Albatros à pieds noirs (Phoebastria nigripes) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 5

Habitat

Besoins en matière d’habitat

Habitat de nidification

Les Albatros à pieds noirs nichent habituellement sur des plages de sable exposées ou sur des chapelets adjacents de basses îles coralliennes et sablonneuses peu végétalisées des faibles latitudes du Pacifique (Fisher, 1972; Whittow, 1993; Tickell, 2000). Les oiseaux peuvent également se reproduire dans un habitat altéré : par exemple, dans l’île Midway, les Albatros à pieds noirs nichent sur les limites herbeuses d’une piste d’aéroport et dans des zones exposées parmi des filaos introduits (Casuarina equisetifolia; Whittow, 1993). Chez l’Albatros à pieds noirs, le lek (arène de reproduction), confiné aux aires de nidification et aux environs immédiats, est occupé seulement pendant les périodes d’accouplement et de nidification (Rice et Kenyon, 1962a).

Habitat marin

Les stades du cycle vital de l’espèce exercent des contraintes et influences sur l’utilisation de l’habitat marin. Dans l’île Tern, dans le centre du Pacifique, les oiseaux qui élevaient un poussin ont recherché de la nourriture au-dessus des eaux chaudes (température à la surface de la mer [TSM] de > 20 °C), pélagiques (profondeur de > 3 000 m) et oligotrophes (teneur en chlorophylle a de < 0,3 mg/m³) à proximité de la colonie. Quand les poussins ont atteint l’âge de 18 jours, les albatros nicheurs ont étendu leur aire d’alimentation pour fréquenter les eaux côtières (profondeur de < 200 m), froides (TSM de <15 °C) et productives (teneur en chlorophylle a de > 0,3 mg/m³) le long du talus continental de l’Amérique du Nord, depuis le centre de la Californie jusqu’à la Colombie-Britannique (Fernández et al., 2001; Hyrenbach et al., 2002). Dès le début de la période post-reproduction, les Albatros à pieds noirs se sont dispersés dans le Pacifique Nord, où ils ont fréquenté un vaste éventail de domaines océaniques (TSM de 7,1 à 24,9 °C) typiques des eaux tropicales, subtropicales, transitionnelles et subarctiques (Wahl et al., 1989; McKinnell et Waddell, 1993; Hyrenbach et Dotson, 2001; Hyrenbach et Dotson, 2003). Au total, 4 femelles étiquetées et suivies en mer pendant leur dispersion post-reproduction ont largement longé la zone de transition entre le courant de Californie et le tourbillon du Pacifique central (Hyrenbach et Dotson, 2003).

En général, l’utilisation de l’habitat par les albatros est régie par la configuration des vents et la distribution de la nourriture (cette dernière dépend beaucoup des caractéristiques bathymétriques et hydrographiques; voir Croxall et al., 2005). Différents processus physiques influent sur la répartition marine des oiseaux de mer à diverses échelles (Hunt et Schneider, 1987) : à des méso-échelles de 10 à 100 km, des processus qui rassemblent les proies (p. ex. des zones de convergence et des zones frontales) influent probablement sur la répartition de l’Albatros à pieds noirs (Hyrenbach et al., 2002). Des données de relevés en mer réalisés dans le cadre d’études pélagiques canadiennes et états-uniennes montrent que les Albatros à pieds noirs sont les plus abondants dans la zone externe du talus continental (dans des eaux de >100 m de profondeur; Harfenist et al., 2002), plus précisément à la rupture de pente (Morgan et al., 1991; Whittow, 1993; McDermond et Morgan, 1993). L’espèce aime les limites entre masses d’eau et entre zones de remontée d’eau forte et persistante (Wahl et al., 1991; McDermond et Morgan, 1993; Whittow, 1993; Hyrenbach et Dotson 2001). Des oiseaux suivis par télémétrie volaient à des vitesses réduites à proximité du talus continental et des fronts hydrographiques, ce qui indique qu’ils étaient en train de chercher de la nourriture dans ces zones (Hyrenbach et al., 2002). Les monts sous-marins peuvent aussi être une formation océanique d’importance pour les Albatros à pieds noirs : dans le cadre de 2 études pélagiques, on a constaté des densités significativement plus élevées au-dessus du mont sous-marin Cobb, en Colombie-Britannique, que dans les eaux se trouvant à une distance de plus d’une fois le diamètre du mont (K. Morgan, données inédites). De plus, le nombre le plus élevé de prises accessoires d’Albatros à pieds noirs a été enregistré dans le mont sous-marin Bowie, révélant ainsi des densités inhabituelles dans cette zone (Smith et Morgan, 2005).

