Programme de rétablissement du carcajou (Gulo gulo), population de l'Est, au Canada - 2016

Carcajou, population de l'Est

Photo : Carcajou

2016


Programme de rétablissement du carcajou (Gulo gulo), Population de l'Est, au Canada - 2016

Couverture de la publication

Référence recommandée :

Environnement Canada. 2016. Programme de rétablissement du carcajou (Gulo gulo), population de l'Est, au Canada, Série de Programmes de rétablissement de la Loi sur les espèces en péril, Environnement Canada, Ottawa, viii + 27 p.

Pour télécharger le présent programme de rétablissement ou pour obtenir un complément d'information sur les espèces en péril, incluant les rapports de situation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), les descriptions de la résidence, les plans d'action et d'autres documents connexes sur le rétablissement, veuillez consulter le Registre public des espèces en péril

Photographie de la couverture : © Zoo de Saint-Félicien

Also available in English under the title
"Recovery Strategy for the Wolverine (Gulo gulo), Eastern population, in Canada"

Le contenu du présent document (à l'exception des illustrations) peut être utilisé sans autorisation, mais en prenant soin d'indiquer la source.


En vertu de l'Accord pour la protection des espèces en péril (1996), les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux signataires ont convenu d'établir une législation et des programmes complémentaires qui assureront la protection efficace des espèces en péril partout au Canada. En vertu de la Loi sur les espèces en péril (L.C. 2002, ch. 29) (LEP), les ministres fédéraux compétents sont responsables de l'élaboration des programmes de rétablissement pour les espèces inscrites comme étant disparues du pays, en voie de disparition ou menacées et sont tenus de rendre compte des progrès réalisés dans les cinq ans suivant la publication du document final dans le Registre public de la LEP.

La ministre de l'Environnement est la ministre compétente en vertu de la LEP du carcajou, population de l'Est, et a élaboré le présent programme, conformément à l'article 37 de la LEP. Dans la mesure du possible, le programme de rétablissement a été élaboré en collaboration avec les gouvernements du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi que des communautés autochtones du Nord incluant le Conseil de cogestion de la faune et de la flore des monts Torngat au Labrador.

La réussite du rétablissement de l'espèce dépendra de l'engagement et de la collaboration d'un grand nombre de parties concernées qui participeront à la mise en œuvre des directives formulées dans le présent programme. Cette réussite ne pourra reposer seulement sur Environnement Canada, ou sur toute autre compétence. Tous les Canadiens et les Canadiennes sont invités à appuyer ce programme et à contribuer à sa mise en œuvre pour le bien du carcajou, population de l'Est, et de l'ensemble de la société canadienne.

Le présent programme de rétablissement sera suivi d'un ou de plusieurs plans d'action qui présenteront de l'information sur les mesures de rétablissement qui doivent être prises par Environnement Canada et d'autres compétences et/ou organisations participant à la conservation de l'espèce. La mise en œuvre du présent programme est assujettie aux crédits, aux priorités et aux contraintes budgétaires des compétences et organisations participantes.

Le programme de rétablissement établit l'orientation stratégique visant à arrêter ou à renverser le déclin de l'espèce, incluant la désignation de l'habitat essentiel dans la mesure du possible. Il fournit à la population canadienne de l'information pour aider à la prise de mesures visant la conservation de l'espèce. Lorsqu'un programme de rétablissement désigne de l'habitat essentiel, il peut y avoir des incidences réglementaires futures, selon l'endroit où se trouve l'habitat essentiel désigné. La LEP exige que l'habitat essentiel désigné se trouvant à l'intérieur d'aires protégées fédérales soit décrit dans la Gazette du Canada, après quoi les interdictions relatives à la destruction de cet habitat seront appliquées. En ce qui concerne l'habitat essentiel situé sur le territoire domanial à l'extérieur des aires protégées fédérales, la ministre de l'Environnement doit présenter un énoncé sur la protection juridique existante ou prendre un arrêté de manière à ce que les interdictions relatives à la destruction de l'habitat essentiel soient appliquées. En ce qui concerne l'habitat essentiel se trouvant sur le territoire non domanial, si la ministre de l'Environnement estime qu'une partie de l'habitat essentiel n'est pas protégée par les dispositions de la LEP, par les mesures prises aux termes de cette dernière ou par toute autre loi fédérale, et que cette partie de l'habitat essentiel n'est pas protégée efficacement par les lois provinciales ou territoriales, elle doit, comme le prévoit la LEP, recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret visant à étendre l'interdiction de détruire à cette partie de l'habitat essentiel. La décision de protéger l'habitat essentiel se trouvant sur le territoire non domanial et n'étant pas autrement protégé demeure à la discrétion du gouverneur en conseil.

Alain Branchaud et Vincent Carignan (Environnement Canada, Service canadien de la faune [SCF – EC], Région du Québec) ont élaboré le présent programme de rétablissement d'après une ébauche préparée par Serge Larivière (professeur affilié, Université du Québec à Rimouski). Le document a aussi bénéficié des commentaires des membres de l'Équipe de rétablissement du carcajou, population de l'Est : Alain Branchaud, Isabelle Thibault, Daniel Banville et Michel Huot (ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec), Emily Herdman (Department of Environment and Conservation de Terre-Neuve-et-Labrador) et Peter Thomas (SCF - EC, Région de l'Atlantique). D'anciens membres de l'équipe ont également commenté des versions préliminaires du document : Louis Lesage (SCF – EC, Région du Québec), Andrew Boyne et Keith Chaulk (SCF – EC, Région de l'Atlantique), Joe Brazil et Isabelle Schmelzer (Department of Environment and Conservation de Terre-Neuve-et-Labrador) et Denise Geoffroy (Naskapi Development Corporation).

Des remerciements sont aussi adressés aux personnes suivantes : Caroline Bureau, Karine Picard, Matthew Wild (SCF – EC, Région du Québec), Marjorie Mercure (anciennement du SCF – EC, Région du Québec) et Manon Dubé (SCF – EC, Région de la capitale nationale); Clément Fortin (Carcajou Québec), Audrey Magoun et Patrick Valkenburg (Alaska), Serge Couturier, Pierre Canac-Marquis et Pierre-Yves Collin (ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec), Denis Lapointe (Secrétariat des affaires autochtones, Québec), Rick Cuciurean, Fred Tomatuk et Paul Coon-Come (Cree Trappers Association), John Mameamskum (Nation Naskapi de Kawawachikamach), Marc Gauthier (WSP), Neil Dawson et Lyle R. Walton (ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l'Ontario), Christopher Kyle (Trent University), Bob McQuay (North American Fur Auctions), Claude Grenier (Grenier Fourrures), Kenny Loon (Mistissini), Richard Petagumskum (Whapmagostui), Clayton Jolly (Waskaganish), le Natural Resources and Wildlife Department de la bande Kitigan Zibi Anishinabeg en collaboration avec Joanna Zigouris, le Comité conjoint de chasse, de pêche et de piégage, la nation Huronne-Wendat, Maxime Lavoie et Aurélie Renard.

