Loutre de mer (Enhydra lutris) évaluation et rapport de situation du COSEPAC 2007 : chapitre 9

Taille et tendances des populations

Activités de recherche

Le premier relevé de la loutre de mer en Colombie-Britannique a été mené en 1977. De 1977 à 1987, les relevés étaient effectués principalement par avion et certains par bateau (Bigg et MacAskie, 1978; Morris et al.,1981; MacAskie, 1987; Watsonet al., 1997). Depuis 1988, la majeure partie de l’aire de répartition de l’espèce a fait l’objet de relevés annuels effectués par bateau ou hélicoptère, bien qu’il y ait eu des lacunes dans la couverture de 1996 à 2000 (Watson, 1993; Watson et al., 1997). Pêches et Océans Canada a effectué la plupart des dénombrements des populations de 2001 à 2004, même si des biologistes au sein de Nuu-chah-nulth Fisheries ont également effectué des relevés dans certains secteurs de la côte ouest de l’île de Vancouver en 2002 et en 2004 (Nicholet al., 2005; Dunlop et al., 2003; Dunlop, comm. pers., 2006). Ces relevés constituent des dénombrements directs qui fournissent des mesures de l’abondance relative en ce qui concerne les tendances liées à la croissance des populations.


Abondance

Abondance mondiale

Les peuples autochtones du Pacifique Nord chassaient la loutre de mer avant l’arrivée des Européens, mais c’est le commerce maritime de la fourrure, débuté après 1741, qui a failli faire disparaître l’espèce. Avant le commerce de la fourrure, la population de loutres de mer comptait environ de 150 000 à 300 000 individus, bien que certains auteurs croient qu’elle était peut-être encore plus abondante (Kenyon, 1969; Johnson, 1982). En 1911, la population mondiale comptait moins de 2 000 individus répartis en 13 colonies reliques (Kenyon, 1969). Depuis que l’espèce a été protégée en 1911, les populations se sont rétablies. Certaines loutres de mer sont issues des colonies reliques, et d’autres sont le résultat des réintroductions qui ont eu lieu à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Jusqu’au début des années 1980, la majorité de la population mondiale (environ 165 000 individus) se trouvait dans les îles Aléoutiennes (de 55 100 à 73 700 individus) (Calkins et Schneider, 1985). Toutefois, du milieu à la fin des années 1980, des déclins spectaculaires ont commencé dans ces îles (Estes et al., 1998; Doroffet al., 2003). L’estimation la plus récente de la population (Amérique du Nord et Russie), qui compte environ 126 000 individus, remonte à la fin des années 1990 (Gorbicset al., 2000). Cependant, la population mondiale est peut-être maintenant inférieure à ce nombre étant donné que cette estimation a été faite au moment où la population de l’ouest de l’Alaska subissait un déclin. Le déclin continu dans les Aléoutiennes, à 8 742 individus (c.v. = 0,215) en 2000, a mené à l’inscription de l’espèce à la catégorie « menacée », en 2005, en vertu de l’Endangered Species Act des États-Unis (USFW, 2006).

Abondance au Canada

Bien que la taille de la population de loutres de mer en Colombie-Britannique avant l’exploitation commerciale soit inconnue, il existe des preuves que l’espèce était abondante. De 1785 à 1809, un nombre aussi élevé que 55 000 peaux de loutres de mer ont été débarquées en Colombie-Britannique. Il est difficile de déterminer la source géographique de ces peaux, mais au moins 6 000 d’entre elles provenaient de la côte ouest de l’île de Vancouver (Fisher, 1940; Rickard, 1947; Mackie, 1997). Certaines peaux débarquées en Colombie-Britannique pouvaient provenir de l’État de Washington, de l’Oregon et du sud-est de l’Alaska. En 1850, les loutres de mer étaient considérées comme disparues du Canada sur le plan commercial, mais elles avaient peut-être disparu sur le plan écologique (et cessé de fonctionner en tant qu’espèce clé) plus tôt (Watson, 1993).

