Caribou de la Gaspésie (Rangifer tarandus caribou) plan de rétablissement 2002 à 2012 : chapitre 4

État de la situation

 

ÉTAT DE LA SITUATION

Nom commun: Caribou des bois (population de la Gaspésie-Atlantique)

Nom scientifique: Rangifer tarandus caribou

Statut selon le COSEPAC: En voie de disparition

Justification de la désignation: Une petite population isolée de moins de 200 individus adultes qui sont confinés à la région de la Gaspésie. La population est en péril en raison de la prédation et de la perte de l'habitat.

Présence au Canada: Québec

Historique du statut selon le COSEPAC: La population de la Gaspésie-Atlantique a été désignée « menacée » en avril 1984. Réexamen du statut : l'espèce a été désignée « en voie de disparition » en mai 2000. Réexamen de la situation et confirmation du statut en mai 2002. Dernière évaluation fondée sur une mise à jour d'un rapport de situation.

 

Répartition générale 

L’aire de répartition du caribou des bois a régressé au courant du dernier siècle (Bergerud 1974). Dans l’Est de l’Amérique du Nord, il peuplait jadis les provinces maritimes et quelques états de la Nouvelle-Angleterre mais le caribou n'est maintenant représenté au sud du fleuve Saint-Laurent que par la harde de la Gaspésie (Banfield 1961; Boileau 1996, Courtois et al. 2001). Les populations de caribous d’Amérique du Nord occupent plusieurs types d’habitat et adoptent différents comportements selon les habitats qu’elles fréquentent, ce qui a mené à la définition d’écotypes dont trois sont présents au Québec : le toundrique, le montagnard et le forestier (Courtois et al. 2002). Le caribou de la Gaspésie fait partie de l'écotype montagnard (Courtois et al. 2002).

Cette population relique, que l'on considère comme une unité génétique distincte (Roed et al. 1991; Courtois et al. 2002), est dans un état précaire et a été dernièrement désignée en voie de disparition par le Comité sur le statut des espèces en péril au Canada (COSEPAC 2000). Au niveau provincial, la population de caribou de la Gaspésie, et son habitat ont été désignés comme étant vulnérables en septembre 2001 (E-12.01; L.R.Q.c.E-12.01, a.10,  r.0.2.3).

 

Répartition du caribou de la Gaspésie

Le caribou de la Gaspésie occupe à la fois le territoire du parc national de la Gaspésie comptant 802 km2 en plus d’une portion de territoire extérieure aux limites du parc  équivalente à 290 km(annexe 1). À l’intérieur du parc, les suivis télémétriques réalisés de 1998 à 2001 ont confirmé à nouveau que le caribou utilise trois secteurs distincts. Les caribous sont concentrés sur les monts Albert et Logan, sur différents monts des McGerrigle, sans circulation fréquente entre ces sites (Rivard 1978; Ouellet et al. 1996; Fournier et al. 2001; Mosnier et al. 2002). Cependant, quelques déplacements de femelles ont déjà été notés entre les monts Albert et McGerrigle et, plus récemment, certains caribous se seraient déplacés du mont Albert au secteur des Vallières-de-Saint-Réal (Rivard 1978) (Fournier et al. 2001). Du fait que les caribous ne se déplaceraient à peu près pas entre les trois secteurs principaux d’activités, cette situation répondrait à la définition donnée par Wells et Richmond (1995) pour le terme de métapopulation : un ensemble de groupes d’individus spatialement disjoints entre lesquels il y a quelques connections génétiques ou démographiques (Wells et Richmond 1995).

Afin d’encadrer, avec le Règlement sur les habitats fauniques et la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q., c. C-61.1), certaines activités réalisées dans le territoire occupé par le caribou, un habitat légal, comptant 657,2 km a été délimité il y a quelques années. En plus d’englober principalement les limites du parc national de la Gaspésie, quelques portions de territoire de la réserve faunique des Chic-Chocs en font partie, soit le petit mont Sainte-Anne et le mont Vallières-de-Saint-Réal. Or, la répartition actuelle des caribous déborderait des limites de l’habitat légal de cette espèce (Fournier et Turcotte 2002), particulièrement dans le secteur du mont Logan (tableau 1).

Les travaux de télémétrie récents ont permis de constater que les caribous se déplaceraient vers les territoires adjacents au parc pour leur alimentation estivale, hivernale ainsi que pour la mise bas (Fournier et Turcotte 2002). Afin de concilier l’exploitation forestière avec la préservation de l’habitat du caribou, un plan d’aménagement forestier a été mis en œuvre pour le territoire attenant au parc national de la Gaspésie.

 

Tableau 1.    Localisation des relevés télémétriques du caribou dans les zones hors parc par secteur (novembre 1998 à mars 2001)
Secteurs Pourcentage des localisations Nombre localisations
Mont Logan 54,6 155
Mont Vallières-de-Saint-Réal 38,0 108
Petit mont Sainte-Anne 1,4 4
Ruisseau Isabelle 0,4 1
Autres 5,6 16
Total 100,0 284 1

Sur un total de 1622 localisations pour l’ensemble du territoire

 

Biologie de l’espèce

Habitudes alimentaires

Jusqu’à tout récemment, on connaissait peu de choses au sujet des habitudes alimentaires du caribou de la Gaspésie. Les premières observations suggéraient un régime automnal dominé par des lichens terricoles comprenant également des graminées, des cypéracées et des mousses (Moisan 1956). Rivard (1978) avait noté l’importance des lichens arboricoles qui constituaient 70 % de l’alimentation des caribous en hiver. Les premières données quantitatives sur les principales composantes du régime alimentaire de la harde de la Gaspésie proviennent des travaux de Ouellet et al. (1993) (données non publiées).

