Loutre de mer (Enhydra lutris) programme de rétablissement: chapitre 2



2. Rétablissement

Le programme de rétablissement de la loutre de mer recommande l’adoption d’une approche non intrusive par laquelle on reconnaît la capacité de la loutre de mer à reconstituer rapidement son effectif, mais qui en même temps tient compte des menaces qui pourraient limiter, voire inverser la tendance affichée actuellement par la population si aucune mesure n’était prise. Cette approche est axée sur l’identification et l’atténuation des menaces qui pourraient nuire au rétablissement de l’espèce.

2.1 But du rétablissement

Le but du rétablissement de la loutre de mer est de constituer une population suffisamment importante et adéquatement répartie pour faire face aux menaces, y compris les désastres (déversements de pétrole, etc.), sans risquer de disparaître ou d’atteindre des niveaux où un retour à l’effectif normal sera très lent.

2.2 Faisabilité du rétablissement

La faisabilité du rétablissement de la loutre de mer est démontrée. Les loutres de mer ont la capacité de reconstituer rapidement leur effectif à partir d’une petite population fondatrice, comme l’a illustré la croissance observée chez plusieurs populations ayant fait l’objet d’une translocation, y compris la population de la C.-B., ainsi que chez des populations subsistantes. La nourriture est en général considérée comme étant le principal facteur limitant la croissance de la population. Or, la majeure partie de la côte de la C.-B. demeure inoccupée par la loutre de mer et, pour cette raison, le rétablissement de la population ne devrait pas être limité par la disponibilité de la nourriture ou de l’habitat, du moins dans un avenir rapproché. Parmi les populations pour lesquelles la translocation s’est révélée concluante, les taux de croissance ont été initialement très élevés (entre 17 et 20 % par année), se maintenant près du maximum physiologique (rmax) de l’espèce (Estes, 1990). Ces taux de croissance élevés sont fort probablement attribuables à la disponibilité illimitée de la nourriture et de l’habitat dans les zones de réintroduction (Bodkin, 2003). Cependant, les taux de croissance ont été plus variables et moins élevés (Bodkin et al., 1999) chez les populations subsistantes, certaines ayant même affiché des périodes de déclin. Les raisons expliquant ces différences demeurent obscures, quoi que l’on croie que le braconnage, qui s’est poursuivi après la mise en œuvre de mesures de protection en 1911, et les mortalités accidentelles associées aux pêches dans la dernière partie du 20e siècle comptent parmi les facteurs à l’origine de ces différences (Bodkin, 2003).

Les déversements de pétrole sont l’une des plus importantes menaces auxquelles font face les loutres de mer. De telles catastrophes peuvent se produire en tout temps et pourraient provoquer d’importantes mortalités. Qui plus est, le rétablissement des populations de loutres de mer dans les zones contaminées par le pétrole peut être lent (Bodkin et al., 2002). Les préoccupations concernant la réduction des populations d’invertébrés ayant une valeur sociale et économique par les loutres de mer pourraient également se révéler un obstacle à l’obtention d’un soutien à l’égard du rétablissement de la loutre de mer. Finalement, la croissance de la population de loutres de mer peut s’inverser de façon spectaculaire et rapide. Il a été démontré que les engins de pêche, les maladies, les changements écosystémiques à grande échelle ainsi que les déversements de pétrole provoquent ou contribuent au déclin observé en Californie, dans le sud-ouest de l’Alaska et dans le détroit Prince-William, en Alaska.

2.3 Objectifs en matière de population et de répartition

La répartition et l’abondance de la loutre de mer sont deux facteurs étroitement reliés. L’habitat inoccupé est envahi progressivement lorsque le nombre de loutres dans un secteur s’approche de la capacité biotique. La relation entre la superficie de l’aire de répartition et l’abondance de la population est un facteur qui, jumelée aux mouvements localisés des individus, fera en sorte que l’accroissement de l’aire de répartition géographique pour réduire le risque de mortalités d’origine anthropique se traduira également par un accroissement de l’abondance des loutres de mer.

Les objectifs établis pour les cinq prochaines années et qui seront utilisés en tant que mesure des progrès accomplis vers le but du rétablissement sont les suivants.

