Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur le loup à tête large au Canada 2001

  1. Table des Matières
  2. Sommaire de l’évaluation
  3. Résumé
  4. Résumé
  5. Information sur l'espèce
  6. Répartition
  7. Habitat
  8. Biologie
  9. Tailles et tendances des populations
  10. Facteurs limitatifs and menaces
  11. Importance de l'espèce
  12. Évaluation et statut proposé
  13. RÉSUMÉ TECHNIQUE
  14. REMERCIEMENTS
  15. OUVRAGES CITÉS
  16. LES AUTEURS

Les rapports de situation du COSEPAC sont des documents de travail servant à déterminer le statut des espèces sauvages que l’on croit en péril. On peut citer le présent rapport de la façon suivante :

Nota : Toute personne souhaitant citer l’information contenue dans le rapport doit indiquer le rapport comme source (et citer l’auteur); toute personne souhaitant citer le statut attribué par le COSEPAC doit indiquer l’évaluation comme source (et citer le COSEPAC). Une note de production sera fournie si des renseignements supplémentaires sur l’évolution du rapport de situation sont requis.

COSEPAC 2001. Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur le loup à tête large (Anarhichas denticulatus) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. vi + 26 p. (www.registrelep.gc.ca/default_f.cfm).

O’DEA, N.R., et R.L. HAEDRICH. 2001. Rapport de situation du COSEPAC sur le loup à tête large (Anarhichas denticulatus) au Canada in Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur le loup à tête large (Anarhichas denticulatus) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. Pages 1-26.

Also available in English under the title COSEWIC Assessment and Status Report on the Northern Wolffish Anarhichas denticulatus in Canada.

Illustration de la couverture :
Loup à tête large -- de Scott et Scott, 1988.

©Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2003
No de catalogue CW69-14/241-2002F-IN
ISBN 0-662-87854-X

Sommaire de l’évaluation – Mai 2001

Nom commun - Loup à tête large

Nom scientifique - Anarhichas denticulatus

Statut - Espèce menacée

Justification de la désignation - Le nombre d’individus de ce grand poisson solitaire qui pratique la nidification et dont la croissance est lente et la durée de vie, longue, a connu un déclin de plus de 95 p. 100 en trois générations, et le nombre d’endroits où se trouve le poisson a diminué. Les menaces incluent la mortalité par prise accessoire et la modification de l’habitat par le chalutage par le fond. La dispersion est limitées.

Répartition - Océan Arctique, Océan Atlantique

Historique du statut - Espèce désignée « menacée » en mai 2001. Évaluation fondée sur un nouveau rapport de situation.

Le loup à tête large, comme les autres loups, est caractérisé par les dents saillantes de type canines qu’il porte sur le devant des mâchoires, un corps allongé et l’absence de nageoires pelviennes. Grand prédateur benthopélagique, le loup à tête large, Anarhichas denticulatus, se distingue des deux autres loups de l’Atlantique par la coloration de son corps généralement plus uniforme, sa musculature molle et gélatineuse et la disposition de ses dents dans la voûte du palais.

Le loup à tête large se trouve dans les eaux froides des plateaux continentaux de l’ensemble de l’Atlantique Nord, depuis la Norvège jusqu’au sud de Terre-Neuve. Dans l’Atlantique Nord-Ouest, il vit principalement au large de Terre-Neuve, au nord-est. Des individus errants sont parfois observés ailleurs au Canada.

Le loup à tête large est un poisson benthopélagique qui fréquente une vaste gamme de profondeurs en haute mer, le plus souvent des profondeurs dépassant 100 m, où la température de l’eau est de moins de 5 ºC. Il préfère les fonds mous et se tient à proximité de rochers, habituellement entre 151 et 900 m.

La fraie a lieu tard dans l’année, et les oeufs démersaux sont extrêmement gros. En moyenne, la femelle pond environ 27 000 oeufs. Le loup à tête large atteint la maturité à l’âge de 5 ans ou plus et peut vivre jusqu’à au moins 14 ans. Le taux de croissance est lent, mais ce loup peut atteindre 145 cm de longueur et peser presque 20 kg. Il se nourrit principalement d’invertébrés bathypélagiques et benthiques. L’espèce ne forme pas de bancs et ne migre pas; elle est quelque peu territoriale.

Les relevés scientifiques effectués dans l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce dans l’Atlantique Ouest indiquent que ses effectifs ont baissé au cours des 20 dernières années. Ainsi, depuis 1978, ils ont chuté de 98 p. 100 dans l’aire principale au nord-est de Terre-Neuve. Ils baissent constamment, le nombre d’endroits où se trouvait l’espèce a diminué et l’aire de répartition semble rétrécir.

Quoique le loup à tête large ne soit pas visé par la pêche commerciale, il fait tout de même l’objet de prises accessoires. Le Canada et le Groenland sont les principaux pays qui pêchent le loup atlantique, son cousin, dans l’Atlantique Nord-Ouest depuis 1980; le Portugal s’est joint à eux dans les années 1990. Les prises de loup dans l’Atlantique Ouest ont atteint un sommet d’environ 22 000 tonnes en 1979, puis ont diminué sans arrêt, ne se chiffrant plus qu’à quelque 2 000 tonnes en 1997. Les prises accessoires ont une incidence négative sur les populations de loup à tête large, et le chalutage par le fond, qui détruit et perturbe les lieux de ponte, a probablement des effets nuisibles sur l’espèce.

Comme le loup à tête large n’est pas la cible d’une pêche dirigée dans l’Atlantique Nord, il n’est soumis à aucune forme de gestion et aucun mécanisme particulier, comme des limites de prises, n’est en place pour le protéger.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) détermine le statut, au niveau national, des espèces, des sous-espèces, des variétés et des populations sauvages canadiennes importantes qui sont considérées comme étant en péril au Canada. Les désignations peuvent être attribuées à toutes les espèces indigènes des groupes taxinomiques suivants : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, lépidoptères, mollusques, plantes vasculaires, mousses et lichens.

