Chouette tachetée du nord (Strix occidentalis caurina) programme de rétablissement : chapitre 14

11. Caractère réalisable du rétablissement de l’espèce aux plans écologique et technique

Plusieurs politiques importantes obligent l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée du Nord à évaluer le caractère réalisable du rétablissement de l’espèce en Colombie-Britannique sur le plan biologique et technique. Ces politiques sont les suivantes :

  • Le Cadre national pour la conservation des espèces en péril, qui inclut le but « d'empêcher toute espèce de disparaître à cause des activités humaines ».
  • L’Accord pour la protection des espèces en péril, qui stipule que « le fait de ne pas avoir une certitude scientifique absolue ne doit pas être une raison de retarder les mesures visant à éviter ou réduire les menaces pour les espèces en péril ».
  • Le manuel de rétablissement du RESCAPÉ (RENEW Recovery Handbook) préconise une approche de précaution selon laquelle on doit, jusqu’à preuve du contraire, considérer comme pouvant être rétablies les espèces pour lesquelles le caractère réalisable du rétablissement est inconnue.

L’équipe a donc évalué le caractère réalisable du rétablissement de la Chouette tachetée du Nord en Colombie-Britannique et déterminé que ce rétablissement était biologiquement et techniquement réalisable.

En se basant sur l’examen des éventuelles mesures de rétablissement, l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée estime qu’il existe suffisamment d’habitat convenable pour soutenir la population actuelle, petite mais en voie de disparition, jusqu’à la mise en œuvre du plan d’action pour le rétablissement. Une partie de ces mesures (p. ex. la définition et la protection de l’habitat essentiel) doit cependant être mise en œuvre le plus tôt possible et doit aborder les facteurs qui contribuent à la situation actuelle de la population de Chouettes tachetées, en vue de réduire la probabilité de sa disparition. Avec le temps, d’autres habitats convenables pourraient être recrutés dans une répartition spatiale susceptible d’accroître les chances que la population atteignent l'effectif inclut dans le but du rétablissement. D’après les premiers essais de modélisation (Blackburn, comm. pers.), il semble toutefois que, bien qu'il soit réalisable, le but du rétablissement d'atteindre une population de 250 chouettes adultes pourrait nécessiter des mesures d’accroissement de la population en plus des mesures de conservation de l’habitat. Il faut en outre souligner que l’atteinte du but du rétablissement est un projet à long terme, qui se mesurera vraisemblance en décennies, sinon plus, plutôt qu’en années, et que le but du rétablissement devra être lui-même revu tous les cinq ans. La modélisation en cours pourrait permettre de préciser les délais nécessaires.

Bien que l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée estime que le rétablissement de l’espèce est biologiquement réalisable, c'est un fait connu que le rétablissement de la Chouette tachetée fait face à d'importants défis logistiques, sociaux et économiques et que rien ne garantit que l’espèce se rétablira même si tous ces défis sont relevés. La probabilité que l’espèce se rétablisse naturellement (sans intervention humaine) jusqu'à atteindre un effectif suffisant pour changer de catégorie de risque est considérée comme extrêmement faible, par conséquent l’intervention humaine est recommandée. Les mesures d’accroissement de la population pourraient avoir une incidence majeure sur le rythme du rétablissement. Les obstacles au rétablissement sont notamment la perte de l’habitat, les effets de la concurrence avec la Chouette rayée pour les ressources, les effets potentiels de la fragmentation de l’habitat sur le succès de la dispersion, et les facteurs démographiques, dont l’incidence est particulièrement forte dans les petites populations (p. ex. faible taux de reproduction et de survie des jeunes). Mais le plus important, c’est que les populations continuent de décliner des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États-Unis, et qu’à cause de sa petite taille, la population de Colombie-Britannique est extrêmement vulnérable aux événements stochastiques environnementaux, démographiques et génétiques (voir les sections 4 et 5). Il faut donc prendre des mesures de rétablissement dans plusieurs régions; il reste peu de temps pour stabiliser les populations, et les coûts pourraient être importants.

