Examen de la LEP Étude de cas du Pluvier siffleur de la sous-espèce circumcinctus

La présente étude de cas constitue un bref aperçu des défis que pose la désignation de l’habitat essentiel en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Elle prend comme exemple le Pluvier siffleur (Charadrius melodus circumcinctus) et porte particulièrement sur les questions concernant l’étendue et les critères, la charge de travail et les échéanciers, la nécessité de déterminer des emplacements géographiques précis pour l’habitat essentiel, les consultations et les calendriers.

Le Pluvier siffleur est un petit oiseau de rivage migrateur qui se fond dans son environnement et que l’on trouve sur les rives clairsemées sablonneuses ou de gravier où il niche et élève ses petits. La sous-espèce circumcinctus se reproduit sur les rives des milieux humides aux eaux douces et alcalines, et son aire de reproduction au Canada s’étend du centre de l’Alberta jusqu’au sud de la Saskatchewan et couvre également, le sud du Manitoba, le lac des Bois (portion ontarienne) et le lac Huron dans le sud de l’Ontario.

Le Pluvier siffleur a été désigné menacé par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), en avril 1978, et par la suite, il a été la première espèce au Canada pour laquelle le statut fut porté au niveau d’espèce en voie de disparition en 1985. L’espèce a été réévaluée par le COSEPAC en 2001 en deux unités : la sous-espèce circumcinctus et la sous-espèce melodus. Ces deux sous-espèces ont été désignées en voie de disparition et ajoutées à la liste de l’annexe 1 qui comportait 233 espèces au moment où la Loi sur les espèces en péril (LEP) a été promulguée.

Pour chacune des espèces sauvages inscrites sur la liste de la LEP dont le rétablissement est considéré comme réalisable par le ministre compétent, l’article 41 (1) (c) de la Loirequiert que l’habitat essentiel soit identifié dans le cadre d’un programme de rétablissement, dans la mesure du possible et selon la meilleure information existante, y compris selon les renseignements fournis par le COSEPAC. Ce programme de rétablissement comprendra aussi des exemples d’activités qui pourraient engendrer la destruction de l’habitat essentiel.

En vertu de la LEP, l’habitat essentiel est défini comme « l’habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d’une espèce sauvage inscrite, qui est désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d’action élaboré à l’égard de l’espèce. » Cette définition générale doit être examinée espèce par espèce pour connaître quelles sont les caractéristiques de l’habitat nécessaires à chaque espèce et l’emplacement de cet habitat. L’habitat est une aire possédant des caractéristiques physiques et biologiques uniques et qui fournit les éléments nécessaires au soutien des principales fonctions d’une espèce, comme l’abri, la reproduction, la production d’aliments ou les déplacements durant le cycle de vie. La désignation de l’habitat essentiel vise à assurer que les activités humaines sont gérées de façon à ce que soient maintenus les attributs fonctionnels de l’habitat nécessaires à la survie ou au rétablissement de l’espèce.

Les dispositions de la LEP sur la désignation et la protection de l’habitat essentiel ont ajouté d’importantes nouvelles responsabilités fédérales relativement à la gestion des espèces en péril. Celles-ci comportent le pouvoir d’interdire la destruction de l’habitat essentiel sur le territoire domanial et les autres terres (voir les « filets de sécurité » de la LEP pour l’habitat essentiel, article 61). En vertu de la LEP, le ministre doit s’assurer que les lois provinciales et territoriales protègent l’habitat essentiel des espèces en voie de disparition ou menacées de la liste lorsqu’il est situé dans une province ou un territoire en dehors des terres fédérales.. Les dispositions sur l’habitat essentiel comportent des conséquences possibles pour les communautés autochtones, les propriétaires fonciers, les locataires et d’autres secteurs de la société canadienne, comme l’industrie.