Le carcajou (Gulo gulo) est un mammifère de la famille des Mustélidés que l'on trouve principalement en Eurasie et dans le nord de l'Amérique du Nord. Au Canada, deux populations distinctes étaient reconnues jusqu'à récemment, soit les populations de l'Ouest et de l'Est. Cette dernière, présente au Québec et au Labrador, a été désignée en voie de disparition par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) en 2003, et inscrite comme telle à l'annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (LEP) en 2005. Malgré la récente réévaluation de l'espèce comme espèce préoccupante (COSEPAC, 2014), le présent programme de rétablissement a été élaboré selon le statut légal actuel de la population de l'Est, tel qu'il figure actuellement dans l'annexe 1 de la LEP, c.-à-d. en voie disparitionNote1.

La dernière capture confirmée d'un carcajou de la population de l'Est a eu lieu en 1978, mais on signale régulièrement des observations non confirmées d'individus et de pistes.

L'incertitude relative à la persistance de la population de l'Est ou, au mieux, la présence d'un nombre extrêmement faible d'individus, ainsi que la perception négative de l'espèce chez certaines communautés autochtones du Nord, constituent des obstacles considérables à son rétablissement. Par conséquent, chacune des menaces suivantes peut avoir des effets profonds sur la survie de l'espèce : l'aménagement du territoire, la variation des populations de proies, la prise accessoire, l'abattage opportuniste, les changements climatiques, la capture pour le commerce de la fourrure, le contrôle des populations de loups et la mortalité sur les routes et voies ferrées.

Le caractère réalisable du rétablissement du carcajou, population de l'Est, comporte certaines inconnues. Conformément au principe de précaution, un programme de rétablissement a été préparé en vertu du paragraphe 41(1) de la LEP, comme il convient de faire lorsque le rétablissement est jugé réalisable.

Les objectifs en matière de population et de répartition à court terme consistent à déterminer si des carcajous de la population de l'Est sont encore présents au Québec et au Labrador, ainsi qu'à établir à quel degré, le cas échéant, une immigration d'individus de la population de l'Ouest en dispersion depuis l'Ontario pourrait appuyer le rétablissement de l'espèce. Les objectifs à long terme devraient viser l'établissement naturel de populations de carcajous autosuffisantesNote2, et la réduction au minimum des interactions avec les activités de piégeage ciblant d'autres espèces. Pour atteindre ces objectifs, il importe de poursuivre le dialogue avec les communautés autochtones et les autres collectivités du Nord afin d'établir et mettre en œuvre une approche scientifiquement bien fondée et jugée socialement acceptable par les parties concernées. Des stratégies générales permettant d'atténuer les menaces pesant sur la survie et le rétablissement de l'espèce sont présentées dans la section « Orientation stratégique pour le rétablissement ».

L'habitat essentiel du carcajou, population de l'Est, n'est pas désigné dans la présente version du programme de rétablissement. D'autres inventaires sont nécessaires pour déterminer si l'espèce persiste au Québec et au Labrador, tout comme des études sur les besoins en matière d'habitat de la population de l'Est. Un calendrier des études a été proposé à cet effet.

Un ou plusieurs plans d'action pour le carcajou, population de l'Est, seront publiés dans le Registre public des espèces en péril avant la fin de 2021.

D'après les quatre critères suivants qu'Environnement et Changement climatique Canada utilise pour définir le caractère réalisable du rétablissement, le rétablissement du carcajou, population de l'Est comporte des inconnues. Conformément au principe de précaution, un programme de rétablissement a été élaboré en vertu du paragraphe 41(1) de la LEP, tel qu'il convient de faire lorsque le rétablissement est déterminé comme étant réalisable. Le présent programme de rétablissement traite des inconnues entourant le caractère réalisable du rétablissement.

  1. Des individus de l'espèce sauvage capables de se reproduire sont disponibles maintenant ou le seront dans un avenir prévisible pour maintenir la population ou augmenter son abondance.

    Inconnu. Même si la persistance des individus de la population de l'Est est incertaine au Québec et au Labrador, une immigration de source externeNote3 en provenance de la population de l'Ouest, depuis le nord-ouest de l'Ontario, pourrait contribuer au rétablissement naturel de l'espèce. Si le rétablissement de la population de l'Est dépend d'une telle expansion, il pourrait s'écouler des décennies avant que des populations autosuffisantes soient établies au Québec et au Labrador.
  2. De l'habitat convenable suffisant est disponible pour soutenir l'espèce, ou pourrait être rendu disponible par des activités de gestion ou de remise en état de l'habitat.

    Oui. De grands espaces naturels peu perturbés existent encore dans le nord du Québec ainsi qu'au Labrador, et suffiraient probablement aux individus reproducteurs restants (le cas échéant). La disponibilité de ressources alimentaires adéquates (p. ex. caribous) est vraisemblablement suffisante dans le nord du Québec et au Labrador, mais la répartition spatiale de ces ressources pourrait poser problème à diverses périodes clés du cycle biologique du carcajou. Il importe de noter que si le rétablissement de la population de l'Est dépend d'une immigration en provenance de la population de l'Ouest, la question de la disponibilité d'habitat de dispersion convenable entre les deux populations pourrait faire problème. Les paysages terrestres dans la région concernée sont fragmentés par un nombre croissant de routes et de lignes de transport d'énergie, de villages et d'autres formes d'aménagement du territoire (foresterie, aménagement hydroélectrique, mines, lignes de trappes, etc.).
  3. Les principales menaces pesant sur l'espèce ou son habitat (y compris les menaces à l'extérieur du Canada) peuvent être évitées ou atténuées.

    Inconnu. Il est possible d'atténuer bon nombre des menaces qui pèsent sur l'espèce, particulièrement celles qui sont liées à l'abattage, par la poursuite du dialogue avec les communautés autochtones et les autres collectivités du Nord, ce qui comprend des activités d'intendance ciblées. Il importe de reconnaître que ces efforts ne seront efficaces que s'ils sont maintenus à long terme. L'immensité du territoire concerné et les répercussions cumulatives des menaces historiques et actuelles, y compris les changements climatiques, à quoi s'ajoute la très faible densité de l'espèce, constitueront un obstacle considérable au rétablissement.
  4. Des techniques de rétablissement existent pour atteindre les objectifs en matière de population et de répartition ou leur élaboration peut être prévue dans un délai raisonnable.

    Oui. Bien que les besoins précis en matière d'habitat des carcajous de la population de l'Est doivent être clarifiés, il est possible de tirer profit de l'information provenant d'études sur les individus de la population de l'Ouest, tout en respectant le principe de précaution, pour orienter les activités de gestion de l'habitat. Les discussions relatives au moment et aux modalités de mise en œuvre de diverses mesures de rétablissement scientifiquement bien fondées et jugées socialement acceptables par les parties concernées devront se poursuivre de façon régulière au cours des prochaines années.

