Bec-croisé des sapins, sous-espèce percna (Loxia curvirostra) programme de rétablissement : chapitre 3

MENACES

2.1 Classification des menaces

La section 1.4 décrit brièvement les menaces actuelles ou potentielles qui pèsent sur la sous-espèce percna. L'analyse et l'investigation empirique sont nécessaires pour améliorer notre compréhension des menaces. Un tableau de classification des menaces (annexe 1) a été préparé afin de préciser et de prioriser les exigences en matière de recherche. Ce tableau classe les menaces par grandes catégories. Pour chaque menace spécifique, l’information suivante est présentée : le niveau de certitude causale (c.-à-d. le niveau de certitude quant à l’impact actuel ou futur de la menace sur la sous-espèce percna), l'occurrence, la fréquence, l’étendue, la sévérité et le niveau de préoccupation. Ce tableau a servi à classer par ordre de priorité les exigences de recherche. Les catégories utilisées dans ce tableau sont présentées à l’annexe 1.1.

2.2 Exposé des menaces

Cette section met l'accent sur les questions les plus importantes pour la recherche destinée à clarifier les menaces dans le but de déterminer si les menaces potentielles ont un impact sur la sous-espèce percna et, le cas échéant, de quelle façon.  

2.2.1 Relations interspécifiques potentielles

Parchman et Benkman (2002) ont élaboré une théorie selon laquelle la coévolution serait un facteur clé dans le déclin du Bec-croisé des sapins à Terre-Neuve. Les populations d’épinettes noires du continent ont évolué en subissant la prédation à la fois des écureuils roux (Tamiasciurus hudsonicus) et des Becs-croisés des sapins (conjointement avec une variété d’autres consommateurs de graines). Inversément, l’écureuil roux a été absent de l’île de Terre-Neuve jusqu’à il y a 40 ans, les populations d’épinettes noires de Terre-Neuve ont donc évolué en subissant presque exclusivement la prédation des roselins dépendant des cônes. Parchman et Benkman (2002) vont plus loin et suggèrent que l’absence des écureuils sur l’île a fait en sorte que les écailles des cônes des épinettes y sont plus minces que sur le continent. Après son introduction sur l’île, l’écureuil roux est devenu un concurrent capable de surclasser le Bec-croisé des sapins pour l’obtention de nourriture (Parchman et Benkman, 2002). Benkman (1989) suggère également que le Bec-croisé des sapins était plus vulnérable à cette concurrence que le Bec-croisé bifascié parce qu’il est plus sédentaire. Benkman (1993a, 1993c) et Parchman et Benkman (2002) font également valoir que la sous-espèce percna est spécialisée pour se nourrir des cônes d’épinettes noires, lesquels sont maintenant également ciblés par les écureuils à Terre-Neuve. Des études plus approfondies sont cependant requises pour confirmer les hypothèses de Benkman et ses collègues. En Europe, Summers et Proctor (1998) ont identifié des préférences différentes entre les écureuils roux et les becs-croisés dans les forêts indigènes de pins sylvestre (Pinus sylvestris), ces différences réduisent probablement la concurrence entre les écureuils roux et les becs-croisés. On ignore si les roselins qui se nourrissent des graines de conifères et/ou si les Mésangeais du Canada (Perisoreus canadensis), qui sont des prédateurs potentiels des nids (Adkisson, 1996), peuvent entraîner des niveaux nuisibles de concurrence interspécifique. Il n'existe aucune preuve que d’autres populations d’oiseaux se nourrissant de graines de conifères à Terre-Neuve aient pu subir des déclins similaires.

Les lacunes dans les connaissances concernant la concurrence interspécifique seront comblées lorsque les associations à l'habitat du Bec-croisé des sapins auront été identifiées et lorsque les spécialistes comprendront mieux la dépendance des becs-croisés à l'égard de différentes sources de nourriture, de même que l’étendue et la qualité de l’habitat qui fournit ces sources de nourriture. Le rôle de la concurrence interspécifique dans le déclin de la sous-espèce percna sera évalué par les programmes présentés dans les plans d’action à venir. 

