Chouette tachetée (sous-espèce caurina) évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

Facteurs limitatifs et menaces

Les Chouettes tachetées du Nord en Colombie-Britannique sont très vulnérables à la disparition du pays en raison de leurs maigres effectifs et de leur faible densité. Les facteurs menaçant l’espèce, aujourd’hui et dans l’avenir, peuvent être divisés en facteurs primaires et secondaires (Blackburn et Godwin, 2003). Les facteurs primaires sont ceux qui causent des effets soutenus à long terme limitant la capacité de charge ou la taille de la population totale potentielle. Le facteur primaire consiste en la perte et la fragmentation de l’habitat, alors que la compétition avec la Chouette tachetée est un facteur primaire découlant de la fragmentation de l’habitat. Les facteurs secondaires sont ceux qui peuvent causer des effets à court terme sur la taille des populations, mais dont les populations peuvent normalement se rétablir peu après que les effets de ce facteur s’atténuent pour donner lieu à des conditions plus favorables. Parmi les facteurs secondaires, on compte les événements stochastiques environnementaux et démographiques, la variabilité génétique, la prédation, les maladies, les parasites et les virus. Bien que les facteurs primaires limitent généralement la taille de la population et peuvent entraîner la disparition du pays, les facteurs secondaires sont souvent la cause première de la disparition de petites populations (Blackburn et Godwin, 2003).

Population de très petite taille et en déclin

En Colombie-Britannique, les effectifs et la densité des populations sont très faibles (moins de 25 individus et 6 couples nicheurs en 2005; 17 individus et 3 couples en 2006). Bien que quelques nouveaux territoires aient été découverts ces dernières années (p. ex. Hobbs, 2002, 2004, 2005; Keystone, 2004), le recrutement de juvéniles dans la population de la Colombie-Britannique semble avoir cessé car aucun nouvel individu n’a été découvert dans les zones ayant fait l’objet de relevés intensifs au cours des dernières années (Blackburn et al., 2002; Hobbs, 2002, 2004, 2005). En outre, tous les juvéniles munis de radioémetteurs récemment ont été trouvés morts (n=6) ou ont disparu (n=1) (Hobbs, 2004, 2005). Si aucun recrutement naturel n’a lieu, la population sera, selon toute probabilité, condamnée à la disparition du pays d’ici deux à cinq ans, à moins que les populations soient augmentées.

Isolement géographique des couples existants et absence de recrutement

Les petites populations insulaires ayant une variabilité élevée du succès reproducteur courent un risque élevé de disparition rapide du pays à moins que celles-ci ne soient reliées pour former une plus grande métapopulation (Shaffer, 1985; Gilpin, 1991; Lamberson et al., 1994). Chez des espèces résidantes comme la Chouette tachetée, la connectivité de la grande population est assurée par la dispersion des juvéniles, qui se déplacent dans le paysage pour trouver leur propre territoire et se reproduire. En 2006, l’absence de recrutement de jeunes chouettes dans des nids actifs connus dans la population canadienne, la grande proportion de sites occupés par des individus seuls et les distances séparant les couples reproducteurs connus indiquent que les sites existants et les chouettes sont trop isolés pour assurer une connectivité naturelle biologiquement viable.

Dans des conditions idéales, environ 50 p. 100 des Chouettes tachetées du Nord juvéniles meurent avant ou pendant la première dispersion. Durant celle-ci, les juvéniles sont davantage exposés à la famine et à la prédation (Forsman et al., 2002a). Ce taux élevé de mortalité, combiné aux distances séparant l’habitat convenable inoccupé et les territoires n’abritant que des individus seuls en Colombie-Britannique, ainsi que les faibles effectifs, font en sorte qu’il est improbable qu’un individu en dispersion puisse trouver un compagnon. Lahaye et al. (2001) ont suggéré que l’installation des Chouettes tachetées juvéniles dans un territoire serait reportée chez les populations en déclin en raison de l’absence de compagnons, ce qui entraîne des conséquences évidentes pour la gestion des populations en Colombie-Britannique. Cependant, Hobbs (2005) rapporte l’observation de juvéniles se dispersant à partir de nids différents et dont les trajectoires se sont croisées près du lac Anderson (Colombie-Britannique), ce qui laisse entendre qu’il existe encore un potentiel d’échange génétique et d’établissement de « nouveaux » couples, dans la mesure où les juvéniles pourraient survivre.

Il semble essentiel d’adopter des mesures de gestion visant à protéger l’habitat de connectivité/de dispersion en Colombie-Britannique en vue d’assurer le rétablissement de la Chouette tachetée du Nord et de la conserver à l’intérieur de son aire de répartition historique et actuelle au Canada.