Date de l'évaluation : Mai 2003

Nom commun (population) : Carcajou (population de l'Est)

Nom scientifique : Gulo gulo

Statut selon le COSEPAC : Espèce en voie de disparition

Justification de la désignation : Il n'y a aucune observation vérifiée de cette espèce au Québec ou au Labrador depuis environ 25 ans, mais il y a des observations non confirmées presque chaque année. Toute population restante serait extrêmement petite et donc en danger élevé de disparition à cause de phénomènes stochastiques tels que les prises accessoires. L'absence apparente de rétablissement, malgré une grande abondance récente de caribous à l'échelle locale, indique que cette population pourrait avoir disparu du Canada.

Présence au Canada : Québec, Terre-Neuve-et-Labrador

Historique du statut selon le COSEPAC : L'espèce a été considérée comme une unité et a été désignée « préoccupante » en avril 1982. Division en deux populations en avril 1989 (population de l'Est et population de l'Ouest). La population de l'Est a été désignée « en voie de disparition » en avril 1989 et en mai 2003.

Malgré la récente réévaluation du statut de l'espèce comme étant préoccupante (COSEPAC, 2014), le présent programme de rétablissement a été élaboré en fonction du statut légal actuel de la population de l'Est figurant à l'annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (LEP) (L.C. 2002, ch. 29) depuis 2005, soit celui d'espèce en voie de disparitionNote4.

La population mondiale du carcajou est inconnue, mais il est estimé qu'au moins 35 % de cette population vivrait au Canada (COSEPAC, 2003; Abramov et al., 2009). Il est peu probable que la population de l'Est représente une proportion importante de la population canadienne totale. Au Québec, l'espèce a été désignée comme étant menacée en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV; L.R.Q., c. E-12.01) en 2000. À Terre-Neuve-et-Labrador, elle a été inscrite comme espèce en voie de disparition (endangered) en vertu de l'Endangered Species Act (S.N.L. 2004, c. L-3.1, c. 36) en 2002.

NatureServe (2012) n'a pas attribué de cotes de conservation au carcajou, population de l'Est. La cote de conservation mondiale attribuée à l'espèce (toutes populations confondues) est cependant G4 (apparemment non en péril). À l'échelle nationale (au Canada), ainsi qu'à l'échelle du Québec et du Labrador, la population de l'Est est considérée gravement en péril (S1).

Le carcajou est le plus gros représentant terrestre de la famille des Mustélidés (Carnivora : Mustelidae). Il pèse de 8 à 18 kg et mesure environ un mètre de longueur (sans la queue). Son corps est trapu, ses membres sont longs et robustes, ses griffes sont puissantes, son dos est haut et arrondi, et sa queue est touffue (Hash, 1987). Il a une tête massive, un museau court et large, et des oreilles rondes et proéminentes. Son pelage est long et grossier et va du presque blond au brun très foncé. Le carcajou arbore souvent un masque facial pâle ainsi que des bandes jaunâtres ou chamois clair le long des flancs, depuis les épaules jusqu'à la base de la queue (Hash, 1987). Les pieds larges du carcajou lui permettent de se déplacer relativement facilement, même sur une épaisse couche de neige. Son sens de l'odorat très développé lui permet de détecter des carcasses se trouvant à de grandes distances et aussi à une profondeur de un à deux mètres sous la neige (Hornocker et Hash, 1981). Abstraction faite de sa queue, l'espèce ressemble davantage à un petit ours noir (Ursus americanus) qu'aux autres mustélidés, dont le corps est généralement de forme tubulaire.

Le carcajou a une répartition holarctique. On reconnaît actuellement deux sous-espèces distinctes : le carcajou de l'Eurasie (Gulo gulo gulo), présent de la Scandinavie à l'Asie, et celui de l'Amérique du Nord (Gulo gulo luscus), présent dans le nord du Canada et le nord-ouest des États-Unis, où il atteint la limite sud de sa répartition au 37e parallèle (Moisan, 1996). L'aire de répartition nord-américaine du carcajou a considérablement diminué au fil du temps (figure 1). Au Canada, deux populations distinctes de carcajous étaient reconnues, principalement sur la base d'un critère géographique (Dawson, 2000; COSEPAC, 2003). La plus grande population est celle de l'Ouest, désignée préoccupante au Canada par le COSEPAC (2003), mais non inscrite à l'annexe 1 de la LEP. Elle occupe les trois territoires (Territoires du Nord-Ouest, Nunavut, Yukon) et toutes les provinces allant de la Colombie-Britannique à l'Ontario (COSEPAC, 2003). La population de l'Est, visée par le présent programme de rétablissement, occupe quant à elle le Québec et le Labrador. Autrefois, les aires de répartition de ces deux populations étaient contiguës (Fortin et al., 2005). En 2014, le COSEPAC (2014) a réévalué l'espèce comme n'étant constituée que d'une seule population.

Figure 1. Répartition nord-américaine du carcajou (COSEPAC, 2014). D'après COSEPAC (2003), Magoun et al. (2004), Ray (2004, 2012), Aubry et al. (2007), Thibault (données inédites, 2013). Carte produite par Bonnie Fournier (Territoires-du-Nord-Ouest). Une présence accrue désigne des observations de carcajous sur diverses îles arctiques, mais l'on ne sait pas s'il s'agit d'individus établis ou de passage. La population de l'Est occupe le Québec et le Labrador (hachuré); la population de l'Ouest occupe les autres provinces et territoires.
Carte : Canada et État-Unis qui démontre : l'aire de répartition actuelle, la présence accrue, l'aire de répartition historique et l'observations non vérifiées
Description longue pour la figure 1

La figure 1 montre l'aire de répartition actuelle et historique du carcajou en Amérique du Nord (tiré de COSEWIC, 2003), ainsi que les régions où sa présence a augmenté et les régions où les observations de l'espèce ne sont pas vérifiées. L'aire de répartition actuelle de l'espèce couvre environ 75 % de la superficie du Canada, depuis le nord de l'Ontario jusqu'à l'île d'Ellesmere et depuis l'ouest de l'Ontario jusqu'à l'Alaska inclusivement. L'aire de répartition actuelle s'étend également vers le sud en Idaho et au Montana. La présence de l'espèce a augmenté sur quelques îles dans le nord du Canada. Son aire de répartition historique se trouve dans la partie sud du pays, depuis le sud de l'Alberta jusqu'au sud du Québec, et couvre environ 25 % de la superficie du Canada. Par le passé, l'espèce était également présente au Colorado, en Californie, en Oregon, dans les États américains au sud des Grands Lacs et dans ceux au sud du Québec. La majeure partie du Québec et du Labrador se range dans la catégorie des observations non vérifiées.

