Transcription de l'épisode « Judy Logan : aventures d’une restauratrice en archéologie »
Durée de l’épisode : 00:52:43
[Musique : “We Don’t Know How it Ends” par Lee Rosevere de l’album “Music for Podcasts 6.” Style : Minimalisme électronique]
Judy Logan (JL) : Et il y a quelque chose à l’intérieur, si on brasse... Ah oui! Brasse, brasse, brasse... Comment l’ouvrir pour savoir ce qu’il y a dedans? On prend une scie à métaux. On a donc laissé Bob le faire et ce truc en est tombé, tout mouillé, un truc vert, un morceau de quelque chose, c’était mouillé et visqueux, c’était... [soupire].
Nathalie Nadeau Mijal (NNM) : Je m’appelle Nathalie Nadeau Mijal et voici L’ICC et le RCIP se racontent.
Indiana Jones a rendu l’archéologie assez palpitante, mais attendez d’en savoir plus sur le métier de restaurateur en archéologie...
Aujourd’hui, vous ferez la connaissance de Judy Logan, qui a été restauratrice principale en archéologie à l’Institut canadien de conservation de 1981 à 2006. Judy a eu une carrière impressionnante, au cours de laquelle elle a visité des sites archéologiques partout dans le monde. Dans cette entrevue, on peut vraiment sentir son enthousiasme pour les découvertes qu’elle a eu l’occasion de faire. Nous avons beaucoup aimé la franchise de Judy au cours de cette entrevue; elle a non seulement parlé de ses réalisations, mais aussi de certaines de ses erreurs. Pour commencer, nous lui avons demandé dans quel domaine elle a fait ses études…
[La musique s’estompe.]
JL : Oui, d’accord. J’ai étudié à l’Université de Calgary, j’y ai fait une majeure en archéologie et une mineure en anglais et j’ai obtenu mon baccalauréat en 1971. Pendant ce temps, j’ai eu l’occasion de faire du travail sur le terrain rémunéré – à l’époque, on était toujours payé quand on travaillait sur un projet archéologique. J’ai déménagé à Ottawa en 1972 et j’ai eu la chance d’obtenir un emploi à Parcs Canada en l’espace de quelques mois, en octobre 1972. Ils embauchaient du personnel pour leur nouvelle Division de la conservation et à l’époque, il n’y avait littéralement aucun restaurateur de formation au Canada, aucun programme de restauration, il s’agissait d’un tout nouveau domaine. Je me suis en quelque sorte retrouvée au bon endroit au bon moment, et Parcs Canada embauchait littéralement des gens dans la rue pour travailler comme techniciens dans sa Division de la conservation. Il y a Brian Arthur, qu’ils avaient fait venir du Royaume-Uni pour diriger cette division, Lisa Mibach, son adjointe, qui travaillait pour le Smithsonian Institute avant d’arriver au Canada, il y avait aussi un chimiste canadien, embauché à l’époque comme chimiste, et Julia Fenn – ou Julia King –, et puis c’est tout; les autres personnes parmi nous qui avaient été embauchées n’avaient aucune formation. J’ai passé une entrevue avec Lisa et heureusement, ma formation en archéologie et les matières que j’avais étudiées à Calgary – comme la géologie et la biologie, des sciences de base – avaient été une très bonne introduction à la restauration, même si je ne le savais pas à l’époque, et se sont avérées être une bonne formation. Aussi, lorsque j’étais étudiante à Calgary, j’ai réalisé qu’il arrivait quelque chose aux artéfacts avant qu’ils soient exposés dans un musée, parce que quand on les déterre, on se retrouve avec tout plein d’artéfacts dégoûtants, pas vrai? Mais c’est seulement quand j’ai rencontré Lisa, pendant cette entrevue que je me suis dit : « Ah c’est ça, c’est comme ça que ça s’appelle », et ils m’ont littéralement embauchée ce jour-là. Ils m’ont dit : « Quand pouvez-vous commencer à travailler? » et j’ai répondu : « Lundi? », et ils ont dit : « D’accord! » C’était en octobre 1972, et c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la restauration.
NNM : Vous avez découvert la restauration pendant votre entretien d’embauche?