2.2.2 Déclin, altération ou dégradation potentiels de l’habitat par des facteurs naturels et anthropiques

Les rôles que la perte ou la dégradation de l'habitat reliée à des perturbations d'origine naturelle (incendies, insectes, maladies des arbres) et anthropiques (coupes d’arbres, expansion urbaine et agricole, suppression des incendies) pourrait avoir joués dans les déclins de la sous-espèce percna et leurs rôles possibles comme éléments nuisibles au rétablissement sont pour l’instant inconnus. Pour faire une évaluation adéquate, il faudra recueillir de l’information sur l’habitat important de même que sur l’utilisation saisonnière de cet habitat (section 1.5).

Les incendies, les infestations d’insectes et les maladies des arbres modifient peut-être la quantité et la qualité de l’habitat et l'abondance de la nourriture du Bec-croisé des sapins. On estime que ces trois perturbations naturelles affectent sévèrement les populations à l'échelle locale et/ou de façon plus généralisée (annexe 1).Les incendies sont une caractéristique naturelle de l’écosystème de la forêt boréale et peuvent détruire d’un seul coup de vastes étendues boisées, réduisant ainsi l’habitat et la disponibilité des cônes. Les forêts ainsi rasées prennent plusieurs années à se régénérer. De plus, le processus de régénération peut donner lieu à une mosaïque d’habitats qui diffèrent des habitats précédents. À Terre-Neuve, les incendies de forêt favorisent la régénération des épinettes noires (COSEPAC, 2004). Les activités de suppression des incendies entravent la régénération naturelle de l’épinette noire de même que celle du pin rouge (Fowells, 1965).Les insectes peuvent également avoir une incidence sur la sous-espèce percna de plusieurs façons. Ils peuvent tuer les arbres et priver ainsi les becs-croisés à la fois de leur nourriture et de leur habitat. Les insectes qui tuent les arbres ont le potentiel d'avoir un plus grand impact sur les becs-croisés et ce, pendant une plus longue période, que ceux qui ne tuent pas directement les arbres. Les insectes qui se nourrissent des fleurs ou des graines des conifères peuvent également représenter une menace pour les becs-croisés parce qu’ils réduisent la quantité de nourriture disponible (B. English, comm. pers., 2005). Plus particulièrement, la tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana) se nourrit au printemps des bourgeons de fleurs des conifères. Une étude menée par le Service canadien des forêts à Terre-Neuve lors de la dernière explosion majeure de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (dans les années 1970) a montré qu’aucune graine n’avait été produite, et ce, même dans les secteurs de défoliation légère. D’autres insectes se nourrissant de cônes représentent également une menace pour la sous-espèce percna, mais leur présence est généralement limitée (B. English, comm. pers., 2005).

Les peuplements de pins rouges et de pins blancs peuvent avoir été d’importants habitats pour les Becs-croisés des sapins à Terre-Neuve, mais ces deux espèces d'arbre sont actuellement touchées par des maladies fongiques introduites. Les pins blancs sont affectés par la rouille vésiculeuse (Cronartium ribicola) et les pins rouges par le chancre scléroderrien (Gremmeniella abietina) (COSEPAC, 2004)). Le pin blanc, en particulier, a connu un déclin précipité à Terre-Neuve, tandis que le pin rouge connaît depuis des milliers d’années un déclin lent mais régulier (B. English, comm. pers., 2005). Les dommages causés par les insectes et les champignons entraînent la perte d’un plus grand nombre d’arbres que les coupes ou les incendies(COSEPAC, 2004).