Bien que les effectifs de l'espèce ne soient pas connus, on sait que le carcajou n'a jamais été très abondant au Québec et au Labrador. Il faisait toutefois l'objet d'un commerce régulier dans l'ensemble de son aire de répartition de l'Est jusqu'au milieu des années 1900 (Schmelzer, 2012). Au Québec, les registres de piégeage indiquent un maximum de 24 peaux rapportées en 1922 (Canac-Marquis et Dubois, 2000). À Fort Chimo (considéré comme le poste de traite le plus important de la Compagnie de la Baie d'Hudson dans la région de Labrador-Ungava), le nombre moyen de peaux échangées entre 1868 et 1929 était de 22, avec un maximum de 77 peaux atteint en 1885 (Schmelzer, 2012). Il est clair que les effectifs de carcajous n'étaient pas aussi faibles qu'on le laissait parfois entendre, puisque le rapport du nombre de peaux de loups au nombre de peaux de carcajous dans le commerce était d'environ 2:1 (Schmelzer, 2012). La population a commencé à diminuer à la fin du 19e siècle (Schmelzer, 2012), possiblement dans la foulée de la raréfaction des caribous des bois (Rangifer tarandus caribou) migrateurs et de l'intensification de la chasse au loup gris (Canis lupus) et au carcajou (Banfield, 1974; van Zyll de Jong, 1975; MLCP, 1992).

Les dernières prises officielles dans la population de l'Est sont deux carcajous pris au Labrador en 1965, et un pris au Québec près de Schefferville en 1978 (Dagenais, 1988). Au Québec, il n'y a eu aucune mention de capture depuis 40 ans chez les communautés autochtones qui se trouvent dans l'aire de répartition historique du carcajou. Chez les Cris, on affirme avec certitude qu'il n'y a eu aucune capture ou abattage depuis au moins 1972 et que si un carcajou était pris par un chasseur ou un trappeur, la nouvelle se répandrait rapidement sur le territoire en raison de la rareté de l'espèce (Rick Cuciurean, Cree Trappers Association, comm. pers., 2007). De même, il n'y aurait pas eu de prise de carcajou depuis 40 à 50 ans chez les Naskapis du Québec, qui occupent le territoire à proximité de Schefferville (John Mameamskum, Nation Naskapi de Kawawachikamach, comm. pers., 2007). Les Innus d'Essipit n'ont pas vu de carcajous au cours des dernières années (Jessie Moreau, comm. pers., 2012). Plus au sud, la Nation huronne-wendat rapporte plusieurs captures dont la plus récente, effectuée au nord de Saint-Raymond (près de Québec), remonte aux années 1960; il s'agit de la mention la plus récente dans la portion méridionale de l'aire de répartition (Louis Lesage, comm. pers. 2015)Note5. Les données recueillies auprès des communautés autochtones du Labrador indiquent une situation semblable.

Malgré l'absence de captures, des observations non confirmées d'individus et de réseaux de pistes ont récemment été signalés au Québec. En 2006, un inventaire systématique sur 100 000 km² dans la province naturelle des basses-terres de l'Abitibi et de la baie James a permis de repérer deux possibles réseaux de pistes de carcajous, à quelques centaines de kilomètres de La Sarre et de Matagami (Fortin, 2006). D'autre part, un inventaire opportuniste effectué par deux experts qui ont survolé des parties du Québec à basse altitude n'a recensé aucun indice de la présence de carcajous (Audrey Magoun, comm. pers., 2007).

Au Labrador, des mentions de la présence de carcajous (y compris la collecte de fourrures), remontant dans certains cas à seulement 2013, ont aussi été recensées (Isabelle Schmelzer, comm. pers.). Aucune de ces mentions n'a toutefois été confirmée, que ce soit par des photos ou des analyses génétiques. En 2005, un inventaire aérien systématique mené sur plus de 6 630 km au total a été effectué au Labrador (Schmelzer, 2006). Même si ce type d'inventaire est associé à de faibles probabilités de détection (voir Magoun et al., 2004), des espèces plus petites que le carcajou, comme la martre d'Amérique (Martes americana), ont été observées. Aucune piste de carcajou et aucun individu n'ont été observés durant l'inventaire.

D'après les modèles d'habitat élaborés pour la population de l'Est (Gallais et Messier, 2012), les régions qui sont les plus susceptibles d'abriter des populations de carcajous sont le nord du Québec et du Labrador (p. ex., monts Torngat, monts Groulx, monts Otish). Ces régions sont fréquentées par de grandes hardes de caribous (rivière George et rivière aux Feuilles) réparties sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés (Couturier et al., 2004). Plus au sud du Québec, quelques forêts conifériennes peu perturbées à forte densité d'orignaux (Alces alces) et de cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus) et abritant des loups pourraient également subvenir aux besoins du carcajou (p. ex. réserves fauniques et parcs nationaux; Larivière et al., 2000). Malgré ce potentiel, les quelques efforts de détection de carcajous par voie aérienne n'ont donné aucune observation directe (projet de parc National des Monts-Torngat-et-de-la-Rivière-Koroc; Fortin, 2004). En fait, les observations confirmées les plus proches ont eu lieu à des milliers de kilomètres de ces régions (Gallais et Messier, 2012).

Une incertitude considérable demeure quant à la persistance de la population de l'Est du carcajou. L'immensité du territoire nordique, combinée à la difficulté de détecter la présence de l'espèce en raison de sa grande discrétion et de sa faible densité naturelle (Kelsall, 1981; Prescott et Richard, 1982; Dauphiné, 1989; Poole, 1991) invite à faire preuve d'une grande prudence avant d'adopter une position définitive quant à la persistance de l'espèce. Si l'espèce a disparu, on peut s'attendre à ce que des individus d'Ontario de la population de l'Ouest, qui donne des signes d'expansion vers l'est, d'après les Far North Aerial Wildlife Surveys réalisés en Ontario de 2009 à 2011 (Dauphiné, 1989; Dawson, 2000; Magoun et al., 2004; Ontario Wolverine Recovery Team, 2013 – voir la figure 2 de ce dernier document) se dispersent occasionnellement au Québec, donnant ainsi lieu à une immigration de source externe. Cette possibilité doit être envisagée à la lumière des facteurs limitatifs suivants :

La quasi-totalité des connaissances sur la biologie du carcajou provient d'études sur la population de l'Ouest.

Le carcajou est un animal solitaire et principalement nécrophage, dont la survie dépend de l'accès à des ressources alimentaires abondantes. En été, il se nourrit de façon essentiellement opportuniste, consommant des petits rongeurs, des oiseaux nicheurs et leurs œufs, de jeunes cervidés et des carcasses d'animaux de toutes sortes (Rausch et Pearson, 1972; Magoun, 1985; Whitman et al., 1986; Banci, 1987). En hiver, il demeure actif et se nourrit principalement de carcasses gelées (surtout des cervidés comme le caribou, mais aussi des orignaux; Banci, 1994) laissées par d'autres carnivores (surtout des loups), ainsi que d'animaux morts de façon naturelle ou tués par l'homme, ou encore utilisés comme appâts. Durant les périodes de mise bas et d'élevage des petits, la disponibilité de petits mammifères peut être particulièrement importante pour les femelles, car leurs besoins énergétiques sont élevés et leurs déplacements sont limités (Landa et al., 1997). En Ontario (population de l'Ouest), bon nombre d'observations, rapportées entre autres par des aînés autochtones, soulignent l'importance du castor (Castor canadensis) comme espèce proie (Ontario Wolverine Recovery Team, 2011).