  1. Poursuite de l’expansion naturelle de l’aire de répartition géographique de la loutre de mer dans la région côtière de la C.-B. au-delà de l’aire de répartition continue observée en 2004 afin que l’espèce puisse survivre à des désastres (déversements de pétrole, etc.) et qu’elle puisse revenir assez rapidement à l’effectif antérieur au désastre.
  2. Poursuite de l’accroissement du nombre de loutres de mer (comparativement à l’effectif de 2004) afin de permettre l’expansion de l’aire de répartition géographique de l’espèce.

2.4 Objectif de rétablissement

 

  1. Identifier et, dans la mesure du possible, atténuer les menaces pesant sur la loutre de mer et son habitat et ainsi permettre le rétablissement de lapopulation.

2.5 Approches recommandées pour l’atteinte des objectifs de rétablissement

Les activités suivantes ont été groupées globalement selon quatre approches dont l’adoption est recommandée pour le rétablissement : recherche afin de clarifier les menaces; évaluation de la population; protection; communications. Les approches sont classées par rapport aux objectifs et, pour chaque approche, les activités sont classées par ordre de priorité décroissant. Les approches ne s’appliquent qu’aux populations de loutres de mer du Canada, à moins d’indication contraire.

2.5.1 Recherche afin de clarifier les menaces

Afin de protéger les loutres de mer contre les menaces qui pèsent sur leur survie, il faut effectuer des recherches pour identifier les menaces et les facteurs qui peuvent limiter la croissance de la population de l’espèce et l’expansion de son aire de répartition et en clarifier l’importance. L’exercice couvre notamment les menaces qui pèsent non seulement sur la loutre de mer, mais également sur son habitat.

2.5.2 Évaluation de la population

L’évaluation de la population doit reposer sur des relevés qui nous permettrons d’évaluer la répartition de l’espèce, son abondance relative et les tendances en matière de croissance afin que l’on puisse suivre les progrès accomplis en vue du rétablissement.

 

2.5.3 Protection

Les approches suivantes sont au nombre de celles utilisées pour assurer la protection de l’espèce. Avec des recherches plus poussées (voir la section 2.5.1), il faudra peut-être consentir d’autres efforts.

2.5.4 Communications

Les communications avec le public et des autres intervenants sont importantes si l’on veut obtenir le soutien et la compréhension nécessaires pour protéger la loutre de mer et son habitat. La loutre de mer est absente de la faune canadienne depuis presque 100 ans. Avec son retour, il faut accroître le niveau de compréhension à l’égard du rôle que cette espèce joue dans la structuration des écosystèmes situés près du rivage et des menaces qui pèsent sur elle et sur son habitat. Cette approche doit inclure, entre autres, les points suivants.

 

2.6 Mesures du rendement

D’ici cinq ans[1] et par la suite tous les cinq ans, et ce jusqu’à ce que les objectifs aient été atteints ou que le rétablissement de l’espèce ne soit plus possible, un rapport sur la mise en œuvre du programme de rétablissement et sur les progrès accomplis à l’égard de l’atteinte des objectifs fixés sera produit.

Les mesures du rendement fondées sur les objectifs qui seront utilisées pour suivre les progrès accomplis sont les suivantes.

2.7 Habitat essentiel

2.7.1 Identification de l’habitat essentiel de l’espèce

L’étendue de l’habitat de la loutre de mer vers le large est en grande partie limitée par la capacité de la loutre à plonger jusqu’au fond de l’eau pour y trouver sa nourriture. La plupart des plongées effectuées pour trouver de la nourriture ont lieu à des profondeurs de 40 m ou moins, bien que la loutre de mer soit capable de plonger jusqu’à 100 m. Ainsi, l’habitat de l’espèce s’étend d’ordinaire entre 1 à 2 km de la rive, à moins que des zones de hauts-fonds ne s’étendent davantage vers le large. Lorsqu’ils sont présents, les peuplements de varech sont souvent utilisés en tant que site de rassemblement. Les peuplements de varech sont également utilisés à des fins d’alimentation et sont des composants de l’habitat importants, mais non essentiels. La loutre de mer s’alimente d’un vaste éventail d’invertébrés, et tant les fonds rocheux que les fonds meubles constituent un habitat d’alimentation pour l’espèce.