Bien que 89 loutres de mer aient été réintroduites en Colombie-Britannique au cours de 3 activités de déplacement (de 1969 à 1972), un grand nombre n’a pas survécu, et la population initiale pourrait avoir subi un déclin jusqu’à aussi peu que 28 individus (Estes, 1990). En 1977, un relevé aérien a permis de dénombrer 70 loutres de mer dans 2 emplacements sur la côte ouest de l’île de Vancouver. En 1995, des relevés par bateau ont permis de repérer 1 522 loutres de mer, desquelles 1 423 se trouvaient le long de la côte ouest de l’île de Vancouver et 99, le long du centre de la côte continentale dans les eaux des îles Goose (Bigg et MacAskie, 1978; Watson et al., 1997). Au cours des relevés de 2001, 2 673 loutres ont été dénombrées le long de la côte de l’île de Vancouver et 507 loutres, le long de la côte centrale de la Colombie-Britannique, totalisant ainsi 3 180 loutres (Nicholet al., 2005). Des relevés ont également eu lieu en 2002, en 2003 et en 2004, mais, chaque année, certains secteurs de l’aire de répartition avaient été omis. L’utilisation de l’interpolation pour estimer les effectifs dans les secteurs manquants (ce qui représentait moins de 10 p. 100 de chaque relevé annuel) a permis d’obtenir des estimations de la population de 2 369 individus en 2002 (un déclin par rapport à 2001), de 2 809 individus en 2003 et de 3 185 individus en 2004 (Nichol et al., 2005).


Tendances

Amérique du Nord

Les populations de loutres de mer ont commencé à se rétablir une fois qu’elles ont fait l’objet d’une protection, soit en 1911. Le rétablissement des colonies reliques dans l’ouest et dans le centre de l’Alaska ainsi qu’en Californie a débuté sans intervention. Les populations dans le sud-est de l’Alaska, en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington ont été établies par le transfert de loutres de mer capturées dans les populations reliques en Alaska.

La croissance démographique varie grandement entre les populations de loutres de mer. La réintroduction des populations dans l’État de Washington, en Colombie-Britannique et dans le sud-est de l’Alaska a réussi, alors que les tentatives de réintroduction de l’espèce en Oregon en 1970 et en 1971 ont échoué(Jameson et al., 1982). Une fois établies, toutes les populations réintroduites (sauf celle de l’Oregon) ont d’abord augmenté à un rythme de 17 p. 100 à 20 p. 100 par année, probablement en raison de l’abondance des invertébrés qui avait augmenté à la suite de la disparition de la loutre de mer eut disparu. La croissance démographique semble être plus variable dans les populations reliques (tableau 1).

 

Tableau 1 : Estimations récentes des populations et variation des estimations des taux de croissance communiquées avec le temps et par région, en Amérique du Nord.
Région Taille de la population la plus récente Année de l’estimation de la population Statut de la population Taux de croissanceNote de bas de page * Source
Californie 2 735 2005 relique De - 5 % à 7 % Estes, 1990; USGS, 2005
État de Washington 814 2004 réintroduite De 20,6 % à 8,2 % Estes, 1990; Jameson et Jeffries, 2004
Colombie-Britannique 3 200 2001 réintroduite De 18,6 % jusqu’à entre 8 % et 15,6 % Watson et al., 1997; Nichol et al., 2005
Sud-est de l’Alaska
Sud-est de l’Alaska
Baie Yakutat
Nord du golfe de l’Alaska
12 600 De 1994 à 1996 réintroduite De 17,6 % à environ 12 % Estes, 1990;
USFW, 2002c
Centre de l’Alaska
Nord du golfe de l’Alaska
Golfe du Prince William
Cols Cook et fiords de Kenai
16 552 1996, 1999 et 2002 relique stable USFW, 2002a
Ouest de l’Alaska
Îles Aléoutiennes
Nord de la péninsule de l’Alaska
Sud de la péninsule de l’Alaska, zone extracôtière
Sud de la péninsule de l’Alaska, littoral
Sud de la péninsule de l’Alaska, îles
Île Unimak
Archipel Kodiak
Baie Kamishak
41 500 De 2000 à 2002 relique en augmentation
à - 17,5 %
USFW, 2002b; Doroff et al., 2003

