Tortue luth (Dermochelys coriacea) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 11

ÉVALUATION ET STATUT PROPOSÉ

On ne s'explique pas bien le déclin de la tortue luth, mais on soupçonne plusieurs effets anthropiques d'être à l'origine du taux de mortalité élevé. Au premier rang de ces effets figure la prise accidentelle dans les engins de pêche (voir p. ex. Eckert et Sarti, 1997; Spotila et al., 1996, 2000). Sur les plages de nidification, les faibles taux de recrutement attribuables à la mortalité naturelle élevée des nouveau-nés et à la récolte excessive des œufs par les humains constituent une menace pour l'espèce. Les présumés effets associés au changement climatique planétaire pourraient par ailleurs être sous-estimés. En effet, comme chez cette espèce le rapport des sexes est déterminé par la température d'incubation dans le nid, même d'infimes changements de température associés au réchauffement planétaire pourraient avoir une incidence sur le ratio mâles-femelles.

La tortue luth a connu un rapide déclin mondial, passant de 115 000 femelles nicheuses en 1980 (Pritchard, 1982) à 34 500 en 1995 (Spotila et al., 1996), soit une diminution de 70 p. 100 en seulement 15 ans ou en moins d'une génération. Les études de marquage à long terme réalisées sur certaines plages de nidification ont mis en évidence des taux de mortalité annuels atteignant 33 p. 100 chez les femelles adultes (Spotila et al., 2000). Au nombre des traits du cycle biologique des tortues marines figurent une durée de vie prolongée, une maturité sexuelle tardive et des intervalles de deux à trois ans séparant les périodes de reproduction (Crouse et al., 1987), de même qu'un taux de survie élevé des jeunes adultes et des adultes (Congdon et al., 1993). Dans le cas de la tortue luth, toutefois, on estime que la fréquence des prises accidentelles dans les engins de pêche est à l'origine d'un taux de mortalité élevé des adultes et des jeunes adultes (Spotila et al., 1996, 2000). Traditionnellement, les techniques de gestion courantes visant à rétablir les populations de tortues marines ont mis l'accent sur la protection des œufs sur les plages de nidification (Crouse et al., 1987). Selon de récents modèles de population fondés sur des données démographiques concernant la carette (Caretta caretta), les mesures de conservation visant à améliorer la survie des juvéniles et des adultes s'avéreraient toutefois beaucoup plus efficaces (Crouse et al., 1987). On doute aussi de l'importance d'axer les activités de conservation sur les stades tardifs du cycle biologique dans le cas de la tortue luth (voir p. ex. Eckert et Sarti, 1997; Spotila et al., 2000). En fait, la modélisation démographique récente de l'espèce semble indiquer que, faute d'accroître l'intervention humaine visant à réduire la mortalité attribuable à la pêche chez les adultes et les jeunes adultes, la tortue luth disparaîtra dans des secteurs étendus de son aire de répartition (Spotila et al., 1996, 2000).

En se fondant sur des analyses squelettochronologiques, Zug et Parham (1996) ont déduit que la tortue luth atteignait la maturité en un temps relativement court. Cette maturation rapide, alliée à la grande fécondité de l'espèce, pourrait permettre
à certaines populations de se rétablir à condition que l'on arrive à réduire considérablement le braconnage des œufs ainsi que les prises accidentelles et l'abattage des adultes et des juvéniles de grande taille (Zug et Parham, 1996). Par contre, si ces analyses ont sous-estimé l'âge de la maturité, le rétablissement des populations pourrait s'avérer très difficile et très lent.

La tortue luth a au départ été classifiée parmi les espèces EN VOIE DE DISPARITION au Canada en 1981 (Cook, 1981). À l'époque, on en savait très peu
sur la répartition et les déplacements de l'espèce dans les eaux canadiennes. Des travaux ultérieurs réalisés à Terre-Neuve (voir p. ex. Goff et Lien, 1988) et en Nouvelle-Écosse (voir p. ex. James, 2000) ont toutefois révélé qu'une partie de la population atlantique fréquente chaque année les eaux au large du Canada. La présence de
la tortue luth dans l'Est du Canada est associée à l'abondance saisonnière des cnidaires (notamment Cyanea sp.), sa principale proie (Bleakney, 1965; Goff et Lien, 1988; Shoop et Kenney, 1992; James, 2000). Bien que cette tortue ne niche pas au Canada, les eaux de l'Atlantique canadien sont pour elle une importante aire d'alimentation saisonnière. L'activité humaine et la dégradation du milieu marin font que le taux de mortalité annuel reste inconnu chez ces tortues dans les eaux canadiennes. On recommande de maintenir le statut d'espèce EN VOIE DE DISPARITION au Canada pour la tortue luth.

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