Leptoge des terrains inondés (Leptogium rivulare) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 6

Biologie

Généralités

Les lichens du genre Leptogium ont un thalle mince et gélatineux renfermant des cyanobactéries du genre Nostoc. Il s’agit d’un thalle non stratifié, puisque les cyanobactéries ne sont pas confinées à une couche « gonidiale », comme chez la plupart des lichens foliacés. Les lichens renfermant des cyanobactéries, et tout particulièrement les Leptogium, poussent habituellement dans des milieux humides et ombragés, souvent en forêt ou près de l’eau. Le L. rivulare exige en outre un milieu périodiquement inondé, ce qui limite encore son habitat. De plus, les lichens à cyanobactéries sont connus pour leur grande sensibilité à la pollution atmosphérique et particulièrement à l’anhydride sulfureux (Ferry et al., 1973).

Jusqu’à récemment, le Leptogium rivulare était connu presque uniquement par de vieux spécimens d’herbier, comportant très peu d’indications sur l’habitat et le substrat. Une étude approfondie de la biologie de l’espèce déborderait de la portée du présent rapport, mais certaines observations faites sur le terrain par Robert Lee (obs. pers., 2002) pourraient être pertinentes.

Reproduction

Le Leptogium rivulare est toujours très fertile. Les apothécies apparaissent quant le thalle est encore petit et jeune et commencent rapidement à produire des spores, qui constituent sans doute le principal moyen de reproduction et de dispersion de l’espèce. Cependant, comme tous les lichens, le L. rivulare peut également se reproduire par fragmentation. Les minuscules lobules observés chez certaines populations pourraient, en se détachant du thalle, servir de propagules.

S’il s’avérait que les spores de cette espèce sont transportées par l’eau, plutôt que par le vent comme chez la plupart des lichens, cela pourrait expliquer la répartition relativement restreinte de l’espèce, à l’intérieur de sa grande aire générale, et son absence apparente de nombreux milieux propices.

Le Leptogium rivulare est considéré comme un petit lichen et peut sans doute atteindre son diamètre maximal (6 cm) en une dizaine d’années. Cependant, des colonies massives pouvant atteindre 0,5 m de diamètre ont récemment été observées, et celles-ci ne résultent pas simplement de la coalescence de nombreux petits thalles. Il se peut donc que la taille et l’âge maximaux des thalles soient plus élevés qu’on le croyait.

Le Leptogium rivulare pousse en bas de la limite des hautes eaux, principalement sur des arbres de la zone inondable, à des endroits où ne pousse pratiquement aucun autre lichen. C’est en outre le plus gros des lichens à pousser dans cette partie des arbres et le seul qui pourrait y supplanter d’autres espèces de lichens. Il se peut que l’absence d’espèces concurrentes soit un facteur important. Cependant, le L. rivulare se rencontre parfois parmi d’épais coussins de mousses couvrant son substrat habituel. Certaines espèces de Leptogium, comme le L. cyanescens (Rabinh.) Korber, peuvent pousser avec beaucoup de vigueur dans de telles conditions, tandis que d’autres, comme le L. dactylinum Tuck., semblent dépérir dès que des mousses poussent sur leurs thalles et sur le substrat. D’après les observations de Robert Lee, le L. rivulare est plutôt comme le L. dactylinum à cet égard, car ses thalles finissent par disparaître en présence d’épais coussins de mousses à croissance rapide.

On ne sait rien du taux de croissance et de la longévité de l’espèce, outre les observations faites par Robert Lee, qui a trouvé un thalle de 2 cm sur une tige de cornouiller dont l’âge était de seulement quatre ans (selon le nombre de cernes et le nombre de verticilles de cicatrices foliaires). Il semble donc que le lichen peut croître de 2,5 mm par année, ce qui se compare aux autres lichens foliacés arboricoles.

Le gros de la croissance du thalle se produit sans doute durant l’immersion printanière ou juste après. En effet, en 2002, des épingles ont été plantées dans l’écorce en bordure de plusieurs thalles, un mois après le retrait des eaux, et les thalles n’ont dépassé ces points de repère que de 0,2 à 0,6 mm entre le début août et le mois de novembre. La croissance a été tout aussi faible durant les 12 mois de l’année 2003, qui n’a pas connu de crue suffisante pour que le lichen soit immergé.