Le carcajou occupe principalement des régions éloignées où la densité de routes et les répercussions des activités humaines sont faibles (Hash, 1987; Dauphiné, 1989; Ontario Wolverine Recovery Team, 2013). À plus petite échelle, les individus non reproducteurs semblent avoir des besoins en matière d'habitat relativement indépendants des caractéristiques biophysiques du milieu, le facteur déterminant étant la disponibilité de proies (Hornocker et Hash, 1981; Kelsall, 1981; Hatler, 1989).

Le domaine vital du carcajou est très vaste, et les déplacements des mâles couvrent un territoire beaucoup plus grand que celui occupé par les femelles (Banci, 1999). D'après des études radiotélémétriques, le territoire couvert par les mâles durant une année est de 238 km² au Yukon (Banci, 1987), de 1 366 km² en Colombie-Britannique (Lofroth, 2001), et de 2 563 à 3 513 km² en Ontario (Dawson et al., 2010; Ray et al., 2011). Les domaines vitaux des adultes peuvent empiéter partiellement sur ceux d'individus immatures ou d'adultes du sexe opposé (p. ex. le domaine vital d'un mâle adulte peut chevaucher ceux de deux à six femelles; Magoun, 1985; Banci, 1987).

Même si le carcajou fréquente une grande variété de milieux, de la forêt boréale à la toundra arctique, la structure de l'habitat à petite échelle et la disponibilité de proies constituent des facteurs déterminants durant les périodes de reproduction et d'élevage des jeunes (Landa et al., 1997; Krebs et Lewis, 2000; Lofroth, 2001). Les tanières sont situées sous des rochers, des arbres déracinés par le vent ou du bois mort, ou dans des bancs de neige, souvent sur des pentes raides ou en altitude (Magoun et Copeland, 1998). Magoun et Copeland (1998) décrivent deux types de tanières : natales et maternelles, utilisées respectivement de la mi-février à la mi-mars et de la mi-mars à la fin d'avril. Ces sites, grâce à leurs caractéristiques structurales, offrent une protection contre la prédation et les mauvaises conditions météorologiques. À ce titre, la persistance de la neige printanière, qui recouvre les tanières, semble essentielle pour l'élevage des jeunes (Lofroth, 2001; Copeland et al., 2010). Chaque femelle peut avoir plusieurs tanières, et celles-ci peuvent être réoccupées pendant un certain nombre d'années (Ontario Wolverine Recovery Team, 2013).

La densité des populations de carcajous est naturellement faible à cause de l'étendue du domaine vital, des habitudes solitaires et du mode d'alimentation nécrophage de l'espèce (MRNF, 2001). D'après Moisan (1996), les effectifs sont extrêmement faibles au Québec et auraient atteint un seuil critique qui ferait en sorte que les mâles et les femelles adultes ont peu de chances de se rencontrer lors de la période d'accouplement. De plus, le taux de recrutement est vraisemblablement réduit par la mortalité d'individus immatures et le faible succès de reproduction des femelles (Magoun, 1985; Copeland, 1996; Krebs et al., 2004). Ces facteurs limitent non seulement le taux de croissance démographique de l'espèce, mais aussi sa capacité à recoloniser des habitats inoccupés (COSEPAC, 2003).

Tableau 1. Évaluation des menaces
[Menace] Menace Niveau de préoccupationNoteb Étendue Occurrence Fréquence GravitéNotec Certitude causaleNoted
Perte ou dégradation de l'habitat Aménagement du territoire Élevé Généralisée Courante Continue Élevée Élevée
Utilisation des ressources biologiques Abattage opportuniste Élevé Généralisée Inconnue Récurrente Élevée Moyenne
Utilisation des ressources biologiques Capture pour le commerce de la fourrure Faible Généralisée Historique Continue Élevée Moyenne
Mortalité accidentelle Prise accessoire Élevé Localisée Inconnue Inconnue Élevée Élevée
Mortalité accidentelle Mortalité sur les routes et voies ferrées Faible Localisée Inconnue Inconnue Faible Faible
Activités ou processus naturels Disponibilité de proies
(variation des populations de proies)
Moyen Généralisée Courante/ cyclique Saisonnière Élevée Faible
Climat et catastrophes naturelles Disponibilité de proies
(variation des populations de proies)
Généralisée Généralisée Courante Récurrente Unknown Unknown
Changements de la dynamique écologique ou des processus naturels Disponibilité de proies
(contrôle des populations de loups)
Faible Localisée Inconnue Inconnue Faible Faible

Les menaces sont décrites en ordre décroissant de niveau de préoccupation. Dans la population de l'Ouest, où les effectifs du carcajou sont plus élevés, l'abattage (autorisé ou non) constitue probablement une source majeure de mortalité qui vient s'ajouter aux facteurs de mortalité naturels (Krebs et al., 2004; Saether et al., 2005). Dans la population de l'Est, où les effectifs sont vraisemblablement réduits à un nombre extrêmement faible d'individus (s'il en reste), l'ajout de sources de mortalité, même l'abattage d'un seul individu, pourrait grandement nuire au maintien et au rétablissement de la population.

Les carcajous occupent des paysages peu perturbés et ont besoin de vastes territoires. L'aire de répartition historique de l'espèce, qui englobait vraisemblablement la majeure partie du Québec et du Labrador, s'est vue fragmentée et contractée vers le nord de façon importante entre 1840 et 1925 (Fortin et al., 2005). On peut supposer que l'accroissement de la présence humaine dans l'habitat de l'espèce (agriculture, exploitation forestière, urbanisation) a aussi augmenté les contacts entre l'humain et le carcajou, qui est particulièrement vulnérable aux perturbations pendant la saison de mise bas (COSEPAC, 2003; Fortin et al., 2005).

Dans les régions nordiques, l'aménagement hydroélectrique, les mines et l'exploitation forestière à grande échelle peuvent nuire au rétablissement de la population de l'Est du carcajou, en causant un déclin des populations de cervidés et, dans une moindre mesure, en réduisant l'habitat convenable à l'espèce. En Ontario (population de l'Ouest), les pistes de carcajous sont le plus souvent observées dans des régions nordiques sans exploitation forestière (Bowman et al., 2010). En outre, dans leur étude, Magoun et Copeland (1998) ont rapporté que presque toutes les tanières de reproduction se trouvaient à plusieurs kilomètres de la route la plus proche. Les régions boisées perturbées abritent cependant de plus fortes densités d'orignaux (Alces alces), de cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus), et de loups (Canis lupus; Vors et al., 2007; Bowman et al., 2010). Bien que la présence de loups à des densités faibles à modérées puisse profiter aux carcajous du fait qu'elle accroît la disponibilité de carcasses (p. ex. van Dijk et al., 2008a), il est présumé que la présence de loups à des densités élevées peut avoir une incidence négative sur le carcajou par le biais de la compétition ou de la prédation (Ontario Wolverine Recovery Team, 2013). De plus, l'augmentation du réseau routier associé à l'aménagement du territoire entraîne la fragmentation de l'habitat et favorise l'accès de l'homme au territoire, ce qui pourrait accroître la mortalité s'il en découle un usage accru de véhicules motorisés (Fortin et al., 2005).