Le COSEPAC est composé de membres de chacun des organismes fauniques des gouvernements provinciaux et territoriaux, de quatre organismes fédéraux (Service canadien de la faune, Agence Parcs Canada, ministère des Pêches et des Océans, et le Partenariat fédéral sur la biosystématique, présidé par le Musée canadien de la nature), de trois membres ne relevant pas de compétence, ainsi que des coprésident(e)s des sous-comités de spécialistes des espèces et des connaissances traditionnelles autochtones. Le Comité se réunit pour étudier les rapports de situation des espèces candidates.

Espèce
Toute espèce, sous-espèce, variété ou population indigène de faune ou de flore sauvage géographiquement définie.
Espèce disparue (D)
Toute espèce qui n’existe plus.
Espèce disparue du Canada (DC)
Toute espèce qui n’est plus présente au Canada à l'état sauvage, mais qui est présente ailleurs.
Espèce en voie de disparition (VD)*
Toute espèce exposée à une disparition ou à une extinction imminente.
Espèce menacée (M)
Toute espèce susceptible de devenir en voie de disparition si les facteurs limitatifs auxquels elle est exposée ne sont pas renversés.
Espèce préoccupante (P)**
Toute espèce qui est préoccupante à cause de caractéristiques qui la rendent particulièrement sensible aux activités humaines ou à certains phénomènes naturels.
Espèce non en péril (NEP)***
Toute espèce qui, après évaluation, est jugée non en péril.
Données insuffisantes (DI)****
Toute espèce dont le statut ne peut être précisé à cause d’un manque de données scientifiques.
*
Appelée « espèce en danger de disparition » jusqu’en 2000.
**
Appelée « espèce rare » jusqu’en 1990, puis « espèce vulnérable » de 1990 à 1999.
***
Autrefois « aucune catégorie » ou « aucune désignation nécessaire ».
****
Catégorie « DSIDD » (données insuffisantes pour donner une désignation) jusqu’en 1994, puis « indéterminé » de 1994 à 1999.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a été créé en 1977, à la suite d’une recommandation faite en 1976 lors de la Conférence fédérale-provinciale sur la faune. Le comité avait pour mandat de réunir les espèces sauvages en péril sur une seule liste nationale officielle, selon des critères scientifiques. En 1978, le COSEPAC (alors appelé CSEMDC) désignait ses premières espèces et produisait sa première liste des espèces en péril au Canada. Les espèces qui se voient attribuer une désignation lors des réunions du comité plénier sont ajoutées à la liste.

Le Service canadien de la faune d’Environnement Canada assure un appui administratif et financier complet au Secrétariat du COSEPAC.

Le loup à tête large, Anarhichas denticulatus, 1844, est un gros poisson marin ressemblant à des blennies, qui fréquente les eaux froides modérément profondes de l’Atlantique Nord. Il se trouve sur des fonds mous à proximité de rochers, depuis le sud de Terre-Neuve jusqu’à l’Écosse. Cette espèce n’a jamais été l’objet d’une pêche dirigée, étant plutôt une prise accessoire d’autres pêches. Dans les eaux canadiennes, elle n’était abondante qu’au large de Terre-Neuve-et-Labrador, où elle constitue un élément caractéristique de l’assemblage des espèces de poissons propres aux eaux profondes froides du plateau, mais ses effectifs à cet endroit, comme l’indiquent les relevés scientifiques, ont chuté de 98 p. 100 entre 1978 et 1994, une tendance qui se poursuit. Seuls des individus errants sont retrouvés ailleurs au Canada. Le loup à tête large est relativement sédentaire, de répartition locale et à croissance lente. Il construit des nids, protège généralement ses gros oeufs et se nourrit principalement d’invertébrés pélagiques et benthiques. Les destructrices pêches au chalut, actuellement en suspens à la suite de l’imposition de moratoires généralisés, ont eu un impact sur son abondance. Au Canada, le nombre de loup dans les prises de relevés scientifiques a baissé constamment, le nombre de sites de relevé où il se trouvait a diminué et son aire de répartition semble rétrécir. Le fait qu’il a une croissance lente, construit des nids et se disperse peu rend son rétablissement peu probable, et le chalutage par le fond et le dragage ont probablement endommagé son habitat.

Les loups à tête large, de la famille des Anarhichadidés, sont de gros poissons marins ressemblant à des blennies, qui fréquentent les eaux modérément profondes de l’Atlantique Nord et du Pacifique Nord. Ils doivent leur nom aux grandes dents coniques de type canines dont ils se servent pour manger des crustacés et autres invertébrés benthiques, qui constituent leur principale source d’alimentation. Les quatre espèces d’Anarhichas qui constituent cette famille vivent dans les eaux canadiennes. Le loup de Béring (Anarhichas orientalis) se trouve dans l’océan Arctique; espèce méconnue sans importance commerciale, elle a été désignée « vulnérable » par le CSEMDC (aujourd’hui le COSEPAC) il y a de cela plus d’une décennie (Houston et McAllister, 1990). On trouve les trois autres espèces dans l’Atlantique, dont deux, le loup tacheté (Anarhichas minor) et le loup atlantique (Anarhichas lupus), ont une certaine valeur commerciale. C’est la quatrième espèce, le loup à tête large (Anarhichas denticulatus) qui fait l’objet du présent rapport.

Le loup à tête large, Anarhichas denticulatus, est un gros poisson costaud à tête massive, au museau épointé et aux petits yeux (fig. 1). Comme tous les loups, il a de grandes dents saillantes de type canines à l’avant des mâchoires et des dents broyeuses aplaties à l’arrière, et est dépourvu de nageoires pelviennes. Sa couleur varie du grisâtre au chocolat foncé, légèrement lustrée de violet; son corps est souvent orné de nombreuses bandes ou taches foncées et indistinctes. Il se trouve en haute mer sur des fonds mous et à proximité de rochers, habituellement à des profondeurs se situant entre 151 et 900 m, où la température de l’eau est inférieure à 5 ºC. Parmi tous les loups de l’Atlantique, c’est l’espèce la plus pélagique et qui vit aux plus grandes profondeurs. Se nourrissant principalement d’invertébrés bathypélagiques et benthiques, elle peut atteindre jusqu’à 145 cm de longueur et peser presque 20 kg (Barsukov in Whitehead et al., 1986; Scott et Scott, 1988).

