Motifs de décision prononcés le 17 janvier 2020

(Requête du personnel du Conseil en disjonction, radiation d’éléments de preuve et pour la production et l’examen des pièces [la « requête »])

Version PDF (186 ko)

Dans l’affaire de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, dans sa version modifiée et dans l’affaire concernant Horizon Pharma (l’« intimée ») et son médicament, le bitartrate de cystéamine, vendu par l’intimée sous le nom commercial Procysbi

1. Le 15 janvier 2020, le panel d’audience (le « Panel ») du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le « Conseil ») saisi de la présente instance a entendu la requête dans laquelle le recours suivant était demandé :

  1. une ordonnance visant la disjonction de l’audience entre les paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi sur les brevetsNote de bas de page 1(la « Loi »);
  2. une ordonnance visant à caviarder les parties du rapport Hay ayant trait aux coûts de fabrication et de commercialisation du ProcysbiNote de bas de page 2;
  3. subsidiairement, une ordonnance permettant au Secrétariat international d’inspecter les livres et registres d’Horizon pour déterminer les coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi et une ordonnance visant la production de certains documents.

2. Après avoir examiné attentivement les documents déposés et les observations orales des parties, le Panel a rendu sa décision en ce qui concerne la requête du 17 janvier 2020, dont les motifs suivront. La décision est jointe à titre d’annexe « A ».

3. Voici les motifs du Panel.

A. Contexte

4. La présente requête est présentée dans le contexte d’une procédure intentée par le personnel du Conseil dans laquelle il est allégué que l’intimée vend le médicament bitartrate de cystéamine sous le nom commercial Procysbi (« Procysbi ») à un prix qui est excessif en vertu de l’article 83 de la Loi.

5. Le personnel du Conseil soutient que le prix maximal non excessif du Procysbi devrait être réduit conformément à l’un des trois modèles de fixation des prix que le personnel du Conseil décrit ainsi : 1) la comparaison du même médicament; 2) l’approche du prix médian; et 3) l’approche de la part de marché.

6. En réponse aux allégations du personnel du Conseil, l’intimée a retenu les services d’un économiste pharmaceutique, M. Joel W. Hay, pour évaluer l’incidence des trois modèles de fixation des prix du personnel du Conseil (le « rapport Hay »).

7. Le personnel du Conseil conteste les parties du rapport Hay qui contiennent selon lui une preuve détaillée des coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi. Le personnel du Conseil dépose la présente requête pour obtenir diverses mesures de redressement qui, essentiellement, reporteront l’examen de cette preuve à une étape ultérieure de l’audience au besoin ou, subsidiairement, veilleront à ce que le personnel du Conseil ait accès aux renseignements pertinents sous-tendant l’analyse du rapport Hay de sorte qu’il puisse répondre à cette analyse.

B. La demande de disjonction et de caviardage

(i) Contexte législatif pertinent

8. Pour déterminer si le prix d’un médicament est excessif en vertu de l’article 83 de la Loi, le Conseil doit entreprendre l’analyse séquentielle suivante indiquée à l’article 85 de la Loi.

9. Tout d’abord, le Conseil doit examiner les facteurs suivants indiqués au paragraphe 85(1) de la Loi :

  1. le prix de vente du médicament sur un tel marché;
  2. le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;
  3. le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;
  4. les variations de l´indice des prix à la consommation;
  5. tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe.

10. Si, après avoir tenu compte les facteurs énumérés au paragraphe 85(1), le Conseil est incapable de décider si le prix d’un médicament est excessif, le Conseil peut alors tenir compte des autres facteurs indiqués au paragraphe 85(2) de la Loi, à savoir les coûts de réalisation et de mise en marché du médicament.

(ii) Observations des parties

11. Étant donné la prise en compte séquentielle des facteurs indiqués à l’article 85 de la Loi ainsi que des ressources et des délais importants nécessaires pour présenter la preuve et les arguments liés aux coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi, le personnel du Conseil fait valoir que la disjonction de la présente procédure apportera une solution au litige qui sera juste et la plus expéditive et économique possible.

