Programme de rétablissement du chardon de Pitcher au Canada [version finale] : Contexte
Nom scientifique : Cirsium pitcheri (Torr.) T. & G.
Nom commun : Chardon de Pitcher
Statut du COSEPAC : Espèce en voie de disparition
Date de l'évaluation : Mai 2000
Occurrence au Canada : Ontario
Justification de la désignation : Il s'agit d'une espèce endémique des rives des Grands Lacs qui ne se trouve qu'à peu d'endroits. Elle a une zone d'occurrence très limitée, elle a subi des pertes récentes de population et est menacée de façon continue par une faible grenaison et par la détérioration de l'habitat. Elle subit des pertes supplémentaires en raison du développement et de l'utilisation de son habitat à des fins récréatives.
Historique du statut : Espèce désignée « menacée » en avril 1988. Réexamen du statut : l'espèce a été reclassifiée « en voie de disparition » en avril 1999. Réexamen et confirmation du statut en mai 2000.
Le chardon de Pitcher fait partie des espèces en voie de disparition figurant dans l'Annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du gouvernement fédéral. L'espèce est aussi inscrite en tant qu'espèce en voie de disparition sur la Liste des espèces en péril de l'Ontario, établie en vertu de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition. L'aire de répartition mondiale du chardon de Pitcher est entièrement restreinte aux rives des lacs Huron, Michigan et Supérieur, dans quatre États des États Unis et en Ontario. À l'échelle mondiale, le chardon de Pitcher est considéré comme « vulnérable » et son rang est G3 (NatureServe, 2010). L'espèce est actuellement inscrite parmi les espèces gravement en péril (S1) dans l'Illinois, les espèces en péril (S2) en Indiana, au Wisconsin et en Ontario, et les espèces vulnérables (S3) au Michigan. Aux États Unis, à l'échelle fédérale, elle est inscrite comme une espèce menacée. L'espèce a disparu de l'Illinois, mais elle a été réintroduite avec succès à un endroit. Certaines populations de l'Indiana sont également des réintroductions (NatureServe, 2010). L'aire de répartition du chardon de Pitcher au Canada représente probablement moins du tiers de la répartition géographique mondiale.
Le chardon de Pitcher est une plante vivace d'un vert blanchâtre distinctif. La plante prend habituellement la forme d'un anneau de feuilles basilaires (« rosette ») finement divisées en lobes étroits dépourvus d'épines sauf à l'extrémité. Les rosettes atteignent généralement de 15 à 30 cm de diamètre.
La première année, le chardon de Pitcher est un plant et il peut passer de 2 à 11 années en rosette (Loveless, 1984; Stanforth et coll., 1997; Maun, 1999). À maturité, les plantes produisent une tige droite (de 50 à 100 cm de haut environ) comptant un ou plusieurs capitules épineux en forme d'urne de fleurs blanches ou rose pâle multiples. Après la pollinisation, chaque fleur produit un fruit semblable à une graine que le vent peut transporter en raison du faible lien pelucheux qui la retient au capitule et qui lui sert de parachute. La plante meurt après la grenaison. Le chardon de Pitcher ne peut pas se reproduire par voie végétative.
Les dunes et le biote qui en dépend diffèrent de la plupart des autres écosystèmes et de leur biote. Les dunes sont un écosystème exceptionnellement dynamique et sans cesse changeant; les animaux et les plantes qui y vivent sont remarquablement mobiles. Par conséquent, si nous voulons les protéger, individuellement ou collectivement, nous devons nous efforcer de protéger l'écosystème dans son ensemble - le système dunaire au complet, depuis la rive du lac (qui elle même change constamment) jusqu'à la ceinture de végétation à maturité derrière les dunes. Nous devons nous efforcer de protéger des superficies suffisantes à chaque endroit pour nous assurer que tout l'écosystème peut continuer à prospérer, tout comme le chardon de Pitcher qui s'y trouve.
