Évaluation de la protection : individus et de l’habitat essentiel de caribou boréal au Québec 

Titre officiel : Évaluation de la protection des individus et de l’habitat essentiel de caribou boréal au Québec

Le 26 janvier 2023

Introduction

La présente analyse passe en revue les principaux outils juridiques provinciaux existants pouvant fournir de la protection au caribou boréal et son habitat essentiel, tel que défini dans le programme de rétablissement de l’espèce. L’étendue de l’analyse se limite aux terres non fédérales situées dans la province du Québec.

La Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) a été adoptée en 1989. Avant l’adoption de cette loi, le Québec a mis sur pied, en 1988, le Centre de données du patrimoine naturel du Québec (CDPNQ) qui recueille, analyse, et diffuse les informations sur les espèces en situation précaire et donc d’intérêt sur le plan de la conservation. Le gouvernement du Québec a ensuite adopté, en 1992, la Politique sur les espèces menacées ou vulnérables, laquelle précise, notamment, le cadre général d’application de la LEMV et le processus de désignation des espèces et des habitats à protéger. Lorsqu’une espèce faunique est désignée menacée ou vulnérable, sa gestion et la protection de ses habitats tombent principalement sous l'égide de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF).

La Liste des espèces de la faune vertébrée susceptibles d'être désignées menacées ou vulnérables est le point de départ de la gestion des espèces menacées et vulnérables au Québec. Les espèces qui figurent sur cette liste font l’objet de travaux d’acquisition de connaissances, telle que de la recherche sur leurs habitats, qui peuvent être compilés dans un rapport de situation qui peut être publié par le gouvernement du Québec. Un comité indépendant analyse le rapport pour évaluer la situation des espèces à l’étude et émettre un avis sur le statut légal à recommander, ainsi que sur les mesures de protection de l’espèce et de son habitat à mettre en place. Le statut proposé et les mesures de protection recommandées sont transmis au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), qui approuve ou rejette les recommandations et autorise, s’il y a lieu, les démarches pouvant conduire à la désignation de l’espèce. Des consultations interministérielles et autochtones sont notamment réalisées au cours de ce processus. Une fois que l’espèce a été désignée comme menacée ou vulnérable, le MFFP peut, s’il le désire, créer une équipe de rétablissement multidisciplinaire composée des principaux intervenants intéressés par l’espèce en question (p. ex. chercheurs, gestionnaires, exploitants, utilisateurs). Au besoin, un plan de rétablissement peut ensuite être préparé par l’équipe afin de définir la stratégie et les objectifs de rétablissement sur un horizon de 10 ans. L’équipe est chargée de veiller à la mise en œuvre du plan et d’entreprendre certaines, mais pas toutes, des actions identifiées dans le plan.

Diverses autres stratégies et lois du gouvernement du Québec viennent compléter l’approche du Québec en matière d’espèce à statut précaire, dont les principales incluent : la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, la Loi sur les parcs, la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, et la Loi sur le développement durable et l’engagement sur la mise en œuvre de la Convention internationale sur la diversité biologique, incluant les orientations stratégiques du Québec en matière d’aires protégées.

Il importe de spécifier que l’aire de répartition du caribou boréal au Québec est composée à environ 98% de terres appartenant à la Couronne provinciale et qu’une grande proportion de ce territoire est soumise à des activités d’exploitation forestière.

L’analyse porte donc sur les lois suivantes, y compris les règlements associés :

L’analyse tient également compte, lorsqu’applicable, des modalités associées aux accords de la Convention sur la Baie-James et le Nord québécois (CBJNQ) (adoptée en 1975) et de la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ) (adoptée en 1978). Il s'agit des premières ententes sur les revendications territoriales globales modernes signées entre les gouvernements du Québec et du Canada et les peuples autochtones. Elles comprennent des éléments d'autonomie gouvernementale et jettent les bases d'une nouvelle relation entre les Cris, les Inuits, les Naskapis, et les gouvernements du Québec et du Canada. La CBJNQ et la CNEQ ont mené à la création de divers comités et à la conclusion d'autres ententes, dont l'Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les Cris du Québec de 2002 (aussi connue sous le nom de Paix des Braves) et l'Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou Istchee-Baie-James intervenue entre les Cris d'Eeyou Istchee et le gouvernement du Québec de 2012.