12. Selon l’approche du personnel du Conseil, le Panel n’entendrait que la preuve et les arguments sur la question de savoir si le prix du Procysbi est excessif selon les facteurs énumérés au paragraphe 85(1) de la Loi. Si, après cette première étape de l’audience, le Panel est incapable de trancher la question, l’audience reprendrait alors pour que les parties puissent présenter la preuve et les arguments en ce qui concerne les facteurs indiqués au paragraphe 85(2) de la Loi, à savoir les coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi.

13. Si le Panel adopte cette approche, le personnel du Conseil fait valoir que les parties du rapport Hay liées au coût de réalisation et de mise en marché du Procysbi devraient être caviardées et non prises en compte durant la première étape de l’audience parce qu’elles ne sont pas pertinentes aux facteurs énumérés au paragraphe 85(1) de la Loi.

14. L’intimée soutient que l’octroi de la mesure de redressement demandée par le personnel du Conseil la priverait d’une possibilité équitable de présenter sa preuve et ses arguments qui portent sur la question ultime de la présente procédure : la question de savoir si le prix du Procysbi est excessif en vertu de l’article 83 de la Loi. L’intimée fait valoir que, contrairement aux observations du personnel du Conseil, les parties du rapport Hay dont on demande le caviardage ne sont pas présentées pour justifier le prix du Procysbi en vertu du paragraphe 85(2) de la Loi. Le rapport Hay a plutôt été fourni en réponse aux allégations du personnel du Conseil. En particulier, l’analyse du rapport Hay a été menée pour fournir au Panel les renseignements sur la question de savoir si les solutions de rechange proposées par le personnel du Conseil à la fixation des prix (présentées par le personnel du Conseil en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi) sont raisonnables.

15. En outre, l’intimée soutient que la disjonction limite artificiellement la procédure d’une façon qui oblige le Panel à rendre une décision sur le fond dans un « vase clos » sans disposer de l’ensemble de la preuve. Par conséquent, l’intimée soutient que la disjonction de la présente procédure n’est pas efficace ni préférable.

(iii) Le droit applicable

16. Le Panel a le pouvoir de scinder une procédure en vertu du paragraphe 5(2) des Règles de pratique et de procédure du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetésNote de bas de page 3(les « Règles du CEPMB ») et du paragraphe 97(1) de la Loi :

  1. Le paragraphe 5(2) des Règles du CEPMB accorde au Conseil le pouvoir discrétionnaire d’aborder toute question procédurale non prévue « de la manière qu’ordonne le Conseil pour assurer le déroulement équitable et expéditif de l’instance ».
  2. Le paragraphe 97(1) de la Loi exige que, dans « la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, le Conseil agit sans formalisme, en procédure expéditive ».

17. Les parties n’ont pas été en mesure d’indiquer des décisions antérieures rendues par le Panel du Conseil sur la question de la disjonction d’une audience. Les parties ont fourni au Panel la jurisprudence de la Cour fédérale sur la question de la disjonction. La grande majorité des décisions de la Cour fédérale invoquées par les parties concernaient une requête en disjonction de l’examen de deux questions juridiques distinctes, normalement la responsabilité des dommages-intérêts. À l’opposé, dans la requête, le personnel du Conseil demande la disjonction de l’examen d’une question (p. ex. la question de savoir si le prix du Procysbi est excessif en vertu de l’article 83 de la Loi) en deux audiences, selon les facteurs jugés pertinents à cette question aux paragraphes 85(1) et (2) de la Loi.

18. Bien que les décisions de la Cour fédérale aient été entendues selon des faits très différents et des régimes législatifs différents, le Panel les trouve utiles pour déterminer les principes pertinents à prendre en considération au moment de décider s’il faut accorder une requête en disjonction.

19. Pour décider s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de scinder une procédure, le Panel commence par la proposition selon laquelle une partie a le droit fondamental de voir toutes les questions en litige réglées lors d’un seul et même procèsNote de bas de page 4. Il revient ensuite à la partie requérante de justifier la mise de côté de la pratique habituelle en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de la preuve et de l’ensemble des circonstances de l’affaire, que la disjonction permettra selon toute vraisemblance de statuer sur le bien-fondé de l’action d’une manière qui soit juste et représente la solution la plus expéditive et la plus économiqueNote de bas de page 5.