Figure 1. Loup à tête large, Anarhichas denticulatus. Illustration tirée de Scott et Scott, 1988.

Le loup à tête large habite les eaux froides des mers arctiques des deux côtes de l’Atlantique Nord. Son aire de répartition vers le sud est limitée. Dans les eaux arctiques, il a été capturé dans la baie Mould de l’île Prince-Patrick, dans les Territoires du Nord-Ouest (Hunter, 1984), et dans l’Atlantique Nord-Ouest, au Groenland, à l’est de Terre-Neuve, sur le Bonnet Flamand, dans le golfe du Saint-Laurent et le chenal Laurentien. On l’observe aussi, beaucoup plus rarement, au sud autour du Grand Banc et du banc de l’île de Sable. Merriman (1935) mentionne la capture d’un seul spécimen au large de Canso, en Nouvelle-Écosse. Dans l’Atlantique Nord-Est, l’espèce se trouve depuis l’Islande, les îles Féroé, les eaux du Finnmark, la côte de Murman jusqu’à la Novaya Zemlya (Whitehead et al., 1986; Scott et Scott, 1988). Le loup à tête large est une espèce essentiellement d’eaux froides, et Mahon et al. (1998) l’identifient comme un membre caractéristique de l’assemblage de poissons démersaux des eaux nordiques, profondes et froides retrouvé sur les plateaux continentaux de Terre-Neuve-et-Labrador, au nord-est. Les trois espèces de loups de l’Atlantique appartiennent à cet assemblage.

Le loup à tête large figure dans les importants recueils de l’ichtyofaune régionale de l’Atlantique Nord : « The Fishes of the British Isles and North West Europe » de Wheeler, 1969 (p. 450) (clé et carte de la répartition seulement); « Poissons de l'Atlantique Nord-Est et de la Méditerranée » de Whitehead et al., 1986 (sous l’espèce CLOFNAM 165.1.2, p. 1114); et « Atlantic Fishes of Canada de Scott et Scott, 1988 (pages 430-431). Ces deux derniers recueils comprennent chacun une clé, une illustration, une carte de la répartition, des informations sur la biologie et les relations avec les humains, de même que des références. Bigelow et Schroeder (1953) ne mentionnent pas que l’espèce ait jamais été présente dans le golfe du Maine.

L’atlas en ligne des poissons de fond du East Coast of North America Strategic Assessment Project (ECNASAD) (http://www-orca.nos.noaa.gov/projects/ecnasap/ ecnasap.html) présente sommairement les données sur la répartition, recueillies sur une période de vingt ans dans le cadre de relevés de recherche scientifiques réalisés dans l’Atlantique Nord-Ouest (carte ATLWOL, reproduite ici à la figure 2). L’ ECNASAP est un projet conjoint canado-américain de synthèse et de cartographie qui s’intéresse aux ressources marines vivantes et à leur habitat. La carte montre que l’aire de répartition du loup à tête large dans l’Atlantique Ouest se trouve entièrement au Canada.

Au Canada, le loup à tête large se trouve principalement au nord-est de Terre-Neuve-et-Labrador. Les données de relevés scientifiques révèlent qu’il y est au moins 11 fois plus abondant que dans la deuxième région de plus forte abondance, soit le nord du golfe du Saint-Laurent. Des individus errants sont parfois retrouvés dans le sud du golfe du Saint-Laurent et les eaux au sud de la Nouvelle-Écosse. L’espèce n’a pas été signalée dans le golfe du Maine.

Figure 2. Carte combinée de l’aire de répartition d’Anarhichas denticulatus dans l’Atlantique Ouest, téléchargée du site Web du PESCEAN, à : http://www-ocra.nos.noaa.gov/projects/ecnasap/mpas/norwol.gif.

Le loup à tête large est un poisson benthopélagique se trouvant en haute mer dans les eaux froides (température de moins de 5 ºC ) à une vaste gamme de profondeurs entre la surface et 900 m, le plus souvent à une profondeur dépassant 100 m. Au contraire des autres loups, il fréquente les eaux pélagiques tant à l’état juvénile qu’à l’état adulte (Shevelev et Kuz’michev, 1990), mais comme ceux-ci, il ne forme pas de bancs et les études d’étiquetage semblent indiquer qu’il migre peu (Templeman, 1984). Cette dernière particularité le rend vulnérable à l’impact de la pêche locale intensive et à la destruction de son habitat. Il a été observé en train de défendre son territoire autour d’un appât gisant sur le fond contre la morue et l’aiglefin, et le dépistage acoustique de ses déplacements au fil du temps a révélé que la superficie de ce territoire est assez limitée (Godo et al., 1997).

Les cartes de relevé montrent que le nombre d’endroits où le loup à tête large se trouvait diminue sans cesse (fig. 3). Les sites où il était présent sont indiqués par un

point plein et les sites où il était absent, par un point vide. Au milieu des années 1990, il se trouvait en beaucoup moins d’endroits qu’une décennie plus tôt, et principalement à la périphérie de son aire de répartition, en eaux plus hauturières et plus profondes. Ce changement s’est produit de façon soutenue et unidirectionnelle depuis le milieu des années 1980. Au début de la série de relevés, le loup à tête large était présent à presque 80 p. 100 des sites aux profondeurs et aux températures appropriées pour l’espèce, mais, en 1993, ce pourcentage ne s’élevait plus qu’à 3,6 p. 100 (fig. 4). Les données du MPO pour la période de 1986 à 1999 montrent une tendance semblable, comme l’indique le pourcentage généralement à la baisse des traits contenant du loup à tête large au fil des ans, quoique le nombre ait légèrement augmenté au cours des deux dernières années.