Compétition

De nombreux biologistes estiment que la Chouette rayée représente désormais un obstacle important au rétablissement, bien que la gravité de cette menace soit difficile à mesurer (Courtney et al., 2004; Herter 2004). La Chouette rayée est capable de vivre dans une variété de types de forêt et de stades de succession, et peut s’adapter à des sources alimentaires plus variées; par conséquent, elle bénéficie probablement d’un avantage concurrentiel sur la Chouette tachetée du Nord dans les peuplements vieux fragmentés. Une étude menée dans la chaîne des Cascades dans l’État de Washington a démontré que la présence de Chouettes rayées éloignait les Chouettes tachetées, même dans des aires protégées pour la Chouette tachetée (Pearson et Livezy, 2003). Kelly et al. (2003) prédisent deux scénarios si la tendance actuelle se maintient : 1) les Chouettes rayées délogent les Chouettes tachetées du Nord; 2) un équilibre est atteint, dans lequel les deux espèces cohabitent dans le même paysage ou chacune occupe différentes parties du paysage.

Bien que l’impact de la compétition de la Chouette rayée sur la Chouette tachetée du Nord soit inconnu en Colombie-Britannique, il est probablement similaire à celui que l’on observe aux États-Unis (voir p. ex. Kelly et al., 2003). En raison de la très petite taille de la population de la Colombie-Britannique, toute situation où des Chouettes rayées délogeraient des Chouettes tachetées du Nord aurait des conséquences désastreuses.

On trouve également des Grands-ducs d’Amérique dans l’habitat de la Chouette tachetée du Nord, et ceux-ci lui font probablement concurrence pour la nourriture et l’espace (Gutierrez et al., 1995).

Climat et changements climatiques

La Chouette tachetée se trouve à la limite septentrionale de son aire de répartition en Colombie-Britannique. Le climat plus froid et plus rigoureux de la Colombie-Britannique se traduit probablement par des taux de fécondité et de survie inférieurs à ceux des États-Unis. Les modifications de l’habitat attribuables à l’exploitation forestière et à d’autres activités d’exploitation peuvent accroître les stress thermiques et alimentaires que subit la Chouette tachetée, réduisant d’autant la qualité de l’habitat (Main et Harestad, 2004).

On a avancé que le régime climatique serait une cause du déclin généralisé des populations (Anthony et al., 2006). Il semble donc logique de considérer les changements climatiques comme une menace. Les répercussions du réchauffement climatique pourraient menacer la Chouette tachetée du Nord si des impacts négatifs se font sentir au niveau des proies (p. ex. baisse de l’abondance et de la disponibilité), du climat (p. ex. davantage de pluie ou de neige ou températures moyennes inférieures), de la végétation (p. ex. changements dans la composition et la structure), des événements stochastiques environnementaux (p. ex. augmentation du nombre et de l’intensité des feux de forêt s’il y a moins de précipitations, augmentation des pullulations d’insectes dues à des hivers moins rigoureux) et des maladies (p. ex. augmentation des maladies exotiques comme le virus du Nil occidental). Par exemple, l’épidémie de dendroctone du pin ponderosa a atteint des proportions catastrophiques, et pratiquement toutes les forêts de pins tordus de la Colombie-Britannique semblent condamnées. Les invasions d’insectes endommagent aussi gravement les forêts de pins ponderosa et de Douglas taxifoliés dans l’intérieur sud de la Colombie-Britannique, y compris des ZSGR près des lacs Lillooet et Carpenter. L’augmentation des pullulations d’insectes a été associée au réchauffement climatique (Dale et al., 2001).

D’autre part, le réchauffement climatique pourrait améliorer l’habitat et d’autres conditions environnementales pour la Chouette tachetée du Nord, si les nouvelles conditions reproduisent celles que l’on retrouve aujourd’hui aux États-Unis. Cette menace, cependant, est impossible à gérer dans le cas de la Chouette tachetée du Nord en Colombie-Britannique.

Perte et fragmentation de l’habitat dues à l’exploitation forestière

La perte et la fragmentation de l’habitat dues à la récolte dans les peuplements vieux et la dégradation de l’habitat découlant de l’aménagement de forêts d’âge uniforme sont largement reconnues comme les principales menaces à long terme compromettant la viabilité des populations de Chouettes tachetées du Nord dans le Pacifique Nord-Ouest (Gutiérrez et al., 1995; Courtney et al., 2004) et en Colombie-Britannique (Chutter et al., 2007).