20. Lorsqu’il rend cette décision, le Panel tient compte de la liste suivante de facteurs non exhaustifs qui se chevauchent quelque peu et qui sont susceptibles d’être pertinents :

  1. la complexité des questions;
  2. le point de savoir si les questions sont nettement distinctes;
  3. le point de savoir si la structure des faits sur laquelle l’action se fonde est suffisamment extraordinaire ou exceptionnelle pour justifier qu’on s’écarte de la pratique normale consistant à juger en une seule instance l’ensemble des questions en litige;
  4. le point de savoir si l’instruction conjointe des questions pourrait faciliter une meilleure compréhension;
  5. le point de savoir si les questions sont inextricablement liées;
  6. le point de savoir s’il est manifestement préférable qu’une question soit jugée d’abord;
  7. le point de savoir si la procédure adoptée permettra des économies substantielles;
  8. le point de savoir s’il est certain que la disjonction permettra de gagner du temps ou si elle n’entraînera pas plutôt des délais inutiles;
  9. la question de savoir si l’affaire qui fait l’objet de la disjonction mettra un terme à la procédureNote de bas de page 6.

(iv) Analyse

21. Le Panel a examiné tous les facteurs pertinents et a conclu que le personnel du Conseil ne l’a pas convaincu que, dans les circonstances de l’affaire, il existait une raison de s’écarter de la règle générale exigeant une seule audition de toutes les questions en litige. Pour les motifs qui suivent, le Panel estime que la disjonction n’apportera pas une solution au litige qui sera juste et la plus expéditive et économique possible.

a) La nature séquentielle de l’article 85 de la Loi

22. À titre préliminaire, le Panel souhaite aborder l’observation du personnel du Conseil selon laquelle il convient d’appliquer la disjonction en l’espèce parce que l’article 85 de la Loi impose une approche séquentielle à l’examen des facteurs énumérés aux paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi.

23. L’approche séquentielle à l’égard de l’examen des paragraphes 85(1) et 85(2) a été reconnue par le Conseil à de nombreuses occasions et n’est pas en litigeNote de bas de page 7. Toutefois, l’examen de la preuve et des arguments ne devraient pas être confondus avec la réception de cette preuve et de ces arguments.

24. Bien que l’article 85 de la Loi impose une approche séquentielle à l’examen des facteurs énumérés aux paragraphes 85(1) et (2) de la Loi, rien dans la Loi ou la jurisprudence ne laisse entendre que le Conseil devrait recevoir la preuve et les arguments relatifs au paragraphe 85(2) seulement s’il ne peut pas rendre une décision fondée sur le paragraphe 85(1).

25. Dans des circonstances ordinaires, le Conseil recevra la preuve et les arguments sur les paragraphes 85(1) et 85(2) à l’audience sur le fond et le Panel n’examinera pas la preuve liée au paragraphe 85(2) sauf s’il est incapable de trancher la question en vertu du paragraphe 85(1). En effet, le Conseil a expressément adopté cette approche dans Soliris :

[Traduction]
75. L’article 85 porte sur la possibilité pour le Panel de réaliser un examen en deux étapes composé d’un examen initial des facteurs indiqués au paragraphe 85(1) puis, au besoin, d’un examen des autres facteurs indiqués au paragraphe 85(2). En ce qui concerne la procédure d’audience pour chacune de ces étapes, une option consisterait à recevoir la preuve et les observations sur la question de savoir si le prix du Soliris est excessif selon un examen des facteurs indiqués au paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets. Si le Panel est incapable de trancher la question selon le paragraphe 85(1), il recevra alors la preuve et les arguments en ce qui concerne les facteurs indiqués au paragraphe 85(2) de la Loi sur les brevets.

76. Selon le Panel, la division ou le « fractionnement » de l’affaire entre les facteurs des paragraphes 85(1) et 85(2) ainsi n’est pas une façon efficace ou préférable de fonctionner. Le Panel devrait plutôt recevoir la preuve et les observations en ce qui concerne les facteurs indiqués aux paragraphes 85(1) et 85(2) dans la mesure invoquée par l’une ou l’autre des parties. Lorsqu’une partie soumet une preuve liée aux facteurs indiqués au paragraphe 85(2), le Panel n’examinera pas cette preuve sauf s’il est incapable de trancher cette question selon un examen des facteurs indiqués au paragraphe 85(1) seul.