1. Protection de l’habitat essentiel sur les terres non fédérales

1.1 Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) et Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF)

Les espèces menacées ou vulnérables et les caractéristiques de leurs habitats sont désignées en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) via le Règlement sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables et leurs habitats. La protection de leurs habitats est toutefois régie par la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF) incluant le Règlement sur les habitats fauniques (RHF) qui lui est associé. Les principaux outils permettant de fournir de la protection à l’habitat essentiel du caribou boréal sont les habitats fauniques et les refuges fauniques.

Onze types d’habitats fauniques sont désignés en vertu du RHF, mais, contrairement à la Loi sur les espèces en péril (LEP), il n’y a pas d’obligation à désigner les habitats nécessaires pour la survie ou le rétablissent d’une espèce. La désignation d’un habitat faunique n’est possible que sur le territoire de la Couronne provinciale, toutefois, les terres privées couvrent moins de 1% de l’aire de répartition globale du caribou boréal au Québec. Malgré qu’il y ait plusieurs types d’habitats fauniques parmi la cinquantaine existante qui chevauchent l’habitat du caribou boréal, il n’existe qu’un seul habitat faunique qui vise spécifiquement l’espèce (aire de fréquentation du caribou au sud du 52e parallèle) et celui-ci couvrirait pratiquement toute l’aire de répartition QC2 (Charlevoix). Cette aire protégée n’est cependant pas reconnue au registre provincial des aires protégées, bien qu’elle recoupe en partie trois parcs nationaux du Québec (Jacques-Cartier, Grands-Jardins et Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie).

Dans un habitat faunique, toute activité susceptible de modifier un élément biologique, physique ou chimique propre à l’habitat de l’espèce est interdite sans autorisation, sous réserve des exclusions prévues à la LCMVF et au RHF (p. ex. une activité réalisée conformément aux normes d’intervention déterminées par règlement). Des permis peuvent être délivrés à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion et de conservation. Le pouvoir discrétionnaire de délivrer une autorisation n’est pas circonscrit par ce règlement provincial (p. ex. contrairement à la LEP, ce règlement ne prévoit pas de conditions préalables relatives aux espèces en péril à respecter pour qu’une autorisation puisse être délivrée). Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire de ce règlement n’empêche pas entièrement la destruction d’un habitat essentiel. De plus, dans un habitat faunique, autre qu’un pour une espèce menacée ou vulnérable, une personne peut réaliser une activité d'aménagement forestier visée à l'article 4 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF) (p. ex. une activité de traitements sylvicoles).

Le refuge faunique pourrait constituer un moyen de protection plus robuste que celui de l'habitat faunique, car il permet une protection particulière des habitats et des espèces qui le fréquentent. Dans un refuge faunique, les conditions d'utilisation des ressources et donc les conditions de pratique des activités récréatives sont fixées dans le but de conserver l'habitat de la faune ou d'une espèce sauvage. Contrairement aux habitats fauniques, il est possible de désigner des refuges fauniques autant sur le territoire de la Couronne provinciale qu’en territoires privés. Il n’existe pas de refuge faunique pour le caribou boréal.

1.2 Loi sur la conservation du patrimoine naturel (LCPN)

La Loi sur la conservation du patrimoine naturel (LCPN) permet de fournir de la protection à l’habitat essentiel du caribou boréal par la création d’aires protégées, dont les principales sont les réserves de biodiversité et les réserves écologiques. La création permanente de ces aires protégées passe par l’octroi au préalable du statut provisoire ou « projeté ». Ces aires protégées visent les terres de la Couronne provinciale, mais l’expropriation en terres privées serait possible. Les dispositions associées aux réserves de biodiversité et aux réserves écologiques interdisent certaines activités, ce qui contribue à éviter ou à limiter la destruction des habitats essentiels ; toutefois, le fait de ne pas interdire toutes les activités susceptibles de détruire les habitats essentiels ne serait pas équivalent à l'exigence de la LEP de protéger toutes les parties d’habitats essentiels.