Historiquement, en Colombie-Britannique, l’exploitation forestière par la coupe à blanc a diminué la diversité structurelle des zones récoltées. À l’heure actuelle, environ 31 p. cent de l’habitat convenable de la Chouette tachetée du Nord se trouve à l’intérieur de terres exploitables (Chutter et al., 2007) et est donc menacé. Au cours des 25 prochaines années, on prévoit que le taux de perte d’habitat causée par la récolte du bois et les perturbations naturelles dépassera le recrutement d’habitat convenable à partir des forêts jeunes, ce qui accentuera la fragmentation et l’isolement de l’habitat à la disposition de la Chouette. Fait encore plus préoccupant, on projette que le recrutement d’habitat, selon les scénarios les plus raisonnables, ne dépassera pas la perte d’habitat avant au moins 50 ans (Sutherland et al., 2007). Il est à noter que huit des 11 sites existants dans des parcs et des aires protégées depuis 1992 étaient encore actifs en 2005. Par comparaison, tel était le cas dans seulement un des 32 LTAC du plan de gestion ou du district régional du Grand Vancouver à l’extérieur de parcs, ce qui indique que les conditions écologiques à l’intérieur des parcs et/ou les mesures de protection de l’habitat en vertu de la Parks Act sont plus favorables à la pérennité de la Chouette tachetée (Chutter et al., 2007).

Les pertes d’habitat dues à l’exploitation forestière pourraient être moins irréversibles que les pertes attribuables au développement urbain et rural, dans la mesure où les zones exploitées sont aménagées en fonction des besoins en habitat de la Chouette tachetée. Les données recueillies aux États-Unis indiquent que les territoires aménagés en vertu du Northwest Forest Plan, qui prévoit des dispositions pour la conservation de l’habitat pour la Chouette tachetée, sont plus aptes à conserver l’habitat et les populations de chouettes, puisque les déclins y ont été inférieurs (- 2,8 p. 100) que dans les autres territoires (- 5,8 p. 100) (Anthony et al., 2006).

La Chouette tachetée du Nord tend à fréquenter l’habitat de faible altitude durant l’hiver, peut-être pour éviter les froids extrêmes et les accumulations de neige qui limitent la disponibilité des proies. Un déplacement vers des altitudes plus élevées, en raison de la perte de peuplements vieux en faible altitude attribuable à l’exploitation forestière ou au développement, pourrait causer une hausse du taux de mortalité par la faim et le froid durant les hivers particulièrement froids et humides (I. Blackburn, comm. pers.).

Les récents impacts de la perte d’habitat pourraient être davantage liés aux effets de la fragmentation, comme l’augmentation de la pression des prédateurs, l’augmentation de la compétition pour la nourriture et l’espace avec la Chouette rayée, la distance entre les parcelles d’habitat convenable et d’autres facteurs, plutôt qu’à la simple quantité d’habitat perdu.

Perte et fragmentation de l’habitat attribuables aux feux de forêt et autres perturbations naturelles

Aux États-Unis, les feux de forêt ont détruit davantage d’habitat de la Chouette tachetée que l’exploitation forestière depuis 1990 (Courtney et al., 2004), bien qu’il soit possible que les incendies ne nuisent pas à la Chouette tachetée, à moins que de grandes étendues de forêt soient détruites (Bond et al., 2002; Clark 2007). Clark (2007) a démontré que la Chouette tachetée peut utiliser des zones modérément à gravement brûlées (> 70 p. 100 de l’étage supérieur de forêt mature détruit par le feu) aux États-Unis.

En Colombie-Britannique, les feux de forêt ont également eu des impacts sur une superficie considérable de l’habitat de la Chouette tachetée du Nord. Par exemple, en 2002, le feu de Seton a brûlé environ 1 400 ha d’habitat majoritairement convenable à la Chouette tachetée du Nord, et un feu de forêt a brûlé 900 ha d’habitat de qualité près d’un nid connu en 2004 (Hobbs, 2005). La femelle adulte qui vivait près de la zone brûlée en 2004 était munie d’un radioémetteur et n’a pas été observée utilisant l’habitat brûlé durant les six mois pendant lesquels son émetteur a fonctionné, bien qu’on l’ait observée perchée dans des arbres vivants à moins de 10 m de la bordure du brûlis encore fumant à la fin de l’automne.

Les pertes d’habitat dues aux feux de forêt, aux infestations d’insectes (dendroctone du pin ponderosa, dendroctone du Douglas) et aux vents peuvent diminuer la quantité d’habitat disponible si ces pertes sont importantes (Chutter et al., 2007) et avoir des impacts négatifs sur la survie des individus existants ou sur le potentiel de rétablissement. Les infestations d’insectes se sont répandues rapidement dans la majeure partie de l’intérieur de la Colombie-Britannique, et sont également très présentes dans la périphérie est et nord de l’aire de répartition de la Chouette tachetée du Nord en Colombie-Britannique.