77. Cette façon de procéder est conforme à l’approche adoptée par le Conseil dans des affaires antérieures. Par exemple, en 2011, le CEPMB a tenu une audience sur la question de savoir si ratiopharm Inc. (« ratiopharm ») avait vendu un médicament appelé ratio-Salbutamol HFA à un prix excessif en vertu des articles 83 et 85 de la Loi sur les brevets.

78. En plus de présenter une preuve en ce qui concerne les facteurs indiqués au paragraphe 85(1), ratiopharm a aussi fourni une preuve en vertu du paragraphe 85(2) en ce qui concerne les coûts de réalisation et de mise en marché du médicament. Le Panel a finalement conclu qu’il n’avait pas à examiner la preuve soumise en ce qui concerne le paragraphe 85(2) au motif qu’il pouvait trancher la question à la suite d’un examen des facteurs indiqués au seul paragraphe 85(1) [...]

79. De toute évidence, la preuve en ce qui concerne les paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi sur les brevets est admissible dans le cadre de la présente procédure. En effet, à l’audience, Alexion a reconnu la pertinence de la preuve en vertu du paragraphe 85(2). Le Panel a donc prévu que les parties feraient des observations et présenteraient une preuve en ce qui concerne les facteurs indiqués aux paragraphes 85(1) et 85(2) la Loi sur les brevetsNote de bas de page 8.

26. Bien que Soliris n’ait pas été entendue dans le contexte d’une requête en disjonction, cette affaire est instructive en l’espèce parce que le Panel indique son souhait d’entendre toutes les observations et tous les éléments de preuve en vertu des deux paragraphes de la Loi, reconnaissant tout à fait qu’il ne peut pas examiner les facteurs énumérés au paragraphe 85(2), sauf s’il est incapable de trancher la question en vertu du paragraphe 85(1).

27. En outre, le Conseil a le large pouvoir discrétionnaire de recevoir « les éléments de preuve qu’il juge indiqués »Note de bas de page 9et il a déjà confirmé que la preuve liée à l’un des facteurs de l’article 85 est « clairement » admissible lorsqu’il rend une décision en vertu de l’article 83 de la LoiNote de bas de page 10.

28. Par conséquent, malgré la nature séquentielle de l’examen des facteurs indiqués aux paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi, le Panel a clairement le droit de recevoir la preuve et les arguments relativement aux deux paragraphes pendant l’audience sur le fond. Il s’agit de la procédure habituelle. La nature séquentielle de l’analyse de l’article 85 n’est pas en soi suffisante pour justifier la disjonction. La partie requérante doit convaincre le Panel que les circonstances de l’affaire justifient le fractionnement de la preuve et des arguments en ce qui concerne la question de savoir si le prix d’un médicament est excessif entre les paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi et que cela apportera une solution au litige qui sera juste et la plus expéditive et économique possible.

b) Efficacité et économies de coût

29. Le Panel reconnaît que la preuve portant sur les coûts de réalisation et de mise en marché d’un médicament breveté est potentiellement complexe et litigieuse et que la collecte de la preuve et la préparation des arguments sur cette question peuvent nécessiter beaucoup de temps et de ressources. Toutefois, le Panel n’est pas convaincu que, dans les circonstances, la disjonction de la présente procédure assurera l’examen le plus rentable et expéditif.

30. Tout d’abord, le Panel accorde peu de poids à l’observation du personnel du Conseil selon laquelle la procédure est peu susceptible d’être tranchée uniquement en fonction du paragraphe 85(1) et que, par conséquent, la disjonction rendra inutile la nécessité de préparer la preuve et les arguments en fonction de facteurs qui ne seront pas pris en considération au bout du compte par le Panel lorsqu’il rendra sa décision finale.