JL : Littéralement, et quand j’étais en archéologie à cette époque, on n’utilisait pas le mot restauration, mais ce qu’on faisait était de la restauration de base; on devait traiter les artéfacts, on devait les nettoyer, on devait les identifier. On collait les poteries ensemble de façon un peu maladroite, très maladroite en fait. Je me suis rendu compte qu’il fallait que quelque chose d’autre se passe, mais ce n’était pas quelque chose de formel et évidemment, à cette époque, la restauration archéologique en Amérique du Nord était un tout nouveau domaine. Elle était assez bien implantée en Europe, mais au Canada, on parlait… c’était une toute nouvelle profession – en fait, l’archéologie n’était pas une nouvelle profession, mais elle commençait tout juste à être une profession organisée au Canada. L’Association canadienne d’archéologie a été fondée dans les années 60, au milieu des années 60, alors vous savez, on parle de quelque chose de jeune, tout le monde était jeune. C’était une époque passionnante où on pouvait commencer à apprendre des choses, où on commençait littéralement à apprendre. Par la suite, ils ont embauché d’autres personnes, des gens d’autres pays, qui sont devenus de très bons amis et des mentors. Charles Hett, par exemple, qui venait du Royaume-Uni et qui a fini par être mon professeur, mon patron, mon ange gardien à bien des égards, parce que je dois une grande partie de ma carrière à Charles. L’autre chose à propos du gouvernement de l’époque... Il faut savoir que le gouvernement fédéral investissait beaucoup d’argent dans des programmes qui faisaient la promotion de la culture et de l’identité canadiennes, et je pense que tout ça découle de notre Centenaire en 1967 et du fait que les gouvernements investissaient littéralement beaucoup d’argent pour essayer de développer l’identité et l’unité canadiennes dans tout le pays. Vous devez réaliser qu’on sortait aussi de la crise du FLQ, alors c’était une priorité pour le gouvernement à l’époque. Et j’ai été très chanceuse… beaucoup d’entre nous ont été très chanceux qu’ils mettent de l’argent dans les programmes d’éducation et qu’ils aient de gros budgets, de gros, gros montants dans leur budget étaient consacrés à la formation des Canadiens sur la façon de prendre soin de notre culture et de notre patrimoine. J’ai été très chanceuse que le programme de maîtrise ès arts en restauration de l’Université Queen’s ait été instauré vers 1974, ils ont donné leur premier cours à cette année-là et Parcs Canada a eu la générosité de m’y envoyer en congé d’études. J’ai fait partie de la troisième cohorte, j’étais là en 1976, et j’ai obtenu mon diplôme en 1978 grâce à Parcs Canada, et c’est le plus beau cadeau qu’on pouvait me faire. Je travaillais comme étudiante, je touchais une portion de mon salaire et une portion de mes frais d’études était payée, c’était vraiment extraordinaire. L’autre chose que Parcs Canada faisait à l’époque, c’est qu’ils avaient un programme de formation informel pour leur personnel, alors avant d’aller à Queen’s, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de grands restaurateurs qu’ils avaient fait venir pour nous donner des cours d’une semaine sur la restauration, ce qui était merveilleux aussi parce que certaines des personnes qu’ils avaient embauchées n’avaient pas de diplôme universitaire, alors elles ne pouvaient pas se qualifier pour une université comme Queen’s. C’était une période vraiment passionnante.
Kelly Johnson (KJ) : Par simple curiosité – parce qu’on entend beaucoup parler du programme de Queen’s –, combien d’étudiants y avait-il à l’époque, selon vous?
JL : Il y en avait 12 dans la filière des artéfacts et 12 dans la filière des arts plastiques, et on a tous suivi les mêmes cours, on a tous fait des travaux de laboratoire séparés, mais on a tous suivi les mêmes cours de base et on est devenu un groupe très proche. Je me suis fait de très bons amis pendant ces années-là, des amis pour la vie.
NNM : Avez-vous le sentiment que vous et vos camarades de classe avez en quelque sorte défriché de nouvelles terres?