La composition du régime alimentaire estival est différente de celle qu’on observe au cours de l’hiver. Pendant la période d’été, les caribous consomment principalement des lichens et des herbacées tandis que les lichens terricoles et arboricoles dominent le régime hivernal. Les lichens arboricoles jouent un rôle important dans le régime alimentaire car ils constituent une source de nourriture essentielle lorsque les lichens terricoles deviennent difficilement accessibles en hiver, dans les milieux alpins (Serveheen et Lyon 1989). La grande quantité d’écorce et d’aiguilles rencontrée dans l’analyse du régime alimentaire hivernal suggère que la proportion de lichens arboricoles dans les habitudes alimentaires du caribou de la Gaspésie est plus grande que celle qui a été antérieurement calculée (Ouellet et al. 1993, non publiés).

Rut et accouplement

Au moment du rut et de l’accouplement, à l’automne, les caribous se rassemblent sur les zones alpines des sommets des monts Albert, Logan, McGerrigle et Vallières-de-Saint-Réal (Moisan 1957; Bergerud 1973; Rivard 1978, Fournier et al. 2001). Ils s’unissent en groupe (« rutting companies », Bergerud 1973), mais contrairement à ce que rapporte Banfield (1977), les caribous de la Gaspésie ne forment pas de harems proprement dits, car les femelles peuvent changer de groupe et s’accoupler avec les mâles d’autres groupes. Il existe toutefois une nette hiérarchie entre les mâles au sein d’un groupe (Bergerud 1973). Le rut est une période  ponctuée de combats entre les mâles. Les mâles sont polygames et les femelles connaissent un cycle avec polyoestrus (Banfield 1977). L’accouplement a habituellement lieu vers la mi-octobre (Bergerud 1973).

Des individus déplacés ou dérangés sur leur site traditionnel de rut pourraient nuire à un accouplement optimal. Selon Moisan (1956), l’utilisation de ces aires ouvertes dans le parc national de la Gaspésie est importante, car elle permettrait une meilleure reconnaissance des individus et elle faciliterait le succès de la reproduction.

Mise bas

La durée de la gestation est de sept à huit mois. La mise bas survient vers la mi-mai et peut s’étendre jusqu’à la mi-juin  (Bergerud 1973). Les caribous n’ont généralement qu’un seul petit par portée, les jumeaux étant très rares (Banfield 1977). Le nouveau-né commence à brouter vers l’âge de deux semaines; l’allaitement est très important durant le premier mois et il se prolonge souvent jusqu’à l’hiver. Le faon réussit à se tenir sur ses pattes dans l’heure qui suit sa naissance et il peut parcourir plusieurs kilomètres à la course après seulement 90 minutes de vie (Banfield 1977).

Domaine vital 

Selon les travaux de Ouellet (1996), la superficie moyenne du domaine vital des femelles de la harde de la Gaspésie a été estimée à 145 km², mais 50 % de l’activité des individus est réalisée dans un secteur de 14 km². Les travaux récents de télémétrie (1998 à 2001) ont par contre démontré que la moyenne des domaines vitaux des caribous des secteurs du mont Logan, du mont Albert et des monts McGerrigle serait d’environ 60 ± 0,6 km(Mosnier et al. 2002). Par ailleurs, en tenant compte de chacun des secteurs pris séparément, le domaine vital des caribous du secteur des monts McGerrigle serait plus important, conséquence de déplacements entre deux massifs montagneux, mouvements qui ne sont pas retrouvés aux secteurs des Monts Albert et Logan.

Migration et déplacements

Les migrations annuelles des grandes hardes qui occupent la toundra sont bien documentées; la distance qui sépare les aires de mise bas de celles utilisées en hiver peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres. Les caribous vivant en milieux boisés effectuent également des déplacements saisonniers. Les premières observations des caribous de la Gaspésie indiquent que ces déplacements sont plutôt restreints. Moisan (1956) parle de migrations altitudinales. En fait, à certains moments de l’année, le caribou utiliserait de façon plus marquée les zones d’altitude. Par contre, Ouellet et al. (1996) concluaient qu'il n'y avait pas de variations altitudinales aussi nettes que celles observées lors des migrations des populations de l'Ouest canadien.

Vers le début de l’automne, période qui correspond à la saison du rut et de l’accouplement, les caribous se déplacent vers les zones alpines dénudées (Moisan 1956; Bergerud 1973; Rivard 1978). Les milieux ouverts permettraient une meilleure reconnaissance des individus et faciliteraient la reproduction (Moisan 1956; Bergerud 1973). Les caribous demeurent à ces altitudes au début de l’hiver jusqu’au moment où les conditions d’enneigement les poussent à descendre vers les forêts des étages subalpins pour se nourrir (Moisan 1956).

À l’arrivée des conditions climatiques plus clémentes du début du printemps, les caribous deviennent plus mobiles. Durant cette période, les caribous réapparaissent sur les sommets; la fonte des neiges à ces altitudes expose à nouveau les espèces végétales dont se nourrissent les caribous.

Génétique

Afin d'évaluer l'impact de l'isolement géographique sur la dérive génétique, 226 échantillons de muscles et de sang ont été prélevés dans la population montagnarde de la Gaspésie, dans cinq populations forestières et dans une population toundrique. Huit locus microsatellites de l'ADN nucléaire ont été examinés. Le nombre d'allèles par locus différait entre les populations. Les valeurs moyennes les plus faibles ont été notées dans la population montagnarde et dans deux populations forestières isolées du sud du Québec. La distance génétique était plus grande entre les populations les plus éloignées géographiquement, particulièrement entre la population de la Gaspésie ou la population toundrique. La dérive génétique est notable dans les populations isolées mais ne semble pas problématique à l'heure actuelle. Pour conserver la biodiversité, des mesures appropriées devraient être adoptées afin de maintenir les échanges entre les populations d’un même écotype et pour accroître les populations locales (Courtois et al. 2002). Dans le cas de la population de la Gaspésie, il faut donc accroître l’abondance de son effectif (J.-P. Ouellet, comm. pers.)[1] et maintenir l’habitat propice entre les trois secteurs actuellement fréquentés afin de permettre les échanges ponctuels entre ces unités (Mosnier et al. 2002).

