Crapaud de l’ouest (Bufo boreas) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 9

Facteurs limitatifs

Les déclins sévères de populations de B. boreas survenus dans la moitié sud de l’aire de répartition sur une courte période, et dans des secteurs relativement sauvages, sont inquiétants. Aucune hypothèse satisfaisante n’a permis d’expliquer ces déclins. Des épisodes de mortalités de masse des différents stades de vie se sont produits sous une variété de conditions notamment la prédation, la déshydratation, les radiations UV et les infections fongiques. Les conditions climatiques annuelles peuvent aussi avoir une incidence majeure sur le recrutement (Jones, 1999a). Les orages printaniers, les sécheresses estivales et des gels hâtifs en automne sont à l’origine de mortalités de masse de jeunes crapauds, d’œufs et de larves. De plus, les crapauds de l’Ouest tendent à déposer leurs oeufs au même endroit et au même moment dans un site de reproduction (Blaustein et al., 1995). Ce comportement ajouté au prolongement des aggrégations post-métamorphose rend les crapauds de l’Ouest très vulnérables à la prédation (Sullivan, 1994).

La région sud de la Colombie-Britannique est la portion la plus peuplée par les humains de l’aire de répartition canadienne du crapaud de l’Ouest. L’exploitation agricole et urbain intense a entraîné un empiètement important de l’aire de l’espèce et/ou l’a exposé aux facteurs associés tels qu’une augmentation du trafic routier, une détérioration de l’habitat, l’isolement suite à la fragmentation, les pesticides, les maladies, la prédation et la compétition avec des espèces exotiques introduites telles que le ouaouaron et les poissons. Conséquemment, les populations de l’écoprovince de la Georgia Depression isolées par la fragmentation ont subi des déclins (c.-à-d. Haycock et Knopp, 1998; Dupuis, 1998; Davis, 2000). Les petites populations isolées comme celles-ci sont les plus susceptibles de disparaître sous l’effet de stress environnementaux (Corn, 1994; Blaustein et al., 1995).

Le crapaud de l’Ouest pourrait être particulièrement vulnérable aux pathogènes et aux maladies. Davis (2000) suspecte que la seule disparition locale connue d’une population de B. boreas au Canada serait reliée à des pathogènes associés aux poissons, dont le champignon aquatique Saprolegnia. Ce même pathogène est responsable d’un taux de mortalité de 50 à 95 p. 100 des œufs de crapaud de l’Ouest dans trois sites en Oregon (Blaustein et al., 1994a). Les auteurs suggèrent que les populations stressées par la dégradation de leur habitat et/ou l’augmentation de l’exposition aux UV-B étaient plus vulnérables à une infection. De plus, le comportement de ponte communale de B. boreas favorise l’augmentation des taux d’infection (Kiesecker et Blaustein, 1997).

Un champignon de type chytride a été identifié sur des amphibiens en Australie, en Amérique Centrale et en Amérique du Nord et il est soupçonné d’être la cause du déclin de nombreuses espèces d’amphibiens vivant en zone montagneuse, dont le crapaud de l’Ouest (Berger et al., 1998; Daszak et al., 1999). Au Colorado, B. boreas a subi des déclins de population à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et à nouveau de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui (C. Carey, comm. pers.). Carey (comm. pers.) a trouvé que quatre populations en déclin de B. boreas au Colorado dans les années 1990 étaient infectées par le chytride Batrachochytrium dendrobatidis à des niveaux suffisants pour tuer des amphibiens exposés en laboratoire. En se basant sur des similarités dans les patrons des déclins de populations et la présence de chytrides sur des spécimens de collection de musée, Carey croit que les déclins de B. boreas observés à la fin des années 1970 et au début des années 1980 au Colorado seraient également attribuables à cette maladie. Pratiquement rien n’est connu sur la manière dont ce pathogène tue son hôte, sur son mode de dispersion dans les populations et sur son origine. Il pourrait conduire une population jusqu’à l’extinction grâce à sa faculté de survie à l’extérieur de son hôte dans des tissus épidermiques kératinisés après la mort de l’individu et grâce à son mode de reproduction saprophytique (Daszak et al., 1999). Batrachochytrium se développe plus rapidement à basse température (Daszak et al., 1999) ce qui pourrait expliquer la vulnérabilité des populations de montagne. Un pathogène histologiquement similaire, Basidiobolus ranarum, a été décrit chez des populations naturelles en péril de crapauds du Wyoming, Bufo baxteri, (Taylor et al., 1999) et chez des grenouilles africaines, Hymenochirus curtipes, en captivité (Groff et al., 1991), une espèce largement introduite aux États-Unis à la fin des années 1980 dans les étangs de jardins ornementaux. L’introduction de cette espèce pourrait être une des origines de la dissémination de Batrachochytrium en Amérique du Nord.

