Bec-croisé des sapins (Percna) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Habitat

Besoins de l’espèce

Avec sa morphologie et ses besoins alimentaires, le Bec-croisé des sapins est très étroitement adapté aux habitats conifériens. La disponibilité de graines de conifères constitue le besoin le plus important en matière d’habitat pour le Bec-croisé des sapins de la sous-espèce percna. Les habitats qui lui fournissent cet aliment à grande échelle sont les peuplements d’épinettes noires et de sapins baumiers (Abies balsamea) matures et, dans des zones plus restreintes réparties dans toute l’île, les peuplements de pins rouges, de pins blancs et d’épinettes blanches (Picea glauca). Une caractéristique clé de l’habitat du Bec-croisé des sapins est la disponibilité en mosaïque, presque à la grandeur de l’île, de graines de conifères : lorsque les graines de conifères ne sont pas abondantes dans un secteur géographique donné (ou dans un type de conifères), il y aura d’autres endroits (et/ou d’autres essences conifériennes) qui offriront davantage de graines. Malgré son degré de spécialisation extrêmement élevé, le Bec-croisé des sapins n’a pas une répartition restreinte. La sous-espèce percna a besoin de peuplements de conifères pour chercher sa nourriture, se reposer et nicher; toutefois, les aires d’alimentation peuvent être éloignées des lieux de repos et de nidification.

On ne s’attend pas à ce que la sous-espèce percna tolère bien les perturbations de son habitat. La fragmentation des vieux peuplements de conifères et une diminution de l’âge d’exploitation des peuplements peuvent amener des pertes de cônes sur de grandes superficies dont ne pourrait peut-être pas s’échapper les populations de cet oiseau, qui peut être relativement sédentaire comparativement à d’autres Becs-croisés des sapins d’Amérique du Nord. L’habitat essentiel du Bec-croisé de la sous-espèce percna sera probablement difficile à déterminer parce que certains secteurs peuvent ne pas être utilisés régulièrement d’une année à l’autre (Benkman, 1993b), en particulier par cette petite population peut-être fragmentée. Les perturbations actuelles continues dans l’habitat du Bec-croisé des sapins pourraient constituer une menace pour la viabilité de la petite population restante.

Tendances

Exploitation forestière

La fragmentation de l’habitat du Bec-croisé des sapins s’accroît sans cesse. Les régimes de coupe ont réduit l’âge d’exploitation des peuplements de conifères à Terre-Neuve (Thompson et al., 1999, 2003), situation qui a créé des fragments restreints de peuplements matures, qui se sont avérés l’habitat le plus productif pour le Bec-croisé des sapins à d’autres endroits (p. ex. en Alaska; Holimon et al., 1998); ces fragments sont répartis dans une matrice de peuplements plus jeunes et de coupes à blanc. Les restes de forêts matures sont actuellement épars dans l’île de Terre-Neuve (voir la figure 4).

Figure 4 :  Blocs de forêt intacte dans l’île de Terre-Neuve

Figure 4.  Blocs de forêt intacte dans l’île de Terre-Neuve (Global Forest Watch Canada, 2000).

Global Forest Watch Canada, 2000.

La fragmentation de l’habitat a une incidence négative pour le bec-croisé (Helle, 1985), car la production de cônes peut être plus faible dans les fragments de forêt que dans les peuplements étendus. Les régimes d’exploitation actuels augmentent la fragmentation des peuplements d’épinettes noires et de sapins baumiers (Flight et Peters, 1992). Le pin rouge et le pin blanc ne subsistent que dans de minuscules fragments isolés, dispersés dans l’île (Roberts, 1985; Rajora et al., 1998), situation attribuable à leur exploitation passée, à d’autres modifications du paysage et aux maladies (Page et al., 1974; Whitaker et al., 1996). Il est possible que les effectifs du Bec-croisé des sapins aient diminué parallèlement au déclin du pin rouge et du pin blanc, comme on l’a observé à d’autres endroits (voir par exemple Dickerman, 1987; Erskine, 1992).