Dynamique des populations 

Densité 

La densité des caribous de la Gaspésie (0,14 individu/km²) est élevée. À titre de comparaison, la densité dans le nord du Québec dépasse un individu/km² (Crête et Huot 1993), et elle surpasse parfois 10/km² lorsque les animaux se rassemblent sur les aires de mise bas (Crête et al. 1989). À l’autre extrême, le caribou se fait rare dans la forêt boréale du centre du Québec : on a calculé des densités de 0,03 caribou/km² pour les hardes des régions du lac Bienville et de la rivière Caniapiscau et de 0,01 à 0,004/km² pour celle de Val-d’Or (Crête et al. 1990; Courtois et al. 2001).

Les inventaires récents (Desrosiers et Faubert 2007) montrent que la population a diminué de façon importante au cours des dernières années (figure 1).

Figure1: Les inventaires récents (Desrosiers et Faubert 2007) montrent que la population a diminué de façon importante au cours des dernières années

Rapport des sexes

Le rapport des sexes a fluctué autour de 0,45 mâle par femelle dans les années 1950 jusqu’aux environs de 1,20 pendant les années 1984, 1985, et 1986. Par contre, de 1973 à 1983, il est difficile de suivre l’évolution du rapport des sexes, car les critères d’identification utilisés au cours des inventaires aériens ne permettaient pas de calculer ces données (Messier et al. 1987). Le rapport des sexes a ensuite oscillé au-dessus de 1 (1,14 à 1,07) jusqu’en 1992 (Desrosiers 1993). Actuellement, le ratio serait également autour de 1 : 1 (Fournier et Faubert 2001).


Taux de survie des adultes

D’après la télémétrie réalisée de 1998 à 2002, le taux de survie des adultes serait d’environ 85 % (Fournier et Faubert 2001), contrairement à l’étude réalisée par Crête et Desrosiers (1993), qui l’estimèrent à plus de 90 % en se basant sur les travaux de télémétrie réalisés de 1987 à 1992.

 

Description de l’habitat utilisé

Une description de l’habitat utilisé par le caribou a été réalisée à partir de localisations télémétriques. La population de caribous de la Gaspésie occupe le milieu montagneux constitué, aux étages inférieurs, de forêts conifériennes matures et, sur les sommets, de toundra alpine. À partir des localisations télémétriques, une analyse de l'utilisation par le caribou des différents types d’habitats (dénudés secs et humides, feuillus, immature inférieur à 70 ans, sapinière mature et pessière mature) a été réalisée pour les différents secteurs (monts Logan, Albert et McGerrigle) . Proportionnellement aux autres milieux, le milieu dénudé est fortement utilisé par le caribou quel que soit le secteur considéré. Les secteurs feuillus sont peu utilisés dans les secteurs du mont Albert et des monts McGerrigle, mais utilisés selon leur disponibilité au mont Logan. Dans tous les secteurs, on retrouve peu de milieux immatures. Quant à la sapinière mature, elle est utilisée selon sa disponibilité au mont Logan et peu utilisée aux monts Albert et McGerrigle. Pour la pessière, elle est peu utilisée aux monts Logan et Albert mais utilisée proportionnellement à sa disponibilité dans le secteur des monts McGerrigle (Mosnier et al. 2002). 

La forêt du parc national de la Gaspésie a subi quelques perturbations naturelles mineures. Il n’y a pas eu d’incendies importants dans le parc depuis 1965 alors qu’à cette époque le feu avait détruit 22 km² de forêt dans la région du mont Richardson. La tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana) ne semble pas avoir eu d’impact important sur les peuplements boisés du parc (Dansereau 1999). Boileau (1993) a calculé que seulement 3 % de son aire d’étude, qui englobait tout le secteur des monts McGerrigle, a été affecté par la tordeuse, et la majorité de ces peuplements étaient à l’extérieur du parc. Le froid qui sévit dans la région inhibe les effets dévastateurs de l’insecte rendant même les arrosages aériens non nécessaires (L. Dorais,comm. pers.)[2].

L’utilisation saisonnière du territoire occupé par le caribou de la Gaspésie a déjà été étudiée. Les données télémétriques récentes de 1998 à 2001 ont démontré que les zones dénudées seraient utilisées en toute saison et que les sapinières constitueraient le milieu forestier le plus utilisé (Mosnier et al. 2002). Les résultats préliminaires tirés de données télémétriques recueillies entre 1987 et 1992 indiquent aussi que les caribous de la Gaspésie utilisent intensivement la toundra alpine et les sapinières (Ouellet et al. 1996). Contrairement aux études antérieures, celles-ci démontrent qu'il y a peu de variations saisonnières dans l’utilisation de l’habitat, notamment chez les femelles (tableau 2).

Ces auteurs proposent une hypothèse selon laquelle les femelles auraient changé leur stratégie d’utilisation en raison de l’arrivée d’un nouveau prédateur, le coyote, et elles utiliseraient davantage aujourd’hui la toundra alpine. Cette nouvelle stratégie permettrait une meilleure protection des faons contre les prédateurs. Il semble que le caribou soit plus apte à protéger ses faons en milieu ouvert qu’en milieu boisé (Crête et al. 1989, 1990). Il est également possible que l’utilisation intensive de la télémétrie ait fourni récemment une meilleure image de l’utilisation de l’habitat par les caribous que par les années précédentes.

