Évaluation scientifique des cadres fédéral et provincial pour la conservation du caribou boréal en Ontario

Rapport d’évaluation scientifique

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Cat. No.: CW66-1523/2024F-PDF
ISBN: 978-0-660-71259-8
EC24119

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Contexte

Le caribou (Rangifer tarandus), population boréale (caribou boréal), est endémique à la région de la forêt boréale du Canada. L’espèce a besoin de grandes étendues de forêts matures non perturbées avec une grande abondance de lichens et de faibles densités de prédateurs. Le caribou boréal a été inscrit sur la liste des espèces menacées en vertu de la Loi sur les espèces en péril fédérale en 2003. Le programme fédéral de rétablissement (2012, modifié en 2020) a désigné l’habitat essentiel de l’espèce, notamment en indiquant la nécessité de maintenir suffisamment d’habitat non perturbé pour que la quantité soit adéquate et l’accès à des caractéristiques biophysiques clés. En Ontario, l’espèce est inscrite sur la liste des espèces menacées en vertu de la Loi sur les espèces en voie de disparition de l’Ontario depuis 2007. Le cadre de conservation du caribou du gouvernement de l’Ontario comprend une série de politiques et de processus qui visent collectivement à soutenir les populations locales grâce à une gestion stratégique des terres et au respect de la réglementation relative à la durabilité des forêts.

Les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont signé en avril 2022 l’accord de la conservation du caribou en vertu des articles 10 et 11 de la Loi sur les espèces en péril afin de maintenir ou d’améliorer les conditions environnementales nécessaires au rétablissement du caribou boréal dans la province. La mesure de conservation 4.1 de l’accord engage les deux gouvernements à examiner, affiner et valider les approches existantes et de rechange fondées sur des données probantes afin de maintenir ou d’évoluer vers des populations locales autosuffisantes à l’intérieur des aires de répartition. Les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont demandé un examen scientifique des preuves qui sous-tendent les cadres fédéraux et provinciaux de conservation du caribou boréal, en exécution partielle de la mesure de conservation 4.1.

Le présent rapport d’évaluation scientifique est le résultat d’ateliers d’examen scientifique organisés en collaboration par le Canada et l’Ontario les 8 et 9 novembre 2023 et les 5 et 7 décembre 2023. Un comité directeur des directeurs – composé de directeurs des gouvernements de l’Ontario et du Canada – a assuré la supervision et l’orientation du groupe d’experts, ainsi qu’un mandat pour guider leurs travaux. Le groupe d’experts lui-même était composé d’experts de différents gouvernements, d’universités, de l’industrie et d’organisations non gouvernementales de protection de l’environnement. Le secrétariat a été assuré par la section des conseils scientifiques d’experts du Canada, qui a également rédigé l’ébauche initiale du présent rapport. Les experts ont eu l’occasion d’examiner celle-ci et d’y contribuer.

Résumé

Introduction

Écologie du caribou boréal

Le caribou (Rangifer tarandus), population boréale (« caribou boréal »), est endémique à la forêt boréale canadienne et est réparti dans neuf provinces et territoires. Le caribou boréal a besoin de vastes zones composées d’étendues continues d’habitats non perturbés. En général, le caribou boréal préfère un habitat composé de forêts matures ou anciennes avec des lichens abondants, ou de fondrières et de tourbières entrecoupées de zones de hautes terres ou de collines. Les grandes aires de répartition réduisent le risque de prédation en permettant aux caribous de maintenir de faibles densités de population et une séparation spatiale des prédateurs (p. ex. le loup et l’ours) et d’autres espèces proies (p. ex. l’élan et le cerf).

L’espèce a connu un déclin de son aire de répartition au cours du siècle dernier. Les perturbations de l’habitat, qui facilitent la pénétration des prédateurs dans l’habitat du caribou et la conversion des forêts matures en forêts aux jeunes stades de développement (profitant ainsi à d’autres espèces proies), sont largement reconnues comme le principal facteur de déclin.

Le caribou boréal (également appelé « caribou des bois », Rangifer tarandus caribou) était autrefois présent dans la majeure partie du nord de l’Ontario. Son aire de répartition a maintenant reculé et l’espèce se trouve généralement au nord de Sioux Lookout, Geraldton et Cochrane, avec une population isolée le long de la côte du lac Supérieur. Les données historiques suggèrent que l’espèce s’étendait auparavant plus au sud, mais qu’elle a connu un recul de son aire de répartition vers le nord d’environ 34 km par décennie entre 1880 et 1990 (Schaefer, 2003).

Aperçu du cadre fédéral pour la conservation du caribou boréal

Le caribou boréal est inscrit sur la liste des espèces menacées de l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (2002) fédérale depuis 2003, et il a été réévalué comme menacé par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) en 2014. Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), en collaboration avec les provinces et les territoires, a publié le Programme de rétablissement du caribou des bois (Rangifer tarandus caribou), population boréale, au Canada (ci-après, le programme de rétablissement fédéral) en octobre 2012, et l’a modifié en 2020. Le programme de rétablissement fédéral a pour objectif de parvenir à un état de population autosuffisanteNote de bas de page 1 dans l’ensemble des 51 aires de répartition locales du CanadaNote de bas de page 2 et a désigné l’habitat essentiel nécessaire au rétablissement de l’espèce.

Dans le cadre fédéral, la probabilité de persistance de la population de caribous à différents niveaux de perturbation de l’habitat a été estimée sur la base d’une relation statistique entre les niveaux de perturbation observés dans les aires de répartition des populations locales et les taux vitaux du caribou boréal à travers le Canada (Environnement Canada, 2011; Johnson et al., 2020). Cette relation a ensuite été utilisée pour estimer le pourcentage d’habitat non perturbé nécessaire pour obtenir une probabilité donnée de persistance de la population dans les aires de répartition locales.

Sur la base de cette relation statistique et d’autres renseignements, le programme fédéral de rétablissement désigne l’habitat essentielNote de bas de page 3 comme la zone de chaque aire de répartition qui permet un cycle continu de recrutement et de retrait de l’habitat et qui maintient un état perpétuel d’au moins 65 % de la zone en tant qu’habitat non perturbé et en tant que caractéristiques biophysiques nécessaires au caribou boréal pour mener à bien ses processus vitaux. Le seuil de gestion de l’habitat non perturbé de 65 % offre une probabilité estimée à 60 % (Environnement Canada, 2011) qu’une population locale donnée soit autosuffisante; le choix de ce seuil est une décision stratégique. Le programme fédéral de rétablissement invite les provinces et les territoires à élaborer des plans de gestion des aires de répartition ou d’autres plans à l’échelle du paysage afin de démontrer la manière dont ils vont gérer les perturbations cumulées et protéger l’habitat essentiel dans chaque aire de répartition pour atteindre ou maintenir un minimum de 65 % d’habitat non perturbé.

Aperçu du cadre pour la conservation du caribou boréal de l’Ontario

Le gouvernement de l’Ontario met en œuvre son propre cadre de conservation du caribou boréal qui comprend des lois, des politiques et des processus de gestion du caribou boréal et de son habitat. Ce cadre s’appuie sur les éléments suivants :

Le Programme de rétablissement du caribou des bois de l’Ontario (Équipe de rétablissement du caribou des bois en Ontario, 2008) vise à maintenir des populations locales autonomes et liées génétiquement là où elles existent actuellement; à renforcer la sécurité et les liens entre les populations locales isolées de la partie continentale et à faciliter le retour du caribou boréal dans des zones stratégiques proches de son aire de répartition actuelle. Le Plan de protection du caribou des bois de l’Ontario (ministère des Richesses naturelles [MRN], 2009) résume les mesures que le gouvernement de l’Ontario a l’intention de prendre en réponse aux recommandations de son programme de rétablissement. Ce plan prévoit également l’adoption d’une approche de gestion de l’aire de répartition pour le rétablissement du caribou, qui est décrite dans la Politique de gestion des aires de distribution pour favoriser la conservation et le rétablissement du caribou des forêts (ministère des Richesses naturelles et des Forêts [MRNF], 2014a).

La Description de l’habitat général du caribou des bois (MRN, 2013) est le document technique qui précise la zone d’habitat protégée pour l’espèce en vertu de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition. Ce document fait la distinction entre la catégorie 1 (zones d’utilisation intensive, qui comprennent les zones de croissance, les zones d’utilisation hivernale et les couloirs de déplacement), la catégorie 2 (aires de répartition saisonnières) et la catégorie 3 (zones restantes à l’intérieur de l’aire de répartition) de l’habitat du caribou. La délimitation de l’habitat de catégorie 1 est basée sur des observations de caribous (p. ex. observations visuelles d’individus, pistes, boulettes fécales, emplacements de colliers GPS), des données sur l’habitat et des avis d’experts; tandis que la délimitation de l’habitat de catégorie 2 et 3 est basée sur une fonction de sélection des ressources décrite dans Hornseth et Rempel (2015) et Rempel et Hornseth (2018).