 

La population de la Californie a connu des périodes de croissance (de 5 p. 100 à 7 p. 100 par année) et de déclin (5 p. 100 par année). Dans les années 1970, les déclins étaient en partie attribués à l’emmêlement dans des filets maillants installés en eaux profondes (Estes, 1990; Estes et al., 2003b; USFW, 2003). Cette population connaît un taux de mortalité élevé que l’on attribue aux maladies et aux facteurs anthropiques (Estes et al., 2003b). En Alaska, la population de loutres de mer du golfe du Prince William a subi un déclin à la suite de la marée noire de l’Exxon Valdezen 1989. Elle n’a pas augmenté de façon appréciable depuis 1994 (13 234 individus; c.v. = 0,198; estimation de la population en 1999), et ses effectifs ne semblent pas être aussi grands qu’avant le déversement (USFW, 2002a). La population relique dans les îles Aléoutiennes a connu une croissance une fois qu’elle a fait l’objet d’une protection en 1911; en 1960, elle représentait environ 80 p. 100 de la population mondiale (Kenyon, 1969; USFW, 2002b). Elle a augmenté jusqu’au début des années 1980, année où on a estimé que les effectifs se situaient entre 55 100 et 73 700 loutres de mer. Toutefois, du milieu à la fin des années 1980, un fort déclin de 17,5 p. 100 par année a réduit la population jusqu’à 8 742 individus (c.v. = 0,215) en 2000 (Calkins et Schneider, 1985; Estes et al., 1998; USFW, 2002b; Doroff et al., 2003). Un déclin a également été remarqué le long de la péninsule de l’Alaska et de l’archipel Kodiak (USFW, 2002b). La prédation exercée par l’épaulard, dont l’alimentation est composée d’autres mammifères, a été présumée comme étant la cause la plus probable du déclin des loutres de mer dans les îles Aléoutiennes. L’abondance des phoques et des otaries, probablement les proies de prédilection de l’épaulard dans les Aléoutiennes, a connu un déclin radical dans l’ouest de l’Alaska; Estes et al.(1998) ont émis l’hypothèse que, en raison du déclin des pinnipèdes, l’épaulard s’est mis à chasser les loutres de mer.

Canada

Watson et al. (1997) ont estimé la croissance de la population le long de l’île de Vancouver à 18,6 p. 100 par année de 1977 à 1995. Cependant, depuis 1995, cette croissance semble avoir ralenti. L’application d’une régression logarithmique linéaire simple aux dénombrements de 1977 à 2004 a donné un taux annuel de croissance de 15,6 p. 100 le long de l’île de Vancouver. Le modèle d’une régression par morceaux, qui tient compte d’une inflexion dans la régression logarithmique linéaire, s’ajuste légèrement mieux aux données; il a permis d’estimer la croissance entre 1977 et 1995 à 19,1 p. 100 par année, puis à 8,0 p. 100 par année de 1995 à 2004 (Nichol et al., 2005) (figure 4).


Figure 4 : Tendance de la population de loutres de mer sur l’île de Vancouver

Figure 4. Tendance de la population de loutres de mer sur l’île de Vancouver.

A) La ligne mince représente la régression logarithmique linéaire simple (taux de croissance annuel de 15,6 %; r2 = 0,950; n= 18). La ligne épaisse représente la régression par morceaux (taux de croissance annuel de 19,1 % et de 8 % de 1995 à 2004; r2 = 0,975, n = 18). B) La même tendance présentée sur une échelle ordinale. Données de Nichol et al. (2005).