 

Tableau 2.    Utilisation de l’habitat par le caribou (femelles et faons) du parc national de la Gaspésie
Peuplement Importance
Relative
(%)
Utilisation (%)
Femelles
Automne
Utilisation (%)
Femelles
Hiver
  Utilisation (%)
Faons
Été
Utilisation (%)
Faons
Hiver
Pessières 4 9 <1   2 3
Sapinières 49 21 38   35 33
Autres conifères 1 0 0   2 3
Bétulaies 8 2 7   2 4
Autres feuillus 4 2 1   0 <1
Régénération 13 0 4   2 4
Dénudés secs 20 65 50   57 54

(Source:  Ouellet et al. 1996)

Particularités de l’habitat en été 

Durant l’été, les caribous ne semblent pas utiliser d’habitats particuliers (Rivard 1978), car la nourriture est disponible un peu partout. Les températures élevées des sommets inciteraient les caribous à chercher la fraîcheur qui prédomine dans les coulées ou sur les plaques de neige persistantes (Rivard 1978; Fuller et Keith 1981). Dumont (1993) observait régulièrement des caribous en juillet sur une combe enneigée encore présente sur le mont Jacques-Cartier.

La nouvelle végétation qui apparaît dans les forêts de transition et les peuplements subalpins pourraient également inciter les caribous à quitter les sommets pour se nourrir. Des caribous ont été observés près des lacs et des marécages où l’on trouve des mousses, des lichens et des arbustes. Par contre, les caribous retourneraient souvent sur les plateaux alpins durant l’été pour se soustraire au harcèlement des insectes (Bergerud 1973; Trépanier 1984).

Particularités de l’habitat en hiver

Plusieurs études ont démontré qu’un habitat optimal d’hiver dans la forêt boréale doit avoir une topographie variée qui procure différentes conditions d’enneigement durant toute la saison. Ceci permet une meilleure accessibilité aux ressources alimentaires durant cette période difficile.

Les lichens arboricoles, principalement utilisés en sapinière mature, jouent un rôle important dans le régime alimentaire du caribou de la Gaspésie, car ils constitueraient une source de nourriture essentielle lorsque les lichens terricoles deviennent difficilement accessibles dans les milieux alpins (Rominger et Oldemeyer 1989; Mosnier et al. 2002). Ils utilisent aussi beaucoup les sommets (Mosnier et al. 2002). Cette situation a été décrite pour le parc national de la Gaspésie et les monts Selkirk.

Dans la sapinière mature, le caribou ferait des choix le long de son trajet d’alimentation. Il sélectionnerait les sapinières caractérisées par une neige plus dense et dans lesquelles les arbres seraient de plus gros diamètre et porteurs de la biomasse de lichens la plus élevée (Mosnier et al. 2002).

Mise bas

Vers la fin de mai jusqu’à la mi-juin, les femelles se dispersent dans différents milieux pour la mise bas (Bergerud 1973; Rivard 1978). Contrairement aux habitudes des populations nordiques, il n’y a pas d’aires de mise bas bien définies dans le parc et ses alentours, ni d’aire de mise bas commune.

La neige ne disparaît que par petites plaques dans les montagnes très accidentées, et ce, de manière similaire d'une année à l'autre, offrant ainsi un milieu propice aux prédateurs. Lorsque les zones dégagées sont moins disponibles, la dispersion des femelles au moment de la mise bas et des jeunes après leur naissance est plus difficile. En plus d’entraver les mouvements, l'épaisseur de la neige pourrait donc limiter la survie des jeunes.

 

Facteurs limitatifs potentiels ou avérés 

La prédation

Comme chez beaucoup de grands mammifères, la survie d'une population de caribous est principalement liée à la survie des jeunes. Plusieurs études sont arrivées à la conclusion qu’une prédation importante des jeunes caribous peut occasionner un déclin important chez les populations à croissance faible (Seip 1992; Stuart-Smith et al. 1996; Rettie et Messier 1998). Les jeunes caribous seraient surtout vulnérables aux prédateurs durant les quatre à six premières semaines de leur existence (Rettie et Messier 1998).

Des études réalisées dans l’ouest de l’Amérique du Nord sur le caribou (Seip 1992; Boertje et al. 1996) et d'autres cervidés, notamment des orignaux (Alces alces) (Stewart et al. 1985), ont permis de constater que lorsque le taux de survie des jeunes est très bas, le prélèvement d'un nombre important de prédateurs résultait en une augmentation rapide et significative du taux de survie des nouveau-nés. Bien qu'ils n'occupent pas les mêmes habitats que les caribous, la présence d'autres cervidés (orignaux et cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus)) tend à faire augmenter le nombre de prédateurs (Schwartz et Franzmann 1989; Bergerud et al. 1985) et, par conséquent, augmenter les pressions de prédation sur les caribous (Bergerud et Ballard 1988).

Coyote et ours noir

Dans plusieurs régions où on le retrouve, le coyote est responsable d’un grand nombre de mortalités chez les jeunes caribous. En effet au nord-est de l'Alberta, 44 % des mortalités des faons dues à la prédation seraient causées par le lynx du Canada( Lynx canadensis) et le coyote (Stuart-Smith et al. 1996). Dans le parc national de la Gaspésie, certaines années, la prédation par le coyote et l’ours noir pourrait occasionner la perte de 75 % des faons (Crête et Desrosiers 1993). La prédation serait donc en majeure partie responsable du faible taux de recrutement en 1987, 1988 et 1989 (4, 7 et 13 faons/100 femelles) et de celui de 1999 avec 31 faons/100 femelles (Crête et Desrosiers 1993; Crête et al. 1990; Desrosiers et Faubert 1999) (figure 2).  Les données d’inventaires ne sont présentées que pour les secteurs du mont Albert et des monts McGerrigle et non pour le mont Logan parce que la présence de caribou a été notée seulement depuis quelques années à cet endroit. Il est également bon de noter que les faons peuvent demeurer vulnérables à la prédation jusqu’à l’âge de six mois (Crête et Desrosiers 1993).

En Gaspésie, l’ours noir est reconnu comme un prédateur opportuniste des jeunes caribous dans le parc (Boileau 1993). Cependant, un nombre important d’ours noirs fut observé au cours des dernières années sur les sommets dénudés (Desrosiers et Faubert 2001).