JL : C’est difficile à dire quand on regarde les étudiants de cette façon parce que beaucoup d’étudiants essayaient de défricher leurs propres terres, en essayant simplement de réussir le programme. Je devrais également mentionner que l’ICC avait également élaboré un programme de formation, qui était distinct de celui de Queen’s. En fait, j’avais fait une demande d’inscription au programme de l’ICC à ses débuts et ils embauchaient des personnes qui avaient des qualifications universitaires, le même genre de qualifications requises pour des études supérieures, et ils embauchaient deux personnes dans chacune des spécialités de la restauration qu’ils avaient déterminées chaque année. Ils étaient payés selon les échelles salariales du gouvernement, en tant que techniciens, avec les avantages sociaux et tout, et ils recevaient une formation en cours d’emploi ici, à l’ICC, dans le but de pouvoir éventuellement travailler dans des musées partout au Canada. Il y a donc eu cet autre volet qui faisait partie des débuts de l’ICC, un volet vraiment important qui s’est transformé en ce que l’ICC est devenue par la suite. Je suis sûre que vous allez interviewer de nombreux stagiaires de cette période, car beaucoup d’entre eux sont maintenant des retraités de l’ICC.
KJ : Quand vous avez commencé, vous avez expliqué que vous aviez été embauchée comme technicienne. Une fois que vous avez obtenu votre diplôme de Queen’s, est-ce que c’est à ce moment-là que vous êtes devenue restauratrice?
JL : Non, en fait, ce n’est qu’une étape, il faut ensuite passer quelques années à appliquer ses connaissances. Les stages sont un des volets du programme de Queen’s, d’accord, alors pendant les stages, on a la chance de commencer à appliquer ses connaissances, quand on travaille sous la direction d’un autre restaurateur qualifié, et ça été pour moi une période particulièrement intéressante où j’ai appris que je pouvais prendre des décisions basées sur ce que j’apprenais à Queen’s, qu’on peut réellement prendre… commencer à prendre des décisions, des décisions éclairées, au sujet des traitements et des raisons pour lesquelles ils se déroulent bien ou mal, vous voyez. C’est très intéressant, alors quand on obtient son diplôme d’un programme universitaire, on continue sur cette voie et on a de plus en plus de responsabilités, jusqu’à ce que… vous savez, jusqu’à ce qu’on devienne enfin un restaurateur qualifié et qu’on puisse prendre ces décisions et guider d’autres étudiants. Alors oui, c’est une expérience d’apprentissage permanent, je ne pense pas qu’on arrête d’apprendre un jour quand on devient restaurateur. C’est une sorte de pente descendante parfois… On fait des erreurs. J’ai toujours pensé que ça coûtait cher de former quelqu’un parce qu’on n’apprend pas vraiment tant qu’on ne fait pas d’erreur, et quand on fait une erreur, ou que quelque chose tourne mal, on ne l’oublie jamais. J’ai toujours dit à mes stagiaires et aux étudiants avec lesquels j’ai travaillé : « Vous savez, si vous vous plantez, si quelque chose va mal, ce n’est pas la fin du monde, tant que vous savez pourquoi ça s’est mal passé, et que vous pouvez corriger ou réparer les choses, c’est super, mais tant que vous le savez et que vous pouvez l’éviter… Et soyez totalement honnête dans votre documentation, parce que vous devez confesser tous vos péchés dans la documentation, alors c’est là pour toujours ».
KJ : En même temps, je suis sûre que ces erreurs ont donné lieu à des découvertes?
JL : Oh absolument, oh oui. Une des pires erreurs que j’ai faites s’est passée quand j’étais stagiaire. Je travaillais sur un site archéologique en Italie, un site du début de l’ère des Étrusques, et c’était ma deuxième année là-bas et le directeur me faisait entièrement confiance. J’avais beaucoup travaillé avec la céramique, c’était ma première spécialité en restauration et il y avait beaucoup de céramique sur le site. On travaillait sur cette assiette qui provenait d’une tombe et qui était très fragile, une partie avait été excavée dans les années précédentes et une partie était encore dans le sol et avait besoin d’être renforcée avec un produit adhésif. Alors j’ai me suis dit bêtement qu’on allait mettre ces fragments dans une solution d’acétone et d’adhésif et… ouais, une demi-heure plus tard, il y avait ce tas de boue au fond du contenant. Et les archéologues m’ont regardée et ont dit : « Judy, qu’est-ce qui s’est passé? », et j’ai vu la boue… Mais oui, j’ai pu comprendre pourquoi c’est arrivé et je n’ai jamais oublié ça.