À défaut de facteurs d’indépendance de la densité comme la prédation (p. ex. dans l’ouest de l’Alaska), la nourriture semble exercer une influence sur les populations de loutres de mer par des processus de dépendance de la densité qui entraînent l’accroissement du taux de mortalité juvénile. Lorsque le nombre de loutres de mer dans un secteur augmente et que la nourriture devient limitée, la densité d’équilibre (K)dans ce secteur est maintenue par la mortalité et l’émigration (Estes, 1990). Les hauts taux de croissance initiaux de 17 p. 100 à 20 p. 100 (~rmax pour l’espèce) et le ralentissement ultérieur de la croissance, car des portions de la population atteignent un équilibre, caractérisent les populations de loutres de mer réintroduites (Estes, 1990). Certaines parties de la population près du centre de l’aire de répartition de l’île de Vancouver ont atteint un équilibre depuis le milieu des années 1990, et d’autres zones ont maintenant atteint la densité d’équilibre ou sont sur le point de l’atteindre, ce qui semble indiquer que les facteurs liés à la densité peuvent, du moins en partie, expliquer la diminution du taux de croissance de la population le long de l’île de Vancouver (Watson et al., 1997; Nichol et al., 2005). Toutefois, les dénombrements de 2001 à 2004 ont peut-être été influencés par les conditions de relevés qui étaient en général moins bonnes que celles dans lesquelles ont été effectués les relevés de 1988 à 1995, et d’autres facteurs, tels que la mortalité ou la chasse illégale, peuvent avoir contribué au déclin du taux de croissance.

Les relevés sur la côte centrale de la Colombie-Britannique ont commencé en 1990 à la suite de l’observation de femelles accompagnées de leur petit en 1989 sur les îles Goose (British Columbia Parks, 1995; Watson et al., 1997). Une régression logarithmique linéaire simple indique que la population sur la côte centrale a augmenté à un rythme de 12,4 p. 100 par année entre 1990 et 2004 (Nichol et al., 2005) (figure 5). Ce taux de croissance estimé semble faible compte tenu de la superficie d’habitat inoccupé et disponible. Nichol et al. (2005) n’ont pas été en mesure d’expliquer ce faible taux de croissance, mais ils ont remarqué que l’ajustement de la courbe de régression était faible par rapport à celle de l’île de Vancouver.


Figure 5 : Tendance de la croissance de la population de loutres de mer le long du centre de la côte continentale

Figure 5. Tendance de la croissance de la population de loutres de mer le long du centre de la côte continentale.

A) La ligne représente la régression logarithmique linéaire simple (taux de croissance annuel de 12,4 % de 1990 à 2004; r2 = 0,737; n = 10). B) La même tendance présentée sur une échelle ordinale. Données de Nichol et al. (2005).


Effet d'une immigration de source externe

Les populations de loutres de mer dans l’État de Washington et dans le sud-est de l’Alaska ont une aire de répartition adjacente à la Colombie-Britannique.Cependant, en cas d’incident catastrophique ayant des conséquences généralisées sur la population canadienne de loutres de mer, tel qu’un déversement d’hydrocarbures, le déplacement et l’immigration d’individus en provenance de l’État de Washington ou du sud-est de l’Alaska (dont les populations sont actuellement en dessous deK) seraient peu probables. Ainsi, la dispersion des adultes à partir de populations adjacentes, en deçà de la densité d’équilibre, est peu probable, car les déplacements des loutres de mer sont très limités, elles présentent une fidélité au site et elles occupent de petits domaines vitaux (Jameson, 1989; Bodkin et al., 2002). La colonisation des zones adjacentes inoccupées se produit en général lorsque les loutres de mer dans une zone occupée sont sur le point d’atteindre leur densité d’équilibre; les mâles se déplacent alors en masse dans un habitat inoccupé. Les femelles se déplacent une fois que les mâles ont exploré le territoire (Loughlin, 1980; Garshelis et al., 1984; Jameson, 1989).

Le modèle de rétablissement de la population à la suite de la marée noire de l’Exxon Valdez a été étudié dans deux sites insulaires dans le golfe du Prince William. La croissance de la population dans les sites souillés et non souillés par les hydrocarbures n’a pas découlé de la nouvelle répartition généralisée d’adultes provenant d’autres parties du golfe du Prince William, mais plutôt de la reproduction au sein de la population et de l’immigration de jeunes (Bodkin et al., 2002).

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