Insectes et champignons

Des infestations d’insectes et de champignons entraînent la défoliation de grandes superficies de forêt à Terre-Neuve. Pendant les années 1970, les forêts de résineux de Terre-Neuve ont connu des grandes invasions de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana). La production de cônes peut se trouver nettement réduite même par une légère défoliation due à cet insecte. Pendant les dernières décennies, la tordeuse des bourgeons de l’épinette et l’arpenteuse de la pruche (Lambdina fiscellaria fiscellaria) ont défolié des millions d’hectares de forêt à Terre-Neuve (voir les références dans Carroll, 1996). Depuis 1967, on estime que l’arpenteuse de la pruche a détruit environ 14 000 km2 de sapins baumiers; par ailleurs, la tordeuse des bourgeons de l’épinette aurait détruit environ 5250 km2 de sapins baumiers et environ 750 km2 d’épinettes noires (Carroll, 1996). En outre, les pins sont menacés par des maladies fongiques. La rouille vésiculeuse du pin blanc (Cronartium ribicola) a ravagé le petit nombre de pins blancs qui restaient et elle nuit encore à la régénération. Le pin rouge est actuellement menacé par le chancre scléroderrien (Gremmeniella abietina; Whitaker et al., 1996). La perte d’arbres due aux dommages causés par les insectes et les champignons est plus élevée que la perte due à l’exploitation et elle dépasse d’un ordre de grandeur celle que causent les feux.

Feux de forêt

Les feux ont eu des effets cumulatifs majeurs qui ont modifié et déterminé la structure de la forêt à Terre-Neuve, en particulier dans le centre et l’est de l’île. Peu après l’arrivée des Européens au début du 17e siècle, les pêcheurs ont eu recours au feu pour défricher de larges bandes de terre le long des côtes. Ces feux non dirigés ont éliminé des dizaines et des dizaines de milliers de kilomètres carrés de forêt boréale coniférienne, qui ne s’est en bonne partie jamais régénérée et est demeurée à l’état de marais et de landes (Wilton et Evans, 1974; Damman, 1983). Pendant le 20e siècle, des feux importants ont souvent été déclenchés par les cendres des locomotives (Wilton et Evans, 1974; Montevecchi et Tuck, 1987). En 1960-1961, le feu a ravagé une superficie de 4 165 km2 dans le centre et l’est de Terre-Neuve (Hayward et al., 1960, 1961), éliminant des sources de cônes dans les secteurs touchés. Ce feu, tout comme d’autres survenus au tournant du 20e siècle, ainsi qu’en 1946, 1977 et 1979, a contribué au déclin du pin rouge dans l’île (Roberts, 1985). Le feu favorise la régénération de l’épinette noire, qui est en général l’essence dominante dans les forêts conifériennes du centre et de l’est, mais pas dans l’ouest de Terre-Neuve où les précipitations sont plus abondantes, les feux de forêt moins fréquents et moins étendus et où l’épinette noire des forêts exploitées est en général remplacée par le sapin baumier (Damman, 1983). Il est probable que les récentes activités de lutte contre les incendies nuisent en général à la régénération et à la prolifération de l’épinette noire. Un brûlage dirigé effectué dans le parc national Terra-Nova en  2002 devait contribuer à simuler un processus écosystémique naturel.

Protection et propriété des terrains

Dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, 99 p. 100 des ressources forestières appartiennent à la province. Toutefois, dans l’île de Terre-Neuve, les droits de coupe et de propriété de 69 p. 100 des terres publiques ont été concédés à des sociétés forestières par l’octroi de permis d’une durée de 99 ans émis en 1905 et en 1935 (Ressources naturelles Canada, 2002). Les principales sociétés forestières qui détiennent ces permis sont l’Abitibi Consolidated Inc., qui exploite environ 18 000 km2 de forêt, et la Corner Brook Pulp and Paper Ltd. (filiale de Kruger Inc.), qui exploite 20 620 km2 de forêt. La superficie protégée par la province et le fédéral correspond à 7,8 p. 100 des terres et des eaux intérieures de l’île de Terre-Neuve. Certains habitats pouvant être importants pour le Bec-croisé des sapins pourraient être préservés et protégés dans la réserve écologique provisoire du lac Little Grand dans l’ouest de Terre-Neuve, réserve à laquelle le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador envisage actuellement d’accorder un statut permanent.

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