Truite fardée versant de l'ouest évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 8

Facteurs limitatifs et menaces

L’abondance de la truite fardée versant de l’ouest au Canada semble limitée par un certain nombre de facteurs. Certains de ces facteurs sont d’origine naturelle mais, de toute évidence, les menaces les plus imminentes et sérieuses sont d’origine humaine : perte d’habitat, surexploitation et introduction d’espèces ou de génotypes non indigènes par de mauvaises méthodes d’ensemencement.

 

Facteurs d’origine naturelle

Biologie de la sous-espèce

La truite fardée versant de l’ouest est vulnérable à une série de facteurs limitatifs par la nature même de ses caractéristiques biologiques. D’abord, ses besoins en matière d’habitat sont tels que les populations occupent généralement des habitats d’eau froide peu productifs, naturellement propices à l’isolement thermique et physique des populations (Behnke, 2002). Les populations semblent de petite taille et renouvelées par un nombre variable d’individus reproducteurs, de sorte que celles-ci peuvent être sujettes à des événements stochastiques tels que des épizooties ou des bouleversements catastrophiques de leur milieu (p. ex. sécheresse, tremblement de terre, glissement de terrain). Comme leur taille effective est faible, les populations sont particulièrement exposées à l’endogamie et à l’érosion de la diversité génétique (Amos et Harwood, 1998; Vucetich et Waite, 2001). Les truites fardées sont sujettes à une forte mortalité par prédation et à des interactions négatives avec d’autres salmonidés. Leur nature fortement philopatrique suggère un haut degré d’isolement démographique entre les populations adjacentes, de sorte que des populations en déclin ou disparues localement ont peu de chances de bénéficier à court terme d’une immigration (voir la section Biologie). Le manque d’information sur les populations individuelles a probablement contribué à certains déclins. Peu de données biologiques ont été recueillies sur la truite fardée versant de l’ouest de manière régulière et normalisée sur de longues périodes, et il n’existe aucun système rigoureux en place pour surveiller la récolte ou interroger les pêcheurs dans une bonne partie de l’aire de répartition. Les relations entre les différents types de cycles vitaux et leurs besoins particuliers en matière d’habitat sont mal connus, tout comme l’ampleur et la variation des déplacements de la truite fardée versant de l’ouest, la répartition et l’étendue des unités reproductrices distinctes et les déterminants de la structure des populations sauvages.

 

Facteurs d’origine humaine 

Le grave déclin de la truite fardée versant de l’ouest au cours du siècle dernier démontre clairement que les plus grandes menaces sont la manipulation et la dégradation de son milieu par l’humain (Allendorf et Leary, 1988; Liknes et Graham, 1988; Nehlsen et al., 1991; Slaney et al., 1996; Johnson et al., 1999; Shepard et al., 2003). Partout dans son aire de répartition, son abondance et sa distribution ont décrû inexorablement en raison des effets cumulatifs de la perte et de la dégradation de l’habitat, de la surexploitation et des interactions néfastes avec des espèces introduites (p. ex. compétition, prédation, hybridation).