Afin d’augmenter l’effectif de faons, des opérations de contrôle se sont déroulées entre 1990 et 1996 aux secteurs du mont Albert et des monts McGerrigle et ont donné de bons résultats. Le nombre de faons a augmenté à la suite de ces opérations. Ces résultats corroborent ceux d’autres études portant sur d’autres cervidés, notamment des orignaux (Stewart et al. 1985; Seip 1992; Boertje et al. 1996). En Alaska, lors d'un contrôle prolongé du loup, principal prédateur du caribou, on nota une reprise significative de la croissance du troupeau de caribous (Boertje et al. 1996). Cependant, ces études ont également permis de démontrer que le contrôle devrait être prolongé pendant plusieurs années pour être réellement efficace.

Figure 2.   Pourcentage de faons observé lors des inventaires aériens automnaux de la population de caribous de la Gaspésie de 1981 à 2006

Figure 2.   Pourcentage de faons observé lors des inventaires aériens automnaux de la population de caribous de la Gaspésie de 1981 à 2006

       (Source : Desrosiers et Faubert 2004, 2007).

Lynx du Canada

Le lynx du Canada peut causer des dommages aux populations de caribous lorsque sa proie principale, le lièvre d’Amérique (Lepus americanus), diminue. Par contre, pour la population de caribous de la Gaspésie, il ne fut pas rapporté de cas de prédation (N. Fournier, FAPAQ, comm. pers.)[3]. Le lynx du Canada ne représente donc pas, à court terme, une menace pour la survie de la harde.

Il semble que la population de lynx soit relativement abondante et qu'il y ait peu de fluctuations de ses effectifs comparativement à la moyenne québécoise (Courtois et al. 1996).

Aigle royal

Bien qu’un nombre important de cas de prédation par l’aigle royal (Aquila chrysaetos) fut rapporté au Yukon et en Alaska (Roseneau et Curatolo 1976), il s'agirait d'un prédateur marginal des caribous du parc national de la Gaspésie. En effet, un seul cas de prédation fut rapporté dans la région (Crête et Desrosiers 1993). Ce prédateur s'attaquerait seulement aux faons naissants et des observations ont démontré qu'habituellement la protection de la mère est suffisante (Dumont 1993).

Mesures mises en place :

En rapport avec le contrôle des prédateurs du caribou, voilà les actions qui ont été entreprises pour réduire la prédation :

Actions Années
ÿReprise du contrôle des prédateurs dans le secteur du mont Albert et des monts McGerrigle 2001
ÿPrélèvement de coyotes par le personnel de la Société de la faune et des parcs du Québec (Pilon 1997) 1990 à 1996
ÿCréation de sites de nourrissage de l'aigle royal sur un site ouvert à proximité de la toundra alpine des sommets du parc national de la Gaspésie (Boileau 1996). Ce site était alimenté au printemps par des carcasses de cerfs de Virginie et d'orignaux victimes d'accidents routiers. Il fut fréquenté dès la première année d'installation, en 1990, et fut maintenu en place jusqu’en 1994 1990-1994
ÿInstauration de la chasse à l’ours noir dans les territoires périphériques (réserve faunique des Chic-Chocs) adjacents au parc national de la Gaspésie 1992
ÿFormation et information, axées sur le prélèvement de canidés, données aux trappeurs fréquentant les territoires adjacents au parc national de la Gaspésie 1991
ÿProlongation de la saison réglementaire de piégeage du coyote 1991
ÿPrélèvement par le personnel de la Société de la faune et des parcs du Québec d’ours noirs sur les sommets 1990-1991

Disponibilité en lichen arboricole

Du fait que le caribou utilise principalement, en période hivernale, les lichens arboricoles retrouvés dans les sapinières anciennes des sommets du parc national de la Gaspésie et du secteur extérieur au parc, les interventions forestières peuvent affecter sa disponibilité (Bergerud 1983;  Rivard 1978; Ouellet et al. 1996; Champagne et al. 1999; Fournier et Turcotte 2002).

 

Pour minimiser l’impact de ces activités, les prescriptions forestières doivent tenir compte des éléments suivants :

  • Les forêts de conifères doivent être âgées de 40 à 100 ans avec une canopée fermée à 70 % ou moins (Racey et al. 1991) pour que les sites conviennent à l’alimentation du caribou.
  • La restauration d’un site à la suite d’une coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) requiert 90 ans avant qu’une biomasse significative de lichens soit retrouvée.
  • La biomasse de lichens sur les arbres est fonction du diamètre et de l’étagement de la végétation et elle serait plus importante dans l’étage montagnard (Arseneau 1996).
  • Compte tenu que le taux de croissance des lichens peut varier d’un endroit à l’autre, l’âge minimum des peuplements recherchés par le caribou variera.
  • En plus de sa disponibilité, l’accessibilité doit être prise en compte, car le caribou utiliserait principalement les lichens retrouvés entre 0 et 4 mètres (Arseneau 1996).
  • La colonisation d'un jeune peuplement par les lichens arboricoles est fonction de la distance de la forêt mature adjacente. La fragmentation résultant de certains types de coupes est donc un facteur limitant dans l'efficacité de la dispersion des lichens (Arseneau et al. 2000).
  • Du fait que les peuplements forestiers sont âgés dans le parc, le risque de chablis suivant une coupe semble important. Déry et Bélanger (2000) mentionnent notamment qu'il faut éviter d'éclaircir les peuplements résiduels entre les parterres de coupe avec protection de la régénération des sols (CPRS), ceux-ci étant plus susceptibles aux chablis. Cependant, la chute de lichens et les chablis seraient des mécanismes importants de la mise en disponibilité des lichens (Arseneau 1996). Lors de coupes forestières, Van Daele et Johnson (1983) ont fait remarquer qu'il fallait considérer autant les arbres morts que ceux qui étaient vivants. En effet, les chicots contiennent une quantité importante de lichens (Stevenson 1979).

