La contribution du CGFC à la transparence du processus de règlement des griefs des FC

Un bulletin de l’Association du Barreau canadien souligne la contribution du CGFC à la transparence du processus de règlement des griefs des FC

Le rôle joué par le Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) comme comité d’examen indépendant ainsi que sa contribution afin de rendre le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes (FC) plus transparent, juste et efficace, ont été soulignés récemment dans le bulletin Salut militaire publié par la Section nationale du droit militaire de l’Association du Barreau canadien.

Dans l’article intitulé « Comme des fléchettes lancées sur une cible : le système de promotion du ministère de la Défense et l’interaction entre le Comité des griefs des Forces canadiennes et le chef de l’état–major de la Défense », l’auteur Joshua Juneau commente l’affaire Zimmerman dans laquelle il est question du système de promotion des FC. Après le rejet de son grief par le chef de l’état–major de la Défense (CEMD), contrairement à ce qu’avait recommandé le Comité, le plaignant a déposé une demande de contrôle judiciaire et a finalement obtenu gain de cause en appel.

M. Juneau écrit que le Comité « examine en toute transparence le bien-fondé des griefs et produit, après un examen minutieux, un rapport exposant en détail leurs conclusions […]. En agissant avec transparence, le CGFC s’assure du respect du droit à l’équité procédurale garanti par la Charte. »

L’affaire Zimmerman est un des nombreux cas dont il est fait état dans le Rapport annuel 2011.

Comme des fléchettes lancées sur une cible : le système de promotion du ministère de la Défense et l’interaction entre le Comité des griefs des Forces canadiennes et le chef de l’état–major de la Défense

Par Joshua Juneau

Résumé

Le capitaine de frégate George Zimmerman est un aumônier des services de l’aumônerie des Forces canadiennes (FC) qui, en dépit de sa première position sur la liste de sélection, s’est fait refuser une promotion au grade de capitaine de vaisseau en 2003 et en 2004. Pourquoi? En raison d’une recommandation en ce sens faite par le Comité interconfessionnel de l’Aumônerie des FC. Les motifs de cette décision du Comité n’ont jamais été communiqués.

Au deuxième refus, le captf Zimmerman déposa un grief. Devant l’autorité de dernière instance (ADI), le CGFC recommanda, par souci d’équité, la promotion du captf Zimmerman, conformément à la décision du conseil de promotion au mérite. Cette recommandation fut toutefois rejetée par le chef d’état-major de la Défense (CEMD), qui agit comme ADI pour tous les griefs des membres des FC. Les raisons pour lesquelles le CEMD s’est écarté de la recommandation du CGFC n’ont jamais été divulguées.

L’affaire Zimmerman c. Procureur général porte sur la légitimité du pouvoir du CEMD de s’écarter des recommandations du CGFC lorsqu’il agit comme ADI dans le système de règlement des griefs des FC.

Le système de promotion des Forces canadiennes

Dans les FC, l’admissibilité à une promotion nécessite que le candidat ou la candidate soit d’abord dans la zone de promotion pour le grade supérieur. Cela implique que le candidat ou la candidate serve pour une certaine période dans son grade actuel. Ensuite, il faut que le candidat ou la candidate soit physiquement et médicalement apte au service. Enfin, les rapports d’appréciation au rendement doivent être évalués pour comparer le mérite du candidat ou de la candidate avec celui de ses pairs. Une fois ces trois étapes franchies, on prépare une liste des candidats qualifiés pour l’année en cours dans l’ordre de leur mérite.

En 2003 et 2004, la promotion d’un aumônier dans les FC comprenait deux étapes supplémentaires. Premièrement, tous les candidats de la zone de promotion étaient évalués par le comité de sélection militaire en fonction d’un ensemble de critères précis, universels et transparents pour les classer dans l’ordre de leur mérite. En 2003 et 2004, le captf Zimmerman avait été classé premier parmi les capitaines de frégate candidats au grade de capitaine de vaisseau.