Figure 3a. Occurrence (présence/absence) du loup à tête large, Anarhichas denticulatus, dans les eaux de Terre-Neuve en 1982. Données de l’ECNHSAP. Les sites où l’espèce se trouvait sont indiqués par un point noir et les sites où elle ne se trouvait pas, par un point vide. Le Bonnet Flamand, le banc isolé à l’est, gît en eaux internationales.

Figure 3b. Occurrence (présence/absence) du loup à tête large, Anarhichas denticulatus, dans les eaux de Terre-Neuve en 1994. Données de l’ECNASAP. Les sites où l’espèce se trouvait sont indiqués par un point noir et les sites où elle ne se trouvait pas, par un point vide. À noter le nombre plus élevé d’échantillons prélevés en eau profonde par rapport à 1982. Aucune donnée pour le Bonnet Flamand n’était disponible.

Figure 4. Barres : pourcentage des sites de profondeur et de température convenables où le loup à tête large, Anarhichas denticulatus, a été capturé de 1978 à 1993 au large de Terre-Neuve. Il s’agit des profondeurs de 100 à 900 m et des températures de –0,6 à 5,0 °C auxquelles le loup est le plus susceptible d’être présent (Fischer et Haedrich, 1999). Ligne : pourcentage des traits de relevé ayant produit du loup de 1986 à 1998. Renseignements fournis par le MPO en juillet 2000.

Des recherches menées dans la mer de Barents suggèrent que le loup à tête large fraye sur une longue période allant d’avril à octobre, tandis que dans l’Atlantique Nord-Ouest, on croit qu’il fraye en automne et au début de l’hiver. Il fraye en eau profonde sur le talus continental, puis revient sur le plateau (Shevelev et Kuz’michev, 1990). Les grosses femelles (plus de 100 cm de longueur) portent en moyenne environ 27 000 oeufs, soit un nombre beaucoup plus élevé que les autres espèces de loup (Gusev et Shevelev, 1997); ils peuvent mesurer jusqu’à 8 mm de diamètre. Des grappes d’œufs et l’éclosion de ceux-ci n’ont jamais été observées, mais on sait que les larves sont pélagiques.

Le taux de croissance du loup à tête large dans les eaux canadiennes de l’Atlantique est inconnu. Il semble être rapide dans la mer de Barents durant les quatre premières années après la naissance. Pouvant vivre jusqu’à 14 ans dans les eaux canadiennes, ce loup peut atteindre jusqu’à 145 cm de longueur et peser 19,5 kg. La taille minimale à la maturité se situe à 80 cm de longueur, soit à un âge d’environ 5 ans, d’après des données otolithiques.

Le loup à tête large se nourrit d’invertébrés bathypélagiques et benthiques, tels que des cténophores, des méduses, des crabes, des ophiures et des étoiles de mer. Les crustacés et mollusques dont il se nourrit ont tendance à avoir des carapaces plus molles que ceux dont se nourrissent les autres espèces de loup, et à être fixés moins solidement au substrat du fond étant donné que les dents relativement moins solides du loup à tête large se prêtent mal à l’attaque de proies solidement cuirassées; des oursins ont par contre été trouvés dans ses contenus stomacaux. Les jeunes loups pélagiques se nourrissent d’invertébrés planctoniques, ainsi que d’œufs et de larves de poisson, tout comme les autres espèces de loup (Baranenkova et al., 1960). Bien qu’il ne soit pas connu comme étant une proie importante, le loup à tête large a été trouvé dans les contenus stomacaux de phoques annelés, de sébastes orangés, de morues et de laimargues atlantiques. Des études des niveaux de contamination des poissons de profondeurs retrouvés dans le détroit de Davis ont révélé que les teneurs en organochlorés dans le foie du loup à tête large étaient relativement faibles (Berg et al., 1997).

Des données de relevés scientifiques aléatoires stratifiés effectués au chalut au nord-est de Terre-Neuve, soit la principale aire de répartition du loup à tête large, sont disponibles pour la période allant de 1978 à 1996 (Atkinson, 1994), et couvrent une superficie de 265 365 km2 (la division 3L de l’OPANO, secteur statistique situé au sud, n’est couvert que depuis 1981). Les relevés visent principalement à évaluer la taille des stocks de poisson d’importance commerciale, mais ils récoltent aussi la plupart des espèces de la communauté ichtyenne démersale (Brown et al., 1996). Chaque trait de chalut couvre un peu plus de 2 km du plancher océanique, et le nombre de traits de chalut de recherche (le nombre de sites) par année peut se chiffrer dans les centaines.

Le nombre d’individus capturés dans chaque trait (ce que les ichtyobiologistes appellent les prises par unité d’effort ou PUE) sert d’indice de la taille des populations. Pour la période de 1978 à 1996, cet indice a été calculé comme le nombre total de loups à tête large capturés au cours d’une année divisé par le nombre de sites échantillonnés cette année-là aux fourchettes de profondeurs et de températures appropriées pour l’espèce, ou tout simplement le nombre total de loups capturés durant une année divisé par le nombre total de sites. Les fourchettes de profondeurs et de températures appropriées sont établies à l’aide de la méthode de l’axe des niches mise au point par Fischer et Haedrich (1999) et représentent les fourchettes de ces deux paramètres environnementaux où il est le plus probable de trouver ce poisson. Dans le cas du loup à tête large, ces fourchettes se situent entre 100 et 900 m et –0,6 et 5,0 ºC.