Le contrôle des populations de loups au moyen d'appâts empoisonnés peut être nuisible pour les carcajous, particulièrement pour les jeunes (Fortin et al., 2005). Les pièges à pattes et les collets destinés au castor ou au lynx peuvent aussi constituer une menace pour le carcajou (Ontario Wolverine Recovery Team, 2013). Bien que les impacts de cette menace soient limités (aucun cas récent n'a été rapporté pour la population de l'Est), l'étendue géographique dans laquelle ces activités ont lieu pourrait être suffisante pour nuire à la dispersion d'individus provenant de la population de l'Ouest. De plus, le fait que les carcajous sont des nécrophages susceptibles de parcourir de longues distances pour atteindre des carcasses accroît leur vulnérabilité au piégeage (Hornocker et Hash, 1981).

La mauvaise réputation du carcajou, autant dans le folklore du Québec et du Labrador que dans certaines croyances autochtones, lui vaut d'être jugé indésirable par certains habitants et utilisateurs des territoires nordiques. En effet, les chasseurs et les trappeurs ont longtemps perçu le carcajou comme un concurrent (Wilkinson & Associates Inc., 2009). Des cas de subtilisation des appâts ou des animaux pris dans les pièges, de pillage des caches de nourriture et de saccage de campements par des carcajous ont été rapportés (Duchesnay, 1972). C'est pourquoi bien des chasseurs n'hésiteraient pas à tuer un carcajou rencontré lors de leurs voyages de chasse (K. Loon, Mistissini, Clayton Jolly, Waskaganish, R. Petagumskum, Whapmagoostui, comm. pers., 2007). Pour les agents responsables de l'application de la loi ou d'autres représentants, la protection des animaux est difficile à assurer dans ce territoire vaste et isolé.

Les changements climatiques, par leurs effets sur l'épaisseur de la couverture de neige au printemps (facteur important pour les tanières natales et maternelles), mais aussi sur le comportement général et les déplacements des individus et de leurs proies, sont souvent mentionnés comme une cause du déclin de l'espèce, y compris par les communautés autochtones du Nord (Wilkinson & Associates Inc., 2009; Ontario Wolverine Recovery Team, 2013). La présence d'une couverture de neige persistante au printemps a été corrélée avec la répartition mondiale du carcajou (Copeland et al., 2010), et, dans le nord des Rocheuses américaines, avec le flux génique chez l'espèce (Schwartz et al., 2009). On présume aussi que les changements climatiques sont partiellement responsables de l'abandon par l'espèce de la partie sud de son aire de répartition historique (Ray et al., 2011; Ontario Wolverine Recovery Team, 2013).

La famine constitue l'un des facteurs de mortalité naturelle les plus importants, en particulier chez les jeunes et les individus âgés (Moisan, 1996; Krebs et al., 2004). Pour la population de l'Est, le caribou constitue probablement une source d'alimentation importante. Cependant, l'abondance et la répartition des hardes de caribous migrateurs fluctuent grandement, ce qui peut limiter l'accès aux carcasses durant certaines périodes cruciales de l'année (MRNF, 2001), particulièrement pour les femelles avec des juvéniles qui n'ont pas encore acquis leur indépendance. L'orignal représente une autre source alimentaire, mais ses populations fluctuent aussi et il pourrait être très peu nombreux dans les régions susceptibles d'être occupées par le carcajou (MRNF, 2001). En Alaska, Dalerum et al. (2009) ont montré que pour ces deux espèces de proies, c'est le nombre de carcasses disponibles plutôt que l'abondance des populations elles-mêmes qui importe pour le carcajou, car une seule carcasse peut suffire à nourrir un individu pendant plusieurs semaines. Le carcajou peut également passer d'une source alimentaire à d'autres, selon leur disponibilité, et même s'alimenter de plus petites proies. Comme pour les grandes proies, l'utilisation dans le temps et dans l'espace de petites proies par le carcajou reflète la variation saisonnière et régionale de l'abondance de celles-ci (p. ex. Magoun [1987], Lofroth et al. [2007]). Des études ont montré que le succès reproducteur des femelles est tributaire de la diversité des espèces proies disponibles (Landa et al., 1997; Persson, 2005).

Le carcajou était sans doute piégé par les Autochtones avant l'arrivée des Européens, mais les prises étaient probablement peu nombreuses. Après la colonisation, les Européens ont aussi commencé à piéger l'espèce (Fortin et al., 2005). Le givre n'adhère pas à la fourrure du carcajou ce qui la rend intéressante pour la confection de manteaux à capuchon. La chasse et le piégeage du carcajou pour sa fourrure au 19e siècle seraient des causes possibles du déclin initial de l'espèce au Québec et au Labrador (Fortin et al., 2005; Schmelzer, 2006). Il est interdit de chasser ou de piéger le carcajou depuis 1950 à Terre-Neuve-et-Labrador et depuis 1981 au Québec, à l'exception des territoires visés par la Convention de la baie James et du Nord québécois (CBJNQ), où les bénéficiaires en ont toujours le droit (Fortin et al., 2005). Aucune capture n'a été signalée depuis 1978 au Québec et 1965 à Terre-Neuve-et-Labrador.

La diminution du nombre de loups a réduit l'abondance des carcasses de cervidés disponibles pour le carcajou (Fortin et al., 2005). Il importe toutefois de noter que, même si les loups peuvent fournir des carcasses aux carcajous, ceux-ci sont capables de tuer de grosses proies (même des caribous) et d'utiliser d'autres sources alimentaires, au besoin (voir la section sur les besoins de l'espèce).

La mortalité par collision avec des véhicules motorisés (p. ex. automobiles, trains) est documentée dans l'aire de répartition du carcajou (COSEPAC, 2003, 2014; Krebs et al., 2004). Les routes hivernales (corridors de transport non permanents) traversant de grandes étendues non perturbées d'habitat potentiel pour le carcajou pourraient également avoir un impact en augmentant l'accessibilité du territoire et les risques de collisions (Beazley et al., 2004). Compte tenu de la faible densité du réseau de transport et de l'utilisation limitée qui en est faite dans l'aire de répartition potentielle de la population de l'Est, le niveau de préoccupation associé à ces menaces est jugé faible (aucune mention rapportée).