Changements climatiques

Les changements climatiques accompagnant le réchauffement de la planète pourraient à l’avenir être un facteur limitatif important de la répartition de la truite fardée versant de l’ouest. L’année 1998 fut la plus chaude de l’histoire du Canada, dans l’une des décennies au climat le plus chaud jamais enregistré. Cela pourrait représenter un problème pour les truites fardées, une espèce adaptée aux eaux froides. Les truites fardées versant de l’ouest sont associées à des températures des eaux inférieures à 16 °C à toutes les étapes de leur cycle vital (Behnke, 1992; McIntyre et Rieman, 1995) et le « maximum thermique critique » pour la sous-espèce, soit 27 °C, est inférieur à ceux de l’omble de fontaine et de la truite arc-en-ciel, soit 29,8 °C et 31,6 °C respectivement, selon les estimations (Feldmuth et Eriksen, 1978, cité dans McIntyre et Rieman, 1995). Toute hausse de la température de l’eau découlant du réchauffement de la planète pourrait donc accorder aux poissons non indigènes un avantage compétitif par rapport à la truite fardée versant de l’ouest dans les habitats périphériques. D’après les modèles actuels de changements climatiques, la température moyenne de l’air dans le Pacifique Nord-Ouest augmentera de 2 à 5 °C au cours des 50 à 100 prochaines années (Neitzel et al., 1991). Dans la région des montagnes Rocheuses, une étude a permis d’estimer qu’une augmentation de la température moyenne de l’air de seulement 1 °C en juillet diminuerait la superficie de l’habitat convenable aux salmonidés de 16,8 p. 100, tandis qu’une augmentation de 5 °C diminuerait la quantité d’habitat de 71,8 p. 100 (Keleher et Rahel, 1996). Une récente analyse des températures moyennes journalières a révélé que de 1895 à 1995 la température moyenne d’été dans la région des montagnes de l’intérieur méridional (où se trouve le cœur de la population de truites fardées versant de l’ouest en Colombie-Britannique) a augmenté de 1,2 °C (Ministry of Environment de la Colombie-Britannique, 2006). On croit que le réchauffement climatique est au moins en partie responsable des grandes infestations de dendroctones du pin ponderosa (Dendroctonus ponderosae) qui touchent une bonne partie de la Colombie-Britannique actuellement. On prévoit que ces infestations affecteront la composition du substrat des cours d’eau (y compris la sédimentation), la morphologie des chenaux, l’abondance des gros débris de bois et la température de l’eau à long terme, autant d’éléments clés affectant la qualité de l’habitat de la truite fardée versant de l’ouest.

Les impacts potentiels des changements climatiques ne sont pas bénins car ils causeront également des changements dans les précipitations, dans les régimes hydrologiques et dans la morphologie des cours d’eau, de même que la fonte des glaciers, qui alimente en été bon nombre de cours d’eau importants pour la sous-espèce comme les rivières Bull et White et la haute Kootenay.

Perte d’habitat

Comme indiqué précédemment dans la section Tendances en matière d’habitat, le déboisement, l’exploitation minière et les développements hydroélectriques ont causé la perte ou la dégradation de l’habitat de la truite fardée versant de l’ouest et le déclin de plusieurs de ses populations (p. ex. ruisseau Joseph, rivières Spray et Kananaskis). Le réseau routier associé à l’industrie des ressources primaires a endommagé d’innombrables cours d’eau, par l’édification de ponceaux ou d’autres types d’altérations. En outre, ce réseau a multiplié les points d’accès pour les pêcheurs et les activités récréatives (véhicules tout-terrain), ce qui contribue encore davantage à la dégradation des habitats fragiles. Il existe des aires protégées dans l’aire de répartition de la sous-espèce au Canada, mais celles-ci sont souvent petites et n’englobent pas nécessairement tous les habitats nécessaires aux différents types de cycles vitaux présents dans une région (en particulier les formes migratoires). Il est clair qu’en l’absence d’une protection plus rigoureuse la détérioration de l’habitat et la fragmentation des populations se poursuivront.