Mesures mises en place pour protéger l’habitat du caribou :

A- Plan d’aménagement forestier

Un plan d’aménagement des zones forestières en périphérie du parc national de la Gaspésie a été élaboré conjointement par le ministère des Ressources naturelles et la Société de la faune et des parcs du Québec dans le but de concilier la protection du caribou avec les apports économiques reliés à la récolte de matière ligneuse (Champagne et al. 1999). Cette entente concerne 29 000 hectares préalablement attribués à l’industrie sylvicole et couvre la période de 1999 à 2004. Le plan a été bonifié et une nouvelle entente s’applique depuis 2006, jusqu’en 2011. Les principaux objectifs de ce plan étaient d’assurer :

  • le rendement soutenu de la biomasse forestière;
  • la protection des sommets présentant un faciès de toundra;
  • la protection des corridors de déplacements pour le caribou;
  • l'instauration de normes particulières d'interventions forestières;
  • le maintien d'activités forestières dans certaines zones d'aménagement.

B- Études entreprises sur les types d’interventions forestières

Comme les coupes forestières suppriment une partie plus ou moins importante de la biomasse de lichens, dépendamment de l'intensité des coupes, différentes études furent menées afin d'évaluer les principales variables favorisant une conservation maximale des lichens arboricoles :

-      Lors de coupes de jardinage effectuées à la tronçonneuse dans la région de la réserve faunique de Matane, on a noté une perte de 37 % à 55 % des lichens arboricoles, tandis qu’avec une éclaircie mécanisée préservant les plus gros arbres, on limite les pertes à 32 % (Arseneau et al. 2000).

- Un prélèvement de 25 % de la surface terrière dans une sapinière mature n'affectait pas significativement l'abondance des lichens sur les arbres résiduels. La perte de lichens se limitait donc à celle due aux arbres coupés.

- Dans le cadre d'une étude portant sur l'effet de l'exploitation forestière en fonction d'une protection maximale de l'habitat du caribou (Déry et Bélanger 2000), il apparaît que le maintien d'une structure irrégulière est essentiel pour préserver en tout temps les arbres porteurs de lichens arboricoles.

Cette stratégie s'approcherait notamment de la dynamique naturelle des sapinières du parc national de la Gaspésie.En effectuant une coupe d'éclaircie ou coupe partielle, on préserve l'habitat du caribou et on assure la conservation de la structure d'origine. En effet, ceci s'explique par la présence d'une régénération résineuse dominante déjà largement établie dans les sapinières du parc. En somme, la coupe partielle, en plus de diminuer la longueur des révolutions, rend l'habitat plus rapidement disponible pour le caribou qu'une CPRS.

Effets du dérangement

Interventions forestières

Le caribou a tendance à délaisser les zones perturbées (Murphy et Curatolo 1987) lorsque les corridors de migration sont affectés par les interventions forestières. Les caribous passent aussi moins de temps à s'alimenter et à se reposer et davantage à surveiller, marcher et courir. Ceci apporte vraisemblablement des dépenses énergétiques supplémentaires (Murphy et Curatolo 1987; Dyer et al. 2001). Les femelles et les faons sembleraient plus affectés par ces perturbations en s'éloignant davantage que les mâles (Murphy et Curatolo 1987; Chubbs et al. 1993). Une étude menée à Terre-Neuve, portant sur l'habitat estival en fonction de coupe à blanc, a démontré que les femelles utilisaient les brûlis ouverts et les zones de bois dur (et les forêts matures) avant coupe et les délaissèrent ensuite, après perturbation, au profit des forêts matures non perturbées (Chubbs et al. 1993). Cependant, les caribous peuvent s'habituer partiellement aux perturbations de leur milieu tout dépendant de la sévérité de ces dernières (Bergerud 1974). Les caribous (Racey et al. 1991) semblent éviter davantage l'activité humaine et les routes dans les zones forestières que dans les lieux ouverts.

Activités humaines

Les impacts de l’activité humaine sont l’objet de controverses et il est possible que les effets diffèrent selon les populations étudiées. Bergerud (1974) a trouvé que les différentes activités et le bruit qui en résultaient, semblaient avoir peu d’impact sur le caribou de Terre-Neuve. Les caribous des Selkirk, dans le sud de la Colombie-Britannique, se seraient habitués à la présence d’une autoroute passant à travers leur territoire. Par contre, des études portant sur la construction de routes et de chemins de fer en Norvège, de même que sur l’installation d’un pipeline en Alaska, tendent à démontrer que certaines populations sont sensibles aux dérangements. Des travaux récents ont toutefois montré que le caribou toundrique n’évitait pas les champs pétrolifères et que ceux-ci n’influençaient pas le taux de croissance de la population (Pollard et al. 1996; Cronin et al. 1998a, 1998b). À l’opposé, Dyer et al. (2001) ont montré que le caribou forestier évitait les infrastructures construites par les humains (puits de pétrole routes et lignes de prospection minière), particulièrement lorsqu’elles sont utilisées de façon intensive. L’évitement pouvait aller jusqu’à 1000 m pour les puits de pétrole et 250 m pour les routes et les lignes de prospection minière. Cette exclusion ferait en sorte qu’environ 22-48 % de leur site d’étude demeurait peu propice au caribou. L’évitement était plus prononcé en fin d’hiver et durant la mise bas, probablement parce que le trafic routier était plus important durant ces périodes.