Les objectifs en matière de population et de répartition à court terme consistent à déterminer si des carcajous de la population de l'Est sont encore présents au Québec et au Labrador, ainsi qu'à établir à quel degré, le cas échéant, une immigration d'individus de la population de l'Ouest en dispersion depuis l'Ontario pourrait appuyer le rétablissement de l'espèce. Les objectifs à long terme devraient viser l'établissement naturel de populations autosuffisantes de carcajous, et la réduction au minimum des interactions avec les activités de piégeage ciblant d'autres espèces. Pour atteindre ces objectifs, il importe de poursuivre le dialogue avec les communautés autochtones du Nord et les autres collectivités du Nord afin d'établir et mettre en œuvre une approche scientifiquement bien fondée et jugée socialement acceptable par les parties concernées.

Les objectifs en matière de population et de répartition seront révisés à mesure que les renseignements sur les caractéristiques des populations, la probabilité d'une immigration de source externe et l'approche acceptable pour le rétablissement seront établis.

Au Québec, les données d'observation sont recueillies, analysées et compilées annuellement. Des stations de détection (caméras, appâts, leurres olfactifs) disposées à des emplacements stratégiques (p. ex. le long de la frontière entre le Québec et l'Ontario) font l'objet d'un suivi depuis 2010 afin de documenter la présence de l'espèce, mais aucun individu n'a encore été détecté (Isabelle Thibault et Jonathan Leclair, comm. pers.).

Au Labrador, un inventaire à grande échelle a été réalisé en 2005 (Schmelzer, 2006), ce qui a permis de déterminer que l'écorégion de la forêt de la zone subarctique présentait le plus grand potentiel de rétablissement fondé en partie sur la répartition des proies observées (Schmelzer, comm. pers.). Le gouvernement provincial a installé des stations de prélèvement de poils à trois sites sur une période de quatre ans. Le Conseil communautaire de NunatuKavut (NCC) ainsi que le gouvernement du Nunatsiavut ont participé aux efforts de détection. Le NCC continue d'ailleurs de gérer certaines activités de détection (stations de prélèvement de poils et caméras commandées à distance).

Au Labrador, un atelier conjoint a été tenu par le gouvernement provincial et le gouvernement du Nunatsiavut en 2003. Une série d'ateliers visant à partager différents points de vue (autochtones et non autochtones) sur le rétablissement de l'espèce a également été organisée en 2005. Au Québec, un atelier sur le carcajou a été organisé en mars 2009 à Kawawachikamach (Wilkinson & Associates Inc., 2009) et à Val d'Or en mars 2012. Les préoccupations exprimées par les participants à ces ateliers ont aidé à améliorer l'orientation stratégique du programme de rétablissement du carcajou, population de l'Est. Bon nombre d'aînés des Premières Nations (Cris, Naskapis) sont d'avis qu'une reconstitution naturelle des populations de carcajous pourrait avoir lieu, comme ils l'ont observé pour d'autres animaux tels les caribous et les lagopèdes (Wilkinson & Associates Inc., 2009). Au Labrador, la Nation Innue, le gouvernement du Nunatsiavut et le Conseil communautaire de NunatuKavut ont tous produit des articles de journaux, effectué des présentations auprès de groupes communautaires et universitaires et réalisé d'autres activités de sensibilisation.

En 2003, une équipe de biologistes a été mise sur pied pour élaborer un Plan national de rétablissement du carcajou, population de l'Est. Des priorités et un calendrier de mise en œuvre jusqu'en 2013 a été proposé (Fortin et al. 2005). Plusieurs éléments ont été financés par l'entremise du Fonds autochtone pour les espèces en péril du gouvernement du Canada.

Tableau 2. Planification du rétablissement
Menace ou élément limitatif Stratégie générale pour le rétablissement Priorité Description générale des approches de recherche et de gestion
Faible densité Recherche scientifique et suivi Élevée
  • Déterminer si des individus de la population de l'Est sont toujours présents.
  • Clarifier les caractéristiques actuelles de la population, y compris la mesure dans laquelle une immigration de source externe pourrait contribuer au rétablissement de l'espèce.
  • Examiner les besoins de l'espèce en matière d'habitat au moyen de données sur les individus de la population de l'Est.
Tous Sensibilisation et partenariats Élevée
  • Réaliser une étude d'acceptabilité sociale.
  • Établir des mesures de rétablissement mutuellemen acceptables pour l'ensemble des parties concernées.
Tous Intendance et gestion de l'espèce et de son habitat Élevée
  • Donner suite rapidement aux études scientifiques et sociales au moyen d'autres activités de recherche, de mesures d'intendance, de lignes directrices en matière d'aménagement et/ou d'autres priorités, au besoin.
Tous Intendance et gestion de l'espèce et de son habitat Élevée
  • Encourager le rétablissement de l'espèce et de son habitat en intégrant les connaissances sur la population de l'Ouest en vue de gérer le paysage selon le principe de précaution, et en appuyant les mesures d'intendance, de financement ou de protection légale pertinentes.
Tous Intendance et gestion de l'espèce et de son habitat Moyenne
  • Établir un bilan des activités menées depuis la publication du Plan national de rétablissement du carcajou [Population de l'est] (Fortin et al., 2005), et régulièrement mettre à jour les priorités.

La séquence des mesures à déployer sera tributaire des résultats des études démographiques, de la probabilité d'une immigration de source externe et du dialogue continu relatif à l'acceptabilité sociale du carcajou et à la nécessité de son rétablissement. L'absence d'une population résidente serait une indication qu'il faut cibler davantage le rétablissement naturel à partir d'individus provenant de l'Ontario.

Afin d'orienter le rétablissement de la population de l'Est du carcajou, il est crucial, dans un premier temps, de déterminer s'il persiste des individus de l'espèce au Québec et au Labrador. Si la présence d'une population résidente est confirmée, une croissance démographique et une expansion de l'aire de répartition pourraient être possibles par des mesures ciblées d'atténuation des menaces. Il est également important de poursuivre la surveillance de l'expansion vers l'est de la population ontarienne de carcajous et d'évaluer la probabilité d'une immigration de source externe.

L'acceptabilité sociale est un enjeu déterminant pour le rétablissement du carcajou, population de l'Est. Le rétablissement de l'espèce ne pourra être réalisé sans un appui considérable des communautés autochtones du Nord et des utilisateurs du territoire nordique. Il importe de comprendre les inquiétudes sous-jacentes relatives au rétablissement de cette espèce. Même s'il est vrai que le carcajou a parfois une relation conflictuelle avec les communautés autochtones et autres communautés du Nord, principalement en raison de son interférence avec les activités de piégeage, la promotion du rôle de l'espèce comme symbole de force et de détermination dans les croyances de bon nombre de communautés autochtones du Nord pourrait être une voie à explorer (Ontario Wolverine Recovery Team, 2013). Il est à noter que certaines communautés autochtones du Nord, dans l'Est du Canada (Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh; Mohawks de Kahnawake) comme dans l'Ouest (Old Crow; Paulatuk dans les Territoires du Nord-Ouest) appuient le rétablissement du carcajou (à divers degrés), et qu'un dialogue accru avec ces communautés pourrait donner lieu à des solutions mutuellement acceptables pour les parties concernées (Wilkinson & Associates Inc., 2009). Cette stratégie cible surtout les menaces que représentent l'abattage opportuniste et la prise accessoire.