Bien que la tâche à accomplir puisse apparaître rébarbative, il existe de nombreux exemples d'espèces en voie de disparition ayant été rescapées avec succès. Ainsi, les mesures de rétablissement (notamment l’élevage en captivité suivi de remise en liberté) ont permis d’inverser la tendance démographique et d’accroître les chances de rétablissement des populations de Grues blanches et de Condors de Californie, qui avaient toutes deux été réduites à quelques douzaines d’individus. La marmotte de l’île de Vancouver, actuellement menacée d’une disparition imminente, fait l’objet d’importantes mesures de rétablissement faisant appel à la recherche intensive, à l’élevage en captivité, au contrôle des prédateurs et à la gestion de l’habitat. Le Faucon pèlerin de la sous-espèce anatum (Falco peregrinus anatum), qui avait disparu de la plus grande partie de son aire de répartition mondiale à cause de l’exposition aux contaminants organochlorés, est aujourd’hui passé à une catégorie de risque inférieure ou a même été rayé de la liste des espèces en péril par la plupart des compétences grâce à l’interdiction d'utilisation de ces substances chimiques et au recours à des techniques d’élevage en captivité et de réintroduction. La Chevêche des terriers, en déclin dans la plus grande partie de son aire de répartition en Amérique du Nord et considérée comme en voie de disparition au Canada, avait disparu de la Colombie-Britannique, mais y a aujourd’hui retrouvé un point d’ancrage grâce à un programme en cours d’élevage en captivité, de remise en liberté contrôlé et d’intendance de l’habitat. Ce programme a permis à l’espèce de se reproduire dans la province, tandis que les efforts de recherche et de gestion se poursuivent afin de trouver des moyens d’établir une population naturellement autosuffisante. Le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine est un excellent exemple d’initiative réussie de conservation de l’habitat; ce plan vise à augmenter la superficie et à améliorer les habitats de milieux humides en Amérique du Nord afin de permettre aux populations de sauvagine de revenir à leurs niveaux des années 1970. À cette fin, il a fallu créer et restaurer des habitats à très grande échelle. Tous ces exemples montrent bien qu’il est possible de rétablir les populations d’espèces sauvages dans la mesure où l’espèce est toujours présente et l’habitat qui lui convient existe encore ou peut être créé; le succès de l’opération dépend en fait de la mobilisation d’organismes et d’individus dévoués qui s’attaquent ensemble aux facteurs qui sont à l’origine du déclin.

Dans les sections qui suivent, nous présentons sommairement certains des enjeux qui semblent influencer le plus la santé de la population de Chouettes tachetées de Colombie-Britannique. Après une brève description de ces enjeux, nous analysons quelques-unes des activités de gestion qui pourraient être mises en œuvre pour aborder ces enjeux. Nous abordons aussi le caractère réalisable général de chacune de ces activités mais, comme nous l’avons déjà souligné, la mise en œuvre de ces activités, individuellement ou en combinaison, ne garantit en rien le succès. Il importe par ailleurs de souligner qu’une évaluation et une analyse détaillées seront nécessaires pour identifier et prioriser les activités les plus pertinentes et définir les meilleurs moyens d'assurer le succès. Ces évaluations et analyses contribueront aux plans d'actions du rétablissement, ou y seront mentionnées.

 

Démographie :

La Chouette tachetée du Nord vit longtemps, mais comparativement à la plupart des autres espèces d’oiseaux, son taux de reproduction est faible tout comme le taux de survie des juvéniles jusqu’à l’âge de la reproduction. En Colombie-Britannique, la population est très petite, les oiseaux sont de plus en plus isolés. Ces facteurs font qu’un rétablissement « naturel » pourrait prendre plus de temps et être plus risqué qu’un rétablissement faisant appel à des mesures d’accroissement de la population. C’est pourquoi on a identifié diverses mesures d’accroissement susceptibles de réduire ce risque et d’accélérer le rétablissement. Il s’agit notamment de maintenir de jeunes oiseaux en captivité durant l’hiver dans le but de réduire la mortalité hivernale, d’effectuer un suivi des jeunes durant l’hiver pour évaluer leur état et leur fournir éventuellement une alimentation complémentaire, et d’élever des oiseaux en captivité pour les relâcher ensuite dans la nature. Ces activités sont toutes réalisables, mais si elles sont mises en oeuvre, elles devront être associées à d’autres mesures visant à contrôler les facteurs qui limitent la population. Certaines de ces mesures de rétablissement seraient vraisemblablement plus efficaces à très court terme, alors que la population est le plus vulnérable à la disparition ou que son rétablissement est ralenti à cause de sa petite taille et de sa répartition inégale.

 

Habitat :

Il semble que la superficie d’habitat convenable déjà protégée soit suffisante pour soutenir la petite population actuelle de Chouettes tachetées. La superficie et la répartition spatiale actuelles de cet habitat protégé seraient toutefois insuffisantes pour permettre à la population de se rétablir. Pour cela, et pour favoriser la dispersion et réduire les pressions attribuables à la compétition, la protection de portions additionnelles de l'habitat de la chouette et le recrutement de nouveaux habitats pour combler les espaces qui séparent les parcelles d'habitat convenable existant seront nécessaires.  Le recrutement de l’habitat sera un processus à long terme car les peuplements de seconde venue de Colombie-Britannique doivent avoir au moins 100 ans, sinon 120 ans ou même plus, pour être convenable pour la Chouette tachetée du Nord (SOMIT, 1997a,b).