Sur les terres du domaine de l’État comprises dans une réserve de biodiversité ou une réserve écologique projetée, la plupart des activités d’exploitation de ressources naturelles sont interdites (p. ex. exploitation minière, activités forestières au sens de l'article 4 de la Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier (LADTF)). Les activités d’exploration et l’attribution de droit d'occupation à des fins de villégiature sont toutefois permises avec une autorisation. Des plans de conservation propres à chacune des réserves peuvent prévoir des interdictions supplémentaires ou des régimes d’autorisation spécifiques. Les mêmes interdictions énumérées ci-dessus s’appliquent dans le cas des réserves de biodiversité et des réserves écologiques permanentes, auquel s’ajoutent les interdictions d’activités d’exploration de ressources naturelles et d’activités commerciales. Ainsi, tant et aussi longtemps qu’une aire demeure à l’état « projeté », l’exploration pour des ressources naturelles demeure permise, mais avec autorisation. Les limites d’une réserve peuvent être modifiées avant de passer à un statut permanent. Le statut de réserve écologique offrirait une protection supplémentaire aux habitats que celui de réserve de biodiversité (p. ex. dans une réserve écologique permanente, toute activité susceptible de modifier l'état ou la nature des écosystèmes est interdite). La sauvegarde d’habitats d’espèces fauniques et floristiques menacées ou vulnérables est un critère pour la création d’une réserve écologique. Les réserves de biodiversité visent généralement plus la conservation de la biodiversité au sens large, plutôt que de protéger l’habitat des espèces à statut précaire. Toutefois, une réserve de biodiversité peut également être créée en réponse à une espèce à statut précaire, comme pour le caribou boréal dans la QC1 (Val-d’Or) avec la Réserve de biodiversité des Caribous-de-Val-d’Or (établie en 2009).

Dans l’aire de répartition du caribou boréal, il y a environ 50 320 km2 de réserves de biodiversité et réserves écologiques, toutefois ceux-ci couvrent au global un faible pourcentage de l’aire de répartition de l’espèce (environ 8%). De plus, seulement environ 9% de ceux-ci ont un statut permanent. Il ne serait pas possible d’obtenir une autorisation pour l’exploration ni l’exploitation de ressources naturelles dans une réserve de biodiversité permanente, même de façon exceptionnelle. Certaines autres activités ou interventions incompatibles avec les objectifs de conservation peuvent être autorisées de façon exceptionnelle ou contextuelle. Le pouvoir discrétionnaire d'émettre une autorisation n'est pas circonscrit par cette loi provinciale (p. ex. contrairement à la LEP, cette loi ne prévoit pas de conditions préalables relatives aux espèces en péril à respecter pour qu’une autorisation puisse être délivrée). Par conséquent, cette loi n'empêche pas entièrement la destruction de l'habitat essentiel. Enfin, les plans de conservation de chacune des réserves permanentes peuvent contenir des dispositions particulières se traduisant par des règles supplémentaires ou par des allègements par rapport à ce régime général.

Le ministre peut mettre des territoires en réserve pour fin d’aires protégées (RTFAP). Il s’agit d’une mesure de protection administrative, mais ceux-ci sont néanmoins inscrits au registre des aires protégées. Ce statut permet de soustraire ces territoires à l’exploitation forestière commerciale. Les promoteurs se voient également imposer des délais pour prendre et exploiter des titres miniers. Après ce délai, le territoire devient exclu et suit le processus pour devenir une aire protégée officielle. Advenant que ce territoire soit exploité, il devra être retiré du territoire mis en réserve et remplacé par un autre territoire. Les RTFAPs couvrent un faible pourcentage de l’aire de répartition de l’espèce (9%), mais certaines ont été créées spécifiquement pour le caribou boréal (p. ex. Manouane-Manicouagan, secteur de la rivière Broadback).

