Scinque des rairies (Eumeces septentrionalis) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

Facteurs limitatifs et menaces

Le scinque des Prairies se trouve dans le sud du Manitoba à la limite septentrionale de son aire de répartition. Il y est limité par la quantité de prairie mixte à sol sableux. Les hivers où il y a peu de neige, les scinques peuvent mourir gelés dans leurs hibernacles, non suffisamment protégés contre le gel. Cette mortalité hivernale peut constituer un facteur limitatif (Bredin, 1989). Le scinque des Prairies n’est présent que dans une petite région du sud-ouest du Manitoba, où la prairie mixte est en déclin et de plus en plus fragmentée. Cette perte d’habitat est due à la succession végétale qui donne lieu à l’établissement de la tremblaie-parc, à l’envahissement par l’euphorbe ésule (exotique), à la mise en culture, aux programmes de plantation d’arbres et à la construction domiciliaire et routière.

La lutte contre les incendies favorise la succession végétale conduisant à l’établissement de la tremblaie-parc. Au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, 20 p. 100 de la prairie a été envahie par la forêt dans une localité du scinque (Mansell et Moore, 1999), ce qui montre que la perte d’habitat est une menace grave pour l’espèce (figure 5). La lutte contre les incendies peut aussi réduire la qualité de l’habitat en permettant l’accumulation de chaume et d’autres matières végétales mortes, ce qui peut avoir pour effet d’isoler thermiquement le sol et ainsi de réduire la période d’activité des scinques. Bien que cette hypothèse n’ait pas été vérifiée, on a observé que les scinques des Prairies sont plus abondants dans les champs abandonnés qui sont brûlés régulièrement (Pitt, 2001). Le broutage par le bétail n’empêche pas l’implantation du tremble : même dans les pâturages broutés, la superficie couverte par le tremble s’accroît de 7 p. 100 par année au Manitoba (G. Oliver, comm. pers., 2003). Le brûlage dirigé fait l’objet de restrictions dans les terres entourant le parc provincial Spruce Woods. À l’intérieur du parc, on a effectué des brûlages dirigés pour conserver des zones de prairie importantes, mais on ne s’efforce pas de rétablir les anciennes étendues de prairie qui ont été envahies par la forêt au cours des dernières décennies (G. Oliver, comm. pers., 2003).

Les programmes de plantation d’arbres ont aussi réduit l’habitat du scinque des Prairies en accroissant le couvert forestier et en détruisant les sols des prairies. Par exemple, en 1994, après qu’a été labourée une prairie mixte de près de 3 ha abritant une population de scinques des prairies dans la forêt provinciale Spruce Woods dans le cadre du Programme de gestion des terrains boisés privés du Manitoba (Manitoba Agro-Woodlot Program), plus de 200 guides et scouts ont planté dans le secteur 14 000 pins sylvestres (Pinus sylvestris). Du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, les guides et les scouts ont planté environ 80 000 pins sylvestres dans ce secteur, au détriment d’importantes étendues de la rare prairie mixte dont dépend le scinque des Prairies.

Figure 5. Zone de prairie mixte isolée par la succession forestière. Photo d’Errol Bredin.

Figure 5.Zone de prairie mixte isolée par la succession forestière

L’euphorbe ésule (Euphorbia esula) est une herbacée vivave de la famille des Euphorbiacées dont les racines s’enfoncent profondément dans le sol. Cette plante se reproduit de façon végétative ou par la graine. Elle a été signalée pour la première fois en Amérique du Nord au Massachusetts en 1827 (Britton, 1921) et, au Manitoba, en 1900 (Bird, 1961). Selon Bird (1961), l’euphorbe ésule était à l’époque largement répandue, ce dont témoignaient tout particulièrement les centaines d’îlots de l’espèce dans la réserve forestière Spruce Woods; un relevé spécial effectué par la Manitoba Weeds Commission en 1950 a révélé dans la seule région de Shilo la présence de 1435 îlots. Le département de l’Agriculture des États-Unis a mis sur pied une équipe vouée à l’éradication de l’euphorbe ésule (site Web de la Leafy Spurge Team, disponible en anglais seulement)). Cette équipe estime que la plante est présente sur environ cinq millions d’acres au Canada et aux États-Unis, la superficie qu’elle occupe ayant doublé tous les dix ans depuis le début du 20e siècle.

Presque tout l’habitat de premier plan du scinque des Prairies dans les dunes de Carberry est menacé par l’euphorbe ésule. Dans les îlots denses de cette plante, on compte en moyenne 96 tiges/m² (Bredin, 1988). Dans certains secteurs des dunes de Carberry, une proportion importante des pentes exposées au sud sont aujourd’hui complètement recouvertes d’euphorbe ésule. Les pentes exposées au sud sont les endroits préférés des scinques des Prairies, mais ils les abandonnent lorsqu’elles sont envahies par l’euphorbe ésule (Bredin, 1988). L’euphorbe ésule nuit également à d’autres espèces; dans les secteurs fortement envahis par la plante, on trouve moins de nids d’oiseaux nichant au sol (Scheiman et al., 2003). On a observé que le broutage par les chèvres est efficace contre l’euphorbe ésule (G. Oliver, comm. pers., 2003). Par contre, les brûlages dirigés ne sont pas efficaces parce que le système racinaire de la plante peut s’étendre jusqu’à plus de 3 m de profondeur, ce qui lui permet de survivre aux feux. Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation du Manitoba distribue aux agriculteurs des altises (coléoptères aussi connus sous le nom de puces terrestres) pour lutter contre l’euphorbe ésule, mais il faut parfois jusqu’à dix ans pour que se constitue une population d’altises suffisamment importante pour être efficace contre l’euphorbe ésule (J. Thornton, comm. pers., 2003). Il semble bien y avoir eu un recul marqué de l’euphorbe ésule dans le parc provincial Spruce Woods là où on a lâché des altises il y a plusieurs années dans le cadre d’un programme de lutte administré par la Direction des parcs et des réserves naturelles du Manitoba (W. Watkins, comm. pers., 2003).

La mise en culture des prairies mixtes est une importante menace pour le scinque des Prairies. Plus de 5000 ha de prairie mixte ont ainsi été perdus de 1995 à 1998 (Mansell et Moore, 1999). Dans la seule région de Carberry, la culture de la pomme de terre a pris environ 7000 ha de 1961 à 2000 (Town of Carberry, 2003).

Toutes ces pertes d’habitat accroissent la fragmentation de l’aire du scinque des Prairies, déjà naturellement fragmentée par des cours d’eau et de vastes milieux humides. L’expansion de la tremblaie-parc fait que les scinques se trouvent confinés à des îlots de prairie (voir la figure 5), et ces îlots rétrécissent d’année en année, de sorte que bon nombre disparaîtront d’ici dix ans (Bredin, obs. pers.). Cet isolement des populations et ce rétrécissement de l’habitat sont particulièrement graves du fait qu’ils se produisent à la limite nord de l’aire de répartition de cette l’espèce dont les densités démographiques et la capacité de dispersion sont faibles.

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