NNM : Donc, ça s’est simplement dissout ou…?
JL : Oui, c’est une leçon toute simple que je donne aux élèves maintenant et que Henry Hodges nous a enseignée, et ça ne m’avait pas effleuré l’esprit à l’époque, mais de l’eau plus de la poterie sous-cuite égale de la boue, d’accord? Mais je ne voyais pas l’acétone comme un solvant polaire, comme l’eau. Je veux dire, si tu mets de la poterie sous-cuite fragile dans de l’acétone, même s’il y a un polymère dedans, comme un polymère acrylique pour maintenir quelque chose ensemble, elle va quand même se dissoudre, elle va se transformer en boue. Eh oui, de la boue collante… de la boue collante.
NNM : Comment les gens autour de vous ont-ils réagi?
JL : Ils ont été compréhensifs, très compréhensifs, et je pense que ça fait partie de la restauration, ça fait partie de la croissance et de l’apprentissage. Et quand les choses vont bien, on se sent vraiment, vraiment, vraiment bien. Quand on a une idée et qu’on l’utilise, vous savez, on y a réfléchi et on se dit que ça devrait marcher, on fait des essais sur de petits morceaux pour s’assurer que ça va marcher et ensuite on le fait en vrai sur l’objet, ça fonctionne et on se sent bien.
KJ : Pouvez-vous nous parler un peu d’un projet sur lequel vous avez travaillé et qui vous a marqué?
JL : Oui, il y en a un dont je me sers lorsque je donne une conférence à l’Université d’Ottawa dans le cadre du cours d’archéologie de première année. C’est un exemple d’un site au Labrador qui a été très important pour ma carrière et pour l’archéologie canadienne. Il s’agit de la station baleinière basque de Red Bay, au Labrador. Les premiers à déterminer qu’il s’agissait d’une station baleinière basque sont Jim Tuck de l’Université Memorial, et quelques-uns de ses collègues, qui ont fait un relevé du port de Red Bay. Les historiens connaissaient l’industrie baleinière, mais personne n’avait jamais repéré ce site et Parcs Canada, sous la direction de Robert Grenier, a découvert des navires baleiniers basques qui avaient fait naufrage dans le port et qui correspondent à la description qu’on trouve dans les documents juridiques qui décrivent le naufrage du San Juan en 1565. Il y avait donc les deux équipes – celle de l’Université Memorial, qui travaillait sur les sites terrestres, sur la terre ferme, à excaver les stations de chasse à la baleine, et celle de Parcs Canada, qui travaillait sur le site sous-marin, à examiner une épave du 16e siècle – et ça n’avait jamais été fait au Canada, c’était un des premiers sites de colonisation par les Européens à être fouillés au Canada. Le site de L’Anse aux Meadows était le plus ancien, il datait des années 1500, on parle ici de quelque chose d’intéressant, de toutes nouvelles informations. On a eu beaucoup, beaucoup de projets intéressants à Red Bay - on y a découvert un cimetière en 1981 où on a fait des fouilles sur une période de trois ou quatre ans. Une des choses qu’on a trouvées dans le cimetière est un ensemble complet de vêtements. En fait, on a trouvé quelques ensembles complets de vêtements, mais le premier qu’on a trouvé était vraiment inhabituel, c’était un véritable problème. Le cimetière lui-même était dans une partie très rocheuse et sablonneuse du site. La plus grande partie du site était rocheuse et sablonneuse, une partie était une tourbière et certaines parties étaient bien drainées. La préservation des restes humains dans le cimetière était très rudimentaire; certains restes étaient bien préservés, aux endroits où des coquillages les avaient recouverts, d’autres étaient essentiellement de la boue. Les os s’étaient désintégrés et ils avaient désormais la consistance de la boue. Et dans une tombe en particulier, on pouvait voir une personne couchée sur la pierre, dans une petite fosse peu profonde dans le roc, et qui avait été enterré avec ses vêtements. On n’a pas trouvé de vêtements dans beaucoup de tombes, on a bien trouvé des traces de vêtements dans certaines tombes, mais il s’agissait alors d’un ensemble complet de vêtements, littéralement, et ils étaient très, très dégradés et dans le sol, on pouvait dire la position de la personne, comment elle avait été placée, avec les mains croisées au niveau de la taille, parce qu’elle portait une chemise et un pantalon, mais c’était vraiment très dégradé et il fallait trouver comment la sortir du sol sans la détruire, parce qu’on ne pouvait pas simplement la soulever. La congeler était une option, mais on ne pouvait