La LCPN prévoit également des mécanismes pour prévenir la dégradation d’un milieu naturel qui se distingue par la rareté ou l’intérêt exceptionnel de l’une de ses caractéristiques biophysiques (sans statut des aires protégées). Le ministre responsable peut : exiger qu’une activité en cours ou à venir soit soumise à son autorisation ; faire cesser des travaux ou activités autorisées temporairement ou de manière permanente ; et ordonner d’autres mesures jugées nécessaires pour éviter l’aggravation d’une menace. Le ministre peut toutefois considérer des éléments de nature socioéconomique dans ses décisions et donc, une forme de discrétion est possible. De plus, il n’existe pas de critères spécifiques permettant d’identifier ces milieux rares ou d’intérêt.

La Loi modifiant la LCPN et d'autres dispositions introduit trois nouveaux statuts d’aires protégées. Deux d'entre eux peuvent concerner le caribou, les aires protégées d'utilisation durable et les aires protégées d'initiative autochtone. Les aires protégées d’utilisation durable visent à conserver des éléments de la biodiversité et des valeurs culturelles qui y sont associées, ainsi que l'utilisation durable de ces ressources. Les activités forestières ne sont pas nécessairement interdites, si elles sont menées de manière durable. Le statut d’aire protégée d’initiative autochtone permet aux communautés autochtones de proposer au ministre des projets de conservation dont les territoires pourront être désignés comme aire protégée par le gouvernement du Québec. Pour l'instant, aucun de ces aires protégées n'est en place.

1.3 Loi sur les parcs (LSP)

En vertu de la Loi sur les parcs (LSP), le gouvernement du Québec peut, par règlement, établir un parc sur toute partie des terres provinciales et/ou privées. Toute forme de prospection, d’utilisation et d’exploitation des ressources à des fins de production forestière, minière ou énergétique, autre que pour le fonctionnement du parc, sont interdites à l’intérieur d’un parc. Le passage d'oléoduc, de gazoduc et de ligne de transport d'énergie y est aussi interdit. Il n’existerait pas de disposition permettant d’obtenir une autorisation pour réaliser ce type d’activités et celles-ci ne seraient possibles que si le parc est aboli. Ainsi, il ne semble pas y avoir de pouvoir discrétionnaire pour autoriser ce type d’activité sans abolir le statut d’un parc.

La LSP permet d’adopter des règlements pour assurer la protection et la conservation du milieu naturel et de ses éléments, mais également pour développer l’aspect récréatif via la pratique d'activités de faible impact, telles que la randonnée pédestre, le canot et le camping. Ce développement nécessite toutefois l’implantation d’infrastructures permanentes. La mise en valeur et le développement de l’aspect récréatif des parcs ne doivent pas théoriquement mettre en jeu l’intégrité du parc. Toutefois, la présence humaine peut constituer dans certains cas un dérangement pour le caribou boréal et ainsi rendre certains secteurs non propices à l’espèce.

Dans l’habitat essentiel du caribou boréal, environ 630 km2 sont protégés en vertu de la LSP, ce qui représente un très faible pourcentage de l’aire globale de répartition de l’espèce. La LSP vise la création d’aires protégées afin entre autres de favoriser la conservation de la biodiversité au sens large, plutôt que de protéger l’habitat des espèces à statut précaire en particulier. Les dispositions associées à cette loi visent à interdire des activités spécifiques. Bien que cela ne soit pas entièrement conforme à la LEP qui exige la protection de tous les habitats essentiels, cela contribue à éviter ou limiter la destruction d’habitat essentiel.

1.4 Loi sur la qualité de l’environnement (LQE)

Les dispositions contenues dans la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) lui confèrent un caractère d’ordre général. Elle vise à encadrer différents projets dans un contexte de développement durable et ne vise pas spécifiquement la protection et le rétablissement des espèces à statut précaire, comme le fait la LEP. Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a la responsabilité d’autoriser, ou non, un projet de construction, d’exploitation, de production d’un bien ou d’un service, ou une activité affectant la qualité de l’environnement, incluant la biodiversité dont fait partie les espèces à statut précaire. Ces espèces doivent être considérées lors des inventaires requis en vue d’obtenir une autorisation d’entreprendre des projets assujettis à cette loi. Ainsi, puisque le caribou boréal est une espèce vulnérable, il sera donc pris en considération lors de l’évaluation des demandes et de la prise de décision d’autoriser ou non un projet.