Les exploitations forestières menées dans les forêts de la Couronne conformément à un plan de gestion forestière approuvé sont exclues de l’application des interdictions de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition en vertu des dispositions de la Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne. Au lieu de cela, le document Gestion forestière : paysages de la forêt boréale (en anglais seulement) (MRNF, 2014b, ci-après le guide des paysages de la forêt boréale) comprend une orientation par l’application de normes, de lignes directrices et de pratiques exemplaires de gestion pour la planification de l’aménagement forestier visant à maintenir ou à améliorer la qualité, la quantité et l’arrangement de l’habitat pour la persistance du caribou boréal dans les forêts publiques aménagées. L’orientation comprend la mesure des indicateurs de l’habitat du caribou dérivés des caractéristiques du paysage, la comparaison de l’état actuel de ces indicateurs d’habitat à l’aire de répartition naturelle des conditions forestières (c.-à-d. les aires de répartition de variation naturelle [ARVN]) à l’aide du modèle BFOLDS (de l’anglais Boreal Forest Landscape Dynamic Simulator) (Elkie et al., 2019); des déclarations d’orientation visant à maintenir ou à atteindre les jalons appliqués à court terme (10 ans), à moyen terme (20 ans) et à long terme (100 ans), et l’élaboration d’un schéma dynamique de l’habitat du caribou (SDHC) pour maintenir les grandes parcelles d’habitat du caribou interconnectées pendant les activités forestières.

Motif de l’évaluation scientifique

Les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont signé le 21 avril 2022 l’Accord sur la conservation du caribou, population boréale, en Ontario, en vertu des articles 10 et 11 de la Loi sur les espèces en péril (2002). L’objectif général du présent accord est :

« […] que l’Ontario, avec l’appui du Canada, collabore avec des partenaires autochtones et non autochtones à maintenir ou à améliorer les conditions environnementales nécessaires au rétablissement du caribou boréal à l’échelle de l’aire de répartition, en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles »

, et

« […] soutenir la mise en œuvre de mesures de conservation qui s’appuient sur la gestion existante présentée dans les cadres de conservation du caribou boréal et qui créent les conditions environnementales nécessaires au maintien et au rétablissement des populations locales autosuffisantes de caribous boréauxNote de bas de page 4. »

La mesure de conservation 4.1 stipule qu’au cours des années 1 et 2 de l’accord quinquennal, le Canada et l’Ontario doivent « collaborer à l’examen et à l’amélioration des approches fondées sur des preuves existantes et d’autres approches afin de maintenir ou de progresser vers des populations locales autosuffisantes à l’intérieur des aires de répartition » et « ] valider, notamment par le biais d’examens menés par des experts reconnus et, le cas échéant, intégrer des approches acceptées fondées sur des preuves et capables de produire des résultats équivalents (c.-à-d. des populations locales autosuffisantes) dans les cadres de conservation du caribou boréal des gouvernements fédéral et provincial ». Pour répondre en partie à cette exigence, les gouvernements de l’Ontario et du Canada ont coordonné un examen par des experts des preuves scientifiques à l’appui des cadres fédéral et provincial de conservation du caribou boréal.

Aperçu de l’évaluation

Le comité directeur des directeurs (le comité directeur) en lien avec la mesure de conservation Canada-Ontario du caribou boréal 4.1 était chargé de superviser cette évaluation scientifique et était composé de directeurs d’ECCC, du ministère des Richesses naturelles et des Forêts (MRNF) de l’Ontario et du ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs (MEPNP) de l’Ontario. Pour réaliser l’évaluation, le comité directeur a formé un groupe d’experts composé de personnes ayant une expertise scientifique liée au caribou et à la gestion du caribou en Ontario, y compris des personnes employées par les gouvernements provincial et fédéral, des universités, des organisations non gouvernementales et l’industrie. Ce groupe d’experts a été chargé d’aborder les objectifs spécifiques décrits dans le mandat fourni par le comité directeur, notamment :

Afin d’examiner, d’affiner et de valider les fondements scientifiques des cadres fédéral et provincial de conservation du caribou boréal, les participants au groupe d’experts tenteront de répondre aux questions suivantes :

  1. Le cadre fédéral de conservation du caribou boréal est-il scientifiquement fondé et étayé par des preuves? Existe-t-il des lacunes en matière de données et de connaissances?
    1. Quelle est la probabilité que le cadre fédéral permette d’obtenir des populations locales autosuffisantes de caribous boréaux en Ontario?
  2. Le cadre provincial de conservation du caribou boréal est-il scientifiquement fondé et étayé par des preuves? Existe-t-il des lacunes en matière de données et de connaissances?
    1. Quelle est la probabilité que le cadre provincial permette d’obtenir des populations locales autosuffisantes de caribous boréaux en Ontario?

Une vue d’ensemble des cadres fédéral et provincial de conservation du caribou, ainsi que des preuves scientifiques liées à ces cadres, a été fournie au groupe d’experts dans une série de présentations données lors d’un atelier virtuel les 8 et 9 novembre 2023. Le 14 novembre, le groupe d’experts a reçu des copies de ces présentations ainsi qu’un grand nombre de documents d’appui (> 45 documents de référence principaux et > 150 documents de référence généraux) qui fournissent des détails supplémentaires sur les cadres fédéral et provincial de conservation des caribous. Du 5 au 7 décembre, le groupe d’experts a participé à un atelier en personne dans le but de discuter des preuves scientifiques fournies. Au cours de cet atelier, il s’est mis d’accord sur les principales conclusions présentées dans ce rapport et a élaboré en collaboration les puces de synthèse.

Les ateliers décrits ci-dessus ont été coordonnés et animés par la section des conseils scientifiques d’experts d’ECCC, avec le soutien logistique du MEPNP. À la suite des ateliers, la section des conseils scientifiques d’experts a rédigé une première ébauche du rapport. Les membres du groupe d’experts ont eu l’occasion d’examiner celle-ci et d’y contribuer.

Évaluation

Utilisation de l’espace par les caribous

La gestion du caribou boréal en Ontario nécessite de comprendre les modèles et les processus qui déterminent la façon dont le caribou utilise l’espace (c.-à-d. l’habitat) dans les paysages. Le groupe d’experts a discuté d’une variété de modèles et d’approches utilisés pour étudier et prédire l’utilisation de l’espace par le caribou en Ontario, y compris i) l’identification des indicateurs de l’habitat du caribou dans le cadre du guide des paysages de la forêt boréale, ii) la catégorisation de l’habitat à l’aide de la Description de l’habitat général du caribou des bois et iii) un modèle de déplacement du caribou spatialement explicite décrit dans Avgar et al. (2015). Tous les modèles abordés ne sont pas appliqués dans la politique. Ces discussions sont décrites ci-dessous et résumées dans le tableau 1.

Le guide des paysages de la forêt boréale de l’Ontario détermine les indicateurs de l’habitat du caribou à inclure dans la planification de la gestion forestière (Elkie et al. 2018). Ces indicateurs s’appuient sur des tableaux d’adéquation de l’habitat décrivant la relation entre le type et l’âge des peuplements forestiers et la fonction de l’habitat pour les caribous (p. ex. si les peuplements conviennent comme refuge ou comme habitat d’hiver).

Les experts ont noté que les indicateurs d’habitat du caribou dans le cadre du guide des paysages de la forêt boréale sont basés sur le type et l’âge des peuplements forestiers et ne tiennent pas compte des autres caractéristiques de l’habitat qui peuvent avoir une incidence sur l’utilisation de l’habitat par le caribou, comme les caractéristiques linéaires. En outre, les tableaux d’adéquation des habitats ont été élaborés à l’aide d’approches informelles, fondées sur l’expertise, qui n’ont pas fait l’objet d’une validation empirique et qui n’ont pas été mises à jour depuis environ 20 ans. Par conséquent, les tableaux d’adéquation de l’habitat et les indicateurs de l’habitat du caribou ne reflètent pas les connaissances scientifiques actuelles sur les préférences du caribou en matière d’habitat en Ontario. En outre, le groupe d’experts a noté que les indicateurs de l’habitat du caribou n’ont pas de lien clair avec la dynamique des populations de caribous, et qu’il n’est donc pas certain que la réalisation des objectifs de gestion de l’habitat du caribou dans le cadre du guide des paysages de la forêt boréale suffise à assurer l’autosuffisance des populations. Les membres du groupe d’experts ont noté que les éléments de ce guide sont en cours de révision et de mise à jour dans le cadre de la mesure de conservation 3.1 de l’Accord, mais les mises à jour proposées n’ont pas été mises à la disposition du groupe d’experts.

Les experts ont avancé que les indicateurs de l’habitat du caribou pourraient être améliorés par l’incorporation de nouvelles données et connaissances, soit l’intégration d’autres caractéristiques de l’habitat dont on sait qu’elles influent sur l’utilisation de l’habitat par le caribou (p. ex. les caractéristiques linéaires) et la mise en relation des indicateurs de l’habitat avec la démographie du caribou. En outre, les membres du groupe d’experts ont suggéré que les indicateurs de qualité de l’habitat soient validés à l’aide d’ensembles de données hors modèle. En d’autres termes, la capacité du modèle à prédire l’utilisation de l’habitat doit être évaluée à l’aide de nouvelles données qui n’ont pas été utilisées pour développer le modèle.