En C.-B., la loutre de mer occupe des zones côtières exposées caractérisées par des récifs rocheux importants et de faibles profondeurs d’eau le long de la côte ouest de l’île de Vancouver et de la région centrale de la côte. Les caractéristiques de l’habitat utilisé par la loutre de mer sont susceptibles de se diversifier au fur et à mesure que l’aire de répartition de l’espèce s’agrandira. L’habitat n’est pas un facteur limitatif pour cette population à l’heure actuelle, mais il faudra étudier davantage la question pour évaluer les composants qui pourraient être désignés en tant qu’habitat essentiel, selon la définition de la LEP.

On pense que l’hiver est la saison au cours de laquelle la mortalité est la plus élevée chez la loutre de mer et qu’il s’agit également la période de l’année où les déversements de pétrole sont les plus susceptibles de survenir et les plus difficiles à maîtriser en raison des conditions océaniques. Or, la répartition spatiale et temporaire de la population de loutres de mer en hiver peut indiquer les zones les plus critiques à sa survie et à son rétablissement.

2.7.2 Calendrier des études pour déterminer l’habitat essentiel

Tableau 4. Calendrier des études
Activité de rétablissement Résultat/justification Échéancier

Relever les zones de rassemblement et d’alimentation ainsi que les variations saisonnières quant à leur utilisation.

  • Relevé des sites de rassemblement et d’alimentation d’été
  • Relevé des sites de rassemblement d’hiver
  • Compilation des signalements d’observations de groupes de loutres de mer, particulièrement en hiver, par les Premières nations, les pêcheurs et les communautés côtières
  • Utilisation des attributs physiques de l’aire de répartition hivernale observée pour caractériser l’utilisation de l’habitat en hiver

Modélisation des attributs physiques de l’aire de répartition hivernale observée pour prévoir l’habitat d’hiver probable dans d’autres secteurs, y compris les secteurs non encore occupés par la loutre de mer

Déterminer l’aire de répartition hivernale de la loutre de mer. Les zones de rassemblement d’été peuvent être déterminées dans le cadre des relevés de la population, mais les aires de rassemblement hivernales sont vraisemblablement différentes. 2007-2012
Étudier le déplacement et le domaine vital des loutres de mer (p. ex., télémétrie). Déterminer la superficie des domaines vitaux et l’utilisation de l’habitat. 2012+

2.8 Approches actuelles et recommandées en matière de protection de l’habitat

La Loi sur les pêches comporte des dispositions pour protéger l’habitat de la loutre de mer au Canada. Une liste des zones de protection marines est présentée de façon succincte dans Jamieson et Lessard (2000). Cette liste inclut la réserve écologique de la baie Checleset qui a été établie en 1981 pour protéger l’habitat de la loutre de mer. On peut également établir des zones de protection marines en vertu de la Loi sur les océans.

En vertu de la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, Parcs Canada est responsable de la création des aires marines nationales de conservation (AMNC) qui seront gérées en fonction d’une utilisation durable et qui sont protégées de l’activité industrielle, notamment des rejets en mer, de l’exploitation minière ainsi que de l’exploration et la mise en valeur des gisements pétroliers et gaziers. Une AMNC est proposée dans le sud des îles de la Reine-Charlotte, laquelle s’étendra sur 10 km vers le large à partir de la réserve du parc national Gwaii Haanas. Comme tel, cette AMNC englobera l’habitat dans lequel la loutre de mer pourra prendre de l’expansion. La réserve du parc national Pacific Rim (RPNPR), située le long de la côte ouest de l’île de Vancouver, fait l’objet de dispositions particulières dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada. La RPNPR englobe les eaux du rivage adjacentes ainsi que celles entourant l’archipel Broken Group. On peut s’attendre à ce que l’aire de répartition de la loutre de mer s’étende dans la RPNPR au fur et à mesure que la population se rétablira.

Les travaux et les aménagements sur l’eau, dans l’eau et sous l’eau qui peuvent affecter l’habitat de la loutre de mer peuvent également être assujettis à un examen en vertu de la Loi sur la protection sur les eaux navigables et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale.

2.9 Effets sur d’autres espèces

Voir la section 1.4.2, Rôle écologique.

