ARCHIVÉ – Immigrants récents : comparaison des participants et des non-participants à l’éducation postsecondaire au Canada

Paul Anisef, professeur, Université York
Robert Sweet, professeur, Université Lakehead
Dre Maria Adamuti-Trache, Université de la Colombie-Britannique
Professeur David Walters, Université de Guelph

Ce travail de recherche a été financé par la Direction générale de la recherche et de l’évaluation de Citoyenneté et Immigration Canada. Les points de vue et opinions exprimés dans le présent rapport sont ceux des auteurs. Ils ne correspondent pas nécessairement à l’opinion ni à la politique officielle de Citoyenneté et Immigration Canada ou du gouvernement du Canada.

Les copies du rapport circonstancié sont disponibles sur demande à Research-Recherche@cic.gc.ca.


Sommaire

Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC) pour évaluer la mesure dans laquelle les immigrants recourent au système canadien d’éducation postsecondaire peu de temps après leur arrivée, l’accent étant mis sur les immigrants adultes ayant obtenu un diplôme d’études postsecondaires dans leur pays d’origine. Il est ainsi possible d’étudier l’expérience au Canada des immigrants détenant un diplôme d’études postsecondaires à leur arrivée. Le groupe à l’étude est donc plus limité ici que dans les études antérieures réalisées dans ce domaine (Hum et Simpson, 2003; Adamuti-Trache et Sweet, 2007; Bannerjee et Verma, 2009).

La proportion des immigrants de notre échantillon qui ont entrepris des études postsecondaires était de 10 % et d’environ 33 % dans un délai respectif de six mois et de deux ans suivant leur admission. Après quatre ans, 44 % de l’échantillon avaient suivi un cours ou un programme d’études de niveau collégial ou universitaire. En plus d’établir le profil des participants et des non-participants à chacun des trois cycles de collecte de données de l’ELIC, nous avons retenu quelques antécédents et corrélats de participation aux études postsecondaires afin de mesurer la variation des tendances de l’inscription sur la période de quatre ans couverte par l’enquête. L’analyse longitudinale de la participation aux études postsecondaires a révélé l’importance des caractéristiques des immigrants et de leurs réseaux sociaux, ainsi que l’incidence des facteurs conjoncturels liés à l’emploi et à la famille sur la décision des nouveaux arrivants de poursuivre des études postsecondaires au pays.

Des questions plus précises ont été abordées à la suite de ces analyses. La première concernait l’expérience des immigrants quant à leur établissement. Nous avons étudié divers indicateurs de bien-être matériel et de satisfaction à l’égard de l’intégration à la société canadienne, et avons relevé peu de différences entre les participants aux études postsecondaires et les non-participants quant au degré de satisfaction à l’égard de la vie au Canada. Nous avons également tenu compte d’une liste plus détaillée des difficultés liées à l’établissement et nous avons constaté que les participants aux études postsecondaires semblent éprouver plus de difficultés sur le marché de l’emploi que les non-participants.

Dans le cas des répondants qui avaient l’intention de fréquenter un collège ou une université au Canada, nous avons examiné les obstacles rencontrés durant la période d’établissement initiale visée par l’ELIC. Des comparaisons ont été établies entre les obstacles signalés par les immigrants qui ont été acceptés et ceux qui ne l’ont pas été. Nous avons exposé en détail les obstacles signalés par chaque groupe, et avons de plus relevé les personnes ou organisations auxquelles les immigrants ont fait appel pour surmonter leurs difficultés.

Il se peut que leur investissement dans des études postsecondaires ne profite pas aux participants que sur le seul plan économique. D’après la documentation, la fréquentation d’un collège ou d’une université procure en effet des avantages plus diversifiés (Schuller, Bynner et Feinstein, 2004). Dans la présente étude, nous avons cherché à déterminer si les établissements d’enseignement postsecondaire canadiens permettaient aux étudiants de nouer des amitiés en dehors de leurs groupes ethniques, ces relations pouvant servir à rapprocher des groupes ethniques ou culturels différents et à favoriser ainsi l’accumulation d’un capital social.

Constatations

Facteurs de participation aux études postsecondaires

1. Il ressort de l’étude que la motivation première des immigrants à poursuivre des études au Canada est de nature économique. Par rapport aux non-participants, les participants aux études postsecondaires ont eu plus de difficulté à trouver un emploi permanent. La scolarisation au Canada s’inscrirait donc dans une stratégie globale d’intégration au marché du travail. D’autres facteurs influent également sur la décision de faire des études. Notre échantillon comprenait seulement des immigrants ayant obtenu un diplôme d’études postsecondaires dans leur pays d’origine, et parmi ces personnes relativement bien scolarisées, celles possédant un diplôme universitaire étaient beaucoup plus susceptibles de poursuivre leurs études au Canada que celles possédant un diplôme collégial. Les immigrants déjà très scolarisés à leur arrivée au Canada semblent voir la poursuite des études comme un moyen efficace d’améliorer leur situation socioéconomique.

2. L’étude a également permis de constater que le sexe constitue un facteur déterminant de la participation aux études postsecondaires, les femmes étant moins susceptibles que les hommes de suivre cette voie. S’il est généralement admis qu’une scolarité élevée constitue, pour les femmes et les hommes, un moyen efficace d’obtenir un emploi, la question de l’accès est plus complexe pour les femmes en raison de préjugés socioculturels. Revêtant différentes formes, ces préjugés peuvent se traduire par le renforcement de la tendance de chaque sexe à se cantonner dans des domaines d’études particuliers (Andres et Adamuti-Trache, 2007). Les immigrantes doivent surmonter ces préjugés systémiques tout en ayant à adapter leurs propres croyances culturelles à un système d’éducation postsecondaire nouveau et différent.