pas vraiment le faire parce qu’on aurait gelé la personne à la roche, vous comprenez? J’ai donc emprunté une technique aux restaurateurs des beaux-arts afin de créer un tissu de surface fait de gaze et d’adhésif, un tissu que je pouvais préparer en laboratoire, dont je pouvais laisser sécher l’adhésif en laboratoire et le réactiver sur le terrain avec de l’acétone pour l’assouplir afin qu’il forme un lien superficiel avec le textile – un doublage sans imprégnation comme on l’appelle – et le textile était mouillé, je dois le mentionner, tout ça était mouillé. Donc, lorsque le tissu a séché sur le terrain, on a pu soulever l’ensemble d’un coup, le poser sur un support et le ramener au laboratoire, puis à l’ICC – plus tard à l’ICC –, où on a pu procéder à l’identification des fibres et envoyer des échantillons à un spécialiste au Royaume-Uni pour qu’il identifie les teintures de tissus. On a aussi fait appel à une spécialiste en création de patrons de costumes dont la spécialité était les costumes historiques, elle s’appelle Élise Dubuc. On a bien sûr aussi fait appel à nos restaurateurs de textiles. Comme je ne suis pas restauratrice de textiles et que les textiles archéologiques ne sont pas non plus ma spécialité, j’ai confié cette tâche à Martha Segal et à d’autres collègues du laboratoire d’archéologie. On a pu obtenir toutes les informations sur le type de laine utilisé, les teintures sur les deux ensembles. On a découvert des traces de bas dans le premier ensemble de vêtements qu’on avait fouillé. Dans le deuxième ensemble, on a constaté que la personne portait un chapeau et qu’elle avait aussi des chaussures et des bas et qu’elle portait une veste et une chemise. Ses vêtements n’étaient pas teints, ils étaient tous tissés à partir d’une laine faite de fibres naturelles, et le premier ensemble de vêtements, la personne portait une chemise rouge et un pantalon bleu foncé, fabriqués de façon très astucieuse, parfaits pour l’environnement dans lequel elle vivait. Bref, tout ça était très intéressant, on rassemblait toutes ces informations et Jim Tuck, à l’époque, pensait toujours en fonction de présenter ça au public. On doit présenter nos résultats au public, il faut que ça ait un sens pour quelqu’un, et la meilleure façon de le faire est de fabriquer des reproductions dans certains cas, et c’est définitivement le cas pour les textiles. Donc Élise, notre personne-ressource, a réussi à trouver une femme qui filerait les fibres et tisserait le tissu, tisserait le textile et créerait des reproductions à partir des patrons d’Élise. C’est donc ce qui a été fait et j’ai été surprise de voir ces objets sortis du sol, presque méconnaissables et en très mauvais état, et de pouvoir les ramener à l’état d’un objet stable qui peut être exposé – les textiles originaux sont tous exposés, ou du moins ils l’étaient, je pense qu’ils pourraient encore être exposés à Red Bay – et en faire ensuite des reproductions. Quand j’ai vu les reproductions pour la première fois, j’ai été vraiment surprise parce que ça frappe visuellement. Quand on est restaurateur, on apprend à connaître les objets intimement, mais quand on peut voir le fruit de son travail, que ça donne quelque chose comme ça que n’importe qui peut regarder, c’est ce qui le rend très spécial, alors pour moi, c’est simplement un exemple typique de restauration. Et l’autre chose qui était vraiment intéressante sur le plan de la restauration, c’est le fait qu’on n’a utilisé aucun produit chimique sur ces fibres. La personne qui portait une chemise rouge et bleue, ou une chemise rouge et un pantalon bleu, les fibres étaient en si mauvais état qu’on n’a pas pu les séparer et ce qui restait de cette personne se trouve toujours dans les replis, entre les couches de ces textiles. Donc, si quelqu’un veut revenir en arrière et faire une analyse plus approfondie de cette personne, c’est possible. À l’époque, il n’y avait pas d’analyse de l’ADN, maintenant ça existe et beaucoup d’autres applications médico-légales pourraient être appliquées. On pourrait même faire de l’entomologie, examiner les types d’insectes. On pourrait déterminer la période de l’année, des choses comme ça. On pourrait chercher des poux parce que tout ce qui se trouve là-dedans, comme les cheveux, a été préservé, alors n’importe quel type de cheveu ou de peau pourrait se trouver dans ces couches. Bref, on n’a rien gâché pour les analyses futures et je suis très fière de ce projet.