2.10  Approche recommandée pour la mise en œuvre du rétablissement

On a choisi l’approche à espèce unique pour le rétablissement en grande partie en raison de sa rapidité de mise en œuvre. En effet, cette approche nous permet de concentrer notre attention uniquement sur les mesures nécessaires au rétablissement de la loutre de mer, sans tenir compte des autres espèces dont la conservation soulève des préoccupations. Il existe toutefois de solides arguments en faveur de l’adoption d’une approche plurispécifique pour une espèce telle que la loutre de mer, mais les efforts requis pour intégrer les questions relatives à la conservation de plusieurs espèces auraient été importants et l’élaboration d’un tel programme de rétablissement n’aurait pu être achevée dans les échéanciers prescrits. Les loutres de mer sont des prédateurs clés qui contribuent à la structure des écosystèmes situés près du rivage (voir la section 1.4.2, Rôle écologique) et qui ont des effets directs et indirects sur d’autres espèces en péril et leurs habitats. Ainsi, la loutre de mer, qui se nourrit d’haliotides pie (désignées en vertu de la LEP en tant qu’espèce menacée), réduira l’abondance de cette espèce et la taille des individus de façon significative par rapport à ce que l’on observe aujourd’hui. Toutefois, en s’alimentant d’oursins, la loutre de mer améliore la croissance du varech. Il est abondamment démontré que l’accroissement des peuplements de varech entraîne une hausse de l’abondance des poissons, y compris des sébastes juvéniles (p. ex., le boccacio, désigné par le COSEPAC en tant qu’espèce menacée), et que les espèces qui s’alimentent dans les peuplements de varech (p. ex., le guillemot marbré, inscrit à l’annexes de la LEP en tant qu’espèce menacée) devraient en profiter. Qui plus est, la principale menace pesant sur les loutres de mer, à savoir les déversements de pétrole, peut également affecter les cétacés, les oiseaux de mer, les poissons et les invertébrés. Les efforts consentis pour réduire la menace de déversements de pétrole chroniques et catastrophiques réduira du même coup la menace que pose le pétrole pour de nombreuses autres espèces.

2.11 Énoncé sur les plans d’action

Un ou plusieurs plans d’action seront réalisés dans les six ans qui suivront l’approbation du programme de rétablissement de la loutre de mer. Toutefois, si la loutre de mer était inscrite en vertu de la LEP en tant qu’espèce préoccupante à la suite de la réévaluation du COSEPAC, un plan de gestion doit être préparé dans les trois années suivant l’inscription afin de remplacer le programme de rétablissement et l’obligation d’élaborer un ou plusieurs plans d’action.

2.12 Activités permises en vertu de la Loi sur les espèces en péril

Tel que prévu au paragraphe 83(4) de la LEP, une personne peut exercer des activités autorisées, d’une part, par un programme de rétablissement ou un plan d’action et, d’autre part, sous le régime d’une loi fédérale. Les analyses scientifiques actuelles indiquent qu’un prélèvement d’un nombre limité de loutres de mer par des groupes autochtones à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles ne mettrait pas en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce. En conséquence, conformément au paragraphe 83(4) de la LEP, et conformément au présent programme de rétablissement, Pêches et Océans Canada peut, suivant une demande de délivrance de permis, autoriser le prélèvement d’un nombre limité de loutres de mer par des groupes autochtones à des finsalimentaires, sociales et cérémonielles(p. ex., pour fabriquer des parements cérémoniels). L’activité de se livrer au prélèvement d’un nombre limité de loutre de mer par des Premières nations à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles doit être autorisée par l’entremise d’un permis communautaire émis par le Ministre des Pêches et Océans en vertu du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones de la Loi sur les pêches. Le ministre peut, sur un permis communautaire, indiquer toute condition régissant l’activité que le ministre considère comme nécessaire pour assurer la protection de l’espèce. Parmi ces conditions, il peut y avoir des limites quant aux prélèvements dans des zones précises et une aire de répartition géographique à respecter de façon à limiter l’impact sur la population et à permettre la poursuite du rétablissement (soit l’expansion de l’aire de répartition).

Des recherches scientifiques et des activités qui profitent au rétablissement de la loutre de mer ou qui ne touchent la loutre de mer que de façon incidente peuvent également être menées en vertu de l’article 73 de la LEP.

[1]publication dans le registre public de la LEP

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