La Description de l’habitat général du caribou des bois de l’Ontario fournit des conseils techniques sur la catégorisation de l’habitat du caribou des sous-groupes. Dans le cadre de cette orientation, l’habitat de catégorie 1 (zones à forte utilisation) est censé avoir la plus faible tolérance à l’altération avant que sa fonction de soutien du caribou ne soit compromise, tandis que l’habitat de catégorie 2 (aires saisonnières) et de catégorie 3 (zones restantes à l’intérieur de l’aire de répartition) est censé représenter une tolérance à l’altération progressivement accrue en raison de la diminution de l’utilisation ou de l’importance pour les caribous.

Les habitats de catégorie 1 sont des caractéristiques de l’habitat des sous-aires de répartition qui présentent actuellement une utilisation intensive et répétée par des individus ou plusieurs caribous, et comprennent les zones de croissance, les zones d’utilisation hivernale et les couloirs de déplacement. Les membres du groupe d’experts ont noté que la désignation de l’habitat de catégorie 1 était basée sur des observations directes de l’utilisation de l’habitat par les caribous (p. ex. par télémétrie ou par des enquêtes aériennes) et des extrapolations basées sur l’avis d’experts concernant les caractéristiques apparentes de l’habitat (p. ex. les lacs, les tourbières) avec lesquelles les caribous sont associés. Par conséquent, la détermination et la délimitation de l’habitat de catégorie 1 sont très sensibles à l’effort d’enquête et aux observations opportunistes, et ne permettent pas de définir les caractéristiques de l’habitat à forte utilisation lorsque l’on manque de données sur la localisation des caribous dans une aire de répartition donnée. En outre, le groupe d’experts a noté que l’approche utilisée pour attribuer la catégorie 1 n’a pas été rendue publique et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une validation formelle par comparaison avec d’autres ensembles de données sur l’utilisation de l’espace par les caribous. Le groupe d’experts a suggéré que la publication de la méthodologie spécifique utilisée pour désigner l’habitat de catégorie 1 permettrait une meilleure compréhension et de cerner des améliorations spécifiques du processus, le cas échéant. En outre, la validation de la méthode par comparaison avec des ensembles de données hors modèle ou avec d’autres approches de modélisation de l’utilisation de l’espace par le caribou permettrait de préciser si l’approche désigne avec précision les zones à forte utilisation pour le caribou dans l’ensemble de l’aire de répartition.

L’habitat de catégorie 2 décrit les grandes caractéristiques de l’habitat qui englobent la majorité de la répartition actuelle des caribous pour l’ensemble des saisons dans l’aire de répartition, tandis que l’habitat de catégorie 3 représente les zones restantes dans une aire de répartition qui ont généralement les éléments biophysiques et la composition forestière compatibles avec les aires de répartition saisonnières, mais qui sont actuellement jeunes ou perturbées (p. ex. < 40 ans). L’habitat de catégorie 2 est désigné à l’aide d’une fonction de sélection des ressources décrite dans Hornseth et Rempel (2018), les zones indiquées comme ayant une forte probabilité d’occupation en toute saison étant considérées comme étant de catégorie 2. Les membres du groupe d’experts ont noté que les prédictions peuvent être influencées par des corrélations et des erreurs dans les couches SIG sous-jacentes sur lesquelles la fonction de sélection des ressources est construite et que la variation interindividuelle dans l’utilisation de l’habitat n’est pas prise en compte. Les membres du groupe d’experts ont noté que la méthode de désignation des habitats de catégories 2 et 3 repose sur l’hypothèse que la fonction de sélection des ressources continuera à prédire l’utilisation de l’habitat par le caribou même si les caractéristiques du paysage changent dans l’espace et dans le temps. Cependant, la méthode utilisée pour définir l’habitat utilisé et l’habitat disponible n’est pas adaptée à la prédiction de l’évolution des conditions du paysage. Le modèle suppose également que les différentes échelles spatiales auxquelles les variables du paysage sont résumées et appropriées pour la sélection de l’habitat du caribou. Là encore, la validation de la méthode par comparaison avec des ensembles de données hors modèle ou avec d’autres approches de modélisation de l’utilisation de l’espace par le caribou aiderait à éclaircir si l’approche distingue avec précision les zones actuellement utilisées par le caribou (catégorie 2) de celles qui ne le sont pas (catégorie 3).

Avgar et al. (2015) décrivent un modèle de déplacement mécaniste qui incorpore les capacités sensorielles et mémorielles des individus, paramétré avec des données de télémétrie GPS de 30 caribous boréaux provenant de deux paysages présentant une gamme de perturbations en Ontario. Bien qu’il ne soit pas utilisé actuellement dans le cadre fédéral ou provincial de conservation du caribou, ce modèle est une composante de l’analyse spatiale de la viabilité de la population présentée dans Fryxell et al. (2020) et fournit une approche de rechange pour comprendre les tendances d’utilisation de l’espace par les caribous en Ontario. Les points forts de cette approche sont que les estimations de la disponibilité des fourrages ont été établies sur la base d’un échantillonnage au niveau du terrain (par opposition à l’utilisation de données satellitaires), que seules les zones proches de chaque individu sont considérées comme disponibles et que la variation de la sélection de l’habitat entre les individus est prise en compte. La validation avec 41 trajectoires annuelles provenant des deux mêmes zones d’étude et de la même période a montré que les tendances de sélection de l’habitat simulées imitent les tendances observées à certains égards, mais pas à d’autres. Le modèle démontre que l’abondance du fourrage est un facteur important des tendances de déplacement des caribous et que les paramètres de déplacement varient fortement d’un individu à l’autre.

Dans le modèle, le déplacement des caribous est lié à la perception qu’a chaque individu du risque de prédation par les loups, de la disponibilité du fourrage, de l’épaisseur de la neige et de l’habitat de l’orignal. Ces variables intermédiaires ont été estimées à l’échelle du paysage à partir de diverses covariables télédétectées. Les membres du groupe d’experts ont noté que, si l’utilisation de ces variables intermédiaires est utile pour explorer les liens conceptuels entre les facteurs qui déterminent les déplacements des caribous, ces derniers peuvent être prédits avec plus de précision en liant directement le comportement (c.-à-d. le déplacement) aux covariables sous-jacentes. La disponibilité de l’habitat étant définie localement et le comportement de déplacement étant modélisé de manière explicite, le modèle peut fournir des prévisions plus précises que d’autres modèles dans des conditions environnementales futures. Cependant, les membres du groupe d’experts ont également noté que la prédiction de certaines des variables du paysage sous-jacentes (telles que l’indice de végétation par différence normalisé [NDVI]) est difficile, et que le modèle est basé sur des données provenant de seulement 30 individus dans deux zones d’étude, ce qui peut limiter les capacités prédictives globales du modèle. En outre, il a été noté que le modèle est très complexe et exigeant en calcul, ce qui peut limiter son utilité dans certains contextes.

Prévoir et imiter les perturbations

Les guides de gestion forestière de l’Ontario orientent les exploitations forestières dans les forêts de la Couronne sur l’émulation des perturbations naturelles et des modèles de paysage, conformément aux principes de la Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne. L’émulation des processus et des modèles naturels du paysage repose sur l’hypothèse selon laquelle les fonctions des écosystèmes, qui ont évolué dans des régimes de perturbations naturelles (p. ex. certaines ampleurs et fréquences de feux de forêt), seront maintenues en employant des méthodes d’extraction des ressources qui reproduisent les caractéristiques de ces perturbations. Les structures paysagères qui en résultent sont censées agir comme un « filtre brut » pour la conservation de la biodiversité, y compris le caribou boréal.

Les considérations relatives à l’habitat du caribou boréal dans le cadre du paradigme de la perturbation émulée sont généralement appliquées dans le cadre du guide des paysages de la forêt boréale de l’Ontario. Cette politique s’appuie sur les priorités énoncées dans le Plan de protection du caribou des bois de l’Ontario. Le filtre grossier, qui dicte la composition, la distribution et l’abondance des forêts matures et anciennes par l’émulation des perturbations naturelles, est destiné à fournir une quantité et une répartition suffisantes de l’habitat du caribou. Les orientations du « filtre fin », qui modifient les résultats du filtre grossier, précisent davantage la gestion de la qualité, de la quantité et de la disposition des caractéristiques physiques disponibles pour le caribou à l’intérieur des aires de répartition, telles que définies par le Plan de protection du caribou des bois de l’Ontario. Le groupe d’experts a discuté des approches de gestion de l’habitat du caribou avec filtre grossier et filtre fin dans le guide des paysages de la forêt boréale, en particulier les gammes simulées de variation naturelle (GSVN) (qui fournissent une orientation de filtre grossier) et les calendriers dynamiques de l’habitat du caribou (qui fournissent une orientation de filtre fin).

Les GSVN visent à caractériser la dynamique des paysages en l’absence d’influence humaine et sont basées sur la quantification d’un ensemble de paramètres (y compris des paramètres destinés à caractériser l’habitat du caribou) calculés à partir de simulations à l’échelle du paysage. Elles sont calculées au niveau des unités d’aménagement forestier (pour les unités d’aménagement forestier qui recoupent les aires de répartition du caribou), ainsi qu’au niveau des aires de répartition complètes du caribou (Elkie et al., 2018). Les plans de gestion forestière qui recoupent les aires de répartition du caribou doivent inclure des objectifs pour les indicateurs de l’habitat du caribou aux années 10, 20 et 100, et des objectifs supplémentaires aux années 40, 60 et 80 sont recommandés. Les GSVN calculés pour l’étendue de l’aire de répartition complète sont utilisées pour déterminer les évaluations intégrées de l’aire de répartition dans le cadre du Integrated Assessment Protocol for Woodland Caribou Ranges in Ontario (en anglais seulement) (MRNF, 2014c).