Worrest et Kimeldorf (1975) ont exposé des têtards de B. boreas à de hautes doses d’UV-B artificiels et ont obtenu des malformations de la colonne vertébrale, de la cornée et au niveau de l’épiderme. En Oregon, des études avaient montré une plus forte mortalité chez des larves de crapaud de l’Ouest exposées à des doses naturelles d’UV-B comparées à des larves protégées par des écrans. Cette différence pourrait être causée par les faibles concentrations naturelles de photolyase chez cette espèce (Blaustein et al., 1994b; Hays et al., 1996). Cependant, des études identiques menées au Colorado n’ont montré aucun effet des radiations UV sur les larves de crapaud (Corn, 1998). Licht et Grant (1997) suggèrent que les taux normaux d’UV-B ne sont pas assez forts pour supporter l’hypothèse des UV comme seule cause de déclin des amphibiens, mais ils reconnaissent que ces taux vont sans doute augmenter au cours de la prochaine décennie et que certaines espèces pourraient être plus sensibles à ces changements. Les UV en combinaison avec d’autres sources de stress pourraient donc favoriser l’émergence de maladies infectieuses.

Les malformations chez les amphibiens ont reçu beaucoup d’attention au cours de la dernière décennie. Sur l’Île de Vancouver, Davis (2000) a observé une augmentation des malformations chez les crapauds juvéniles trouvés le long des rives par rapport à ceux trouvés dans les terres. Il a conclu que ces malformations pourraient avoir une incidence sur la capacité de dispersion des crapauds. Le North American Reporting Center for Amphibian Malformations a deux mentions canadiennes de malformation du crapaud de l’Ouest; deux individus de la région d’Alberni-Clayoquot (juillet 1998) et un des East Kootenays (septembre 1998). Au cours des cinq dernières années, T. Dickinson (comm. pers.) a observé de nombreux jeunes crapauds Bufo boreas qui présentaient des malformations dans la région du lac Isobel (Colombie-Britannique) (51° 23'W 50° 51'N) à environ 5 km de Kamloops. Il affirme que les amphibiens présentent « une incidence des malformations des membres supérieure à la normale, soit 50 p. 100 chez Rana pretiosa et Hyla regilla, et 30 p. 100 chez Bufo boreas. Dans tous ces cas, il y a une prévalence de membres et de phalanges surnuméraires de la ceinture pelvienne aux métatarses ». Des mentions de crapauds de l’Ouest malformés proviennent également de la région du lac Little Shuswap (T. Dickinson, comm. pers.). Les causes de ces malformations sont inconnues. Johnson et al. (1999) ont identifié un parasite qui cause des hauts taux de malformations chez Hyla regilla (15 à 45 p. 100) et chez les têtards de B. boreas en Californie. Un escargot aquatique (Planorbella tenuis) est le premier hôte de ce parasite trématode (Ribeiroia sp.) qui infecte les tissus de la région pelviennne et des membres postérieurs des amphibiens, pouvant ainsi causer la formation de membres anormaux ou supplémentaires. Dans des conditions expérimentales, même de faibles densités de parasites peuvent provoquer des malformations et engendrer un faible taux de survie des têtards. Ces auteurs suggèrent que la croissance de l’incidence de malformations qui a été observée chez de nombreuses espèces d’amphibiens pourrait être liée à l’augmentation des densités d’un des hôtes de ces parasites et/ou à des changements dans l’environnement. Par exemple, une accélération de l’eutrophisation en raison de la pollution organique pourrait avoir entraîné une croissance des populations d’escargots aquatiques.

Dans de nombreux secteurs de Colombie-Britannique, les crapauds sont souvent abondants dans les zones de coupe tant en milieu terrestre que dans les sites aquatiques de reproduction. Cependant, l’état de santé des individus occupant ces zones n’a pas été étudié. Ward et Chapman (1995) soupçonnent que dans les régions septentrionales, les mortalités directes de crapauds liées aux activités forestières seraient limitées car la coupe a lieu en hiver. Une augmentation de la chaleur dans les zones de coupe pourraient être bénéfiques dans les secteurs où la période de croissance est courte. D’un autre côté, ces zones de coupe pourraient abriter plus de serpents et autres prédateurs (Raphael, 1991) qui pourraient causer une augmentation du taux de prédation des jeunes métamorphes. Des études sont nécessaires pour savoir si l’augmentation de l’abondance des crapauds dans les zones de coupe est le reflet de la qualité de ces habitats ou si ces zones jouent un rôle de trappes écologiques de reproduction. En raison de leur attirance pour les zones ouvertes, les crapauds peuvent se tenir assez longtemps sur les routes ce qui accroît les risques de mortalité. Les petits métamorphes sont particulièrement vulnérables et facilement décimés. Par exemple, Wind (données inédites) a observé un grand nombre de jeunes crapauds coincés dans des ornières de 20 à 30 cm de profondeur sur des chemins fortement utilisés par des véhicules tout-terrain. Les crapauds entrent dans ces ornières lorsqu’ils tentent de traverser ces chemins, lorsqu’ils utilisent ces chemins pour se réchauffer au soleil ou lorsqu’ils sont attirés par l’eau qu’elles contiennent. Les mortalités de masse observées dans le Nord de la Colombie-Britannique, et mentionnées plus tôt, pourraient être liées à la présence de chemins de terre. Davis (2000) a constaté que des inventaires sur de tels chemins étaient une technique efficace pour échantillonner le crapaud de l’Ouest.

Le taux relativement élevé d’exploitation et de fragmentation de l’habitat sur la côte sud de la Colombie-Britannique a probablement augmenté le stress des populations de crapauds de l’Ouest à un niveau les rendant plus vulnérables à tous les facteurs de mortalité qui contribuent au déclin.

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