31. À cette étape-ci de la procédure, et sans bénéficier pleinement de l’ensemble de la preuve et des arguments, le Panel n’est pas en mesure d’évaluer la probabilité qu’il soit capable de fonder sa décision sur les facteurs énumérés au paragraphe 85(1) de la Loi. Le Panel ne peut pas procéder à une évaluation du bien-fondé relatif de l’argumentation des parties dans le contexte d’une requête en disjonction et en l’absence d’un dossier complet de la preuveNote de bas de page 11. Le fait que le Conseil n’a pas, dans des affaires antérieures, invoqué les facteurs du paragraphe 85(2) pour décider si un prix est excessif et qu’il serait rare pour le Conseil de le faire peut être vrai, mais cette question n’est pas déterminante de celle de savoir si le Panel peut procéder à une analyse du paragraphe 85(2) en l’espèce.

32. Ensuite, compte tenu de la preuve connue du Panel à ce jour et des positions adoptées par les parties, le personnel du Conseil n’a pas convaincu le Panel que la preuve pertinente au paragraphe 85(1) est clairement distincte de celle qui est pertinente au paragraphe 85(2). Si le Panel procède à la disjonction de la présente procédure, il y aura probablement un chevauchement important de la preuve, des témoins des faits et des témoins experts dans les deux étapes de l’audience. La requête du personnel du Conseil visant à caviarder des parties du rapport Hay démontre en soi qu’un seul expert peut être considéré comme fournissant un avis qui s’applique aux paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi. Ce chevauchement accroît le risque de dédoublement important et de ressources gaspillées.

33. Troisièmement, la disjonction entraînera probablement plus de litiges quant à l’admissibilité de la preuve au motif que cette dernière concernera le paragraphe 85(2) plutôt que le paragraphe 85(1). Le fait d’entendre et de déterminer de telles requêtes dans le contexte d’une audience scindée en vertu du paragraphe 85(1) ne favorisera pas l’efficacité et la rapidité et, encore plus important, place le Panel dans la position impossible de devoir décider quelle preuve est pertinente à une analyse en vertu du paragraphe 85(1) plutôt qu’à une analyse en vertu du paragraphe 85(2) en l’absence d’une preuve complèteNote de bas de page 12. Ce n’est pas une préoccupation hypothétique en l’espèce compte tenu du fait que l’intimée soutient que le rapport Hay est une réponse à la position du personnel du Conseil en ce qui concerne le paragraphe 85(1), alors que le personnel du Conseil insiste pour dire que les parties du rapport Hay qu’il souhaite caviarder sont uniquement pertinentes à une analyse en vertu du paragraphe 85(2).

c) Solution juste au litige

34. Le Panel doit déterminer si l’intimée vend ou a vendu le Procysbi sur tout marché canadien à un prix qui, de l’avis du Conseil, est ou était excessif en vertu de l’article 83 de la Loi. Le Panel estime que, dans les circonstances de l’espèce, une solution juste à cette question sera obtenue par l’audition de l’ensemble de la preuve et des arguments liés aux paragraphes 85(1) et 85(2) de la Loi pendant une seule audience.

35. Tout d’abord, une seule audience assure l’application régulière de la loi et l’équité procédurale. L’intimée aura la possibilité de répondre valablement à chacune des allégations formulées contre elle d’une façon qu’elle juge opportune en présentant une épreuve et des arguments liés à tous les facteurs dont le Panel doit tenir compte pour rendre une décision en vertu de l’article 83 de la LoiNote de bas de page 13.

36. Ensuite, étant donné la complexité des questions en l’espèce, le Panel estime qu’il comprendrait mieux cette affaire s’il entendait la preuve et les arguments liés aux paragraphes 85(1) et 85(2) pendant une seule audience, tout en reconnaissant qu’il ne peut pas examiner le paragraphe 85(2) sauf s’il est incapable de rendre une décision en vertu du paragraphe 85(1). En outre, comme on l’a vu ci-dessus, une preuve complète permettra au Panel d’évaluer la question de savoir si la preuve est pertinente au paragraphe 85(1) ou 85(2) de la Loi.

37. Pour tous ces motifs, la requête en disjonction du personnel du Conseil concernant cette procédure est rejetée. Il s’ensuit que la requête du personnel du Conseil visant à caviarder les parties du rapport Hay qui selon lui a trait aux coûts de réalisation et de mise en marché est aussi rejetée. Le refus par le Panel du caviardage demandé est limité au contexte précis de la requête en disjonction du personnel du Conseil. Pour plus de précision, il n’empêche pas le personnel du Conseil de soulever des objections au rapport Hay pour motif de pertinence ou de poids à accorder à l’audience sur le fond.