Quoique la nature exacte des déplacements de bon nombre de populations canadiennes soit relativement mal connue, il est probable qu’elles sont adaptées aux déplacements coïncidant avec des périodes de débit modéré à élevé. Les déplacements correspondent souvent à la hausse et au pic du niveau des eaux, période durant laquelle les individus seraient capables de franchir les obstacles saisonniers qui interdisent l’accès à certains cours d’eau quand le débit est insuffisant (Brown et MacKay, 1995a; Schmetterling, 2001). Ce phénomène a des implications évidentes en termes de planification du paysage, de construction de routes et de viabilité à long terme des populations (Hilderbrand et Kershner, 2000b). Même s’il est clair que la truite fardée versant de l’ouest peut se déplacer sur de grandes distances pour trouver un habitat convenable, encore faut-il qu’un tel type de migration soit possible grâce à la préservation de corridors de migration convenables entre les habitats. Il semblerait malheureusement que bien des ponceaux ne soient pas conçus pour permettre le passage des poissons lorsque les débits sont élevés. Les ponceaux construits pour enjamber les affluents de frai doivent laisser un passage aux poissons dans différentes conditions hydrologiques. Le déclin précipité des populations anadromes et fluviales dans le bas Columbia et certaines parties de l’Alberta témoigne des impacts fondamentaux des obstacles à la migration dans ces systèmes (voir p. ex. Nehlsen et al., 1991). La disparition des formes migratoires pourrait être particulièrement lourde de conséquences, car elle compromet le potentiel de recolonisation de secteurs où les populations sédentaires ont disparu. Étant donné que quantité de ces populations sédentaires semblent isolées démographiquement, les déclins ou les disparitions locales ont peu de chances d’être compensés par une immigration, même à partir de populations proximales.

Les principales causes de la dégradation de l’habitat mentionnée précédemment sont l’exploitation forestière, l’exploitation minière et l’urbanisation. Bien que ces dernières soient les principales sources des impacts, on ne doit pas négliger les pressions exercées par l’aménagement des terres rurales et des zones riveraines (lacs et rivières) par le secteur récréatif : terrains de golf, centres de ski alpin, construction de centres de villégiature et de chalets, marinas, quais, murs de retenue, aménagements de plages, autres aménagements du littoral et accroissement de la circulation de bateaux. Ce secteur industriel soutire d’importants volumes d’eau de surface, consolide les rives, enlève de la végétation riveraine et détériore la qualité de l’eau. Malheureusement, ces pressions liées à l’aménagement ne risquent pas de disparaître de sitôt, et les impacts de celles-ci ne se font plus sentir à l’échelle locale seulement, mais bien à l’échelle de bassins hydrographiques entiers (Bruce Macdonald, Direction des océans, de l’habitat et de la mise en valeur, ministère des Pêches et des Océans, Nelson, Colombie-Britannique, comm. pers., 2006).

On assiste également à une intensification de l’exploration minière et à l’ouverture de nouvelles mines, en particulier de charbon. Les impacts des mines de charbon ont été décrits précédemment (voir la section Tendances en matière d’habitat), mais l’ampleur des impacts présents et à venir des exploitations minières dans la haute rivière Elk n’a pas encore été entièrement évaluée. Toute la partie amont de certains affluents de la rivière Elk a été entièrement détruite et les populations ont été fragmentées par des pierrées. Il est probable que ces segments d’amont abritent de précieuses populations génétiquement intactes. On envisage actuellement d’utiliser deux grands secteurs des bassins de la rivière Flathead et de la rivière Elk, deux des principaux systèmes riverains abritant la truite fardée versant de l’ouest en Colombie-Britannique, pour la production de méthane de houille (Macdonald, comm. pers., 2006).

Les infrastructures de transport comme les routes et les chemins de fer sont en expansion et, dans bien des cas, suivent le tracé de cours d’eau abritant des truites fardées versant de l’ouest, ce qui s’accompagne d’une consolidation des berges afin de protéger les infrastructures. Ces expansions ne sont pas sans conséquence : par exemple, l’an dernier, plusieurs trains transportant du charbon ont déraillé, causant des dommages aux cours d’eau et à l’habitat des poissons (Macdonald, comm. pers., 2006).

L’agriculture est l’un des principaux consommateurs d’eau de surface dans l’aire de répartition de la truite fardée versant de l’ouest. Elle est également responsable d’une perte considérable d’habitats riverains. En outre, les impacts potentiels de l’expansion de l’industrie indépendante de production électrique ne devraient pas être négligés. Bon nombre des projets proposés se situent dans des systèmes en amont des cours d’eau, qui sont en apparence à l’écart des principaux cours d’eau et habitats des poissons. Mais en réalité ces projets proposent d’assécher les segments d’amont des cours d’eau situés en altitude (Macdonald, comm. pers., 2006). 