BFOLDS est un modèle de paysage spatialement explicite qui permet de simuler les régimes de feux de forêt, la succession et les transitions post-incendie. En Ontario, il est utilisé pour produire des GSVN, lesquelles servent de base aux plans de gestion forestière et aux évaluations de l’état de l’habitat du caribou à l’échelle de l’aire de répartition. Le modèle BFOLDS combine un module de simulation de feux de forêt basé sur les processus (utilisant des données sur l’allumage, la propagation et l’extinction) avec un module de succession basé sur l’avis d’experts pour simuler de manière stochastique la dynamique des paysages en l’absence d’influence humaine. Les principaux résultats du modèle comprennent les feux, le type de forêt et l’âge de la forêt, qui peuvent ensuite être utilisés pour calculer les paramètres au niveau du paysage pour l’approche des GSVN décrite ci-dessus.

Les experts ont relevé plusieurs hypothèses non vérifiées dans l’approche des GSVN telle qu’elle est mise en œuvre dans le guide des paysages de la forêt boréale. Il s’agit notamment du fait que l’approche suppose que le modèle BFOLDS décrit avec précision la dynamique du paysage en l’absence d’influence humaine; que les mesures de l’habitat du caribou sélectionnées caractérisent suffisamment les caractéristiques de l’habitat importantes pour le caribou et que la réalisation des objectifs pour les mesures de l’habitat du caribou (c.-à-d. gérer de telle sorte que les mesures basées sur la superficie se situent dans l’intervalle interquartile des GSVN et que les mesures basées sur les motifs correspondent aux valeurs moyennes des GSVN) est suffisante pour conserver les populations de caribous. Les experts ont noté que le modèle BFOLDS ne tient pas compte d’autres types de perturbations naturelles que les feux de forêt (p. ex. les épidémies d’insectes, le vent, la sécheresse) qui pourraient avoir une incidence sur l’adéquation de l’habitat pour les caribous. En outre, certains experts se sont inquiétés du fait que le modèle BFOLDS sous-estime les intervalles de retour des incendies, bien que le groupe d’experts n’ait pas eu de discussion détaillée ou ne soit pas parvenu à un consensus sur ce point. Les experts ont également remis en question l’hypothèse générale selon laquelle la gestion des forêts visant à reproduire les tendances de perturbation naturelles est efficace pour soutenir des populations de caribous autosuffisantes en Ontario.

Le SDHC est une approche de gestion du paysage qui prescrit la délimitation de grandes parcelles de paysage (généralement > 10 000 ha) et définit un programme de récolte destiné à maintenir un habitat suffisant pour les caribous dans l’espace et le temps au sein de l’unité de gestion forestière. Les grandes parcelles de paysage sont basées sur une carte des parcelles d’habitat du caribou, qui incorpore des données sur l’utilisation actuelle de l’habitat du caribou, ainsi que sur l’utilisation future potentielle de l’habitat en fonction de l’âge et de la composition de la forêt.

Les experts ont noté que l’approche du SDHC comprend des hypothèses sur l’efficacité des calendriers de récolte, de la désaffectation des routes et de leur remise en état. Les pratiques de gestion décrites dans le guide des paysages de la forêt boréale pour la récolte au niveau des peuplements et des sites prévoient que les activités dans l’habitat du caribou ne prennent pas plus de 20 ans et soient idéalement terminées dans les 10 ans (MRNF, 2014b), mais il ne s’agit pas d’une exigence obligatoire. En outre, cette politique demande que les routes d’exploitation soient mises hors service le plus rapidement possible après l’achèvement des activités de récolte, car ces éléments linéaires peuvent constituer des couloirs de déplacement pour les prédateurs des caribous. Toutefois, les experts ont noté que ces orientations peuvent être difficiles à mettre en œuvre dans la pratique; les difficultés d’accès et d’exploitation des parcelles peuvent entraîner l’ouverture de blocs de coupe bien au-delà des délais recommandés. En outre, le groupe d’experts a noté qu’il n’est pas clair dans quelle mesure le déclassement et la remise en état des routes sont efficaces pour restreindre l’accès des prédateurs, ni dans quelle mesure les activités de déclassement et de remise en état sont achevées dans les délais impartis. Les délais prolongés associés à la récolte, à la désaffectation des routes et à leur remise en état représentent un décalage entre la conception et la mise en œuvre du SDHC, ce qui peut limiter sa capacité à maintenir efficacement une offre d’habitat pour le caribou conforme à un paysage naturel.

Dans l’ensemble, les experts ont noté l’importance de valider les hypothèses sous-jacentes aux approches du SDHC et des GSVN par rapport aux réalités observées dans le paysage et dans le cadre d’études scientifiques, ce qui est conforme à l’approche de gestion adaptative recommandée dans le guide des paysages de la forêt boréale. Les données et les modèles existants qui reflètent les meilleures connaissances disponibles sur la dynamique du paysage, la sélection de l’habitat du caribou et la démographie pourraient être utilisés pour évaluer si les approches du SDHC et des GSVN sont susceptibles de maintenir une offre adéquate d’habitat dans les aires de répartition du caribou à long terme. En l’absence de données récentes sur les populations de caribous, dont le groupe d’experts ne disposait pas, il était difficile d’évaluer l’efficacité globale des approches.

Démographie des caribous

Pour comprendre les tendances des populations de caribous et la probabilité de leur persistance en Ontario, comme ailleurs, il faut une surveillance appropriée. Les experts ont reconnu que la surveillance du caribou en Ontario est difficile à réaliser, car l’espèce est répartie sur une vaste zone et présente de faibles densités de population, et en raison des coûts élevés associés à la réalisation des relevés. Bien que de nouvelles activités de surveillance soient actuellement menées dans le cadre de la mesure de conservation 1.1 de l’Accord, les données de surveillance dont dispose le groupe d’experts ont principalement été recueillies entre 2008 et 2012. Ces données comprenaient des comptages minimaux d’individus basés sur des enquêtes aériennes, des tendances de population calculées à partir d’estimations du recrutement des jeunes basées sur des enquêtes aériennes et d’estimations de la survie des adultes basées sur le port de colliers, l’occupation de l’habitat et des analyses de l’état de l’habitat basées sur le SIG. Cependant, le groupe d’experts a noté que sa capacité à comprendre l’efficacité des cadres de conservation du caribou était limitée par le manque de données sur les populations au cours de la dernière décennie. En outre, le groupe d’experts a noté que, même avec l’ajout de nouvelles données (p. ex. les données collectées dans le cadre de la mesure de conservation 1.1), il n’y aurait que quelques années de données pour la plupart des aires de répartition. Il est donc difficile de comprendre l’incidence des politiques et des mesures de gestion mises en œuvre sur de longues périodes et d’éclairer tout engagement en faveur d’une gestion adaptative.

Les membres du groupe d’experts ont suggéré que des analyses formalisées de la valeur des données, qui quantifient l’importance que les différents types de données de surveillance apporteraient aux décisions de gestion, pourraient soutenir l’élaboration d’une approche de surveillance plus cohérente qui cible les principales lacunes en matière de données et envisage une utilisation efficace des ressources disponibles. La sélection des éléments d’un programme de surveillance efficace devrait également tenir compte de l’analyse génétique des échantillons fécaux (qui peut fournir des renseignements sur l’identification individuelle, les taux démographiques et la composition démographique), qui est une approche moins invasive que la pose de colliers sur les animaux.

Certains modèles et outils de gestion pour le caribou boréal de l’Ontario utilisaient des données sur le taux vital (c.-à-d. la survie et le recrutement par individu) provenant d’activités de surveillance pour estimer les taux de croissance de la population (λ). Il s’agit notamment de l’approche de l’évaluation intégrée des aires de répartition de l’Ontario dans le cadre de la Politique de gestion des aires de distribution pour favoriser la conservation et le rétablissement du caribou des forêts, du modèle fédéral de perturbation-recrutement et de l’analyse spatiale de la viabilité de la population de Fryxell et al. (2020) (ces deux derniers modèles sont décrits plus en détail ci-dessous). Ces approches sont précieuses pour comprendre les trajectoires attendues et la viabilité des populations, ce qui est une composante importante d’une conservation et d’une gestion efficaces. Les experts ont noté qu’il est important d’évaluer et de communiquer l’incertitude entourant les estimations de λ et la viabilité de la population, ce qui nécessite des approches statistiques qui tiennent compte de la variation et de l’incertitude des taux vitaux sous-jacents et qui propagent ces incertitudes dans l’estimation de λ. Ceci est d’autant plus important que les estimations de λ pour le caribou boréal en Ontario sont basées sur des données limitées.