Les données de relevés scientifiques, indépendamment de la manière dont elles sont présentées (fig. 5a-c), indiquent un déclin soudain de la taille de la population du loup à tête large dans sa principale aire de répartition. De 1978 à 1980, entre 2,7 et 3,1 individus étaient présents dans chaque trait aux profondeurs et aux températures appropriées (fig. 5a), mais en 1986, le nombre/trait n’atteignait même pas un. Durant les dix années comprises entre 1984 et 1993, ce nombre a diminué radicalement et continuellement, passant de 2,3 en 1984 à seulement 0,03 en 1993. Le taux de diminution de la population sur l’ensemble de la série chronologique de l’ECNASAP (soit 16 ans ou environ trois générations) se situe à 98 p. 100. Dans le secteur nord du golfe du Saint-Laurent, où le loup est beaucoup moins abondant (nombre moyen/trait pour toutes les années = 0,02), le taux de déclin global a aussi été très élevé, soit 97 p. 100, de 1983 à 1994. Depuis 1995, un différent protocole d’échantillonnage a été appliqué au large de Terre-Neuve (plus grand filet, plus petit maillage, plus grande vitesse de trait, plus courte durée), de sorte que les résultats ne peuvent pas être strictement comparés. Malgré cela, les effectifs demeurent très faibles et la tendance à la baisse ne montre aucun changement important. De 1986 à 1999 (soit deux générations et la période pour laquelle le MPO a fourni des données récentes), le taux de déclin ajusté se chiffre à 97 p. 100 (fig. 5a).

Figure 5a. Nombre de loup à tête large, Anarhichas denticulatus, capturé par trait lors des relevés d’automne effectués à des profondeurs et des températures convenables au large de Terre-Neuve de 1978 à 1996. Il s’agit des fourchettes de 100 à 900 m et des températures de –0,6 à 5,0 °C auxquelles l’espèce est le plus susceptible d’être présente (Fischer et Haedrich, 1999). Les taux de capture de 1986 à 1998 (ligne pointillée) sont tirés des données fournies par le MPO en juillet 2000. Les taux de 1995 à 1998 ont été obtenus selon des protocoles d’échantillonnage différents, qui surestimeraient les résultats par rapport aux années antérieures : ces taux sont donc corrigés en appliquant le facteur de conversion Campelen:Engels de 3,1 (Bundy et al., 2000). La ligne pointillée représente le critère du COSEPAC pour la désignation d’une « espèce menacée », soit un déclin de 50 p. 100 en trois générations.

Figure 5b. Taux de capture moyen (nombre par trait) et erreur-type de la moyenne pour le loup à tête large, Anarhichas denticulatus, pour tous les traits effectués dans les eaux de Terre-Neuve de 1978 à 1994. Données de l’ECNASAP.

Figure 5c. Analyses STRAP du nombre de loup à tête large dans les divisions 2J3K (les seules eaux pour lesquelles une série chronologie complète est disponible) couvrant une période de 20 ans. Ligne et cercles pleins : estimations issues de relevés au chalut Engels. La méthode d’échantillonnage utilisée de 1978 à 1994 (soit 16 ans ou 3 générations) était la même et le déclin se chiffrait à 99 p. 100. Ligne pointillée : estimations brutes issues d’échantillons prélevés de 1995 à 1999 au chalut Campelen. Ligne solide et petits points : estimations corrigées à l’aide du facteur 4,11 (voir la note en bas de la page 13) pour la période de 1995 à 1999. D’après des données fournies par le MPO en septembre 2000.

Le programme STRAP est le principal outil d’évaluation des populations du MPO. Les prises de relevés au chalut dans une strate définie sont mises à l’échelle de la superficie totale de celle-ci (à l’intérieur de laquelle il est supposé que l’espèce est uniformément abondante), puis le nombre estimatif de poissons qui y sont présumément présents est calculé. Le nombre total de poissons est la somme des chiffres obtenus pour toutes les strates où du loup était présent. La superficie d’une strate peut varier entre 30 et 2 817 milles marins carrés. La superficie moyenne des strates étant de 697 milles marins carrés (soit 25 748 576 526 pi 2) et chaque trait de chalut couvrant environ 274 000 pi2, la mise à l’échelle est énorme (Schneider et al., 1999).

Les résultats de l’analyse STRAP des données sur le loup à tête large couvrant la période de 1986 à 1999 sont présentés au tableau 1 (voir aussi la fig. 5c). Le protocole d’échantillonnage ayant été modifié en 1995, les valeurs obtenues après 1994 ont été divisées par un facteur de correction pour rendre les données comparables. Dans le cas du loup, ce facteur varie entre 3,1 pour les adultes et 10,7 pour les juvéniles (Bundy et al., 2000). Les résultats de cette analyse révèlent aussi un déclin marqué des effectifs du loup, qui ont chuté de 95 p. 100 au fil des neuf années entre 1986 et 1994 (même protocole d’échantillonnage). De 1986 à 1999, soit un peu plus de deux générations, le déclin se chiffre à 91 p. 100 (le facteur de correction de 3,1[1]a été appliqué aux prises réalisées après 1994). Malgré la valeur discutable des nombres absolus obtenus par analyse STRAP, il est rassurant de voir que les estimations annuelles des effectifs et le facteur que nous préférons et que nous utilisons ci-dessus, le nombre par trait, sont fortement corrélés (r = 0,99).

Le nombre de loups à tête large capturés dans chaque trait réussi a diminué sensiblement au fil du temps. En 1978, 7 p. 100 des traits contenaient plus de 30 spécimens, et environ la moitié (52 p. 100) en contenaient moins de 5. Mais en 1984, seulement 2 p. 100 des traits ont donné plus de 30 spécimens. Et en 1993, aucun trait n’en a donné beaucoup; à tous les sites où le loup se trouvait, pas plus de deux spécimens ont été capturés, et plus souvent (81 p. 100 des sites où du loup se trouvait) seulement un. Cette analyse prend fin en 1995 parce que l’engin d’échantillonnage a été changé.