Au Canada, l'habitat du chardon de Pitcher ne se trouve que dans les dunes sableuses et les crêtes de plage, sur les rives du lac Huron, et sur deux crêtes de plage du lac Supérieur. L'habitat optimal de l'espèce est un espace dégagé au sable sec où il y a peu d'autre végétation ou d'humus. Le chardon de Pitcher se trouve le plus souvent dans les prairies de dunes composées de schizachyrium à balais, de calamagrostide à longues feuilles et d'agropyre des Grands Lacs (Lee et coll., 1998; CIPN, 2003). Il s'en trouve occasionnellement dans des habitats atypiques, par exemple sur la partie supérieure d'une plage assez abrupte et graveleuse ou dans des végétations herbacées assez denses (Jones, 2001). Les chardons de Pitcher sont habituellement plus nombreux dans les avant dunes au stade pionnier (p. ex., les plus proches du lac), mais l'espèce se trouve aussi communément dans les arrière plages où il y a des étendues de sable sec. Dans les grandes dunes, le chardon de Pitcher peut se trouver à 100 m ou plus de l'eau. Lorsqu'une tempête ou encore le déracinement ou la chute d'arbres créent un creux de déflation dans une dune boisée, le sable sec exposé peut être colonisé par le chardon de Pitcher ou d'autres espèces dunaires rares (Jones, 2003).
L'habitat normal se compose de plusieurs zones distinctes (Jones, 2001 2003; Otfinowski, 2002). Sur le bord de l'eau, un estran mouillé compacté est dépourvu de végétation et ne convient pas à l'espèce. Immédiatement après, en direction des terres, il y a habituellement une pente ou une crête sableuse le plus souvent recouverte d'ammophiles (Ammophila breviligulata) ou de calamagrostides à longues feuilles (Calamovilfa longifolia var. magna) et à peu près rien d'autre. On peut y apercevoir quelques chardons de Pitcher ici et là. La plupart des chardons se trouveront plus à l'intérieur des terres, habituellement dans une dépression ou sur quelques petites crêtes, si le sable est sec et la zone dégagée. De là, en direction de la forêt, la végétation tend à se densifier, à recouvrir davantage le sable et à se couvrir d'arbustes. Le chardon de Pitcher peut aussi se trouver dans cette zone, même jusqu'aux bords des boisés, s'il y a des parcelles dégagées de sable sec.
Peu importe où se trouve son habitat, le chardon de Pitcher peut subir des extrêmes de chaleur, d'ensoleillement, de sécheresse et de vent et manquer de nutriments. En outre, il peut y avoir des changements du substrat, et des soulèvements de sable jusqu'à l'enfouissement. Otfinowski (2002) n'a observé aucune corrélation directe entre le nombre de chardons de Pitcher et leur emplacement dans les dunes ni avec d'autres facteurs environnementaux comme l'humidité ou l'ensoleillement.
L'habitat du chardon de Pitcher est dynamique en raison du mouvement du sable causé par l'action du vent, de l'eau et de la glace, de même que les tempêtes hivernales (McEachern, 1992). L'habitat qui convient à l'espèce se trouve dans l'équilibre entre les processus qui maintiennent le sable libre et sec et la succession, le processus naturel qui entraîne une augmentation graduelle de la couverture végétale. Par la succession, des aires dégagées se transforment naturellement en forêts. En l'absence de processus dynamiques, le sable peut devenir trop végétalisé pour le chardon de Pitcher.
Le chardon de Pitcher est une plante vivace et monocarpique, ce qui veut dire qu'elle ne fleurit et ne produit des graines qu'une seule fois dans sa vie. Elle meurt ensuite. Les fleurs sont bisexuelles et autofertiles, mais l'autopollinisation produit des taux de grenaison inférieurs à ceux de la pollinisation croisée (Keddy, 1982). Divers insectes visitent le chardon de Pitcher dont les bourdons, les mégachilides, les Anthophoridæ, les petites et les grandes halictes, de même que des papillons, des hespéries, des mouches, des guêpes, des abeilles domestiques et plusieurs types de coléoptères et de punaises (Keddy et Keddy, 1984; Loveless, 1984). La pollinisation n'est probablement pas un facteur limitatif.