Les taux démographiques du caribou sont souvent mesurés à l’échelle de l’aire de répartition. En Ontario, le gouvernement fédéral reconnaît 9 aires de répartition du caribou boréal, tandis que le gouvernement provincial en reconnaît 14 (figure 1), les aires supplémentaires résultant d’une subdivision de l’aire fédérale ON9 (aire de répartition du Grand Nord). La délimitation des aires de répartition a une incidence sur diverses mesures démographiques du caribou et sur les évaluations de la population au niveau de l’aire de répartition, car elle définit la superficie totale de l’habitat, l’ampleur des perturbations cumulées et le groupe de caribous pris en compte dans les analyses.

Les membres du groupe d’experts ont noté que les aires de répartition du caribou boréal en Ontario ne sont pas strictement liées aux populations biologiques, car les individus et les gènes circulent entre elles. En outre, certaines grandes zones ne sont pas actuellement utilisées par les caribous, mais sont incluses dans les aires de répartition parce qu’il s’agit de zones où les caribous existaient auparavant ou qui ont le potentiel d’accueillir des caribous à l’avenir. Les aires de répartition fédérales et provinciales du caribou boréal en Ontario devraient donc être interprétées comme des unités de gestion ou des zones de planification du rétablissement, plutôt que comme des aires de répartition spécifiques à une population. Toutefois, les experts ont fait preuve de prudence quant aux efforts en cours pour revoir et affiner les limites de l’aire de répartition (p. ex. au moyen de la mesure de conservation 1.2 de l’Accord), étant donné qu’une grande partie des efforts historiques de suivi et de gestion ont été menés en utilisant les limites actuelles de l’aire de répartition. Par conséquent, les initiatives visant à actualiser les limites de l’aire de répartition doivent trouver un équilibre entre les avantages d’un meilleur alignement sur les populations biologiques et les risques associés à une moins bonne compréhension de l’évolution des populations et des perturbations au fil du temps.

Une carte du nord de l'Ontario montrant les aires de répartition du caribou boréal

Figure 1. Emplacements des désignations de l'aire de répartition fédérale et provinciale du Caribou Boréal en Ontario. Les zones désignées dans la Stratégie fédérale de rétablissement modifiée sont identifiées « ON1-ON9 ». En Ontario, six aires ont été délimitées au sein de l'aire fédérale du Grand Nord (ON9). La figure originale provient de l'Accord pour la conservation du Caribou, Population boréale en Ontario.

Description longue

La carte indique l'emplacement et l’étendue des aires de répartition du caribou boréal désignées par les gouvernements fédéral et provincial en Ontario. La zone d'intérêt englobe toute la section nord de l'Ontario, d'une ligne virtuelle entre North Bay et Sault Ste. Marie au sud, y compris la frontière avec les États-Unis, jusqu'à la Baie d'Hudson au nord. Les limites ouest et est de la zone d'intérêt sont respectivement la frontière du Manitoba et la frontière du Québec, y compris la côte ouest de la Baie James.

La partie centrale de la zone d'intérêt correspond aux aires de répartition désignées dans le programme de rétablissement fédéral modifié portant les codes d’identification ON1 à ON9. Cette partie centrale s'étend de la frontière du Manitoba, à l'ouest, à la frontière du Québec, y compris la côte ouest de la Baie James, à l'est.

La zone supérieure des aires de répartition ON1 à ON9 est constituée de l’aire de répartition fédérale du Grand Nord (ON9), qui a été elle-même découpée par l’Ontario en six aires de répartition contiguës. Tous ces aires de répartition sont de formes et de tailles différentes. Leur limite septentrionale s'étend le long d'une ligne virtuelle approximativement parallèle à la côte de la Baie d'Hudson, distante d’environ 200 km. Une zone allongée de forme triangulaire (adjacente à la côte ouest de la Baie James), dans la portion nord-est de l’aire de répartition fédérale du Grand Nord (ON9), n'est incluse dans aucune de ces six aires de répartition de l’Ontario. Dans la partie ouest de l’aire de répartition fédérale du Grand Nord (ON9), du nord au sud, les aires de répartition du Grand Nord délimitées par l’Ontario comprennent l’aire de répartition Swan et directement au-dessous l’aire de répartition Spirit (toutes deux adjacentes à la frontière du Manitoba), ainsi que l’aire de répartition Kinloch. D'ouest en est, les aires de répartition du Grand Nord délimitées par l’Ontario incluent l’aire de répartition Ozhiski (adjacente aux aires de répartition Swan, Spirit et Kinloch), l’aire de répartition Missisa (partiellement adjacente à l’aire de répartition Swan) et l’aire de répartition James Bay (adjacente à la côte ouest de la Baie James).

La zone inférieure des aires de répartition ON1 à ON9 est divisée en sept aires de répartition contiguës qui s'étendent parallèlement et légèrement au nord d'une ligne virtuelle entre Kenora à l'ouest et Timmins à l'est. D'ouest en est, ces aires de répartition sont l’aire de répartition ON1 Sydney (adjacente à la frontière du Manitoba), au nord de laquelle se trouve l’aire de répartition ON2 Berens (adjacente à la frontière du Manitoba), puis les aires de répartition ON3 Churchill, ON4 Brightsand, ON5 Nipigon, ON7 Pagwachuan et ON8 Kesagami (adjacente à la frontière du Québec et à la côte sud-ouest de la Baie James). Toutes ces aires de répartition sont de formes et de tailles différentes.

L’aire de répartition ON6 Coastal/Lake Superior Coast est géographiquement distincte de l’aire de répartition ON5 Nipigon et de l’aire de répartition ON7 Pagwachuan. Elle est située le long de la côte nord du Lac Supérieur et forme une bande étroite d’environ 10 km de large qui commence approximativement à 100 km au nord-ouest de Sault Ste. Marie et se termine à environ 100 km au sud-est de Nipigon. L’aire de répartition ON6 Coastal/Lake Superior Coast comprend également de petites îles littorales et de grandes îles au large du Lac Supérieur.

L’aire de répartition discontinue s'étend du sud de l’aire de répartition ON5 Nipigon et de la moitié sud-ouest de l’aire de répartition ON7 Pagwachuan jusqu'à l’aire de répartition ON6 Coastal/Lake Superior Coast et la côte nord du Lac Supérieur. Le long du Lac Supérieur, l’aire de répartition discontinue s'étend du début l’aire de répartition ON6 Coastal/Lake Superior Coast à l'est (c'est-à-dire à environ 100 km au nord-ouest de Sault Ste. Marie) jusqu'à environ 75 km à l'est de Thunder Bay à l'ouest.

Dans le cadre de l’analyse spatiale de la viabilité de la population présentée dans Fryxell et al. (2020), on a combiné les données d’Avgar et al. (2015) avec un modèle démographique pour explorer les relations mécanistes entre les conditions environnementales, les déplacements des caribous, la survie et la reproduction. Comme la dynamique de la population modélisée intègre les incidences du risque de prédation et de la disponibilité du fourrage sur les taux vitaux, le modèle permet une variété d’« analyses de scénarios » par lesquelles les incidences des interventions de gestion (p. ex. la lutte contre les prédateurs ou les réductions de la concurrence apparente au moyen d’une chasse à l’orignal accrue) peuvent être explorées. En outre, les prévisions du modèle concernant la survie des adultes dans les deux zones d’étude étaient conformes aux estimations sur le terrain, et les taux de croissance démographique simulés (λ) dans 14 aires de répartition du caribou boréal de l’Ontario étaient largement conformes aux données disponibles et aux prévisions issues d’une approche de modélisation différente (Rempel et al., 2021). Le modèle n’est pas utilisé actuellement pour la gestion du caribou en Ontario.

Les experts ont indiqué que le modèle suppose que l’incidence de l’état du paysage sur le recrutement des jeunes est indirecte et qu’elle est déterminée par la relation entre l’état du paysage et la survie et l’énergie des caribous adultes. Ceci malgré les preuves que les incidences de l’état du paysage (p. ex. les perturbations) sur le recrutement par individu sont plus fortes que les incidences sur la survie des adultes (Johnson et al., 2020). Les experts ont suggéré d’analyser la sensibilité des résultats du modèle aux hypothèses de recrutement. Ils ont également noté que la complexité et les coûts de calcul associés au modèle de mouvement (examinés ci-dessus) s’appliquent également au modèle de viabilité de la population, ce qui peut limiter son utilité dans certains contextes.

Relation entre les conditions du paysage et les perturbations

L’analyse de la relation entre les perturbations cumulées à l’échelle de l’aire de répartition (c’est-à-dire les incendies, les perturbations anthropiques) et le recrutement par individu est au cœur du cadre d’action du gouvernement du Canada pour le caribou boréal. Cette analyse a abouti à la modélisation d’une probabilité décroissante d’une population autosuffisante sur une période de 20 ans en cas d’augmentation des niveaux de perturbations cumulées (Environnement Canada, 2011). Cette analyse s’est basée sur le rapport entre le nombre de femelles et le nombre de jeunes identifiés grâce aux efforts de surveillance et aux mesures de perturbations cumulatives qui ne se chevauchent pas (feux ≤ 40 ans et perturbations anthropiques avec une zone tampon de 500 m) pour 24 aires de répartition du caribou à travers le Canada, dont deux en Ontario. Les effets des perturbations tendent à être plus importants pour ce qui est des perturbations anthropiques que pour les feux, et les perturbations linéaires sont plus néfastes que les caractéristiques polygonales, bien que le pouvoir explicatif soit plus important lorsque les types de perturbations et leur agencement sont examinés globalement. L’application de la zone tampon de 500 m sur les perturbations anthropiques (qui représente une zone d’influence estimée des perturbations causées par l’humain) a été choisie, car elle représente la distance tampon la plus prudente qui produisait un pouvoir prédictif stable dans le modèle de perturbation-recrutement. Une analyse ultérieure des données provenant de 58 zones d’étude à travers le Canada, y compris tous les massifs de l’Ontario, a réaffirmé cette relation et a suggéré que les perturbations anthropiques ont un effet 3 à 4 fois plus important sur le recrutement par individu que le feu (Johnson et al., 2020).