Certaines dispositions de la LQE permettent au ministre d’imposer des conditions exécutoires dans certificats d’autorisation délivrés pour des projets de développement sur le territoire non domanial. Celles-ci comprennent divers degrés de mesures d’évitement, d’atténuation et de compensation. Bien que cela puisse constituer une forme de protection pour le caribou boréal, des projets sont réalisés dans l’habitat du caribou. De plus, la LQE permet un certain niveau de discrétion dans la décision d’approuver ou non la réalisation d’un projet et les conditions dans lesquelles une autorisation peut être délivrée. Le pouvoir discrétionnaire de délivrer une autorisation n'est pas circonscrit par cette loi provinciale (p. ex. contrairement à la LEP, cette loi ne contient aucune condition préalable relative aux espèces en péril à remplir pour qu'une autorisation soit délivrée). Par conséquent, cette loi provinciale n'empêche pas nécessairement la destruction d'un habitat essentiel. Le ministre peut, néanmoins, révoquer ou suspendre un certificat d’autorisation dans des circonstances précises (p. ex. si le titulaire du certificat ne se conforme pas à une disposition de cette loi).

Le régime d’autorisation environnementale de la LQE a été modernisé par la Loi modifiant la LQE, qui est entrée en vigueur en 2018. La nouvelle approche est basée sur le niveau de risque environnemental associé aux activités : élevé, modéré, faible, ou négligeable. Les projets considérés à risque élevé sont identifiés dans le Règlement relatif à l’évaluation des impacts sur l’environnement de certains projets et sont soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. Les projets à risque modéré sont listés dans l’article 22 de la LQE. Le Règlement sur l’encadrement des activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE) décrit les détails de la classification des projets et la procédure à suivre, laquelle inclut la condition d’obtenir une autorisation ministérielle. Le REAFIE répertorie les projets à risque faible, qui ne nécessitent que la soumission d’une déclaration de conformité du promoteur 30 jours avant le début du projet. Le REAFIE répertorie les projets à risque négligeable, qui ne nécessitent ni autorisation ni déclaration de conformité.

Des dispositions particulières d’évaluation environnementale sont applicables à des projets dans les territoires de la Baie-James et du Nord québécois, et ce, en conformité avec les dispositions prévues dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) et la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ). Selon l’intention exprimée dans la CBJNQ, les gouvernements responsables et les organismes créés pour agir dans le cadre des procédures environnementales doivent accorder une attention spéciale à différentes questions, dont la protection des ressources fauniques et des écosystèmes de la région. Cela amène donc un niveau supplémentaire de considération dans le processus d’évaluation de projets, c’est-à-dire une étape de plus où la présence du caribou peut être prise en considération, tant dans l’évaluation d’un projet que dans les conditions l’autorisant.

1.5 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier (LADTF)

La Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier (LADTF) vise principalement à encadrer l’exploitation forestière et l’aménagement de la forêt sur les terres de la Couronne provinciale. Cette loi et ses dispositions s’appliquent dans des unités d’aménagement forestier qui recoupent près de 25% de l’aire de répartition globale du caribou boréal au Québec. Le reste de son aire de répartition est majoritairement situé au-delà de la limite nordique des forêts attribuables.

Les Plans de rétablissement du caribou forestier au Québec recommandent l’application de mesures adaptées aux différentes zones de l’aire de répartition du caribou forestier. Des lignes directrices pour l’aménagement de son habitat ont été produites par l’équipe de rétablissement provincial afin de soutenir la planification forestière. Les plus récentes lignes directrices adhèrent au principe de taux de perturbation maximal identifié dans le programme de rétablissement fédéral (35%). Au-delà de ce taux, la probabilité d’autosuffisance d’une population locale est trop faible. Toutefois, ces nouvelles lignes directrices n’ont pas été intégrées à la planification forestière de 2018-2023. Ces lignes directrices constituent des recommandations par l’équipe provinciale de rétablissement, mais le gouvernement du Québec n’a pas d’obligation à les intégrer. À l’heure actuelle, les anciennes lignes directrices, moins contraignantes, sont toujours en vigueur.

