Pleurobème écarlate (Pleurobema sintoxia) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

L’introduction et la prolifération d’une espèce exotique, la moule zébrée (Dreissena polymorpha) dans tout le bassin versant des Grands Lacs a entraîné une chute importante du nombre de mulettes indigènes dans les zones colonisées. La moule zébrée a infesté 63 p. 100 des sites où on avait observé le P. sintoxia avant 1990 (Metcalfe-Smith et al., 1998b). L’invasion par la moule zébrée du lac Sainte-Claire, du lac Érié et des rivières Detroit et Niagara a entraîné la réduction ou l’élimination des populations de P. sintoxia et d’autres espèces de mulettes indigènes de ces eaux (voir p. ex. Schloesser et Nalepa, 1994; Nalepa et al., 1996; Schloesser et al., 1998). La moule zébrée pourrait menacer la population de pleurobèmes écarlates qui survit encore dans la région du delta du lac Sainte-Claire; on ignore en fait si la communauté d’Unionidés de cet endroit est stable ou si le processus de disparition provoqué par la moule zébrée y est simplement plus lent (Zanatta et al., 2002). Il est peu probable que la moule zébrée mette en péril l’autre population importante de P. sintoxia en Ontario, soit celle de la rivière Sydenham, car cette rivière n’est pas navigable en bateau et n’a guère de bassins de retenue susceptibles d’accueillir une colonie permanente. Néanmoins, la situation est préoccupante dans les réservoirs de Coldstream et de Strathroy, dans les eaux de tête de la rivière Sydenham Est. La colonisation éventuelle des rivières Grand et Thames par la moule zébrée demeure très inquiétante, car de longs tronçons de ces rivières sont endigués. De fait, on a récemment trouvé des moules zébrées dans les réservoirs Fanshawe et Springbank, sur la rivière Thames (S. Hohn, Office de protection de la nature du cours supérieur de la Thames, septembre 2003).

Les stresseurs anthropiques comme les fortes charges de sédiments, de nutriments et de composés toxiques issues de sources urbaines et agricoles pourraient poser des problèmes dans le sud-ouest de l’Ontario là où on trouve le P. sintoxia. L’envasement qui résulte de l’agriculture intensive a touché une grande partie des radiers de sable et de gravier des rivières habitées par l’espèce. Le drainage au moyen de tuyaux, l’accès du bétail aux cours d’eau et la réduction ou l’élimination des bandes riveraines tampons contribuent tous à ce problème. La charge de nutriments découlant de l’application d’engrais et des rejets d’eaux usées municipales peut avoir des effets délétères sur les espèces rares. Les pesticides utilisés en agriculture et les chlorures employés pour saler les routes en hiver peuvent aussi avoir un impact sur la faune benthique (Jacques Whitford Environment Limited, 2001).

Le Pleurobema sintoxia est une espèce commercialisable. Autrefois, on s’en servait dans l’industrie du bouton en nacre; aujourd’hui, il peut intéresser l’industrie de la perle de culture (Oesch, 1995). Selon Busby et Horak (1993), le P. sintoxia est une des 12 espèces commercialisables au Kansas. Baker (1993) a récemment observé un glissement de la demande sur le marché, le Megalonaias nervosa, étant remplacé par le Quadrula quadrula, l’Amblema plicata et des Fusconaia et Pleurobema. La surexploitation a gravement appauvri les stocks de moules aux États-Unis, et la récolte commerciale est désormais interdite dans nombre d’États (voir p. ex., pour l’Indiana, Anderson et al., 1993). On a brièvement exploité les moules dans la rivière Grand au début du 20e siècle (Detweiler, 1918), mais aujourd’hui, il ne se fait aucune récolte commerciale de moules au Canada. Dans les années 1990, on a déposé une demande de permis pour la récolte commerciale des moules de la rivière Thames, mais l’auteur de cette demande l’a retirée avant son examen (A. Dextrase, Parcs Ontario, ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, comm. pers., août 2003). Le braconnage peut constituer une menace si d’autres secteurs sont fermés à la récolte commerciale des moules et si la réglementation devient plus sévère ou les amendes plus élevées aux États-Unis.

Les principaux facteurs naturels déterminant la taille et la répartition des populations de moules sont la répartition et l’abondance de leurs poissons hôtes et la prédation. Les Unionidés ne peuvent compléter leur cycle de vie que si les glochidies ont accès à un hôte adéquat. Si les populations de poissons hôtes disparaissent ou déclinent en deçà du niveau d’abondance nécessaire à la survie d’une population de moules, il ne se fera plus de recrutement et la population risque de connaître une extinction fonctionnelle (Bogan, 1993). Comme nous l’avons noté plus haut (voir la section Biologie), plusieurs poissons reconnus comme hôtes de glochidies de pleurobème écarlate aux États-Unis (le crapet arlequin, le méné bleu, le ventre-pourri, le ventre rouge du nord) se retrouvent dans toute l’aire de répartition de cette moule au Canada et en sont donc des hôtes probables en Ontario. Il faudra des essais en laboratoire et une confirmation sur le terrain pour établir avec certitude le ou les hôtes fonctionnels.

On sait que les mulettes sont un aliment pour divers mammifères et poissons (Fuller, 1974). La prédation par le rat musqué (Ondatra zibenthicus), en particulier, peut constituer un facteur limitatif pour certaines espèces de moules. Tyrrell et Hornbach (1998) et d’autres ont démontré que le rat musqué est sélectif quant aux tailles et aux espèces de moules qu’il consomme, ce qui peut donc avoir d’importantes répercussions sur la structure par tailles et la composition en espèces des communautés de moules. Cependant, les moules à coquille forte comme le P. sintoxia peuvent échapper à la prédation parce qu’elles sont trop difficiles à ouvrir. Dans le cadre de leur étude de la prédation par le rat musqué sur 34 espèces de moules dans la rivière St. Croix et le fleuve Mississippi, au Minnesota et au Wisconsin, Tyrell et Hornbach (1998) ont observé que le pleurobème écarlate était l’une des espèces de proies les moins appréciées. Watters (1993-1994) a comparé la composition de la communauté de moules à deux sites du cours inférieur de la rivière Muskingum, en Ohio, à la composition en coquilles dans les tertres de rat musqué avoisinants. Le pleurobème écarlate était trop rare pour qu’on puisse le prendre en compte dans l’étude, mais une espèce étroitement apparentée, le pleurobème de l’Ohio (P. cordatum), était l’une des deux espèces dominantes qui étaient sous-représentées dans les tertres de rat musqué. Il semble peu probable que le rat musqué constitue un facteur limitatif d’importance pour le pleurobème écarlate en Ontario. Le raton-laveur (Procyon lotor) est un autre prédateur éventuel. Nous (les rédacteurs du présent rapport) n’avons relevé aucune étude sur la prédation par le raton-laveur, mais nous avons vu des ratons-laveurs se nourrir de moules sur le terrain et avons entendu de la collectivité agricole du bassin de la rivière Sydenham que l’adoption récente de méthodes culturales de conservation du sol a entraîné une explosion démographique chez le raton-laveur.

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