Les experts ont fait part de leurs préoccupations concernant la classification des perturbations dans le cadre de l’approche fédérale et l’application de la zone tampon de 500 mètres. La classification des perturbations anthropiques a été réalisée manuellement par des personnes examinant les images Landsat avec une résolution spatiale de 30 m à une échelle de visualisation de 1:50 000 (Pasher et al., 2013). Les experts ont remis en question l’hypothèse selon laquelle les perturbations visibles sur les images Landsat ont toutes la même importance pour les caribous, et l’hypothèse selon laquelle les zones qui ne sont pas visiblement perturbées peuvent être considérées comme adaptées ou reconstituées. Il n’existe pas non plus de méthode claire pour évaluer l’ancienneté des perturbations ou pour prévoir le temps qu’il faudra pour que les zones visiblement perturbées se rétablissent. La validation des classifications par des observations sur le terrain a été suggérée comme une solution potentielle. Certains experts se sont également montrés intéressés par l’utilisation d’informations sur les mécanismes de causalité pour sélectionner les distances tampons, et par l’application de tampons différents à des types de perturbations différents, comme méthode de rechange à l’approche empirique actuelle.

D’autres discussions ont porté sur les améliorations potentielles et les essais du modèle perturbation-recrutement. L’une des principales limites du modèle fédéral est que la cartographie des perturbations à haute résolution produite par l’Ontario n’a pas été utilisée afin de maintenir la cohérence à travers le pays (c.-à-d. parce que la cartographie des perturbations à haute résolution n’était pas disponible dans les autres administrations incluses dans l’analyse). Des inquiétudes ont également été exprimées quant aux variations régionales des relations entre démographie et perturbations, et quant à la capacité d’un modèle national à caractériser avec précision la relation entre les perturbations et les taux vitaux des caribous dans les différentes régions. Pour répondre à ces préoccupations, les experts ont convenu que les modèles démographiques et de perturbation pourraient être affinés pour l’Ontario, en utilisant une cartographie provinciale des perturbations à plus haute résolution. Bien que la facilité d’interprétation soit un avantage notable du modèle fédéral à prédicteur unique (perturbation totale), certains experts ont suggéré qu’une approche basée sur la moyenne du modèle pourrait améliorer le pouvoir prédictif. Les experts ont également suggéré de valider le modèle à l’aide de nouvelles données démographiques.

La discussion plus générale a porté sur l’incidence des perturbations sur la persistance des caribous. Les experts ont unanimement reconnu que des niveaux élevés de perturbations cumulées ont un effet négatif sur les taux vitaux du caribou (c.-à-d. le recrutement par individu et la survie des femelles adultes), tant au niveau national qu’en Ontario, en raison d’incidences liées à l’habitat sur le risque de prédation et la disponibilité de la nourriture. Cependant, les experts ont également discuté des incertitudes concernant l’efficacité de la restauration des habitats et la mesure dans laquelle la réduction des perturbations cumulées dans les aires de répartition améliorera la probabilité d’atteindre un état d’autosuffisance pour les populations locales. Les experts ont également discuté de l’incidence des différents types de perturbations sur les caribous, et ils ont convenu qu’il était difficile de les distinguer, car il existe de fortes corrélations entre certains types de perturbations (p. ex. les routes coexistent presque toujours avec d’autres perturbations anthropiques). Cependant, le fait de traiter les perturbations comme une variable composée dans les modèles limite l’espace de décision dont disposent les décideurs politiques et les gestionnaires de la faune et de la flore.

Tableau 1. Résumé des discussions des membres du groupe d’experts sur les modèles liés à la conservation du caribou boréal en Ontario
- Composante de Limitations Améliorations potentielles

Indicateurs de l’habitat du caribou dans le cadre du guide des paysages de la forêt boréale

Cadre provincial de conservation du caribou

Ne tient pas compte de certaines caractéristiques de l’habitat qui sont très importantes pour le caribou (p. ex. les caractéristiques linéaires);

Les tableaux d’adéquation de l’habitat élaborés sur la base d’avis d’experts informels;

N’ont pas été mises à jour depuis environ 20 ans.

Mettre à jour pour refléter la compréhension actuelle de l’utilisation de l’habitat du caribou en Ontario;

Intégrer d’autres caractéristiques de l’habitat connues pour avoir une incidence sur l’utilisation de l’habitat par les caribous;

Évaluer la relation entre les indicateurs d’habitat et la démographie des caribous;

Évaluer formellement l’approche par rapport aux données hors modèle sur l’utilisation de l’habitat du caribou.

Description générale de l’habitat – Processus de délimitation de l’habitat de catégorie 1

Cadre provincial de conservation du caribou

Très sensible à l’effort de recherche/enquête;

S’appuie sur des critères informels et des avis d’experts;

La méthodologie n’est pas disponible pour un examen externe.

Communiquer la méthodologie et les résultats de manière transparente et les soumettre à un examen par les pairs;

Évaluer formellement l’approche par rapport aux données hors modèle sur l’utilisation de l’habitat du caribou.

Description générale de l’habitat – Fonction de sélection des ressources pour la délimitation des habitats de catégorie 2 et 3

Cadre provincial de conservation du caribou

Ne fournit pas de données sur la quantité d’habitat nécessaire;

Pas d’examen des différences individuelles dans l’utilisation de l’habitat à l’intérieur d’une aire de répartition donnée;

Capacité limitée à prédire l’utilisation de l’habitat pour de nouvelles combinaisons de conditions environnementales.

Envisager d’autres méthodes de modélisation de la sélection des ressources susceptibles d’améliorer les prévisions en fonction de l’évolution des conditions environnementales;

Évaluer formellement l’approche par rapport aux données hors modèle sur l’utilisation de l’habitat du caribou.

Avgar et al. (2015) – Modèle de déplacement du caribou

Non utilisé pour la gestion du caribou en Ontario

Complexe à mettre en place et à faire fonctionner;

Paramétrée à partir de données provenant de 30 individus seulement.

Envisager de lier les déplacements directement aux covariables du paysage (p. ex. NDVI), plutôt que de passer par des variables intermédiaires liées au risque de prédation et à la disponibilité du fourrage.

BFOLDS

Cadre provincial de conservation du caribou

Ne tient pas compte d’autres types de perturbations naturelles que les feux de forêt;

Les trajectoires de succession forestière sont basées en grande partie sur des avis d’experts.

Mettre à jour des trajectoires de succession forestière à l’aide de données empiriques.

Méthodes de calcul du taux de croissance de la population (λ)

Cadres fédéral et provincial de conservation du caribou

L’incertitude sur λ et la viabilité projetée de la population ne sont pas toujours évaluées ou communiquées.

Utiliser des méthodes statistiques pour estimer l’incertitude avec λ et la viabilité projetée de la population.

Sous-modèle démographique de Frxyell et al. (2020)

Non utilisé pour la gestion du caribou en Ontario

On suppose que le recrutement par individu n’est pas directement influencé par l’état du paysage;

Complexe à mettre en place et à faire fonctionner.

Évaluer la sensibilité des résultats aux hypothèses de recrutement et de survie des adultes.

Perturbations fédérales – modèle de recrutement

Cadre fédéral de conservation du caribou

La classification des perturbations repose sur leur apparition ou non sur les images Landsat et n’utilise pas les produits à résolution plus fine disponibles à l’échelle provinciale;

Il n’existe pas de méthodes claires pour évaluer l’ancienneté des perturbations ou prévoir la reconstitution de l’habitat;

Le modèle national peut ne pas décrire avec précision la variabilité régionale;

Une seule variable prédictive peut limiter le potentiel prédictif.

Incorporer des données spatiales à plus haute résolution spécifique à l’Ontario;

Tenir compte des données mécanistiques pour définir les tailles des zones tampons et utiliser l’approche de la moyenne des modèles;

Valider le modèle à l’aide de nouvelles données démographiques.

*Ce tableau résume le matériel présenté dans l’Évaluation scientifique des cadres fédéral et provincial pour la conservation du caribou boréal en Ontario, et ne doit pas être présenté indépendamment du contexte supplémentaire fourni dans ce document.