C. La demande de production et d’inspection

(i) Observations des parties

38. Dans l’éventualité où la requête en disjonction était rejetée, le personnel du Conseil a demandé que le Panel ordonne l’inspection des livres et registres de l’intimée liés aux coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi et qu’il ordonne la production des divers documents indiqués à la pièce « B » de l’affidavit d’Howard Rosen, établi sous serment le 28 novembre 2019.

39. Le personnel du Conseil soutient que cette mesure de redressement est nécessaire dans les circonstances de l’affaire parce qu’elle permettra de s’assurer que le Panel a une preuve claire et fiable des questions comptables et financières complexes associés à l’évaluation des coûts de réalisation et de mise en marché du Procysbi.

40. En réponse à la requête de production et d’inspection du personnel du Conseil, l’intimée a retenu les services d’Andrew Harington de Brattle Group pour examiner le caractère raisonnable de la requête de production et d’inspection de M. Rosen et fournir un avis à cet égard.

41. M. Harington a conclu que : 1) la requête de M. Rosen pour tenir une inspection sur place est excessive et inutile; 2) les nombreuses demandes de documents de M. Rosen n’étaient pas pertinentes ou nécessaires à son mandat; et 3) les autres demandes de documents étaient raisonnables.

42. Pendant la plaidoirie le 15 janvier 2020, l’intimée a confirmé qu’elle reconnaît qu’elle doit produire les catégories de documents que M. Harington a décrites comme étant « raisonnables » dans la pièce « C » de son affidavit établi sous serment le 10 janvier 2020 (l’« affidavit Harington »)Note de bas de page 14.

43. Pour ce qui est des demandes de documents qui demeurent en litige, les deux parties ont déclaré durant les plaidoiries qu’elles ne s’opposent pas à ce que MM. Rosen et Harington se rencontrent pour discuter de la portée des documents pertinents qui devraient être produitsNote de bas de page 15.

(ii) Le droit applicable

a) Production et inspection

44. Le Conseil dispose de larges pouvoirs en vertu du paragraphe 96(1) de la Loi et des paragraphes 24(1) et 6(2) des Règles du CEPMB pour ordonner la production et l’inspection de documents :

  1. Le paragraphe 96(1) de la Loi indique que « le Conseil est assimilé à une cour supérieure » pour « la production d’éléments de preuve ».
  2. Le paragraphe 24(1) des Règles du CEPMB indique que le Conseil peut, dans le cadre d’une instance, ordonner à une partie de « produire ou [d’]examiner des documents ».
  3. L’alinéa 6(2)a) des Règles du CEPMB confirment que le Conseil peut ordonner « qu’une partie fournisse les renseignements ou documents » qu’il juge pertinents à l’égard de l’instance.

45. Le Panel dans ratio-Salbutamol a décrit le critère pour ordonner l’inspection des documents :

[Traduction]
Le critère de l’exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire à cet égard doit être la pertinence des renseignements recherchés pour accomplir son mandat de fixation des prix prescrit par la loi, à la lumière des circonstances de chaque cas, y compris des preuves déposées et des questions soulevéesNote de bas de page 16.

46. Dans ratio-Salbutamol, le Panel a rendu une ordonnance d’inspection dans les circonstances de cette affaire il n’était pas [traduction] « persuadé que le matériel énuméré dans l’ordonnance d’examen peut être obtenu d’une manière efficace et efficiente en demandant une autre communication »Note de bas de page 17.

b) Conférence des témoins experts et Panels

47. Le Panel a le pouvoir d’ordonner aux experts de se rencontrer et de s’entretenir en vertu du paragraphe 5(2) des Règles du CEPMB, qui accorde au Conseil le large pouvoir discrétionnaire d’aborder toute question procédurale non prévue « de la manière qu’ordonne le Conseil pour assurer le déroulement équitable et expéditif de l’instance ».

48. Au moment d’ordonner à des experts de se rencontrer et de s’entretenir, le Panel a examiné les principes indiqués dans les Règles des Cours fédéralesNote de bas de page 18qui régissent les conférences des témoins experts et les panels :

Conférence des témoins experts

52.6 (1) La Cour peut ordonner aux témoins experts de s’entretenir avant l’instruction afin de circonscrire les questions et de dégager leurs divergences d’opinions.