Surexploitation

La truite fardée est un poisson populaire auprès des pêcheurs de l’Ouest canadien; seule la truite arc-en-ciel est peut-être plus appréciée. Comme c’est le cas chez bien d’autres espèces du Canada, la pêche récréative est un important facteur limitant la production naturelle (résumé dans Post et al., 2002). La surexploitation des populations indigènes a commencé avec la colonisation européenne de l’Ouest canadien durant les années 1880, et quantité de populations de truites fardées ont subi un déclin durant un siècle de réglementation permissive de la pêche dans la région (Mayhood, 2000). L’occasionnelle voracité des truites fardées et leur accès à de petits cours d’eau en font une espèce particulièrement vulnérable à la surpêche. Dès les années 1950, plusieurs déclins avaient été relevés chez des populations canadiennes, les plus graves survenant près des zones urbaines où la densité de population humaine était le plus élevée. La récolte en Alberta durant les années 1980 se chiffrait à environ 11 millions de poissons par année (quelque 7 millions de kilogrammes), une grande proportion de ces poissons étant des truites (Nelson et Paetz, 1992). Depuis cette époque, la réglementation sur les prises s’est resserrée en Alberta (tout comme en Colombie-Britannique). Cependant, ces chiffres sont un indicateur du genre de pressions auxquelles les populations indigènes de poissons de l’Ouest canadien sont exposées au fur et à mesure que les populations humaines s’accroissent et que les récoltes augmentent. Bien que des pêches avec remise à l’eau aient été instaurées dans des régions particulièrement sensibles et que celles-ci aient freiné les déclins dans certains cas (Baxter, comm. pers., 2004), la mortalité due au ferrage, après la remise à l’eau, pourrait avoir un impact important sur les populations déjà compromises par la perte d’habitat ou l’introduction de poissons non indigènes (Marnell et Hunsaker, 1970; Nehlsen et al., 1991; Slaney et al., 1996). La truite fardée versant de l’ouest peut également être sujette à une mortalité importante due à la prise accessoire par les pêcheries visant d’autres espèces de poissons.

Introductions

L’une des plus grandes menaces auxquelles sont exposées les populations indigènes de truites fardées versant de l’ouest du Canada sont les répercussions des introductions, en particulier de salmonidés provenant d’alevinières. La fécondité naturelle des poissons (ainsi que la relative facilité avec laquelle leur cycle reproducteur peut être manipulé) a fait de la production de salmonidés en alevinière une réponse commune au déclin des populations et un moyen d’alimenter les pêches. Cependant, on réalise peu à peu que les poissons élevés en alevinière ont souvent été ensemencés dans l’ignorance de l’efficacité des transferts, du sort des poissons relâchés et des impacts sur les populations sauvages. Aux États-Unis, on croit que l’introduction d’espèces non indigènes est une cause première du déclin de plusieurs sous-espèces continentales de truites fardées. L’introduction de salmonidés d’alevinières peut se solder par des impacts génétiques (p. ex. hybridation, dépression par croisement éloigné) et écologiques (p. ex. déplacement, compétition, maladie) pour les populations indigènes de truites fardées, selon l’espèce introduite.