Tendances en matière d’habitat

Le filao, introduit dans l’atoll de Midway au début du XXe siècle, a créé des zones boisées, ce qui a entraîné la perte d’habitats de nidification en zones exposées. En 1940, les États-Unis ont commencé les préparations militaires en vue de la Seconde Guerre mondiale, lesquelles ont grandement altéré physiquement l’atoll et les autres îles hawaïennes du Nord-Ouest (McDermond et Morgan, 1993; USFWS, 2005a). Plus récemment, l’introduction de la plante Verbesina encelioides a considérablement dégradé l’habitat de nidification dans l’atoll de Midway, le récif Pearl et Hermes et l’atoll de Kure, où des zones gravement infestées ne peuvent être habitées par les oiseaux nicheurs (Shluker, 2002). Des programmes actifs de lutte gèrent maintenant les espèces végétales exotiques dans les colonies d’albatros. Ils sont cependant coûteux, et il reste beaucoup à faire (USFWS, 2005a). Le sanctuaire faunique national de l’atoll de Midway, établi en 1988, servait de refuge de la base aéronavale. En 1997, la base a été déclassée, et la gestion des activités de l’atoll a été transférée de l’US Department of Defense au Department of the Interior (à l’US Fish & Wildlife Service). Ces activités étaient désormais liées au sanctuaire faunique national. La piste d’atterrissage de Midway est encore fonctionnelle, mais on mène maintenant les activités d’aéroport de manière à réduire le plus possible la mortalité des albatros due aux collisions aériennes, et à la documenter. De nombreux obstacles tels que les fils aériens et les panneaux de signalisation ont été retirés, diminuant ainsi le nombre de collisions avec les oiseaux (Cousins et Cooper, 2000; USFWS, 2005c). Les opérations militaires à Midway ont à la fois créé et détruit des aires de nidifications. Par exemple, le remblai de dragage a considérablement augmenté la superficie de l’île Sand (Cousins et Cooper, 2000).

Les activités volcaniques peuvent entraîner l’altération ou la perte d’habitat dans certaines petites colonies, notamment celles de l’île San Benedicto, au Mexique (Pitman et Ballance, 2002), et de l’île Torishima, au Japon (Whittow, 1993; USFWS, 2005c). Une éruption volcanique à l’île Torishima, en 1939, a énormément réduit la population nicheuse; seuls quelques oiseaux ont survécu (Cousins et Cooper, 2000). Dans les bas atolls – certains sont à seulement 3 ou 4 mètres au-dessus du niveau de la mer (Herbst et Wagner, 1992) –, on peut prédire la perte d’habitat à long terme due aux changements climatiques et à l’élévation connexe du niveau de la mer (Baker et al., 2006). Les changements climatiques et les perturbations associées dans les écosystèmes marins (p. ex. l’intensification du phénomène El Niño), de même que les cycles naturels à plus long terme tels que l’oscillation décennale du Pacifique (ODP), affectent également l’habitat marin en altérant la distribution, l’abondance et la qualité des proies (Robinson et al., 2005; USFWS, 2005a). Par exemple, un régime chaud de l’ODP depuis 1976 a causé un déclin du nombre de proies et une hausse de la TSM dans le système du courant de Californie, masse d’eau qui s’étend jusqu’à l’extrémité nord de l’île de Vancouver. Ces phénomènes ont à leur tour entraîné un déclin de 90 p. 100 de la population de Puffins fuligineux (Puffinus griseus) dans la région. Le nombre d’Albatros à pieds noirs dans le courant de Californie a également diminué ces 20 dernières années. Les Puffins fuligineux se sont peut-être simplement redistribués dans le bassin du Pacifique en se dirigeant vers le centre de la zone de transition du Pacifique Nord, où les eaux se sont refroidies et sont devenues plus productives (Ainley et Divoky, 2001; Bertram et al., 2005; Robinson et al., 2005). On ne sait pas encore si cette hypothèse s’applique aussi aux Albatros à pieds noirs, mais une récente hausse rapide des effectifs de cette espèce dans le courant de Californie à la suite d’une baisse de la TSM due à l’ODP indique que ce serait peut-être le cas (Ainley, comm. pers., 2006). La TSM au large du nord du Mexique est maintenant semblable à celle observée autour de l’archipel d’Hawaï. Ce changement de TSM peut expliquer l’établissement de nouvelles colonies d’albatros sur les îles extracôtières du Mexique (Ainley et Divoky, 2001). 