Survie

Pour sa survie, le Leptogium rivulare a besoin de périodes d’immersion cycliques, ou à tout le moins occasionnelles, séparées par des périodes prolongées d’exposition à l’air. Cette exigence oblige l’espèce à occuper des milieux plutôt instables. Cependant, un tel régime d’inondation ne semble pas absolument nécessaire à la survie de chaque thalle d’une année à l’autre. En effet, au cours de printemps récents, dans certains étangs, la crue s’est arrêtée 25 à 50 cm en-deçà de son maximum connu et n’a pas recouvert tous les thalles, et la plupart des thalles (mais non tous) ainsi privés d’immersion pendant au moins six années semblent sains.

Dans la plupart des étangs où le Leptogium rivulare est présent, il occupe seulement une partie des substrats disponibles, qu’il s’agisse d’écorce ou de roche. La population semble donc disposer d’espace pour croître dans ces sites. Par ailleurs, il existe un nombre incalculable de localités canadiennes renfermant des milieux propices. L’espèce est donc peut-être limitée par une faible capacité de dispersion.

Physiologie

On ne sait presque rien de la physiologie des Leptogium, même dans le cas des espèces les plus communes, sauf que ces lichens semblent avoir besoin de milieux humides assez ombragés (Brodo, comm. pers., 2002).

Dans la localité la plus nordique où le Leptogium rivulare a été signalé au Canada (près de Flin Flon, au Manitoba), le climat est de type haut-boréal sub-humide, avec des précipitations annuelles moyennes de 400 à 500 mm et des températures moyennes de 12,5 ºC en été et de –18,5 ºC en hiver (Groupe de travail sur la stratification écologique, 1995). Les localités ontariennes sont plus humides (800 à 1 000 mm de précipitations par année) et plus chaudes (16 ºC en été et –7 ºC en hiver). Le L. rivulare est donc une espèce boréale de climat boréal à tempéré frais. Comme son aire de répartition est encore plus vaste en Europe, où il a été signalé depuis la Seine, en France, jusqu’en Finlande, il se peut qu’il puisse tolérer des températures plus basses ou plus élevées que ne semble l’indiquer sa répartition canadienne limitée.

Comme le Leptogium rivulare ne pousse que dans des milieux périodiquement inondés, il doit posséder une capacité physiologique de survivre à l’immersion. Une telle capacité n’existe manifestement que chez un très petit nombre de lichens, poussant dans le même milieu ou dans des milieux semblables. Cependant, bien que le L. rivulare puisse tolérer l’immersion jusqu’à une profondeur de 2 mètres pendant jusqu’à trois mois, sa survie semble exiger qu’il finisse par être à nouveau exposé à l’air.

Comme espèce, le Leptogium rivulare a absolument besoin d’un substrat périodiquement inondé, mais cette exigence semble davantage liée à une des toutes premières étapes de son cycle vital qu’à sa physiologie. Il est possible que la germination des spores exige une forme ou l’autre d’altération du substrat, comme un lessivage de l’écorce, mais il est probable que l’immersion soit surtout nécessaire à la dispersion des spores.

Dispersion

À l’échelle de son aire de répartition générale, la capacité de dispersion du Leptogium rivulare est probablement assez faible, puisque l’espèce ne se rencontre que dans des localités très éparpillées sur un vaste territoire où les milieux propices sont pourtant très répandus. Par contre, à l’échelle très locale d’un étang, sa capacité de dispersion semble excellente. À une échelle intermédiaire, c’est-à-dire entre étangs voisins, l’espèce semble se disperser de manière sporadique.

Un tel régime de dispersion semblerait indiquer que les spores de l’espèce sont transportées par l’eau. En effet, en pareil cas, la dispersion à grande distance est très improbable, la dispersion à moyenne distance par des quadrupèdes agissant comme vecteurs demeure possible mais limitée, et la dispersion à l’intérieur du territoire atteint par les eaux est très efficace.

Plusieurs observations tendent à appuyer cette hypothèse. D’abord, comme nous le mentionnions, l’habitat du lichen semble davantage lié à la dispersion ou à la germination des spores qu’à la survie à long terme du thalle.

Deuxièmement, Robert Lee (obs. pers., 2002) a trouvé des spores, qui semblaient appartenir au Leptogium rivulare, dans les eaux de crue entourant des arbres où pousse ce lichen, alors que les spores de pratiquement toute autre espèce de lichen étaient absentes. À mesure que les eaux se retiraient, les spores adhéraient aux substrats tels que les lamelles de microscopie en plastique qui avaient été disposées à des fins expérimentales.