Les données sur la taille du loup à tête large (fig. 6) indiquent une augmentation de la taille moyenne au fil de la première moitié de la période; étant donné son abondance extrêmement faible, cela indique que la vaste majorité des individus restants étaient gros et âgés et qu’il n’y avait eu aucun recrutement important. Les données pour la deuxième moitié de la période révèlent une chute à pic de la taille. Comme les données montrent que les effectifs sont à la baisse aussi au même moment, cette diminution de la taille ne résulte pas d’un recrutement accru, elle signifie que les gros adultes commencent à disparaître. La taille a augmenté en 1998 et en 1999, mais cela est probablement imputable au protocole d’échantillonnage. Les spécimens de ces échantillons proviennent généralement de traits effectués à plus de 700 m. Le fait que les gros poissons soient retrouvés à de grandes profondeurs est chose courante chez les poissons de mer (règle de Heincke).

Tableau 1. Nombre estimatif de loup à tête large dans les eaux de Terre-Neuve. Ces données, le résultat de l’analyse STRAP que le MPO effectue normalement, ont été fournies par le Ministère en juillet 2000. Les estimations pour et après 1995, année où le protocole d’échantillonnage a été modifié, ont été ajustées à l’aide du facteur de conversion Campelen:Engels de 3,1 (Bundy et al., 2000).
Nombre estimatif de loup à tête large dans les divisions 2J3KL Nombre pris lors des relevés
Année Maximum Minimum
1986 5 808 387,23 2 718 305,33 259
1987 3 841 278,98 1 971 849,23 224
1988 4 697 189,12 1 974 060,30 225
1989 2 654 789,50 976 701,07 125
1990 2 452 320,62 694 660,54 108
1991 1 093 983,10 269 964,44 107
1992 1 285 607,56 -622 541,34 58
1993 307 233,38 -18 136,13 41
1994 396 742,14 15 467,53 34
1995 172 054,16 -28 049,17 33
1996 624 824,28 18 523,19 14
1997 542 174,41 90 460,37 7
1998 509 457,58 128 370,08 21
1999 624 961,46 184 273,49 15

Figure 6. Poids moyen du loup à tête large, Anarhichas denticulatus, de 1978 à 1999. Données de relevé d’automne du MPO pour Terre-Neuve. Les données brutes de 1995 à 1999 (x, ligne épaisse), fournies par le MPO en juillet 2000, ont été recueillies selon des protocoles d’échantillonnage différents que l’on juge donner des surestimations par rapport aux années antérieures


[1]Cette valeur est modérée. D’après Bundy et al. (2000), ce facteur pour le loup à tête large devrait se situer à 4,11.

Aucune étude ciblée des facteurs responsables du déclin observé chez les populations du loup n’a été effectuée. À la suite de l’effondrement spectaculaire du stock de morue du Nord au large de Terre-Neuve en 1992, un certain nombre de causes de ce déclin ont toutefois été suggérées, notamment des modifications de l’environnement. Mais le consensus naissant est que, bien que l’environnement ait pu jouer un rôle dans une certaine mesure, la surpêche est manifestement la cause première des déclins observés de l’abondance de la morue et d’autres espèces de poisson de fond (Sinclair et Murawski, 1997; Villagarcía et al., 1999). Lorsqu’elle est évaluée sur une échelle de temps seulement un peu plus longue, la pêche pratiquée dans cette région est alléguée comme étant responsable du déclin catastrophique de l’abondance de la grande raie, Raja laevis, un gros poisson sans importance commerciale mais autrefois abondant et réparti à grande échelle (Casey et Myers, 1998).

Le loup à tête large n’est pas l’objet d’une pêche dirigée, mais les chalutiers hauturiers le capturent de façon incidente. Lorsque pris, il est rejeté à la mer.

Dans les données sur la pêche réunies par l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les captures de loup pour l’Atlantique Nord-Ouest sont établies pour l’ensemble de la famille plutôt que pour chaque espèce. Bien que le loup à tête large soit rejeté à la mer et donc qu’il ne paraît pas dans ces données, on peut supposer que le nombre capturé se rapproche des captures de ses cousins faisant l’objet d’une pêche. Les captures de loup dans l’Atlantique Nord-Ouest ont papillonné autour de 5 000 tonnes pendant les années 1950, ont augmenté sans arrêt pendant les années 1960 et 1970, pour atteindre un sommet de 22 000 tonnes en 1979, puis ont diminué sans interruption pendant les années 1980 et 1990, ne se chiffrant qu’à 6 000 tonnes en 1984 et atteignant un creux de 1 700 tonnes en 1996. Elles se chiffraient à presque 2 000 tonnes en 1997.

En plus de l'incidence négative directe de la pêche sur le loup à tête large, les activités humaines ont aussi des répercussions directes et néfastes sur l'espèce. Les chaluts de fond, dans lesquels on capture le loup, sont également à l'origine de mortalité et de blessures chez les poissons qui entrent en contact avec l'engin de pêche sans s'y prendre. Ce qui est peut-être encore plus grave, c'est que les panneaux d'acier qui gardent les filets ouverts, ainsi que les lourdes ralingues inférieures et les rouleaux, raclent le fond sur lequel ils sont traînés (Watling et Norse, 1998). Cette pratique peut gravement endommager l'habitat en éliminant ou en redistribuant les roches sous lesquelles ces poissons s'abritent, se reproduisent et construisent leurs nids. Des études effectuées sur le banc Georges (Collie et al., 1997) et dans le golfe du Maine (Auster et al.,1996), régions situées juste au sud de l'aire de répartition du loup à tête large, ont mis en évidence les dommages considérables que peut causer le chalutage par le fond. Jennings et Kaiser (1998) ont présenté un excellent survol de toute cette question des impacts de la pêche sur l'habitat; ces auteurs estiment que les impacts peuvent varier énormément selon les conditions du milieu, mais que ce sont surtout sur les substrats durs en eaux profondes, soit les habitats préférés du loup à tête large, que les répercussions sont les plus lourdes et les plus durables.