Protection et propriété 

Environ 35 p. 100 de la population mondiale d’Albatros à pieds noirs se reproduit dans l’atoll de Midway, sanctuaire faunique national des États-Unis. Une proportion semblable d’oiseaux niche dans l’île Laysan, dans le sanctuaire faunique national des îles d’Hawaï. Les autres colonies d’Albatros à pieds noirs se trouvent pour la plupart dans d’autres îles et atolls, situés également dans le sanctuaire faunique national des îles d’Hawaï ou dans les sanctuaires d’oiseaux de mer de l’État d’Hawaï (atoll de Kure; Anon, 2004, USFWS, 2005a,b). Plus de 95 p. 100 de la population totale niche dans l’archipel d’Hawaï; ainsi, la grande majorité des Albatros à pieds noirs du monde nichent dans des sites protégés. Sauf les travailleurs des stations de terrain des îles Tern et Laysan et ceux de l’USFWS de l’atoll de Midway, le sanctuaire faunique national des îles d’Hawaï est inhabité par les humains. L’entrée dans le sanctuaire est autorisée seulement avec un permis d’utilisation spéciale de l’USFWS. Même les travaux scientifiques sont limités et surveillés, et ce, pour réduire le plus possible les perturbations indues (USFWS, 2005b).

Les îles San Benedicto et Guadalupe relèvent du Mexique. La première n’est pas protégée, mais elle est inhabitée et exempte de prédateurs introduits. Des militaires sont en poste à Guadalupe toute l’année (Pitman et Ballance, 2002). En 2003, on a proposé de désigner cette dernière réserve de la biosphère (Aguirre Muñoz et al., 2003), ce qui a été réalisé en avril 2005 (Comisión Nacional de Áreas Naturales Protegidas, sans date; Tershy, comm. pers., 2006). L’île Torishima est un monument national japonais, c’est-à-dire qu’elle appartient au gouvernement japonais et qu’elle est gérée à des fins de conservation des espèces sauvages. La compétence du Japon en ce qui a trait aux îles Senkaku est débattue, et l’archipel fera peut-être l’objet d’exploitation pétrolière dans le futur (USFWS, 2005c).

L’habitat marin de l’Albatros à pieds noirs est peu protégé, en partie parce que les oiseaux utilisent des eaux pélagiques ne relevant pas de la compétence des pays. Au Canada, l’Agence Parcs Canada a proposé de créer la réserve d’aire marine nationale de conservation (AMNC) Gwaii Haanas dans les eaux entourant la réserve de parc national Gwaii Haanas (archipel de la Reine-Charlotte/Haïda Gwaii). Toutefois, cette proposition est à l’étape de la consultation. Ainsi, même si les espèces en péril au sein de l’AMNC proposée sont déjà gérées par Parcs Canada, on ne connaît pas encore le calendrier d’établissement de l’aire protégée (Shepherd, comm. pers., 2005; Achuff, comm. pers., 2006). En outre, Environnement Canada travaille à la création d’une réserve marine de faune (RMF) autour des îles Scott. Si les limites de la zone d’étude proposée deviennent les limites de la RMF, environ 25 800 km² de l’habitat marin bénéficieraient d’un certain degré de protection (Dunn, comm. pers., 2006). En 1991, on a établi une zone de protection des espèces de 50 milles marins autour des îles hawaïennes du Nord-Ouest, principalement pour protéger la population en voie de disparition de phoques moines d’Hawaï (Monachus schauinslandi; BirdLife International, 2004a). Au total, 3 sanctuaires marins nationaux des États-Unis établis dans le système du courant de Californie au large des côtes californiennes (golfe des Farallones, banc Cordell, baie Monterey; Ford et al., 2004) semblent englober les aires d’alimentation utilisées pendant la saison de nidification de l’Albatros à pieds noirs (Hyrenbach et al., 2006). Dans l’est du Pacifique Nord, l’espèce fréquente les ZEE du Mexique, des États-Unis et du Canada (figure 3). Hyrenbach et Dotson (2003) ont utilisé des émetteurs de satellite pour suivre 4 femelles au large des côtes californiennes pendant leur dispersion post-reproduction. Ils ont constaté que ces oiseaux passaient respectivement 25 p. 100, 24 p. 100 et 51 p. 100 de leur temps dans la ZEE des États-Unis, la ZEE du Mexique et les eaux internationales. Dans l’ensemble de l’aire de répartition connue, on rencontre aussi des Albatros à pieds noirs dans les eaux territoriales de la Chine, de Guam, du Japon, de la République de Corée, des îles Marshall, des États fédérés de Micronésie, de la Nouvelle-Zélande (comme espèce erratique), des îles Mariannes du Nord, de la Russie et de Taïwan (BirdLife International, 2004b).

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