Présence des parties et des avocats

(2) Malgré le paragraphe (1), les parties et leur avocat peuvent assister à la conférence d’experts mais celle-ci peut se tenir en leur absence si les parties y consentent.

Présence d’un protonotaire ou d’un juge

(3) La Cour peut ordonner la tenue de la conférence en présence d’un juge ou d’un protonotaire.

Déclaration conjointe

(4) La déclaration conjointe préparée par les témoins experts à la suite de la conférence est admissible en preuve à l’instance. Les discussions survenues au cours de la conférence et les documents préparés pour les besoins de celle-ci sont confidentiels et ne doivent pas être communiqués au juge ou au protonotaire qui préside le procès sauf si les parties y consentent.

[…]

Formation de témoins experts

282.1 La Cour peut exiger que les témoins experts, ou certains d’entre eux, témoignent à titre de groupe d’experts après la déposition orale des témoins des faits de chaque partie ou à tout autre moment fixé par elle.

Témoignage des membres du groupe

282.2 (1) Chaque témoin expert donne son point de vue et peut être contraint à formuler des observations à l’égard des points de vue des autres experts du groupe et à tirer des conclusions. Avec l’autorisation de la Cour, il peut leur poser des questions.

Interrogatoires subséquents

(2) Après le témoignage du groupe d’experts, tous les membres de ce groupe peuvent-être contre-interrogés et réinterrogés selon l’ordre établit par la Cour.

(iii) Analyse

a) Inspection

49. À cette étape-ci de la procédure, le Panel n’est pas convaincu qu’une ordonnance d’inspection est nécessaire pour assurer la production des documents pertinents d’une façon efficace.

50. La requête du personnel du Conseil pour une ordonnance permettant au Secrétariat international de consulter les livres et les registres de l’intimée est donc rejetée. Toutefois, la décision ne porte pas atteinte à la capacité du personnel du Conseil de renouveler sa requête pour une inspection après son examen des documents mentionnés au paragraphe 52 ci-après. Toute requête présentée de nouveau pour inspection doit inclure les motifs détaillés pour lesquels une inspection est nécessaire et indiquée dans les circonstances.

b) Production de documents convenus

51. Pendant la plaidoirie le 15 janvier 2020, l’intimée a confirmé qu’elle accepte le fait qu’elle doit produire les catégories de documents que son expert a décrites comme « raisonnables » dans la pièce « C » de son affidavit HaringtonNote de bas de page 19.

52. Par conséquent, le Panel a ordonné à l’intimée de produire, dès que possible, tous les documents demandés définis comme étant « raisonnables » dans la pièce « C » jointe à l’affidavit Harington.

c) Se rencontrer et s’entretenir des autres documents contestés

53. En ce qui concerne les demandes de documents toujours en litige, le Panel a ordonné à MM. Rosen et Harington de se rencontrer et de s’entretenir dès que possible afin de parvenir à une entente sur les autres requêtes de documents non définies comme étant « raisonnables » dans la pièce « C » jointe à l’affidavit Harington. La décision indique aussi un processus à suivre après la rencontre et la discussion, y compris un mémoire conjoint des experts et la participation à une audience, dans l’éventualité où il reste des points litigieux.

54. Le Panel estime que le processus indiqué dans la décision veillera à ce que les autres litiges concernant les documents soient réglés de façon expéditive, juste et rentable dans les circonstances et que les renseignements pertinents nécessaires pour répondre aux questions dont est saisi le Panel seront disponibles aux fins de la présente procédure.

D. Décision

55. Voir la décision du Panel jointe aux présents motifs à l’annexe « A ».

Original signé par Carolyn Kobernick
Signé au nom des membres du Panel par Carolyn Kobernick

Membres du Panel

Carolyn Kobernick
Mitchell Levine

Conseillers juridiques

David Migicovsky
Christopher Morris
Courtney March

Pour l’intimée

Sheila Block
Andrew Shaughnessy
Rachael Saab
Stacey Reisman

Pour le Panel

Sandra Forbes
Megan Percy

Détails de la page

Date de modification :