KJ : Oui, c’est vraiment... wow! Vous avez mentionné quelque chose il y a quelques secondes ou quelques minutes, qu’il s’agit d’un exemple typique de restauration. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Qu’est-ce que vous voulez dire par là?
JL : Je veux dire qu’on a fait ce qu’on appelle une intervention minimale. Quand on restaure un objet, on cherche à préserver ce qui est là, et un matériau archéologique est souvent dans un état très altéré, ce qui est… ce qui peut être problématique parce que souvent, pour le préserver, il faut y ajouter quelque chose comme un consolidant ou un autre produit chimique pour le faire passer de l’état où il se trouve à l’état sec et faire en sorte qu’il puisse se conserver dans l’environnement du musée. On essaie de limiter nos interventions – même le lavage d’un artéfact le modifie –, mais il faut enlever une certaine quantité de saleté pour pouvoir l’identifier. Quand on utilise des adhésifs ou des consolidants, il faut savoir quelle est leur composition chimique, comment ils peuvent changer chimiquement avec le temps, même si on utilise les produits les plus stables possible au moment de l’application. Les choses changent et on doit être conscient des facteurs qui pourraient intervenir dans l’élimination de ce matériel, si pour une quelconque raison il fallait l’enlever. Et la réalité, c’est qu’on ne peut jamais revenir en arrière; quand c’est fait, c’est fait. Quand on se casse un bras, le bras est cassé, pas vrai? C’est pareil pour un morceau de poterie : quand c’est cassé, c’est cassé, on peut le coller, mais il y aura toujours de la colle dessus et notre but est d’essayer de ne pas ajouter de produits chimiques quand ce n’est pas nécessaire. On essaie de créer des supports pour les artéfacts de manière à ce que ceux qui sont fragiles puissent supporter leur propre poids sans qu’on ajoute quoi que ce soit à l’intérieur, qu’ils puissent se tenir debout tout seuls. Dans le cas des textiles, on a créé des supports pour les deux ensembles de textiles afin qu’ils puissent être examinés et retournés sans endommager les fibres. Et encore une fois, les analyses effectuées devraient servir à orienter le traitement ou à fournir des renseignements qui accompagneront l’objet, de façon à ce que les futurs restaurateurs ou gardiens puissent comprendre ce qui se passe si l’objet subit des changements. Et comme je le disais, l’objectif du traitement typique est que d’autres personnes puissent apprécier cet objet. C’est normal de travailler de façon isolée, mais on ne peut pas vraiment faire ça. Quelqu’un doit profiter de vos actions et c’est pour ça qu’on préserve ces choses, pour les présenter au public et faire en sorte qu’il les comprenne.
KJ : En 1988, je crois, vous avez écrit un article intitulé « Réflexions sur le rôle du restaurateur archéologique ». J’ai trouvé l’article très intéressant. Selon moi, vous y expliquez en quelque sorte la perspective du restaurateur qui travaille sur le terrain, et d’autres éléments. Pour les gens qui n’ont aucune expérience dans ce domaine, pouvez-vous nous expliquer la différence entre le rôle de l’archéologue et celui du restaurateur?
JL : Quelle bonne question. Quand j’ai écrit cet article et quand je travaillais dans les années 80, la plupart des travaux d’archéologie qui se faisaient à l’époque étaient axés sur la recherche.