Troisièmement, sur certains arbres et certaines pierres d’un des étangs, le Leptogium rivulare forme parfois un épais collet juste sous la limite des hautes eaux. Cet étang a ceci de particulier que la crue y atteint toujours exactement le même niveau d’une année à l’autre, car toute eau additionnelle se déverse dans les étangs voisins. Ainsi, les spores flottantes doivent toujours adhérer aux substrats à ce niveau. Comme tous les autres étangs où pousse le L. rivulare ne possèdent pas un tel trop-plein bien défini, les eaux de fonte et les pluies printanières les alimentent jusqu’à des niveaux qui varient d’une année à l’autre; le lichen s’y établit donc à diverses hauteurs sur les troncs.

Il n’est pas prouvé que les spores sont réellement dispersées par l’eau, car d’autres mécanismes sont envisageables, mais ce mode de dispersion aurait des répercussions importantes.

Le long des cours d’eau, la dispersion vers l’aval serait très efficace. Cependant, comme les cours d’eau sont sujets à la formation de barrages et à l’envasement, il se peut fort bien que l’habitat de l’espèce ait été gravement perturbé ou détruit dans la plus grande partie de l’est de l’Amérique du Nord et de l’ouest de l’Europe.

La répartition très éparpillée de l’espèce, dont les sites sont généralement distants de centaines de kilomètres, pourrait également s’expliquer par le fait que les spores, normalement transportées par l’eau, puissent également l’être, sur de longues distances, par les canards migrateurs. Deux espèces de canards, le Canard branchu (Aix sponsa) et le Harle couronné (Lophodytes cucullatus), ont été observées régulièrement en parade nuptiale dans certains des étangs pendant la crue maximale, avant la dispersion finale de ces oiseaux pour la reproduction. Cependant, étant donné la rareté du lichen, il est certain que ce mode de dispersion des spores, s’il existe vraiment, n’est pas très efficace.

Selon Jørgensen et James (1983), la répartition éparpillée du lichen pourrait aussi s’expliquer par une répartition ancienne plus étendue dont il ne subsisterait que des populations reliques. Cette hypothèse est appuyée par la répartition
amphi-atlantique de l’espèce, qui pourrait remonter à une époque où l’Europe et l’Amérique du Nord avaient une flore plus continue.

À moins d’intervention humaine, le rétablissement de populations de l’espèce au Canada à partir de l’étranger semble très improbable, car le Leptogium rivulare est au moins aussi rare dans tous les autres pays où il est présent. Cependant, si les spores sont transportées par l’eau, il serait possible d’introduire l’espèce dans de nouvelles localités. Une telle opération pourrait même se révéler facile, étant donné les circonstances particulières entourant le site du canton de Pakenham, dont il sera question dans la section « Taille et tendances des populations ».

Nutrition et relations interspécifiques

On ne sait rien sur ces aspects de la biologie du lichen, outre la relation symbiotique essentielle existant entre le champignon donnant sa forme au lichen et son photobionte, une cyanobactérie du genre Nostoc. C’est celle-ci, grâce à la photosynthèse, qui fournit les glucides utilisés par les deux symbiotes.

Adaptabilité

Dans toute son aire de répartition mondiale, le Leptogium rivulare présente une spécificité extrême à l’égard de son habitat. À l’intérieur de cet habitat, les seuls arbres qui peuvent lui fournir un substrat sont les feuillus tolérant une inondation régulière. Sur ces arbres, le lichen pousse presque exclusivement sur l’écorce, et non sur le bois nu. Par conséquent, ces arbres doivent être vivants, les arbres morts pouvant servir de substrat seulement jusqu’à la chute de leur écorce. Le lichen se rencontre habituellement sur des arbres matures mais peut aussi pousser sur des arbustes et des gaules. Il peut donc s’établir dans des terrains récemment perturbés et dans des milieux propices qui viennent de se former. Cependant, presque tous les thalles observés sur des arbustes, des roches ou des espèces inhabituelles d’arbres se trouvaient entourés de grandes populations poussant sur les substrats normaux de l’espèce, où la formidable capacité de reproduction du lichen lui permet d’inonder de spores les milieux environnants.

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