Autres sources d’incertitude

Les membres du groupe d’experts ont cerné plusieurs domaines d’incertitude qui posent des défis généraux pour la conservation du caribou boréal en Ontario. Par exemple, la disponibilité des données historiques sur les populations de caribous boréaux, l’occupation de l’habitat et les tendances dans le temps est généralement limitée. Si les schémas de contraction de l’aire de répartition depuis 1880 sont décrits dans Schaefer (2003), le groupe d’experts a noté que cette analyse s’appuie principalement sur des informations anecdotiques. Les données scientifiques de grande qualité sur les populations de caribous en Ontario se limitent généralement aux 15 dernières années, et presque toutes les données démographiques et de déplacement pertinentes ont été collectées entre 2008 et 2012.

De nombreux modèles et approches utilisés pour orienter la gestion du caribou en Ontario reposent sur des produits de données de télédétection. Cependant, certains produits de données pertinents ne sont pas disponibles sur toute l’étendue de la présence du caribou boréal en Ontario (p. ex. la cartographie détaillée de la végétation n’est pas disponible en dehors de la forêt de la Couronne gérée), ce qui rend difficile l’élaboration de modèles et d’outils de gestion, qui soient à la fois suffisamment détaillés et cohérents dans toute la province. En outre, certains produits de télédétection sont associés à un degré élevé d’erreur, ce qui introduit une incertitude supplémentaire dans les modèles qui en dépendent.

Le groupe d’experts a également noté que les incidences des perturbations sensorielles et leurs effets sur le comportement des caribous en Ontario ont fait l’objet d’une attention minimale de la part des chercheurs et ne sont pas bien compris. Diverses activités humaines créent du bruit, de la lumière, des odeurs et d’autres perturbations sensorielles qui peuvent avoir des effets sur l’utilisation de l’habitat du caribou et sur la persistance de la population, en plus des effets directs de la perturbation de l’habitat généralement évoqués ci-dessus.

Une meilleure compréhension des relations prédateurs-proies dans les aires de répartition des caribous permettrait également d’éclairer les approches de gestion. Il s’agit notamment de l’incidence de la prédation de l’ours noir (Ursus americanus) sur le caribou et du rôle du castor d’Amérique du Nord (Castor canadensis) en tant que proie alternative pour les prédateurs. En outre, le rôle et l’incidence significatifs que les castors peuvent avoir sur le paysage devraient être examinés et pris en compte dans les approches de gestion du paysage.

Efficacité de la politique de conservation du caribou boréal en Ontario

Le groupe d’experts n’a pas été en mesure de déterminer la probabilité que l’application du cadre fédéral en Ontario conduise à des populations de caribous autosuffisantes, étant donné que le cadre fédéral n’a pas été appliqué en Ontario à ce jour. En outre, le cadre fédéral n’est pas un cadre de gestion global; le modèle de perturbation-recrutement a été développé pour soutenir la désignation de l’habitat essentiel et fournir une évaluation probabiliste de la probabilité de persistance de la population dans différentes conditions de paysage. Il ne prescrit pas à lui seul les mesures à prendre pour obtenir des résultats en matière de rétablissement. Il est également centré sur le caribou, de portée nationale, et ne fournit pas d’orientation sur la multitude de considérations nécessaires à la gestion des terres à l’échelle provinciale.

Le groupe d’experts n’a pas disposé de suffisamment de temps et de données pour comprendre la manière dont les politiques individuelles qui constituent le cadre de conservation du caribou de l’Ontario fonctionnent ensemble pour soutenir la conservation et le rétablissement de l’espèce. Les données fournies au groupe d’experts n’étaient pas suffisantes pour préciser quelles politiques entrent en ligne de compte dans la prise de décision, quelles sont les conséquences de chaque politique et quelles sont les preuves qui étayent chacune d’elles. Par exemple, le nombre et l’étendue des activités gérées dans le cadre de la Politique de gestion des aires de distribution pour favoriser la conservation et le rétablissement du caribou des forêts, qui vise à soutenir la mise en œuvre des dispositions de protection prévues par la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition, n’ont pas été clairement définis. Cette question était intéressante étant donné que les exploitations forestières dans les forêts de la Couronne (qui sont menées conformément à un plan de gestion forestière approuvé) sont exemptées de la Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition en raison des dispositions de la Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne. L’importance relative de la Politique de gestion des aires de distribution pour favoriser la conservation et le rétablissement du caribou des forêts était donc incertaine. Le manque de clarté général, combiné à la complexité du cadre, a limité la capacité du groupe d’experts à évaluer la probabilité d’atteindre des populations de caribous autosuffisantes et à répondre aux questions posées dans le mandat.

Le groupe d’experts convient que la gestion des effets cumulatifs des perturbations de l’habitat à grande échelle (c.-à-d. des milliers de kilomètres carrés) est nécessaire pour une conservation réussie du caribou à long terme (c.-à-d. à l’échelle de la décennie) en Ontario. Cela nécessitera des approches spatialement explicites pour évaluer tous les facteurs pertinents de l’état de l’habitat du caribou à l’échelle du paysage et qui les relient à la probabilité de survie des populations de caribous en Ontario, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Actuellement, les méthodes spatialement explicites ne sont pas utilisées pour évaluer ou projeter les effets cumulatifs des décisions de gestion pertinentes à de grandes échelles spatiales pertinentes pour le caribou, et de nombreux modèles qui éclairent les décisions relatives à l’habitat n’incluent pas la dynamique de la population de caribous. En outre, les experts ont noté que de nombreuses décisions de gestion sont prises à des échelles inférieures à celle de l’aire de répartition, mais le groupe d’experts ne disposait pas de données suffisantes pour évaluer si les décisions prises à des échelles inférieures, lorsqu’elles sont prises dans leur ensemble, sont cohérentes avec les besoins du caribou à une échelle supérieure.

Les experts ont dit que les gestionnaires et les scientifiques doivent pouvoir mobiliser plus efficacement les intervenants et les détenteurs de droits dans l’échange des connaissances sur le caribou en Ontario. Il pourrait s’agir d’améliorer la communication des données scientifiques aux utilisateurs des terres et de veiller à ce que les observations et les valeurs des utilisateurs des terres soient intégrées dans les initiatives scientifiques, objectifs qui peuvent être atteints grâce à des techniques de recherche participative et de planification et de prise de décision en collaboration en matière de conservation. Ces techniques pourraient être utilisées pour fournir des rétroactions sur les recherches passées, en cours et prévues, sur le développement de modèles et d’outils, et sur la mise en œuvre d’activités de gestion, afin d’améliorer les résultats pour les caribous.

Enfin, les experts ont fait part de leurs préoccupations concernant le temps nécessaire pour déterminer l’efficacité de la restauration et de la reconstitution des habitats en Ontario. Si la cause principale du déclin du caribou boréal (perturbations cumulées et modifications de la dynamique prédateur-proie qui en résultent) est bien comprise, il faut des décennies pour restaurer les zones perturbées afin qu’elles retrouvent leur fonction pour les caribous. Il existe une série d’options de gestion, telles que la réduction des densités de prédateurs et de proies alternatives ou la mise hors service et l’assainissement des routes, qui pourraient être mises en œuvre à court terme. Toutefois, pour comprendre de manière exhaustive la combinaison la plus efficace de mesures de gestion, les experts ont suggéré une approche politique expérimentale (appliquer des combinaisons d’options de gestion à court terme dans certaines aires de répartition et traiter les autres comme des zones témoins) pour évaluer l’efficacité des interventions à court terme. Pour être efficaces, les expériences menées à l’échelle du paysage devront être suivies à l’aide d’indicateurs significatifs et sensibles, inclure des critères permettant d’arrêter une activité expérimentale lorsqu’il existe des preuves suffisantes des avantages ou des incidences pour le caribou, et prendre soigneusement en compte l’éthique de l’expérimentation sur une espèce menacée.

Recommandations

À la suite des discussions et de l’évaluation décrites ci-dessus, le groupe d’experts a formulé les principales recommandations suivantes :

Pour comprendre les populations de caribous en Ontario, il faut une surveillance appropriée, qui pourrait comprendre l’évaluation des conditions de l’habitat, des données génétiques, de l’occupation de l’habitat, de la taille de la population ainsi que de la survie et du recrutement. Des analyses formalisées de la valeur des données pourraient contribuer à l’élaboration d’une approche de surveillance plus cohérente, qui cible les principales lacunes en matière de données et envisage une utilisation efficace des ressources disponibles. Le groupe d’experts a été limité dans sa capacité à comprendre l’efficacité des cadres de conservation du caribou en raison de l’absence de données actuelles relatives à la plupart de ces paramètres.

L’accès aux connaissances et aux données sur le caribou et son habitat, ainsi que la compréhension des recherches en cours, constituent un défi permanent. De nouveaux modèles et de nouvelles mesures incitatives sont nécessaires pour encourager l’échange de données et de connaissances entre les gouvernements, les universitaires, les promoteurs et les autres intervenants et détenteurs de droits, afin de garantir la disponibilité de données actualisées pour la recherche et la prise de décision.

Veiller à ce qu’il y ait un engagement en faveur d’un processus transparent d’évaluation et d’intégration des nouvelles données dans les cadres réglementaires existants, en temps opportun.

Le modèle fédéral des perturbations et de recrutement du caribou devrait être affiné pour le contexte de l’Ontario en utilisant des données nouvelles ou à plus haute résolution disponible dans la province, ou des approches mécanistes pour comprendre les différences entre les types de perturbations. Cet affinement pourrait également tenir compte des variables prédictives supplémentaires et l’utilisation d’approches de calcul de la moyenne du modèle pour tenir compte de l’incertitude de la structure du modèle.