Deuxièmement, et sans consultation du comité de sélection militaire, le Comité interconfessionnel de l’Aumônerie des FC se réunissait pour formuler ses propres recommandations au CEMD concernant les meilleurs candidats à une promotion. Le Comité interconfessionnel n’utilisait pas un ensemble de critères définis pour déterminer ses nominations et il ne fournissait pas de motifs pour leurs décisions. En 2003 et en 2004, bien que le captf Zimmerman ait été déclaré meilleur candidat par le comité de sélection militaire, il n’a pas été promu par le CEMD, qui avait suivi les recommandations du Comité interconfessionnel et avait donc choisi ses officiers plus bas dans la liste de sélection.

Le système de règlement des griefs des Forces canadiennes

Estimant qu’on avait porté atteinte à son droit à la justice naturelle et à l’équité procédurale, le captf Zimmerman déposa un grief en janvier 2005. Trois ans et neuf mois plus tard, en octobre 2008, le CGFC formula enfin ses recommandations, déclarant que la procédure suivie par le Comité interconfessionnel était inéquitable et opaque, et recommandant que le CEMD soit reconvoque le comité de sélection militaire pour un réexamen du dossier, soit promeuve le captf Zimmerman au rang de capitaine de vaisseau. (Note : les implications en matière d’équité du délai de trois années et neuf moisNote de bas de page 1 pris par le CGFC pour formuler ses recommandations ne seront pas examinées ici.)

En dépit des recommandations du CGFC, six mois plus tard, soit en avril 2009, le CEMD confirma sa décision antérieure, déclarant qu’il était « certain » que le Comité interconfessionnel avait nommé les « meilleurs candidats possibles » et qu’il ne pouvait pas conclure à l’iniquité du processus de promotion.

En cour fédérale

Ayant épuisé tous les recours à l’interne, le captf Zimmerman présenta alors une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Le juge de révision conclut que la décision du Comité interconfessionnel n’était pas inéquitable. Il conclut également que l’absence de motivation du classement du Comité interconfessionnel ne constituait pas une atteinte à l’équité. La Cour déclara en outre que le CEMD avait le droit, en vertu de la loi, de rejeter les conclusions et les recommandations du CGFC. Elle déclara également que le résultat se situant à l’intérieur du cadre des résultats possibles prévus par la loi, le refus du CEMD de promouvoir le captf Zimmerman était valide et ne nécessitait pas de justification.

En cour d’appel fédérale

En février 2012, soit plus de cinq ans après le dépôt de son grief initial, le captf Zimmerman interjeta appel de la décision de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale. Celle–ci instruisit la demande un an plus tard, le 2 février 2011, soit plus de six ans après le dépôt du grief.

Au cours de la procédure d’appel et lors de l’audience, l’équité fut de nouveau le thème central. Le captf Zimmerman savait qu’en raison de la présomption d’équité, son défi était de prouver qu’il y avait eu iniquité. Son principal argument devant la Cour d’appel fut l’idée que si la charge de prouver l’iniquité revenait à l’appelant, comme c’était le cas en l’espèce, le seuil de cette preuve devait être bas.

Le captf Zimmerman déclara que si l’on comparait son droit constitutionnel à l’équité procédurale et le droit du CEMD de suivre une procédure qu’il savait, ou aurait dû savoir, défectueux et inéquitable dans son principe même, le premier l’emportait largement sur le second. Le juge Sharlow lui donna raison, comparant même le système de promotion actuel des FC à « des fléchettes lancées sur une cible » : si l’on ne fournit pas de motifs, il ne peut y avoir aucune garantie contre l’iniquité.

Un second argument présenté par le captf Zimmerman était l’absence d’équité procédurale au Comité interconfessionnel et au Bureau du CEMD. Selon lui, la structure du système de règlement des griefs faisait en sorte que lorsque le CEMD agissait comme ADI, il révisait en réalité sa propre décision. Cet argument ne fut toutefois pas retenu par la Cour.