Les impacts de l’exploitation forestière sur la sous-espèce percna sont incertains. À Terre-Neuve, les âges d’exploitabilité des peuplements de conifères ont été abaissés (Thompson et al., 1999, 2003). Bien que l’étendue de la forêt de fin de succession (81 ans et plus) ait été quelque peu réduite, la disponibilité générale des peuplements d’arbres en âge de porter des cônes (c.-à-d. 40 ans et plus) demeure assez grande sur l’île. Environ 58 % des conifères productifs de l’île (1,6 million d’hectares) sont de la classe d’âge 3 ou d’une classe supérieure (c.-à-d. 40 ans et plus; voir l’annexe 2), et la politique de gestion des ressources forestières de la province (Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, 2003) a fixé un objectif selon lequel la classe d’âge 5 et les classes supérieures (c.-à-d. 81 ans et plus) doivent représenter au moins 15 % du couvert forestier. De plus, l’âge minimum typique de récolte étant de 65 ans (et le plus souvent de 81 ans et plus), les peuplements d’arbres en âge de produire des cônes seraient disponibles pour une période d'au moins 30 ans, et le plus souvent de 50 ans, après la récolte et la régénération.

Sur le plan de la qualité de l’habitat, on estime que la fragmentation a des conséquences négatives sur les becs-croisés (Helle, 1985). Bien que les pratiques forestières tendent en général à créer un paysage fragmenté, on ne sait pas précisément si cette menace est significative pour la sous-espèce percna, puisque la forêt terre-neuvienne est naturellement morceléee. À l’heure actuelle, le pin rouge et le pin blanc existent en faibles densités dans des emplacements dispersés à travers l'île avec par endroit d'importantes concentrations. Le déclin marqué du pin blanc et le déclin à plus long terme du pin rouge (B. English, comm. pers., 2005) pourraient indiquer un changement dans la composition de la nourriture disponible et une baisse de la qualité de l’habitat. Il est possible que le déclin à long terme du pin rouge et le déclin plus récent du pin blanc, attribuable à une maladie introduite et aux coupes d’arbres qui ont eu lieu au 19e siècle et au début du 20e siècle, en combinaison avec d’autres menaces, soient responsables du déclin de la sous-espèce percna. Le déclin du Bec-croisé des sapins a été associé au déclin de ces deux espèces de pins dans le nord-est de l’Amérique du Nord continentale (Dickerman, 1987; Erskine, 1992).

2.2.3 Effet d'Allee potentiel et effets cumulatifs potentiels

Les estimations actuelles suggèrent que la population de la sous-espèce percna de Terre-Neuve est petite (500 à 1 500 individus; COSEPAC, 2004). Lorsqu’il y a une relation positive entre la densité de la population et le taux de croissance par individu, la croissance démographique ralentit lorsque les densités sont faibles(Courchamp et al., 1999). Bien que cette relation n’ait pas été confirmée pour la sous-espèce percna, la petite taille de la population et le comportement du Bec-croisé des sapins, plus particulièrement en ce qui a trait à l’alimentation, laissent penser que l’effet d'Allee devra être considéré comme un facteur limitatif potentiel. Les Becs-croisés des sapins cherchent souvent la nourriture en groupes, et Smith et al. (1999) ont trouvé des indices suggérant que la capacité à trouver de la nourriture des Becs-Croisés des sapins dépendrait de la circulation de l’information entre les membres d’un groupe. Lors de cette étude, la variance dans le nombre de cônes échantillonnés et le temps passé sur des parcelles vides (ne contenant pas de graines) diminuait lorsque les becs-croisés cherchaient de la nourriture avec deux membres du groupe comparativement à lorsqu’ils étaient seuls (Smith et al., 1999). Par conséquent, si les populations de la sous-espèce percna diminuent au point d’inhiber le comportement efficace de recherche de nourriture, le taux de survie pourraît être davantage réduit. Il est approprié d'étudier la question des impacts cumulatifs de toutes les menaces potentielles sur le rétablissement du Bec-Croisé des pins. Une compréhension plus complète de ces menaces est essentielle pour déterminer la façon d'aborder les efforts de rétablissement et les exigences en matière de recherche.

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