La collaboration entre tous les utilisateurs et gestionnaires du territoire nordique, fondée sur les activités mises en place ailleurs (Ontario, Ouest canadien, Russie), est essentielle au rétablissement de la population de l'Est et à la réduction des menaces anthropiques qui pèsent sur elle. Un éventail de projets d'intendance pourraient être poursuivis en partenariat avec divers organisations, communautés autochtones du Nord et organismes non gouvernementaux. Parmi ces projets, on compte, par exemple, l'amélioration du réseau de détection existant ou le lancement d'une campagne encourageant l'adoption de pratiques de piégeage souples. Il faudrait également envisager la possibilité de mettre en place une structure de financement pour le rétablissement de la population de l'Est du carcajou.

Compte tenu de l'immensité et de l'isolement du territoire nordique où se trouve l'aire de répartition de l'espèce, ainsi que du grand nombre de parties concernées, les mesures de rétablissement doivent être centrées sur celles qui présentent le plus grand potentiel de gains en matière de conservation. En attendant que d'autres études soient effectuées sur les caractéristiques particulières de la démographie de la population de l'Est du carcajou, les connaissances issues des régions où le carcajou est le plus abondant doivent être prises en compte dans la gestion de l'espèce et de son habitat au Québec et au Labrador. À ce titre, il importe de reconnaitre l'importance de la gestion de l'habitat dans la région de la baie James, qui pourrait constituer la porte d'entrée des individus en provenance de l'Ontario. Il importe également de souligner que bon nombre des caractéristiques du paysage à grande échelle qui sont bénéfiques au carcajou sont aussi nécessaires à d'autres espèces, comme le caribou des bois.

Les caractéristiques biophysiques à grande échelle (p. ex. ressources alimentaires adéquates pendant toute l'année, vastes régions peu perturbées par des aménagements) ainsi que certains éléments à plus petite échelle (p. ex. tanières, épaisseur de neige) de l'habitat convenable pour le carcajou sont connus grâce aux études réalisées sur les populations des régions montagneuses de l'Ouest. Toutefois, les besoins des carcajous de la population de l'Est pourraient être différents. Bien que des recommandations générales en matière de gestion de l'habitat puissent être établies pour favoriser le maintien des caractéristiques requisesNote6, la situation incertaine de la population de l'Est et le manque de données démographiques la concernant rendent impossible la désignation de l'habitat essentiel de l'espèce à l'heure actuelle. Cette désignation aura lieu lorsque les études décrites à la section 7.2 auront été réalisées.

Tableau 3. Calendrier des études
Description de l'activité Justification Échéancier
Étudier l'aire de répartition de la population de l'Est et y mener des inventaires, et suivre la dispersion d'individus en provenance de la population de l'Ouest. Repérage de l'habitat et de secteurs où existent des indices d'occupation récente; clarification des besoins en matière d'habitat de la population de l'Est. 2016–2021
Si des données crédibles sur la présence de pistes ou d'individus sont obtenues, améliorer le modèle existant d'habitat convenable. Repérage de l'habitat et de secteurs où existent des indices d'occupation récente; clarification des besoins en matière d'habitat de la population de l'Est. 2016–2021
S'il est déterminé que les modèles d'habitat sont fiables et s'harmonisent aux résultats des études d'acceptabilité sociale, procéder à la désignation de l'habitat essentiel. Repérage de l'habitat et de secteurs où existent des indices d'occupation récente; clarification des besoins en matière d'habitat de la population de l'Est. 2016–2021

Les indicateurs de rendement énumérés ci-après permettront d'évaluer les progrès accomplis vers l'atteinte des objectifs en matière de population et de répartition.

Un ou plusieurs plans d'action pour le carcajou, population de l'Est, seront publiés dans le Registre public des espèces en péril avant la fin de 2021.

Une évaluation environnementale stratégique (EES) est effectuée pour tous les documents de planification du rétablissement produits en vertu de la LEP, conformément à la Directive du Cabinet sur l'évaluation environnementale des projets de politiques, de plans et de programmes. L'objet de l'EES est d'incorporer les considérations environnementales à l'élaboration des projets de politiques, de plans et de programmes publics pour appuyer une prise de décisions éclairée du point de vue de l'environnement et pour évaluer si la mise en œuvre des mesures proposées dans un document de planification du rétablissement pourrait avoir une incidence sur un élément de l'environnement ou sur l'atteinte d'un objectif ou d'une cible de la Stratégie fédérale de développement durable (SFDD).

La planification du rétablissement vise à favoriser les espèces en péril et la biodiversité en général. Il est cependant reconnu que la mise en œuvre de plans d'action peut, par inadvertance, produire des effets environnementaux qui dépassent les avantages prévus. Le processus de planification fondé sur des lignes directrices nationales tient directement compte de tous les effets environnementaux, notamment des incidences possibles sur des espèces ou des habitats non ciblés. Les résultats de l'EES sont directement inclus dans le plan lui-même, mais également résumés dans le présent énoncé, ci-dessous.

La possibilité que le présent programme de rétablissement produise par inadvertance des effets négatifs sur l'environnement et sur des espèces non ciblées a été envisagée. Les activités recommandées se limitant, dans un premier temps, à des activités non intrusives, telles des études sur la population et la sensibilisation des parties intéressées, on peut certainement affirmer sans risque d'erreur que le présent programme n'entraînera pas d'effets négatifs importants.

Le rétablissement du carcajou, population de l'Est, aura peu d'impacts négatifs sur les autres espèces. Le carcajou est principalement nécrophage et sa présence sur le territoire dépend de la disponibilité de carcasses de cervidés. Même s'il est reconnu que les carcajous peuvent s'attaquer à des caribous vivants, une étude a montré que les individus ciblés semblaient en mauvaise santé, d'après les taux de graisse de leur moelle osseuse (Lofroth et al., 2011). Le rétablissement du carcajou ne devrait donc pas nuire de façon notable au rétablissement du caribou des bois. Sur le territoire susceptible d'être occupé par le carcajou, le principal prédateur du caribou et de l'orignal est le loup. Le rétablissement du carcajou, population de l'Est, pourrait diminuer la disponibilité de carcasses pour les loups et pour d'autres plus petits charognards tels que le renard roux (Vulpes vulpes) et la corneille d'Amérique (Corvus corax), mais ces espèces sont relativement abondantes et peu ou pas exploitées dans les régions du Nord (Larivière et al., 2000 dans le cas du loup). Les effets de la prédation du carcajou sur les espèces proies comme les lièvres, les lagopèdes et les petits rongeurs sont jugés non importants en raison de la forte abondance de ces espèces et de la faible densité de la population de carcajous, même après le rétablissement de l'espèce.


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2024-02-08