En théorie, le but du rétablissement de 250 chouettes adultes pourrait être atteint en créant 125 territoires qui seraient chacun occupé par couple reproducteur potentiel. Si l’on compte environ 3 200 ha par territoire, ce scénario pourrait se réaliser en gérant 400 000 ha en fonction de l’espèce. En vertu de l’actuel Plan de gestion de la Chouette tachetée, 363 000 ha d’habitat sont déjà protégés à des degrés divers. Des habitats convenables situés hors des terrains couverts par le plan pourraient y être incorporés pour augmenter la superficie gérée pour la chouette. En outre, comme on a observé chez l’espèce des chevauchements de territoire allant jusqu’à 12 %, une planification minutieuse de la répartition spatiale de l’habitat pourrait permettre de diminuer la superficie totale nécessaire pour atteindre le but du rétablissement. Il semble donc possible d’obtenir la superficie d’habitat requise. Ces valeurs sont bien sûr théoriques, mais les travaux en cours sur les modèles d’habitat pourraient aider à préciser le nombre de couples et de territoires nécessaires pour favoriser le rétablissement. Le plus difficile sera d’assurer la répartition spatiale de l’habitat la plus appropriée au rétablissement de la population. Le recrutement et la conservation de quantités suffisantes d’habitats convenables pour maintenir et rétablir l’espèce continueront par ailleurs de soulever les problèmes de gestion les plus controversés. L’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée élabore actuellement un modèle d’habitat spatialement explicite qui devrait aider à aborder ces problèmes ainsi que les problèmes connexes (fonction de l’habitat, qualité de l’habitat, importance de la connectivité tant à l’intérieur de la population de la Colombie-Britannique, qu’entre la population de la province et celles des États-unis).

 

La Chouette rayée et autres menaces :

Les premières Chouettes rayées sont arrivées en Colombie-Britannique au cours des années 1940 (Campbell et al., 1990). On craint qu'aux endroits où les aires des deux espèces se chevauchent, la Chouette rayée soit un important compétiteur pour la Chouette tachetée. Pour écarter rapidement la Chouette rayée de l’habitat de la Chouette tachetée du Nord, il faudrait intervenir directement et de façon répétée. Bien que ce soit techniquement réalisable et que les politiques de la province permettent la suppression des prédateurs pour faciliter le rétablissement des espèces en voie de disparition, cela pourrait être mal accepté par la public, sauf à une échelle réduite, dans le cadre de projets visant des sites spécifiques. Et comme on ne comprend pas bien les rapports entre ces deux espèces, on ne peut conclure que la Chouette rayée empêchera le rétablissement de la Chouette tachetée.

Les menaces associées au réchauffement de la planète pourraient en grande partie échapper à notre contrôle. Les changements que subissent les forêts de la Colombie-Britannique pourraient améliorer l’habitat de la Chouette tachetée dans certaines régions et le dégrader ailleurs. Dans l’ensemble, malgré les changements prévus dans les forêts, le caractère réalisable du rétablissement ne devrait pas en être affectée, car l’espèce est répartie sur un vaste territoire géographique et écologique.

En fin, la menace posée par le virus du Nil occidental (VNO) pourrait être sérieuse, mais pour le moment, elle n'est pas connue et il est peu probable qu’on puisse l’atténuer efficacement si elle se matérialisait. En effet, l’efficacité de la vaccination chez les espèces comme la Chouette tachetée n’a pas été démontrée, et il pourrait s’avérer pour le moins ardu de localiser et de capturer toutes les chouettes chaque année pour les vacciner. Pour l’heure, on ne peut donc estimer l’impact que pourrait avoir le VNO sur le caractère réalisable du rétablissement de la Chouette tachetée.

À la lumière de ce qui précède, l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée conclut que les mesures suivantes sont toutes biologiquement et techniquement réalisables, et qu’ensemble, elles possèdent le potentiel d'être bénéfique pour la Chouette tachetée et donc, pour accroître la taille de sa population :

  • recruter de nouveaux habitats pour relier les domaines vitaux;
  • augmenter ou reconfigurer la quantité d’habitat protégé dans le paysage;
  • accélérer l’aménagement de l'habitat actuellement inapproprié ou peu convenable;
  • déplacer les Chouettes tachetées vers des habitats qui lui conviennent mieux et accroître les populations locales;
  • fournir des proies supplémentaires aux chouettes juvéniles en hiver pour accroître la survie et le recrutement;
  • garder éventuellement des juvéniles en captivité durant l’hiver et établir un programme d’élevage en captivité;
  • s’il y a lieu, adopter d’autres mesures pour contrer les menaces que peuvent représenter la prédation, la compétition et la maladie.

En somme, dans des circonstances favorables, la Chouette tachetée du Nord pourrait survivre et se rétablir en Colombie-Britannique. Les craintes au sujet du potentiel de rétablissement ne concernent pas les caractéristiques biologiques de base de l’espèce, mais plutôt la petite taille de la population, la qualité actuelle de l’habitat de dispersion, le temps nécessaire pour apporter de réelles améliorations à l’habitat et la difficulté d’éliminer ou de réduire les menaces posées par la compétition avec la Chouette rayée. Peut-être faudra-t-il assurer une gestion intensive de la population pour combler les lacunes en attendant que ces facteurs ne soient efficacement abordés.

Dans ce contexte, et conformément aux directives énoncées dans les politiques mentionnées au début de la présente section, l’équipe de rétablissement de la Chouette tachetée juge qu’il est biologiquement et techniquement réalisable de rétablir la Chouette tachetée. Elle tient toutefois à souligner qu’il faut sans tarder mettre en œuvre d’importantes mesures de rétablissement et allouer les ressources financières nécessaires. Tant que ces mesures n’auront pas été prises et que leur succès n’aura pas été démontré, les chances de rétablissement de la population diminueront et le risque de disparition restera élevé.

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