Selon le bureau du forestier en chef (2014), une portion importante du secteur Sud de l’aire d’application du plan de rétablissement provinciale présente, actuellement, des taux de perturbation trop élevés pour assurer l’autosuffisance des populations de caribous forestiers ; de plus, les stratégies actuelles d’aménagement (basées sur les anciennes lignes directrices) entraîneraient à long terme (100 ans) une augmentation des taux de perturbation pour la majorité des unités d’analyse. Le secteur Sud représente environ 23% de l’aire de répartition globale de l’espèce au Québec.

Bien que la conservation de la biodiversité en milieu forestier soit une orientation enchâssée dans les principes de la LADTF ainsi que dans les objectifs d’aménagement qui en découlent, il n’existe pas d’obligation à proprement dit en lien avec le rétablissement du caribou boréal et la protection de son habitat essentiel. La LADTF encadre plutôt, via un système d’autorisations, les activités forestières commerciales au Québec avec l’objectif de concilier les besoins environnementaux et socioéconomiques des différents usagers. Le pouvoir discrétionnaire de délivrer une autorisation n'est pas circonscrit par cette loi provinciale (p. ex. contrairement à la LEP, cette loi ne cite aucune condition préalable relative aux espèces en péril à respecter pour qu'une autorisation soit délivrée). Par conséquent, cette loi provinciale n'empêche pas nécessairement la destruction de l'habitat essentiel. Dans leur version actuelle, la LADTF, le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État, la stratégie d'aménagement durable des forêts, et la planification forestière qui en découle ne permettraient pas d’assurer le maintien ou l’atteinte du seuil minimal de 65% d’habitat non perturbé au sein de chaque aire de population locale, et ce même en combinaison avec les autres mesures de protection et de conservation en vigueur (p. ex. les refuges biologiques, écosystèmes forestiers exceptionnels, et la protection découlant d’une entente administrative, ce qui couvre un faible pourcentage de l’aire de répartition de l’espèce (moins de 1%)). De plus, il n’est pas connu si d’autres éléments, tels que la connectivité entre les différents secteurs où le caribou est présent, sont pris en considération dans de la planification des activités forestières à plus grande échelle (analyse incluant plusieurs unités d’aménagement forestier).

Lorsqu’on considère le taux de perturbation actuel, il est important de préciser que de nouvelles preuves suggèrent que la QC6 (Québec) est constituée de plusieurs aires de répartition locales du caribou. De plus, des considérations économiques font en sorte qu’aucune possibilité forestière n’a été attribuée dans certains secteurs de la côte nord, soit environ 7% de cette aire de répartition. Il n’existe aucune garantie que ce secteur ne sera pas exploité dans l’avenir.

À l’heure actuelle, le gouvernement du Québec met en œuvre un plan d’action pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier qui affecte les activités forestières commerciales à l’échelle de l’aire de répartition du caribou boréal au Québec. Bien que le plan d’action contienne peu de détails, une de ses actions est d’établir une stratégie à long terme pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier. Cette stratégie a été repoussée quelques fois, et est prévue en 2023 à l’heure actuelle. En attendant qu’une décision soit prise pour une stratégie finale, le gouvernement du Québec a mis en place des Mesures intérimaires pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier (2019-2023), qui interdisent la récolte dans certains des vieux massifs, tout en permettant une récolte à faible impact dans d’autres secteurs. Les mesures visent également à restaurer certains secteurs et permettre plus de connectivité entre les habitats résiduels qui favorisent le caribou. Les mesures s'appliquent au sud de la limite territoriale des forêts attribuables, telle que déterminée par le ministre en vertu de la Loi sur les forêts. Il n'y a pas de récolte au nord de cette limite, où se trouve environ 64 % de l'habitat essentiel. Toutefois, cette limite peut être redéfinie par le ministre. Dans l'ensemble, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure ces actions combinées contribuent à la conservation et à la protection de l’habitat essentiel du caribou boréal, car tous les détails et les mesures finales ne sont pas connus.

En vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) et de la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ), le gouvernement du Québec peut conclure des ententes afin de soustraire des secteurs aux activités d’exploitation forestière à des fins de protection. Par exemple, l'Entente pour résoudre le différend forestier Baril Moses entre la Nation Crie de Eeyou Istchee et le Gouvernement du Québec (2015) prévoit la protection d'un secteur d'environ 9 100 km2 dans le secteur de la rivière Broadback (QC6). En réponse à ceci, des réserves de biodiversité proposées ont été créées. De plus, la CBJNQ et la Paix des Braves (2002) décrivent le Régime forestier adapté, guidant ainsi les opérations forestières et exigeant du gouvernement du Québec qu'il consulte la Nation Crie. Dans le contexte de l'harmonisation du régime forestier adapté en vertu de la LADTF, l'Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou Istchee-Baie-James intervenue entre les Cris d'Eeyou Istchee et le gouvernement du Québec (2012) stipule que le Québec et les Cris gèrent en collaboration les ressources forestières sur les terres de catégorie II situées dans le territoire visé par le chapitre 3 de la Paix des Braves. La Paix des Braves stipule que l'objectif de la Nation Crie au sud de la limite territoriale des forêts attribuables est de changer la dynamique forestière en passant de vieilles forêts de conifères matures à des forêts jeunes et diversifiées. Ce changement favorise des espèces comme l'orignal, au détriment du caribou. En 2013, la province a mis en œuvre une approche de précaution comme mesure de conservation administrative et obligatoire pour retirer temporairement des plans d'aménagement forestier les secteurs utilisés intensivement par le caribou. Par conséquent, aucune récolte et aucune construction ou d’amélioration de chemin n'ont lieu dans ces secteurs temporairement. Certains secteurs sous la protection de l'approche de précaution ont depuis été inclus dans certaines aires protégées (p. ex. la réserve de biodiversité susmentionnée dans le secteur de la rivière Broadback). Les mesures provisoires temporaires de gestion de l'habitat du caribou des bois ont depuis été ajoutées à certains des secteurs sous l'approche de précaution ou les ont remplacées.

2. Protection des individus sur les terres non fédérales

2.1 Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) et Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF)

Au Québec, les espèces menacées ou vulnérables et les caractéristiques de leurs habitats sont désignées en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) via le Règlement sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables et leurs habitats. La protection de leurs habitats est toutefois régie par la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF). Le caribou boréal est désigné espèce vulnérable en vertu de la LEMV, ce qui signifie qu’il peut faire l’objet d’un suivi particulier. Toutefois, contrairement à la Loi sur les espèces en péril (LEP), la LEMV ne comporte pas d’obligation en matière de planification du rétablissement.

La LCMVF a pour objet la conservation de la faune et de son habitat, leur aménagement dans une perspective de développement durable et la reconnaissance à toute personne du droit de chasser, de pêcher et de piéger, conformément à la loi. L’interdiction de chasser le caribou boréal constitue le principal outil permettant de protéger cette espèce en vertu de la LCMVF, ce qui inclut l’interdiction de tuer, de blesser ou de harceler un individu. Il subsiste toutefois certaines incertitudes quant à l’application de certaines interdictions en dehors du contexte de chasse (telle que définie par la LCMVF), notamment en ce qui a trait au harcèlement. La loi interdit de capturer ou posséder un caribou boréal, ainsi que la vente ou l’achat d’un animal ou d’un sous-produit sans autorisation. La loi interdit également de pourchasser, de mutiler ou de tuer un caribou boréal avec un véhicule, un aéronef ou une embarcation motorisée, et également d’utiliser un aéronef pour conduire un animal afin qu’il puisse être chassé. Ces interdictions s’appliquent autant sur les terres de la Couronne provinciale que les terres privées. Seuls les permis peuvent être délivrés pour des fins scientifiques, éducatives, alimentaires ou de gestion de la faune par le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Sur le territoire visé par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois, la chasse traditionnelle autochtone au caribou est autorisée. Bien que le terme " caribou " utilisé dans les conventions ne fasse pas de distinction entre le caribou boréal et le caribou migrateur de l'Est, selon les informations disponibles, la chasse au caribou par les autochtones vise principalement le caribou migrateur de l'Est, tandis que la chasse au caribou boréal n'est qu'opportuniste. De plus, un moratoire volontaire sur la récolte du caribou boréal a été imposé en 2005 par le gouvernement de la Nation Crie lorsque l'espèce a été déclarée vulnérable.