En plus d’affouiller et de perturber l’habitat, le chalutage du poisson et le dragage des pétoncles et des quahogs par le fond remettent en suspension les sédiments, ce qui peut colmater les lieux de ponte et endommager les ouies des poissons. D’autres activités, comme le dragage et l’extraction de gravier, nuisent à l’habitat benthique du plateau continental du Canada en déstabilisant le plancher océanique, en augmentant l’érosion et en polluant des secteurs auparavant sains (Messieh et al., 1991).

Depuis 1992, la situation est anormale dans l'ensemble de ces eaux, et les populations de poissons sont à leur plus bas niveau historique. C'est pourquoi des interdictions de pêche (moratoires) sont en vigueur dans la plupart des régions pendant diverses périodes, et ces moratoires se poursuivent à Terre-Neuve. Les prélèvements attribuables à la pêche ont donc considérablement diminué, et les populations devraient reprendre du mieux tant que ce sera le cas; mais cette situation ne durera pas toujours. Le principe de précaution est la pierre angulaire de l'approche de gestion du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, un groupe quasi-indépendant qui conseille le ministre sur l’état des stocks de poissons d’importance commerciale (CCRH, 1996). Ce principe, qui veut que, dans le doute, il faut pencher en faveur des poissons, devrait également s'appliquer à l'attribution d'un statut par le COSEPAC.

Bien que les Groenlandais mangent du loup à tête large à l’occasion, les gens ne prisent généralement pas sa chair flasque et sa peau ne se prête pas au tannage, comme celle du loup tacheté. Bien que son rôle comme poisson fourrage n’ait pas été déterminé, le loup à tête large semble être la proie de plusieurs espèces, mais comme il est généralement peu abondant, il est peu probable qu’il joue un rôle important comme proie.

Comme le loup à tête large ne fait pas l’objet d’une pêche dirigée dans l’Atlantique Nord, il n’est soumis à aucune forme de gestion et aucun mécanisme particulier, comme des limites de prises, n’est en place pour le protéger. L’article de la Loi sur les pêches portant sur l’habitat pourrait permettre de le protéger. Le moratoire sur la pêche du poisson de fond dans les eaux de l'Atlantique canadien décrété en 1992 en réponse à l'effondrement des stocks de morue pourrait avoir protégé indirectement le loup en réduisant la pression exercée par le chalutage. Le loup à tête large ne fait actuellement l'objet d'aucune désignation du COSEPAC, de l'UICN ou d’une convention sur la protection des espèces.

Selon le critère A (Réduction de la population) des Catégories et critères de l’UICN, le taux de déclin de la population du loup à tête large de 98 p. 100 sur un peu plus de deux générations rangerait l’espèce dans la catégorie « gravement menacée », définie comme une « une réduction de la population d’au moins 80 p. 100 en 10 ans ou en trois générations ».

Selon Musick (1999), les poissons de mer, en raison de leur vaste répartition et de leur abondance relativement grande, devraient être traités différemment des autres espèces pour leur évaluation en tant qu’espèces en péril. Cet auteur propose une démarche en deux étapes : d’abord déterminer la classe de productivité de l’espèce (selon ses caractéristiques de croissance, de fécondité et d’âge), puis classer l’espèce en fonction de seuils de déclin arbitraires. Ainsi, selon son âge à maturité et sa durée de vie, le loup à tête large se range dans la catégorie de « faible » productivité de Musick (1999), et son déclin de 98 p. 100 sur trois générations dépasse amplement le seuil de déclin de 85 p. 100 pour les espèces de cette catégorie. Dans la classification proposée par Musick, le loup à tête large serait automatiquement classé comme une « espèce vulnérable » et ferait ensuite l’objet d’un examen approfondi pour établir son classement définitif. Cet examen aborderait explicitement les questions liées au rétrécissement de l’aire de répartition, à la répartition locale, aux habitudes de nidification et à la possibilité de destruction de l’habitat. Les données disponibles sur ces questions appuient le rangement du loup dans une catégorie de risque plus élevé, soit « espèce menacée » ou « espèce en voie de disparition ».

Hutchings (2000, 2001) montre que le vaste bloc de données scientifiques disponibles n’appuie pas l’idée (de Musick) d’exempter les poissons de mer des critères établis d’espèces en péril, et que cela ne serait pas conforme à l’approche de précaution en gestion des pêches et en conservation de la biodiversité. Il soutient que le risque de disparition seul n’est pas très utile sur le plan de la gestion ou de l’écologie, et qu’il faudrait prendre sérieusement en compte l’envers de la question, c’est-à-dire la probabilité de rétablissement, pour établir le statut de l’espèce. Il suggère donc de remplacer la classification en des classes allant de « espèce vulnérable » à « espèce gravement menacée » par une classification en des catégories de conservation de priorités I à IV. Les données empiriques montrent que le rétablissement d’une population de poisson de mer est inversement corrélé à l’ampleur de son déclin. Étant donné le taux de déclin très élevé de 98 p. 100 des populations de loup à tête large, il est très peu probable qu’elles montreraient des signes de rétablissement au bout de 15 ans; cette espèce se rangerait sûrement dans la catégorie de conservation de priorité IV, soit la classe correspondant au risque le plus élevé dans la classification de Hutching.

Les données de relevés scientifiques montrent un déclin de 98 p. 100 de la population canadienne du loup à tête large sur trois générations (soit les 15 ans de 1978 à 1993). Selon le critère A (Population totale en déclin) des catégories et critères de risque du COSEPAC, ce taux de déclin range le loup à tête large dans la catégorie « espèce menacée », définie comme une réduction de la population d’au moins 50 p. 100 en 10 ans ou en trois générations. Aucune des autres informations disponibles sur la biologie du loup à tête large ne justifie de modifier ce classement. Nous recommandons donc de désigner le loup à tête large (Anarhichas denticulatus, 1844) espèce menacée. Cette désignation concorde aussi avec les évaluations fondées sur d’autres classifications, comme il a été indiqué plus haut.