Hybridation et introgression

L’introduction de truites arc-en-ciel et de truites fardées de Yellowstone s’est traduite par des niveaux importants d’hybridation introgressive dans l’ensemble de l’aire de répartition historique de la truite fardée versant de l’ouest (Leary et al., 1984; Leary et al., 1987; Allendorf et Leary, 1988, Hitt et al., 2003). Moins de 29 p. 100 des habitats occupés par la sous-espèce aux États-Unis abriteraient encore aujourd’hui des populations à un niveau proche ou égal à la capacité de l’habitat. L’analyse génétique donne à penser que les populations de truites fardées versant de l’ouest seraient génétiquement intactes dans moins de 8 p. 100 de leur aire de répartition historique aux États-Unis (Shepard et al., 2003). Des bancs d’hybrides entre la truite arc-en-ciel et la truite fardée versant de l’ouest ont été observés en Alberta et en Colombie-Britannique (Rubidge, 2003; Janowicz, 2004), et les taux d’introgression semblent augmenter rapidement dans les ruisseaux et en amont des principales rivières (Hitt et al., 2003; Rubidge, 2003; Weigel et al., 2002; Janowicz, 2004; voir également la section Taille et tendances des populations). Les facteurs ayant une influence sur la progression de cette hybridation introgressive sont mal connus. On a formulé l’hypothèse selon laquelle, puisque la truite arc-en-ciel a peu de chances de coloniser et d’exploiter des habitats froids en altitude (voir p. ex. Paul et Post, 2001), la progression de l’hybridation dans les sites de haute altitude serait freinée par des obstacles naturels physiques ou écologiques (Weigel et al., 2002). Compte tenu du long historique d’ensemencement au Canada et du fait que la truite arc-en-ciel et d’autres salmonidés non indigènes sont encore introduits partout dans l’aire de répartition historique de la truite fardée versant de l’ouest au Canada, il est probable qu’un grand nombre de populations génétiquement intactes soient en péril et se voient de plus en plus confinées à des cours d’eau d’amont isolés.

1) Colombie-Britannique: Dans le bassin supérieur de la rivière Kootenay, il ressort clairement que l’hybridation introgressive entre la truite arc-en-ciel introduite et la truite fardée versant de l’ouest indigène a progressé au cours des 15 dernières années. Leary et al. (1987) ont détecté un taux d’hybridation d’environ 5 p. 100 entre ces deux taxons dans le bassin de la rivière White (un grand affluent du cours supérieur de la rivière Kootenay). Des relevés plus récents indiquent que l’hybridation a progressé depuis 1986 et s’est étendue au cours inférieur de sept autres affluents, dont les ruisseaux Wild Horse, Mather, Skookumchuk et Gold, ainsi que les rivières Elk, St. Mary et Lussier (Rubidge, 2003). Aux États-Unis, Hitt et al. (2003) ont relevé une progression similaire du nombre de populations rétrocroisées dans le bassin supérieur de la rivière Flathead (24 sites sur 42 (57 p. 100), sept de plus que lors de l’étude précédente de 1984). Dans les deux cas, l’hybridation semble se propager vers l’amont à partir des principaux sites d’introduction de truites arc-en-ciel, à savoir le lac Koocanusa et le lac Flathead. Les données recueillies dans ces régions donnent à penser que l’hybridation ne peut être freinée par les barrières écologiques (mis à part, peut-être, des obstacles infranchissables en amont), et que sa propagation est plutôt une fonction de la distance par rapport au site d’ensemencement le plus proche. Le tableau 2 dresse le portrait des systèmes abritant la truite fardée versant de l’ouest qui ont été ensemencés au moins une fois avec des truites arc-en-ciel ou des truites fardées côtières en Colombie-Britannique. Cependant, il ne fait aucun doute que l’hybridation s’est également répandue dans des systèmes non ensemencés, là où l’ensemencement s’est fait dans des systèmes « ouverts ».