On ne connaît pas encore l'élément déclencheur de la floraison. La taille de la rosette n'est probablement pas le facteur principal étant donné que les tiges peuvent être produites à partir de rosettes qui ont à peine 15 cm de diamètre et l'on a observé des rosettes qui ne fleurissaient pas dont la taille atteignait 40 cm de diamètre (Jones, données inédites). Des champignons mycorhiziens sont associés aux racines (Maun, 1999), mais on ne sait pas de quelle espèce il s'agit ni s'ils sont nécessaires à la survie des chardons de Pitcher.
Le chardon de Pitcher produit les plus grosses graines des chardons de l'Est de l'Amérique du Nord (USFWS, 2002; Gleason, 1952; Montgomery, 1977), peut être pour maximiser la croissance des racines des plants dans l'habitat sableux sec (USFWS, 2002; Loveless, 1984; Hamze et Jolls, 2000). On pense que les graines restent viables jusqu'à trois ans (Maun, 1999; Rowland et Maun, 2001). Des études donnent à penser que la quantité de graines viables peut être faible (Bowles et coll., 1993; Maun et coll., 1996).Toutefois, lorsque le tégument a été décortiqué ou enlevé en laboratoire, la germination totale a dépassé 95 %, ce qui permet de penser que la viabilité des graines peut être élevée dans les bonnes conditions de germination et qu'il peut y avoir un mécanisme complexe de dormance (Chen, 1997; Chen et Maun, 1998). Le chardon de Pitcher semble avoir une petite réserve de graines d'une année à l'autre (Loveless, 1984, Bowles et McBride, 1993, McEachern, 1992, Hamze et Jolls, 2000). La dispersion des graines peut donc être plus nécessaire à la stabilité des populations de l'espèce que la dépendance à l'égard des réserves de graines.
Le vent disperse les graines du chardon de Pitcher et la plupart tombent entre 0 et 4 m de la plante mère (Keddy 1982; USFW, 2002). Dans une étude génétique du chardon de Pitcher de la région de Manitoulin, Coleman (2007a) a découvert des génotypes identiques à des sites très éloignés les uns des autres, ce qui montre que la dispersion s'est occasionnellement étendue sur des distances pouvant atteindre 99 km.
La mortalité des plants peut être liée au microhabitat (Keddy, 1982). Elle est la plus élevée dans le sable dégagé et la plus faible dans le sable recouvert de débris, mais la germination et la mortalité s'équilibrent parce que la germination est également la plus grande dans les zones sableuses dégagées. L'érosion du sable contribue à la mortalité, de sorte que les graminées des dunes qui stabilisent le sable et améliorent les effets du vent et des déplacements du sable peuvent aider le chardon de Pitcher (D'Ulisse et Maun, 1996). La maturité retardée accroît également la probabilité de mortalité avant la reproduction parce que les rosettes vivent pendant un certain nombre d'années.
Des preuves génétiques indiquent que le chardon de Pitcher est directement issu du Cirsium canescens à la suite d'une série de goulots d'étranglement génétiques (Loveless et Hamrick, 1988), après la migration et l'isolement qui a suivi la glaciation. Le chardon de Pitcher s'est probablement dispersé dans son aire de répartition actuelle par les habitats sableux formés par les eaux de fonte du Wisconsinien (Moore et Frankton, 1963; Johnson et Iltis, 1963). Des études montrent que la diversité génétique du chardon de Pitcher est moindre que celle des autres espèces de Cirsium (Loveless, 1984, Loveless et Hamrick, 1988). L'analyse de l'ADN du chardon de Pitcher dans les régions de Manitoulin et du lac Supérieur a également montré une faible variabilité génétique (Coleman, 2007a). Six populations génétiquement distinctes ont été répertoriées dans l'ensemble de la population canadienne. Malgré la possibilité de dispersion jusqu'à 99 km de distance, cette dernière ne suffit pas pour créer une métapopulation dans l'aire de répartition canadienne.