En fin de compte, la Cour d’appel fédérale annula la décision de la Cour fédérale dans une décision unanime. Elle déclara qu’il fallait demander au CEMD « de faire droit au grief et de déterminer quelle réparation devrait être accordée au capitaine de frégate Zimmerman ». Le captf Zimmerman fut promu au rang de capitaine de vaisseau, valable rétroactivement à compter de l’année 2004, et se fit accorder en conséquence un arriéré de solde, un droit à pension ajusté et le remboursement de ses frais de justice.

Analyse et implications

La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Zimmerman repose principalement sur l’exigence de transparence et d’équité procédurale lorsqu’une autorité rend une décision touchant les droits d’une personne lésée. Lorsqu’une décision affecte les droits d’un individu, il faut fournir des motifs et une justification. À cet égard, l’arrêt Zimmerman pourrait étendre l’exigence de transparence à l’ensemble du processus de sélection et de promotion des FC.

La dérogation du CEMD aux recommandations du CGFC aurait dû être étayée par de bons motifs. Considérez qu’entre 2006 et 2010, le CEMD a accepté plus de 85 pour cent des conclusions et recommandations formulées par le CGFC. Dans Zimmerman, la Cour d’appel fédérale affirme clairement que, bien que le CEMD ait le droit de s’écarter des recommandations du CGFC, il doit fournir des motifs solides et clairement identifiés. Cette décision renforce le rôle du CGFC, car elle donne beaucoup plus de poids à ses recommandations.

Ce poids accru donné aux conclusions et aux recommandations du CGFC représente un pas dans la bonne direction pour le système de règlement des griefs des FC. Le CGFC est un comité « civil » indépendant qui examine en toute transparence le bien-fondé des griefs et produit, après un examen minutieux, un rapport exposant en détail leurs conclusions (ce qui peut constituer une justification partielle du temps pris pour rendre lesdites conclusions et recommandations). En agissant avec transparence, le CGFC s’assure du respect du droit à l’équité procédurale garanti par la Charte.

En outre, ayant examiné des occasions où le CEMD, agissant comme autorité de dernière instance, révisait effectivement ses propres décisions, la Cour d’appel fédérale a statué que cette situation était acceptable, à condition que des motifs soient fournis à toutes les étapes du processus de prise de décision.

La réforme actuelle

L’arrêt Zimmerman pourrait bien avoir lancé une réforme législative. Le projet de loi C-15, actuellement à l’étude à la Chambre des communes, par exemple, vise à préciser le paragraphe 29.13(2) de la Loi sur la défense nationale afin d’y prévoir explicitement que le chef d’état-major de la Défense « motive sa décision s’il s’écarte des conclusions et recommandations du CGFC ».

Le projet de loi C-15 représente toutefois également un recul, puisqu’il propose d’autoriser le CEMD à déléguer sa fonction d’ADI dans la procédure de règlement des griefs, permettant ainsi au CEMD de laisser à un agent désigné la responsabilité de s’occuper de ses troupes et d’avoir de ce fait le pouvoir de mettre des personnes en péril. Nonobstant l’arrêt Zimmerman, le CEMD, en tant que plus haut gradé du Canada, ne devrait jamais déléguer son rôle d’ADI. Comment le CEMD pourra-t-il diriger ses troupes s’il connaît mal leurs besoins et leurs préoccupations?

Conclusion

L’arrêt Zimmerman est une première étape pour s’assurer que les principes de common law d’équité et de transparence sont respectés dans le système de règlement des griefs de l’armée. Grâce à cet arrêt, le CEMD devra désormais fournir des motifs s’il s’écarte d’une recommandation du CGFC; il ne pourra donc pas s’appuyer sur une recommandation dépourvue d’équité procédurale et de l’exigence de motivation.

Devant la recommandation d’un comité, un décideur a le devoir d’agir avec transparence et de justifier sa décision. S’abstenir de le faire revient à demander une « foi aveugle », ce qui, comme le souligne la Cour d’appel fédérale dans Zimmerman, ne s’accorde pas avec l’interprétation donnée par la Cour du principe d’équité, mais s’apparentait plutôt à « des fléchettes lancées sur une cible ».

Joshua M. Juneau est stagiaire chez le Cabinet juridique Michel Drapeau.

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