2) Alberta: Une étude préliminaire sur l’hybridation en Alberta a révélé peu de signes d’hybridation entre la truite fardée versant de l’ouest indigène et des espèces introduites. McAllister et al. (1981) ont examiné les variations morphologiques et biochimiques chez des truites fardées versant de l’ouest du parc national Banff (dix lacs), du parc national Kootenay (lac Floe), du parc national des Lacs-Waterton (ruisseau Sofa) et un échantillon des lacs Connor en Colombie-Britannique. Les rédacteurs ont découvert que 10 des 13 sites contenaient des individus purs; deux sites contenaient des croisements avec la truite fardée de Yellowstone (lac Baker [parc national Banff] et lac Sofa [parc national des Lacs-Waterton]) et un dernier site, celui du lac Taylor (parc national Banff), abritait une population introduite génétiquement intacte de truites fardées de Yellowstone. Aucune hybridation avec la truite arc-en-ciel n’a été relevée. Cependant, les comparaisons morphologiques et les marqueurs d’alloenzymes employés dans l’étude ne semblaient pas avoir une résolution suffisante pour détecter l’introgression avec la truite arc-en-ciel. Par exemple, la moitié des populations ne présentaient aucune variabilité génétique au niveau des dix loci d’alloenzymes analysés et quatre des dix loci ne présentaient aucune des bandes caractéristiques des espèces et ne permettaient pas de distinguer les truites arc-en-ciel et les truites fardées versant de l’ouest. En outre, tous les échantillons provenaient de systèmes alpins (altitude > 2 000 m), choisis spécialement parce qu’il y avait de fortes chances qu’ils contiennent des populations génétiquement intactes de truites fardées versant de l’ouest. Les rédacteurs supposaient que peu ou pas d’ensemencements d’espèces non indigènes avaient été effectués parmi les populations échantillonnées.

De récentes analyses génétiques menées en Alberta donnent à penser que l’hybridation est largement répandue sur le versant est des montagnes Rocheuses. Janowicz (2004) a détecté des populations hybridées dans 13 des 14 bassins hydrographiques échantillonnés (voir figure 8). Le degré d’hybridation dans ces bassins variait de 100 p. 100 des ruisseaux échantillonnés dans la rivière Ram (bassin de la rivière Saskatchewan Nord) et la rivière Sheep (bassin de la rivière Saskatchewan Sud) à 22 p. 100 dans la rivière Kananaskis. Le seul endroit où aucune hybridation n’a été relevée est le bassin de la rivière Elbow. L’ampleur de l’hybridation à l’intérieur de chaque cours d’eau variait considérablement, de un à quelques individus hybrides à plus de 80 p. 100 des individus. Bon nombre de populations présentaient en fait des génotypes très mixtes (plus de 50 p. 100 avec des allèles hétérospécifiques), ce qui indique que l’hybridation dans ces cours d’eau est très avancée et progresse vers la création de bancs d’hybrides. Les bancs d’hybrides représentent une grande menace pour la persistance des espèces indigènes, car le génotype unique des populations parentales génétiquement intactes est perdu une fois que des bancs d’hybrides reproducteurs sont formés (Leary et al., 1995).

On doit noter toutefois que le petit nombre de populations de référence dans l’étude pour ce qui est des truites fardées versant de l’ouest a peut-être amené une surestimation du nombre d’hybrides observés dans l’échantillon. Seules trois populations de référence ont été incluses, de sorte que le nombre d’allèles diagnostiques de truites fardées versant de l’ouest était faible (en moyenne 3,3 par locus de microsatellite environ). Comme indiqué précédemment, les populations de la sous-espèce sont souvent caractérisées par des allèles uniques ou des allèles qui, bien qu’abondantes à l’échelle locale, sont rares à l’échelle d’un grand territoire. Par exemple, Taylor et al. (2003) ont observé que le nombre total d’allèles parmi 29 populations de truites fardées versant de l’ouest de la Colombie-Britannique était d’environ 13 par locus, alors que la moyenne dans une seule population était de moins de quatre. Il est donc possible que des allèles de truites fardées versant de l’ouest relevées dans les populations autres que celles de référence aient été confondues avec des allèles de truites arc-en-ciel. Cette surestimation pourrait avoir été compensée, toutefois, par le fait que bon nombre des cours d’eau échantillonnés n’avaient pas été choisis au hasard, mais bien en supposant qu’ils contenaient des populations génétiquement intactes de truites fardées versant de l’ouest. Les populations hybridées pourraient revêtir une certaine importance en termes de possibilités de pêche, mais leur statut écologique et taxinomique demeure très incertain (voir p. ex. US Federal Register, 1996; Allendorf et al., 2003). Il est clair toutefois que les populations fortement hybridées ont peu de valeur pour la conservation des populations génétiquement intactes de truites fardées versant de l’ouest. Par conséquent, tout devrait être tenté pour évaluer la situation des dernières populations génétiquement intactes et non ensemencées d’Alberta et pour freiner la progression de l’hybridation.