En résumé :

a) Le loup à tête large (Anarhichas denticulatus, 1844) est admissible à l’évaluation, car il se reproduit au Canada, et le centre de son aire de répartition dans l’Atlantique Ouest se trouve en eaux canadiennes.

b) Les effectifs de l’espèce baissent constamment (atteignant un taux de 98 p. 100). Comme l’indiquent les relevés scientifiques (figure 5), son aire de répartition rétrécit (figure 3), et le nombre d’endroits où l’espèce est présente a diminué (figure 4).

c) Sa croissance lente, ses habitudes de nidification et sa dispersion limitée rendent improbable son rétablissement. Les populations du Groenland sont séparées des populations du Canada par une vaste étendue d’eau profonde non convenable dans le bassin du Labrador.

d) Le chalutage et le dragage par le fond ont sans doute endommagé son habitat.

Anarchichas denticulatus
loup à tête large Northern wolffish

Sous-ordre Perciformes, Famille Anarhichadidés; gros poisson (150 cm, 20 kg) benthopélagique solitaire, longévif et territorial, se nourrissant surtout d’invertébrés et habitant les fonds rocheux en eaux froides.

Information sur la répartition
· Superficie de la zone d’occurrence (km2) > 400 000 km2
· Superficie de la zone d’occupation (km2) Trouvé de plus en plus aux marges de son aire de répartition
· Provinces et territoires où l'espèce est présente T.-N., N.-É.,Qc et Nunavut
Information sur la population
· Nombre total d’individus au Canada inconnu
· Nombre d’individus matures (reproducteurs) au Canada inconnu
· Durée d’une génération (indiquer en années, en mois, en jours, etc.) 5 ans au minimum
· Tendance de la population (en déclin, stable, en croissance, inconnue) en déclin
· S’il y a déclin, % du déclin au cours de dix années ou trois générations, selon la plus élevée des deux valeurs (ou préciser s’il s’agit d’une période plus courte). 98 % sur trois générations
· Nombre de sous-populations (groupes distincts, géographiquement ou autrement, entre lesquels il y a peu d'échanges, c.-à-d. migration réussie de < 1 individu/année) inconnu
· Nombre d’individus dans chaque sous-population inconnu
· Nombre d'emplacements existants inconnu
· Nombre d'emplacements historiques d'où l'espèce a disparu en 1994, trouvée dans env. 3 % des endroits où sa présence était attendue
· La population est-elle sérieusement fragmentée (la plupart des individus se trouvent dans de petites populations relativement isolées)? oui
· L'espèce connaît-elle des fluctuations extrêmes (l'effectif ou l'aire de répartition varie considérablement, rapidement et fréquemment [habituellement > un ordre de grandeur])? non
Menaces (réelles ou imminentes pour les populations ou les habitats)

- Facteurs anthropiques : forte pression des pêches d'autres espèces, dans lesquelles le loup est capturé accessoirement et tué.

- Perte d’habitat : les habitats de nidification et d'abri peuvent être fortement endommagés par les chaluts de fond.

Effet d’une immigration de source externe

· L'espèce existe-t-elle ailleurs (au Canada ou à l'extérieur)? oui
· État des populations de l'extérieur? inconnu
· Une immigration est-elle possible? oui
· Des individus immigrants seraient-ils adaptés pour survivre au Canada? probablement
· Y a-t-il suffisamment d'habitat disponible pour les individus immigrants au Canada? inconnu
Critère satisfait et catégorie :critère A1b du COSEPAC « espèce en voie de disparition ».
Principe de précaution applicable.
Sources de renseignements : base de données de l’ECNASAP; relevés scientifiques effectués par le MPO de 1978 à 1996 et ajouts jusqu’à aujourd’hui. Ouvrages cités dans le rapport.

Notre recherche a été financée en partie par une bourse de recherche de premier cycle (NRO) et une subvention de fonctionnement (RLH) versées par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG). Nous remercions David Kulka, du MPO à St. John’s, qui nous a aidés à obtenir et à comprendre des données d’évaluation récentes, et Ivone Figueiredo, de l’IPIMAR à Lisbonne, avec qui nous avons discuté des détails statistiques des analyses halieutiques. Les données et les documents d'appui utilisés pour préparer ce rapport ont été déposés dans les Archives de Terre-Neuve, à la Memorial University de Terre-Neuve.

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Niall O’Dea était étudiant de premier cycle à la Memorial University de Terre-Neuve, où il a obtenu simultanément un baccalauréat ès sciences en biologie et un baccalauréat ès arts en philosophie. Il s'intéresse aux rapports entre la biodiversité et les espèces et, plus précisément, à la façon de mieux comprendre, de mettre en valeur et quantifier ces concepts amorphes afin d'atteindre des objectifs de conservation pratiques et hautement importants. Au cours des étés 1998 et 1999, ses recherches ont été financées par une bourse de recherche de premier cycle du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). En 2000, il a reçu une bourse de la Fondation Rhodes et poursuivra ses études à la Oxford University.

Richard Haedrich est ichtyologiste et océanographe biologiste. Diplômé de Harvard (A.B., 1961; A.M., 1963; Ph.D., 1966), sa thèse de doctorat portait sur la systématique et la zoogéographie des poissons de la famille des Stromatéidés. Il a passé un an au Danemark, où il a fait d'autres recherches en systématique à titre de titulaire d'une bourse d'études Fulbright, puis est revenu aux États-Unis pour travailler comme chercheur scientifique à la Woods Hole Oceanographic Institution. En 1979, il a quitté cette institution pour se joindre à la Memorial University de Terre-Neuve, où il est

professeur de biologie et d'océanographie, et où il a été promu récemment au rang de professeur-chercheur. Il est l'auteur de plus de 120 publications, dont les plus récentes portent sur les changements dans les communautés des écosystèmes halieutiques de Terre-Neuve avant, pendant et après leur effondrement marqué. Il est coauteur, avec Nigel Merrett du Musée d'histoire naturelle de London, de l'ouvrage Deep-Sea Fish and Fisheries, paru en 1997.

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