Activités d’interprétation

Une étude concernant l’impact des randonneurs sur la population de la Gaspésie a démontré que la présence de ces derniers modifiait le comportement des caribous : ils passent moins de temps à s'alimenter, à se reposer et davantage à surveiller, marcher et courir (Dumont 1993). Si la fréquentation des sommets dénudés par les caribous constitue un moyen efficace d'échapper à leurs principaux prédateurs (Crête et al. 1989; Seip 1989; Ouellet et al. 1991), la présence de randonneurs, en provoquant la fuite des caribous (observés dans 64,2 % des cas) de la toundra alpine vers les boisés subalpins, augmenterait le risque de prédation par l’ours et le coyote (Crête et al. 1990; Dumont 1993). Face à cette situation, certaines mesures furent mises de l’avant par la direction du parc national de la Gaspésie de manière à mieux contrôler l’accès à la toundra alpine et les agissements des randonneurs lorsqu’ils visitent les sommets (Crête et al. 1990). Éventuellement, les activités qui se déroulent dans le secteur du mont Logan, qui sont de plus en plus prisées pour le développement récréotouristique, devraient elles aussi être encadrées, ce secteur abritant un important groupe de caribous.

Mesures entreprises dans le parc pour contrôler le dérangement

Les mesures suivantes ont été mises en application pour diminuer le dérangement du caribou de la Gaspésie :

-        L’accès au mont Jacques-Cartier est interdit avant le 24 juin et après la fin de septembre dans le but d’éviter le dérangement pendant les périodes de mise bas et de reproduction. De plus, l’accès n’y est possible qu'entre 10 h et 15 h. Puis l’accès aux sommets des monts Albert et Richardson est interdit durant la période de rut, après le 30 septembre.

-        Information aux visiteurs, par la mise en place de panneaux d’interprétation et distribution de brochures d’activités informant les visiteurs sur l'impact de leur présence sur le caribou et son habitat.

 

Braconnage et prises accidentelles

Bien qu’on ne s’attende pas à ce que tous les cas de braconnage soient rapportés, ce problème semble peu répandu dans et autour du parc national de la Gaspésie. En effet, il semblerait que sur une période de 15 ans (soit de 1971 à 1986) seulement cinq cas de braconnage et deux prises accidentelles furent rapportées (Dupuy et Desrosiers 1986). Il fut également question, en 1996, d’un accident de chasse près de Saint-Marcellin ainsi que d’un cas de braconnage à l’automne 2000 (N. Fournier, FAPAQ, comm. pers.). Faute de renseignements très précis, il s’avère difficile d’évaluer précisément l’impact du braconnage et des captures accidentelles. Cependant, il ne faut pas négliger ces situations qui sont inacceptables dans un contexte de maintien de la biodiversité.

Les maladies

Le ver des méninges 

Le ver des méninges (Parelaphostrongylus tenuis) est un parasite du système nerveux du cerf de Virginie. Ayant peu d'effet chez son hôte principal, le cerf de Virginie, il est mortel pour les orignaux et les caribous (Claveau et Fillion 1984). Ce parasite aurait causé la disparition de caribous réintroduits en présence de cerfs de Virginie, en Nouvelle-Écosse en 1968-1969 (Dauphiné 1975) ainsi que dans une réserve du Wisconsin (Trainer 1973).

Bien que ce ver soit présent chez les cerfs de la Gaspésie (Claveau et Fillion 1984), les risques de transmission de ce parasite aux autres cervidés en nature semblent très limités. En effet, aucun cas n'a été rapporté pour les caribous et les orignaux du parc national de la Gaspésie (Crête et Desrosiers 1993; Crête et al. 1994). Cela pourrait être attribuable aux aires de répartition spécifiques et aux habitats distincts fréquentés par les différents cervidés (Dumont et Crête 1995) ainsi qu'à la diminution du nombre de cerfs au cours des années 1990, diminuant ainsi les risques d'infestations. Il faudrait cependant effectuer un suivi des signes d’infection et tenter de ne pas favoriser la présence du cerf dans le parc national de la Gaspésie.

La maladie débilitante chronique (MDC)

La maladie débilitante chronique (MDC) est une maladie du système nerveux, de la famille des encéphalopathies spongiformes transmissibles, qu'on trouve chez les cervidés. Au Colorado et au Wyoming, on estime qu'entre 6 % et 15 % des cerfs et 1 % des wapitis sauvages (Cervus elaphus) pourraient être contaminés (Lachapelle 2000). Au Canada, les seuls cas mentionnés, principalement en Saskatchewan, le furent dans des élevages où des bêtes importées contaminèrent les troupeaux qui furent détruits. Aucun cas en nature ne fut répertorié par l’Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) ainsi que la Direction générale des services vétérinaires du ministère de l'Agriculture du Manitoba (Whiting 1999) et ils considèrent que les risques de propagation sont pratiquement nuls. Le seul risque de transmission subsistant pour les caribous du parc proviendrait des élevages de cerfs rouges (Cervus elaphus) ou par l’importation d’animaux contaminés. Comme la transmission entre individus se fait par la mère ou par contact avec un placenta lors de la mise bas, les risques de contamination dans le parc sont mineurs étant donné les différents habitats utilisés par les cervidés en question (Dumont et Crête 1995).

Les avalanches

Des études en Colombie-Britannique (Simpson 1987) ont démontré que dans certaines zones à risque, les avalanches sont responsables d’un nombre important de mortalités. En ce qui a trait au parc national de la Gaspésie, qui est caractérisé par des sommets de plus de 1000 mètres, entouré de vallées aux versants raides et recevant des précipitations nivales pouvant atteindre quatre à cinq mètres annuellement, il semble posséder les caractéristiques pour le développement d'avalanches (Boucher 2000).

Une étude menée en fonction des endroits visités par les skieurs dans et hors parc en hiver démontre notamment que les sites, la vallée du Diable au mont Albert, le mont Hog's Back, le petit mont Sainte-Anne, les mines Madeleine, le mont de la Passe, le mont Xalibu, le mont Vallières-de-Saint-Réal sont reconnus comme des lieux d'avalanches. À ce dernier secteur, il était d’ailleurs interdit de pratiquer des activités hivernales il y a quelques années pour éviter la mortalité de caribous.