Conformément à l’article 39, le programme de rétablissement doit être élaboré en faisant appel à la collaboration et aux consultations. Le ministre compétent doit, dans la mesure du possible, collaborer et consulter diverses personnes, propriétaires fonciers, conseils de gestion des ressources fauniques, organisations autochtones, les gouvernements provinciaux et territoriaux concernés et d’autres ministres fédéraux ou toute autre personne ou organisation que le ministre compétent considère comme appropriée lors de l’élaboration d’un programme de rétablissement, y compris la désignation de l’habitat essentiel. Dans le cadre de ces dispositions, les parties doivent être informées des conséquences liées à la désignation de l’habitat essentiel en vertu de la LEP.

Les propriétaires fonciers, les locataires et les gestionnaires des terres souhaitent savoir, d’abord et avant tout, de quelle façon ils seront touchés par les programmes de rétablissement élaborés en vertu de la LEP. Ce qui peut avoir le plus d’impact sur ces intervenants est la désignation de l’habitat essentiel à des fins de protection, possiblement par le truchement d’une interdiction en vertu de la LEP; la désignation et la protection de l’habitat essentiel peuvent influer sur l’utilisation des terres et sur les moyens de subsistance des personnes. Cette question revêt de l’importance dans de nombreuses régions du Canada où une grande partie de l’habitat essentiel des espèces en péril est située sur des propriétés privées ou des propriétés entretenues par des particuliers. La désignation de l’habitat essentiel peut créer une certaine anxiété chez les propriétaires fonciers et les utilisateurs des terres en raison de l’incertitude entourant la façon dont la désignation limitera les activités sur les terres.

L’habitat du Pluvier siffleur est relativement particulier, du fait qu’il se limite aux rives des eaux douces et alcalines et aux barres de sable des cours d’eau. À l’aide de relevés menés dans les provinces des Prairies, on a pu déterminer l’emplacement précis des milieux humides utilisés par le Pluvier siffleur. Pour déterminer et citer l’emplacement physique de l’habitat essentiel particulier du Pluvier siffleur, il est nécessaire de connaître les exigences liées à l’habitat de cette espèce ainsi que l’emplacement précis du site selon les cartes ou les sources géoréférencées. À l’aide de ces renseignements, il a été possible d’élaborer un cadre visant à définir, à décrire et à situer l’habitat essentiel de cette espèce.

Tout emplacement où le Pluvier siffleur de la sous-espèce circumcinctus a été observé ne constitue pas nécessairement son habitat essentiel. La diversité des conditions environnementales peut modifier d’une année à l’autre la disponibilité et l’utilisation de l’habitat essentiel. C’est pourquoi un ensemble de critères pour déterminer les aires nécessaires à la survie et au rétablissement de cette sous-espèce devait être créé. Ces critères devaient servir à déterminer les aires où les oiseaux habitaient en nombre suffisant au cours d’un nombre satisfaisant d’années. L’élaboration de ces critères a permis de désigner de façon défendable et transparente l’habitat essentiel. Pour circonscrire les milieux humides où se trouvait probablement l’habitat essentiel, il a été nécessaire d’établir des critères particuliers sur le plan du nombre de Pluviers siffleurs observés dans le cadre des relevés, un nombre minimal de relevés, le calendrier de ces relevés ainsi qu’une période de temps au cours de laquelle effectuer l’évaluation de l’état du site. Une fois que les milieux humides ont été identifiés, l’habitat essentiel a alors été désigné par quart de section, selon le nombre d’adultes ou de nids observés au cours d’une période de temps définie.

Au moment où le programme de rétablissement initial a été publié, Environnement Canada possédait peu des données nécessaires pour désigner l’habitat essentiel. Divers organismes gouvernementaux provinciaux et organismes non gouvernementaux environnementaux possédaient des renseignements sur le Pluvier siffleur. Toutefois, ces données étaient présentées en divers formats, et certains renseignements importants n’existaient qu’en format de cartes sur papier. Ces ensembles de données ont dû être obtenus de diverses sources, et les données ont été normalisées et numérisées pour permettre les analyses visant à déterminer les aires satisfaisant aux critèresNote de bas de page1 établis pour définir l’habitat essentiel de l’espèce.