2.2 Loi sur la qualité de l’environnement (LQE)

Les dispositions contenues dans la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) lui confèrent un caractère d’ordre général. Elle vise à encadrer différents projets dans un contexte de développement durable et ne vise pas spécifiquement la protection et le rétablissement des espèces à statut précaire, comme le fait la LEP. Le Ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a la responsabilité d’autoriser, ou non, un projet de construction, d’exploitation, de production d’un bien ou d’un service, ou une activité affectant la qualité de l’environnement, incluant la biodiversité dont fait partie les espèces à statut précaire. Ces espèces doivent être considérées lors des inventaires requis en vue d’obtenir une autorisation d’entreprendre des projets assujettis à cette loi. Ainsi, puisque le caribou boréal est une espèce vulnérable, il sera donc pris en considération lors de l’évaluation des demandes et de la prise de décision d’autoriser ou non un projet.

Certaines dispositions de la LQE permettent au ministre d’imposer des conditions exécutoires dans certificats d’autorisation délivrés pour des projets de développement sur le territoire non domanial. Celles-ci comprennent divers degrés de mesures d’évitement, d’atténuation et de compensation. Bien que cela puisse constituer une forme de protection pour le caribou boréal, des projets sont réalisés dans l’habitat du caribou. De plus, la LQE permet un certain niveau de discrétion dans la décision d’approuver ou non la réalisation d’un projet et les conditions dans lesquelles une autorisation peut être délivrée. Le pouvoir discrétionnaire de délivrer une autorisation n'est pas circonscrit par cette loi provinciale (p. ex., contrairement à la LEP, cette loi ne cite aucune condition préalable relative aux espèces en péril à remplir pour qu'une autorisation soit délivrée). Cependant, les demandes d'autorisation visent à réaliser divers projets dans le cadre desquels les effets sur les espèces en péril ne seraient qu'incidents. Le ministre peut néanmoins, dans certaines circonstances, révoquer ou suspendre un certificat d’autorisation (p. ex. le titulaire du certificat ne se conforme pas à une disposition de la présente loi).

Le régime d’autorisation environnementale de la LQE a été modernisé par la Loi modifiant la LQE, qui est entrée en vigueur en 2018. La nouvelle approche est basée sur le niveau de risque environnemental associé aux activités : élevé, modéré, faible, ou négligeable. Les projets considérés à risque élevé sont identifiés dans le Règlement relatif à l’évaluation des impacts sur l’environnement de certains projets et sont soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. Les projets à risque modéré sont listés dans l’article 22 de la LQE. Le Règlement sur l’encadrement des activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE) décrit les détails de la classification des projets et la procédure à suivre, laquelle inclut la condition d’obtenir une autorisation ministérielle. Le REAFIE répertorie les projets à risque faible, qui ne nécessitent que la soumission d’une déclaration de conformité du promoteur 30 jours avant le début du projet. Le REAFIE répertorie les projets à risque négligeable, qui ne nécessitent ni autorisation ni déclaration de conformité.

Des dispositions particulières d’évaluation environnementale sont applicables à des projets dans les territoires de la Baie-James et du Nord québécois, et ce, en conformité avec les dispositions prévues dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) et la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ). Selon l’intention exprimée dans la CBJNQ, les gouvernements responsables et les organismes créés pour agir dans le cadre des procédures environnementales doivent accorder une attention spéciale à différentes questions, dont la protection des ressources fauniques et des écosystèmes de la région. Cela amène donc un niveau supplémentaire de considération dans le processus d’évaluation de projets, c’est-à-dire une étape de plus où la présence du caribou peut être prise en considération, tant dans l’évaluation d’un projet que dans les conditions l’autorisant.

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