ses transitions. Nous excellons dans ce domaine et nous y arriverons encore l’année prochaine.

Nous aurons l’année prochaine beaucoup d’occasions de remettre en question certaines hypothèses, de réfléchir aux problèmes à moyen terme et de penser à ce qu’on pourrait faire pendant un autre mandat de quatre ans, pour les cinq ou dix prochaines années. C’est en fait une période très stimulante pour les personnes dont le travail consiste à réfléchir à l’avenir et aux options dont auront besoin le prochain Cabinet et le prochain Parlement. L’année prochaine, les personnes qui travaillent dans le domaine des politiques seront très heureuses, mais très fatiguées. Pendant ce temps, tous les secteurs des opérations et des services du gouvernement poursuivent leurs activités et continuent de servir les Canadiens dans le calme alors que nous tentons de nous adapter aux défis du gouvernement du 21e siècle.

Je vais m’arrêter là.

Nous avons parlé aujourd’hui de quelques-uns de mes thèmes préférés. Il y a environ 40 discours sur mon propre site Web. Je vous invite à les lire si vous souffrez d’insomnie un soir. Je fais rapport officiellement au premier ministre chaque année, et je le ferai encore en mars. Comme Gord l’a mentionné dans son introduction, je considère que mon rôle est en partie de canaliser vos histoires. Je fais beaucoup d’efforts pour raconter les histoires sur le travail extraordinaire que font chaque jour les Canadiens. Les histoires que vous lisez normalement portent plutôt sur des situations où les choses auraient pu ou auraient dû être mieux faites.

Nous avons des boucles de rétroaction des médias, des porte-parole de l’opposition, des intervenants et des agents du Parlement. Ça me va, parce que ces boucles de rétroaction nous empêchent de tomber dans la complaisance. C’est une des choses qui améliorent notre travail et une des raisons pour lesquelles nous sommes considérés comme la fonction publique la plus efficace au monde. Nous avons une attitude modeste et non complaisante. Nous tirons des leçons de nos erreurs. Nous nous relevons, nous nous secouons et nous essayons de faire mieux pour les Canadiens. Je sais que ce sont aussi vos valeurs, et nous allons nous en sortir l’année prochaine.

Encore une fois, je tiens à vous remercier de votre service, à la fois individuellement et dans le cadre de la fusion de vos deux grandes institutions. Votre modèle est unique à bien des égards et il a extrêmement bien servi les Canadiens.

Si vous avez des questions ou des remarques – des choses que je devrais savoir ou que je devrais dire au premier ministre demain – je sais que vous avez eu l’occasion de vous entretenir avec votre ministre et vos sous-ministres hier, et avec le chef d’état-major de la défense, mais je serai heureux de répondre à vos questions et à vos commentaires.

Les photos de l’événement sont en ligne.

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