La prise en compte préliminaire de la situation du Pluvier siffleur de la sous-espèce circumcinctus orchestrée par l’équipe de rétablissement l’a amené à désigner des bassins entiers (surtout des lacs). Après mûre réflexion, il a été conclu que la désignation des bassins ne fournissait pas assez de détails sur les emplacements de l’habitat essentiel, de grandes parties de nombreux bassins étant des habitats inadéquats pour le Pluvier siffleur. Cette incapacité à désigner précisément l’habitat essentiel a rendu difficile le respect des exigences de la LEP en matière de consultation puisqu’il était impossible de déterminer les propriétaires fonciers et les gestionnaires des terres concernés. De plus, la désignation générique de bassins entiers ne se prêtait pas aux analyses subséquentes requises visant à établir si l’habitat essentiel était protégé ou non.

Dans le but de préciser davantage la désignation de l’habitat essentiel, l’équipe de rétablissement a adopté une approche hiérarchique. Au départ, un ensemble général de « critères de bassin » a été appliqué pour déterminer quels bassins au sein de l’aire de répartition du Pluvier siffleur de la sous-espèce circumcinctus étaient susceptibles de renfermer un habitat essentiel. Un deuxième critère, le « critère du quart de section » a alors été utilisé pour déterminer précisément quelles parties des rives de chaque bassin constituaient un habitat essentiel. Les quarts de section ont été choisis comme base à la détermination des emplacements de l’habitat essentiel, à l’aide de critères sur l’occurrence et le cadre temporel puisque les terres rurales dans l’ouest du Canada sont en règle générale possédées et gérées selon la méthode des quarts de section et que la propriété des terres peut facilement faire l’objet d’un suivi à ce niveau.

Le 6 novembre 2006, le programme définitif de rétablissement a été publié dans le registre de la LEP. Dans les circonstances, Environnement Canada considérait que l’habitat essentiel de l’espèce ne pouvait pas être désigné. Le programme de rétablissement indiquait que bien que plusieurs caractéristiques et critères avaient été décrits pour aider à désigner l’habitat essentiel, il n’y avait pas suffisamment de connaissances sur des sites précis satisfaisant à ces critères. Le programme de rétablissement prévoyait que la désignation de sites d’habitats essentiels se ferait dans des plans d’action subséquents.

Le 4 décembre 2006, le Sierra Legal Defence Fund a déposé une demande d’examen judiciaire au nom de plusieurs organismes non gouvernementaux de l’environnement, dont Nature Canada et la Fondation David Suzuki. La demande alléguait que le programme de rétablissement ne respectait pas les exigences de la LEP parce qu’il ne parvenait pas à désigner l’habitat essentiel du Pluvier siffleur – même si la LEP spécifie que la désignation doit être faite « dans la mesure du possible ».

Le 16 mars 2007, Environnement Canada a publié un addenda à son programme de rétablissement qui modifiait le programme en désignant certains habitats essentiels pour le Pluvier siffleur et en expliquant clairement quelle information était en suspens et pourquoi.

Le 7 août 2007, la demande d’examen judiciaire a été rejetée par le tribunal parce que les demandeurs n’avaient pas répondu à un Avis d’examen de l’état de l’instance.

Le cas du Pluvier siffleur illustre les défis qui peuvent se présenter lorsqu’il s’agit de respecter l’échéancier d’affichage des programmes de rétablissement proposés ainsi que les exigences en matière de collaboration et de consultation définis à l’article 39. Ces défis comprennent l’élaboration de critères pertinents pour désigner spatialement l’habitat essentiel, rassembler et trier les données afin de déterminer les unités qui respectent les critères définis, collaborer avec diverses compétences, déterminer la propriété foncière et les personnes-ressources, communiquer avec les propriétaires fonciers et organiser et tenir des réunions de consultation. Dans le cas du Pluvier siffleur de la sous-espèce circumcinctus, le programme de rétablissement a été affiché dans les délais prescrits sans que l’habitat essentiel n’ait été désigné puisqu’il était impossible de relever ces défis tout en respectant l’échéancier.

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