La détermination des mesures de gestion à court terme les plus efficaces pour améliorer les probabilités de survie du caribou nécessitera des interventions en matière de gestion qui agiront comme des expériences, avec des zones témoins appropriées.

Autre considérations

Les politiques de gestion forestière de l’Ontario identifient une variété d’objectifs de gestion au-delà du caribou boréal, y compris d’autres aspects de la biodiversité (p. ex. d’autres mammifères, oiseaux et plantes), ainsi que des facteurs sociaux et économiques. Ces considérations, y compris les compromis potentiels entre la gestion pour la conservation du caribou et d’autres résultats, n’ont pas été discutées par le groupe d’experts. On ne sait pas très bien comment le fait de mettre l’accent sur les besoins en habitat du caribou peut influer sur la diversité écologique et la santé générale de l’habitat pour d’autres espèces.

Les experts ont noté que l’Accord spécifie plusieurs mesures de conservation qui se rapportent à des preuves scientifiques soutenant la gestion du caribou boréal. Plus précisément, d’autres mesures de conservation (c.-à-d. au-delà de 4.1) visent à accroître la disponibilité et la rigueur des données scientifiques (p. ex. au moyen de la surveillance), à mettre à jour ou à améliorer divers modèles, à cerner les lacunes en matière de données et à améliorer l’échange de données. Les progrès continus réalisés dans le cadre de ces initiatives ont constitué une « cible mobile » pour l’évaluation de l’état des preuves scientifiques par le groupe d’experts.

Groupe d’experts

Groupe d’experts

Nom

Affiliation

Boan, Julee

Natural Resources Defense Council

Brienesse, Mike

Ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario

Fryxell, John

Université de Guelph

Green, Kevin

Ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs de l’Ontario

Hughes, Josie

Environnement et Changement climatique Canada

Johnson, Cheryl Ann

Environnement et Changement climatique Canada

Larose, Desneiges

Hearst Forest Management

Leblond, Mathieu

Environnement et Changement climatique Canada

Manseau, Micheline

Environnement et Changement climatique Canada et Université Trent

Nudds, Tom

Université de Guelph

Ray, Justina

Wildlife Conservation Society Canada, Université de Toronto et Université de Trent

Rodgers, Art

Ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario

Schaefer, Jim

Université Trent

Sleep, Darren

Sustainable Forestry Initiative

Solarik, Kevin

National Council for Air and Stream Improvement

Wear, Cole

Dryden Fibre Canada

Président et coordonnateurs de l’examen scientifique

Président et coordonnateurs de l’examen scientifique

Nom

Affiliation

Dey, Cody

Environnement et Changement climatique Canada

Olivier, Gilles

Environnement et Changement climatique Canada (président)

Toth, Cory

Environnement et Changement climatique Canada

Vallender, Rachel

Environnement et Changement climatique Canada

Pour plus d'informations, veuillez contacter ConseilsScientifiques-ScienceAdvice@ec.gc.ca

Sources d’information

Le présent rapport d’évaluation scientifique est le résultat d’ateliers d’examen scientifique conjoints organisés en collaboration par le Canada et l’Ontario les 8 et 9 novembre 2023 et les 5 et 7 décembre 2023.

Avgar, T., Baker, J.A., Brown, G.S., Hagens, J.S., Kittle, A.M., Mallon, E.E., McGreer, M.T., Mosser, A., Newmaster, S.G., Patterson, B.R., Reid, D.E.B., Rodgers, A.R., Shuter, J., Street, G.M., Thompson, I., Turetsky, M.J., Wiebe, P.A. et Fryxell, J.M. 2015. Space‐use behaviour of woodland caribou based on a cognitive movement model. Journal of Animal Ecology, 84: 1059-1070.

Elkie P., Green, K., Racey, G., Gluck, M., Elliott, J., Hooper, G., Kushneriuk, R. et R. Rempel, 2018. Science and Information in support of Policies that address the Conservation of Woodland Caribou in Ontario: Occupancy, Habitat and Disturbance Models, Estimates of Natural Variation and Range Level Summaries. Electronic Document. Version 2018. Ontario Ministry of Natural Resources, Forests Branch.

Elkie, P., Gluck, M., Boos, J., Bowman, J., Daniel, C., Elliott, J., Etheridge, D., Heaman, D., Hooper, G., Kushneriuk, R., Lucking, G., Mills, S., Naylor, B., Pinto, F., Pond, B., Rempel, R., Ride, K., Smiegielski, A., Watt, G. et Woods, M. 2019. Science and Information in support of the Forest Management Guide for Boreal Landscapes: Simulations, Rationale and Inputs. Version 2019. Ontario Ministry of Natural Resources and Forestry. Crown Lands and Forestry Branch, Forest Guides and Silviculture Section.

Environment Canada. 2011. Scientific Assessment to Inform the Identification of Critical Habitat for Woodland Caribou (Rangifer tarandus caribou), Boreal Population, in Canada. Update. Ottawa, Ontario, Canada. 102pp. (Également disponible en français : Environnement Canada. 2011. Évaluation scientifique aux fins de la désignation de l’habitat essentiel de la population boréale du caribou des bois [Rangifer tarandus caribou] au Canada : Mise à jour 2011. 116 p. et annexes.)

Environment Canada. 2012. Recovery Strategy for the Woodland Caribou (Rangifer tarandus caribou), Boreal population, in Canada. Species at Risk Act Recovery Strategy Series.

Environment Canada, Ottawa. xi + 138pp. (Également disponible en français : Environnement Canada. 2012. Programme de rétablissement du caribou des bois [Rangifer tarandus caribou], population boréale, au Canada. Série de Programmes de rétablissement de la Loi sur les espèces en péril, Environnement Canada, Ottawa. xii + 152 p.)

Environment and Climate Change Canada. 2020. Amended Recovery Strategy for the Woodland Caribou (Rangifer tarandus caribou), Boreal Population, in Canada. Species at Risk Act Recovery Strategy Series. Environment and Climate Change Canada, Ottawa. xiii + 143pp. (Également disponible en français : Environnement et Changement climatique Canada. 2020. Programme de rétablissement modifié du caribou des bois [Rangifer tarandus caribou], population boréale, au Canada. Série de Programmes de rétablissement de la Loi sur les espèces en péril, Environnement et Changement climatique Canada, Ottawa. xiv + 155 pp.)

Fryxell, J.M., Avgar, T., Liu, B., Baker, J.A., Rodgers, A.R., Shuter, J., Thompson, I.D., Reid, D.E., Kittle, A.M., Mosser, A. et Newmaster, S.G., 2020. Anthropogenic disturbance and population viability of woodland caribou in Ontario. The Journal of Wildlife Management, 84: 636-650.

Hornseth, M.L. et Rempel, R.S. 2015. Seasonal resource selection of woodland caribou (Rangifer tarandus caribou) across a gradient of anthropogenic disturbance. Canadian Journal of Zoology 94: 79–93.

Johnson C.A., Sutherland G.D., Neave E., Leblond M., Kirby P., Superbie C. et McLoughlin P.D. 2020. Science to inform policy: linking population dynamics to habitat for a threatened species in Canada. Journal of Applied Ecology. 57: 1314–1327.

MNR. 2009. Ontario’s Woodland Caribou Conservation Plan. Queen’s Printer for Ontario, Toronto Ontario, Canada. 24 pp.

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MRNF. 2014a. Range Management Policy in Support of Woodland Caribou Conservation and Recovery. Toronto: Queen’s Printer for Ontario. 13 pp.

MNRF. 2014b. Forest Management Guide for Boreal Landscapes. Toronto: Queen’s Printer for Ontario. 104 pp.

MNRF. 2014c. Integrated Assessment Protocol for Woodland Caribou Ranges in Ontario. Species at Risk Branch, Thunder Bay, Ontario

Ontario Woodland Caribou Recovery Team. 2008. Woodland Caribou (Rangifer tarandus caribou) (Forest-dwelling, Boreal Population) in Ontario. Prepared for the Ontario Ministry of Natural Resources, Peterborough, Ontario. 93 pp.

Pasher, J., Seed, E. et Duffe, J. 2013. Development of boreal ecosystem anthropogenic disturbance layers for Canada based on 2008 to 2010 Landsat imagery. Canadian Journal of Remote Sensing, 39: 42-58.

Rempel, R.S. et Hornseth, M.L. 2018. Range-Specific Seasonal Resource Selection Probability Functions for 13 Caribou Ranges in Northern Ontario. IFR-01. Science and Research Internal File Report. Ministry of Natural Resources and Forestry. Peterborough, ON.

Rempel, R.S., Carlson, M., Rodgers, A.R., Shuter, J.L., Farrell, C.E., Cairns, D., Stelfox, B., Hunt, L.M., Mackereth, R.W. et Jackson, J.M. 2021. Modeling cumulative effects of climate and development on moose, wolf, and caribou populations. The Journal of Wildlife Management, 85: 1355-1376.

Schaefer, J.A. 2003. Long‐term range recession and the persistence of caribou in the taiga. Conservation Biology. 17: 1435-1439.

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