3. L’étude montre que la situation familiale des immigrants récents influe sur leur capacité de faire des études postsecondaires. La plupart sont mariés et beaucoup commencent à agrandir leur famille peu de temps après leur arrivée. Si le coût élevé de la garde d’enfants représente un défi pour beaucoup de familles canadiennes, il constitue un écueil particulier pour les familles immigrantes fraîchement arrivées au pays. Leurs priorités financières sont telles qu’il est souvent impossible d’offrir une instruction ou une formation à tous les membres de la famille. Ce problème est aggravé par la hausse récente des droits de scolarité exigés au niveau postsecondaire ainsi que par l’augmentation des coûts connexes (Berger, Motte et Parkin, 2006). Contrairement aux conclusions de Bannerjee et Verma (2009), les répondants de notre échantillon ont déclaré que le coût des études postsecondaires représentait un obstacle de taille à leur participation. Kapsalis abonde dans le même sens dans son étude (2006) qui révèle qu’une proportion relativement élevée d’immigrants recourt au Programme canadien de prêts aux étudiants pour financer leurs études postsecondaires.

4. La connaissance des langues officielles est une autre contrainte qui intervient dans la décision de faire des études postsecondaires au Canada. Selon des recherches antérieures, il s’agit d’un déterminant clé de la réussite sur le marché du travail. Les personnes possédant de bonnes connaissances linguistiques ont effectivement moins de difficulté à trouver un emploi et à progresser dans leur carrière. Il ressort de la présente étude que la connaissance des langues officielles joue un rôle similaire dans la décision de faire des études collégiales ou universitaires. Cette conclusion ne surprend pas puisque la capacité de parler, de lire et d’écrire en anglais ou en français est essentielle non seulement pour être accepté dans les établissements, mais aussi pour réussir dans le programme d’études choisi. Bien que les immigrants soient souvent admis s’ils réussissent le test TOEFL, l’expression orale du langage est une difficulté pour nombre d’entre eux (Grabke et Anisef, 2008).

5.  Notre analyse tend par ailleurs à donner raison à ceux qui prétendent que les employeurs ne font pas confiance aux antécédents professionnels des immigrants récents et ne reconnaissent pas les acquis des immigrants qui posent leur candidature à des postes. Cette perception, particulièrement marquée six mois après l’arrivée (premier cycle de l’enquête), avait sensiblement diminué après quatre ans (troisième cycle), ce qui indiquerait que les immigrants ont appris à « se débrouiller » et à convaincre les employeurs éventuels de la pertinence de leurs acquis professionnels (il n’est pas possible de neutraliser l’élément demande de l’équation dans notre analyse, lequel peut aussi avoir changé au cours des trois cycles de l’enquête). S’il est vrai que cette difficulté incite les immigrants à se tourner vers le système d’éducation postsecondaire canadien, la décision de poursuivre des études est également motivée par l’ambition. En témoigne le grand nombre d’immigrants dont l’expérience de travail acquise dans le pays d’origine a été reconnue par l’employeur et qui ont quand même décidé de poursuivre des études postsecondaires pour faire progresser leur carrière au Canada.

Les avantages variés de l’apprentissage

6. Les études antérieures sur les avantages que les études postsecondaires procurent aux immigrants ont surtout porté sur les conséquences économiques, celles-ci étant mesurées à l’aide des indicateurs que sont la rémunération, la stabilité et le maintien de l’emploi, et le statut professionnel. La présente recherche vient ajouter aux retombées possibles la contribution que les études postsecondaires peuvent apporter au capital social. L’indicateur du capital social examiné dans notre étude était l’expansion des réseaux d’amis, différenciés selon l’ethnicité : ceux formés d’amis du même groupe ethnique que le répondant et ceux composés d’amis d’autres groupes ethniques. Les études postsecondaires seraient, d’après nos constatations, associées à des réseaux étendus et plus diversifiés : l’acquisition d’un capital social pourrait aider non seulement à trouver un emploi, mais aussi à ouvrir des perspectives de perfectionnement professionnel. Pour les besoins de la présente étude, nous avons retenu les réseaux d’amis comme indicateur, mais il serait utile d’étendre l’analyse du capital social à la participation des immigrants à la vie d’institutions sociales, comme les organismes communautaires et culturels.

Conclusion

Dans l’ensemble, l’étude vient approfondir notre compréhension de la participation des immigrants récents à l’éducation postsecondaire. Elle ne constitue néanmoins qu’un premier pas vers l’acquisition des connaissances nécessaires pour rendre le système d’éducation postsecondaire plus accessible aux nouveaux immigrants et permettre à ces derniers d’intégrer plus efficacement la scolarisation dans la démarche d’établissement. Quelques orientations pour la recherche et l’élaboration de politiques sont présentées dans la dernière section du rapport. Il est proposé notamment de s’intéresser davantage à la capacité du système d’éducation postsecondaire de faire participer les nouveaux immigrants adultes issus de diverses origines culturelles et de répondre à leurs besoins, d’effectuer plus de recherches sur la participation des immigrantes aux études postsecondaires compte tenu des priorités familiales et des traditions culturelles différentes, ainsi que d’étudier l’incidence des critères de sélection des immigrants sur la participation à l’éducation postsecondaire et la façon dont les immigrants financent leurs cours et leurs programmes d’études postsecondaires.

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