Croisement éloigné

Des truites fardées versant de l’ouest élevées en alevinière ont été ensemencées dans l’aire de répartition historique de la sous-espèce en Colombie-Britannique et en Alberta dans le but d’« enrichir » la production naturelle, généralement pour le bénéfice de la pêche (voir le tableau 2 pour un aperçu des systèmes où la sous-espèce a été ensemencée en Colombie-Britannique). Cependant, la biodiversité des espèces adaptées à leur milieu n’a pas été considérée, et aucune activité déployé n’a été menée pour ensemencer avec des individus provenant de populations locales, comme en témoigne le très petit nombre de populations sources utilisées dans la production des alevinières. Par exemple, la Colombie-Britannique n’a puisé qu’à une seule source de truites fardées versant de l’ouest (lac Connor) pour tous les ensemencements effectués au cours des trois dernières décennies. Chez d’autres espèces de salmonidés de l’Ouest, de tels programmes se sont soldés par une érosion et une homogénéisation de la structure génétique des populations, de même que par un envahissement génétique et une dépression par croisement éloigné (résumé dans Rhymer et Simberloff, 1996; Allendorf et al., 2001). Étant donné que la sous-espèce est particulièrement subdivisée du point de vue génétique, on peut s’attendre à ce que les impacts de l’homogénéisation et de la dépression par croisement éloigné soient d’autant plus significatifs. Cependant, aucune évaluation de ce phénomène n’a été effectuée chez la truite fardée versant de l’ouest, et l’on dispose de très peu d’information qui permettrait de déterminer combien de populations indigènes ont été enrichies de la sorte avec des individus provenant d’alevinières. Par conséquent, on ignore dans quelle mesure les populations de truites fardées versant de l’ouest du Canada sont affectées par ce phénomène.

Impacts écologiques

On ignore si les salmonidés introduits délogent activement les truites fardées indigènes ou remplacent tout simplement les populations décimées par d’autres facteurs; on sait par contre que l’introduction d’ombles de fontaine non indigènes se solde généralement par une diminution de la répartition ou la disparition de truites fardées dans une grande partie de leur habitat d’origine(Donald, 1987; Fausch, 1989; Griffith, 1988). Des ombles de fontaine non indigènes ont été ensemencés dans une bonne partie de l’aire de répartition historique de la truite fardée versant de l’ouest en Colombie-Britannique et en Alberta. Cette espèce semble déloger ou remplacer la truite fardée versant de l’ouest avec facilité, en particulier dans les sites de basse altitude en Alberta (Paul et Post, 2001; voir les exemples dans la section Taille et tendances des populations), phénomène qui contribue au fait que la sous-espèce est actuellement confinée à des eaux d’amont isolées en haute altitude dans cette province. La Colombie-Britannique semble épargnée par ce phénomène, mais il demeure possible dans certains systèmes.

Enfin, quelques espèces autres que des salmonidés ont été introduites par des moyens autorisés et non autorisés dans les deux provinces. Le doré jaune (Stizostedion vitreum), l’achigan à petite bouche (Micropterus dolomieui), l’achigan à grande bouche (M. salmoides), la perchaude (Perca flavens) et le grand brochet (Esox lucius) ont été observés dans quelques systèmes à l’intérieur de l’aire de répartition historique de la truite fardée versant de l’ouest (Pollard, comm. pers.). Toutes ces espèces sont prédatrices et la plupart ont participé au déclin des salmonidés dans les eaux continentales des États-Unis (Fuller et al., 1999).

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