Perte d’habitat attribuable à d’autres développements humains

En Colombie-Britannique, le développement rural et urbain, en particulier dans le Lower Mainland, la vallée de Squamish et d’autres vallées comportant des corridors de transport, viennent s’ajouter à la foresterie commerciale et sont responsables d’une perte et d’une fragmentation considérables de l’habitat forestier. L’habitat perdu par conséquent du développement urbain et agricole est sans aucun doute perdu à jamais pour la Chouette tachetée du Nord. La construction de routes, de pipelines et de corridors de services publiques contribue en général à la fragmentation de l’habitat. En Colombie-Britannique, les pertes attribuables à l’expansion des réservoirs d’eau, aux projets hydroélectriques indépendants et aux lignes de transmission d’électricité sont considérées comme des menaces importantes pour l’avenir (Chutter et al., 2007). L’intensification de l’exploitation minière et du tourisme en région sauvage représente également une menace potentielle (Pierce Lefebvre, 2005).

La connectivité avec les populations américaines a été compromise par le développement humain dans la vallée du bas Fraser. Les grandes vallées dépourvues d’arbres sont reconnues comme des obstacles à la dispersion (Forsman et al., 2002a); par conséquent, la dispersion d’individus entre les États-Unis et le Canada est peu probable dans la vallée du bas Fraser, entre Vancouver et Agassiz.

Productivité

La Chouette tachetée du Nord vit longtemps mais a un très faible potentiel reproducteur en raison de la petite taille de ses couvées, de sa reproduction irrégulière (la reproduction n’a pas lieu chaque année) et du taux élevé de mortalité des juvéniles. Le rétablissement des populations est fortement limité par ces contraintes de reproduction.

Prédation

La prédation n’est pas considérée comme un facteur limitatif pour les populations de Chouettes tachetées du Nord en général (Gutierrez et al., 1995). Au moment où la Chouette tachetée du Nord a été inscrite comme espèce en voie de disparition (Endangered) aux États-Unis, on croyait que l’augmentation du risque de prédation dans un habitat de plus en plus fragmenté représentait une menace importante; cependant, les recherches n’appuient pas cette hypothèse (Courtney et al., 2004). Cependant, la menace de la prédation est probablement plus grave pour les petites populations de Chouettes tachetées du Nord, comme celles vivant en Colombie-Britannique, par comparaison aux grandes populations, puisque la perte d’un seul individu peut y avoir des conséquences plus grandes, voire catastrophiques. La prédation compte pour une grande partie (68,0 p. 100) de la mortalité des juvéniles (Forsman et al., 2002a).

Maladies et parasites

Les maladies et les parasites affectant la Chouette tachetée du Nord sont méconnus (Gutiérrez et al., 1995), mais on estime que ces facteurs peuvent être en cause dans certains cas de famine ou de prédation (Forsman et al., 2002a). La majorité des Chouettes trouvées mortes et examinées par Forsman et al. (2002a) étaient infestées de parasites du sang ou des intestins. Le virus du Nil occidental est considéré comme une menace potentielle, mais ses effets sont inconnus (Courtney et al., 2004).

Hybridation

La Chouette tachetée du Nord est un proche parent de la Chouette rayée (Gutiérrez et al., 1995). Dans l’État de Washington et en Oregon, 50 hybrides ont été observés entre 1974 et 1999. En Colombie-Britannique, il y a eu une occurrence d’une Chouette rayée mâle s’accouplant avec une Chouette tachetée du Nord femelle (Hobbs, 2004), et un cas de Chouette tachetée mâle s’accouplant avec une Chouette rayée femelle (J. Hobbs, comm. pers.). La fréquence des accouplements interspécifiques est extrêmement faible par comparaison au nombre total d’accouplements de Chouettes tachetées du Nord à l’intérieur des zones ayant fait l’objet d’études démographiques dans l’État de Washington et en Oregon (Kelly, 2002), et on présume que l’ampleur actuelle de l’hybridation est faible (Gutiérrez et al., 1995). En général, la ségrégation par l’habitat (la Chouette rayée fréquente des forêts plus ouvertes, alors que la Chouette tachetée fréquente des forêts matures au couvert plus fermé) sépare les deux espèces (voir p. ex. Herter et Hicks, 2000), mais ces différences d’habitat pourraient s’atténuer. Malgré le fait que ces deux espèces soient largement sympatriques, les mécanismes d’isolement génétique séparant la Chouette tachetée du Nord de la Chouette rayée seraient suffisamment efficaces pour limiter l’hybridation au niveau très faible observé (Hamer et al., 1994).

Génétique

Courtney et al. (2004) n’ont relevé aucun problème génétique qui représenterait une menace importante pour la Chouette tachetée du Nord dans l’ensemble de son aire de répartition, mais ils sont néanmoins préoccupés par le fait que la population canadienne, en raison de sa petite taille, serait vulnérable à la consanguinité, à l’hybridation et à d’autres impacts (p. ex. flux génétique limité dans l’habitat fragmenté et des populations isolées, Barrowclough et al., 2006).

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