Les caribous du parc sont parfois victimes des avalanches mais cette cause de mortalité n’a pas été mesurée de façon exacte (N. Fournier, FAPAQ, comm. pers.). Il y aurait quelques cas recensés actuellement.

Les conditions d'enneigement

Une étude en Alaska (Denali National Park) a démontré que la masse des faons à la naissance déclinait avec l'augmentation des précipitations nivales durant la gestation (Adams et al. 1995). Leurs résultats, tout comme ceux de Boertje et al. (1996), ont parallèlement démontré que la survie des faons était fortement corrélée avec leur masse à la naissance. De plus, la mortalité des jeunes serait supérieure lorsque le printemps est tardif et qu'il y a encore de grands bancs de neige sur les sommets. Ceci s'explique en partie par un espace plus restreint de zones dégagées pour la dispersion lors de la mise bas ainsi qu'après la naissance des petits. Les résultats de Stuart-Smith et al. (1997), en Alberta, ont montré qu'il existait une relation négative entre les déplacements des caribous et le degré d'enneigement. L'épaisseur de la neige peut donc, en plus de limiter la survie des jeunes et la mobilité, augmenter les dépenses énergétiques et diminuer l'efficacité de l'alimentation qui se fait moins sélective dans ce cas (Boertje 1985).

 

Situation au Québec

État actuel de la population

La population de caribous de la Gaspésie est géographiquement et génétiquement isolée des autres populations du Québec (Courtois et al. 2002). Initialement évaluée à au moins 750 caribous au début des années 50, elle ne comptait plus que 200 caribous à la fin des années 1980. Le nombre de caribous observés lors des inventaires aériens des 10 dernières années ne permet pas de croire que la situation se soit récemment améliorée. Aujourd’hui, la population ne compterait qu’environ 140 bêtes. Historiquement, les causes les plus probables pouvant expliquer son déclin seraient l’exploitation par la chasse, les pertes d’habitat dues à l’exploitation forestière et minière et les feux de forêt (Moisan 1957). Plus récemment, l’arrivée du coyote, un nouveau prédateur causant une mortalité importante des faons en plus de celle exercée par l’ours noir (Fournier et Faubert 2001) serait la cause principale du déclin du caribou de la Gaspésie (Crête et Desrosiers1993).

Mesures adoptées pour préserver l’espèce

Plusieurs mesures ont été adoptées pour protéger le caribou de la Gaspésie (Moisan 1957). La vente de la venaison a été abolie en 1929 et la chasse fut interdite pour cinq ans (Moisan 1956). Elle fut permise de nouveau en 1934 mais le parc national de la Gaspésie a été créé en 1937, prohibant de la sorte la chasse à l’intérieur du parc. Finalement, cette activité fut bannie de toute la Gaspésie en 1949. Les limites du parc ont été revues en 1981. Depuis 1977, toute forme d’exploitation forestière et minière est interdite à l’intérieur des limites du parc national de la Gaspésie. Un plan de rétablissement a été mis en opération de 1990 à 1995 (Équipe de rétablissement du Caribou de la Gaspésie 1994).Finalement, un plan d’aménagement forestier a été élaboré depuis 1999  (Champagne et al. 1999). La prochaine version est actuellement en cours d’élaboration. De plus, les actions prévues dans le présent Plan de rétablissement (2002-2012) devraient permettre l’augmentation de l’effectif de la population de caribous.  Un comité de suivi va s’assurer de la mise en œuvre des actions. D’autres mesures, comme l’élevage de caribous pourrait être envisagé si le recrutement demeure trop faible pour assurer le rétablissement de la population de caribous.

 

Potentiel de rétablissement

Actuellement, la situation de la population de caribou de la Gaspésie est particulièrement alarmante et préoccupante.  Puisqu’il s’agit du seul vestige des populations de caribous forestiers qui étaient jadis présentes au sud du fleuve Saint-Laurent, conserver cette population exige d’agir le plus rapidement et le plus justement possible. Les faons de caribou étant victimes de prédation importante de la part des coyotes et des ours noirs, la situation de la population est critique actuellement. C’est pour cette raison que des opérations de contrôle des prédateurs se sont déroulées de 1990 à 1996 et qu’elles ont été reprises en 2001 à la suite d’une diminution importante du nombre de faons. Ces contrôles seront effectués systématiquement pendant trois ans jusqu’à ce que la population atteigne 150 caribous. Ensuite, les méthodes utilisées seront réévaluées pour que les opérations poursuivies soient les plus efficaces  possible en terme de sites, périodes, ampleur, etc.. Comme les faons de caribous sont à la base même du redressement, le rétablissement de la population ne peut être fait sans que les opérations de contrôle se poursuivent à long terme. Sans ces interventions directes, le redressement de la population va être plutôt difficile et la population risque de s’éteindre à plus ou moins long terme. Également, la protection de l’habitat du caribou de la Gaspésie est tout aussi essentielle. Des mesures telles que la protection du territoire périphérique au parc national de la Gaspésie par la bonification du plan d’aménagement forestier, l’encadrement du développement récréotouristique et la limitation du dérangement demeurent des mesures indispensables.

 

Avis de l’Équipe de rétablissement

La prédation semble le principal facteur limitant de la population de caribou de la Gaspésie. L’Équipe de rétablissement est confiant qu’il sera possible d’accroître l’effectif de la harde de caribous de la Gaspésie puisque le contrôle des prédateurs a donné des résultats très satisfaisants au début des années 1990. De plus, plusieurs mesures légales et administratives (statut légal, aménagement forestier, diminution du dérangement) ont été mises de l’avant au fil des ans et la vaste majorité des intervenants et du public les approuvent et les respectent.

Cependant, compte tenu de la faible productivité du caribou, l’Équipe est d’avis que le rétablissement s’échelonnera sur une longue période.

 

[1]Université du Québec à Rimouski

[2]Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF)

[3]Société de la faune et des parcs du Québec

Détails de la page

Date de modification :