JL : Quelle bonne question. Quand j’ai écrit cet article et quand je travaillais dans les années 80, la plupart des travaux d’archéologie qui se faisaient à l’époque étaient axés sur la recherche, autrement dit, par question de recherche. Les archéologues font des fouilles pour trouver plus d’informations sur une certaine culture, une certaine période de l’histoire, Red Bay en est un exemple, il s’agissait des Basques du 16e siècle. Ce qu’on faisait en tant que restaurateurs, c’est qu’on travaillait avec les archéologues, on devait comprendre ce qu’ils essayaient de récupérer du site. D’abord pourquoi est-ce qu’ils faisaient des fouilles, qu’est-ce qu’ils s’attendaient à trouver, comment on pouvait se préparer à ce qu’ils allaient trouver. J’ai découvert que mon rôle dans un site consistait simplement à atténuer un processus entier d’archéologie, à m’assurer que tout se déroule sans problème, qu’on ne nuisait pas aux fouilles, qu’on améliorait les fouilles et qu’on travaillait avec les étudiants pour qu’ils sachent quoi faire sur le terrain quand ils commencent à trouver des choses, et on travaillait avec un registraire pour s’assurer que les choses soient enregistrées de façon fluide. Et emballer – oh mon Dieu! – emballer, emballer. Quand on travaille dans un pays étranger, ça complique un peu les choses parce qu’on ne peut rien rapporter. Travailler sur le site est un plus, mais c’est aussi pour moi la partie la plus exigeante et la plus passionnante de l’archéologie.
NNM : Est-ce qu’il s’agit en partie d’une négociation entre… parce que quand vous parlez d’atténuer et de vous assurer de ne pas nuire, il y a une négociation à faire avec les archéologues ou avec les gens qui travaillent sur le site, non?
JL : Oui, parfois le restaurateur a plus d’influence sur ce qui entre dans le laboratoire de restauration. Parfois, l’archéologue prend cette décision parce qu’il y a tellement de choses et qu’il veut que le restaurateur se concentre uniquement sur les choses qui peuvent être faites… qui doivent être faites sur le terrain parce qu’il n’y a pas d’ICC à qui les envoyer. Ça doit se faire sur le terrain, et c’est correct parce qu’encore une fois, c’est dans son intérêt de s’assurer que les bonnes décisions sont prises, et en tant que restaurateur, vous êtes toujours là pour dire oui, c’est une bonne idée, ou non, ce n’est pas une bonne idée. Mais je n’ai jamais eu de problème à dire : « On doit travailler là-dessus », « Vous ne devriez pas jeter ça » etc. parce que la plupart du temps, c’est assez évident. Je travaillais sur un site en Jordanie – oh mon Dieu – on recevait des morceaux de fresque qui étaient littéralement tombés d’un mur, des quatre murs, d’une petite pièce qui avait été détruite par un incendie et/ou un tremblement de terre, quelque part au milieu du huitième siècle et je vais vous dire, cette fresque était dans un état de pourriture et il y avait des milliers, littéralement des milliers et des milliers et des milliers de morceaux. Mais oui, à l’époque, on faisait de notre mieux pour économiser le plus possible, mais au bout du compte, on a dû se contenter de faire des diagnostics, de tout examiner et de poser des diagnostics. Et la même chose que… d’autres catégories de matériel qu’on trouve sur un site comme celui-là, on recevait des milliers de trucs. Qu’est-ce qu’on fait avec ça, hein? Je veux dire, sérieusement, on doit prendre des décisions parce que sinon, la forêt cache les arbres. Si on garde toutes ces petites choses inutiles, on ne peut pas avoir une image claire de la situation, alors on travaille avec les archéologues et on finit par dire : « Vous savez quoi? Vous avez raison. C’est stupide. » Il y a des limites. On ne peut pas tout faire.
NNM : Quand vous parlez de diagnostics, vous voulez dire les éléments qui nécessitent plus de travail ou simplement l’identification de ce qui doit être fait?
JL : Les éléments qui, en fait, vous en disent plus sur le site, ou qui peuvent vous donner des informations plus concrètes sur le site, ou qui pourraient être importants à long terme. En archéologie, on fait des diagnostics pour une foule de choses. Par exemple, à Red Bay, on a des milliers et des milliers et des milliers de clous, littéralement, des milliers de clous en fer forgé, et on a conservé chacun de ces clous. Bon, tous ces clous n’ont pas été soumis à un traitement de restauration spécialisé, mais absolument tout, chaque morceau de métal du site a été radiographié, et il a été radiographié sur le terrain, et un enregistrement visuel de ces milliers de clous, avec leurs numéros de catalogue, se trouve quelque part, je dirais probablement à l’Université Memorial. Il se peut que les clous soient ou ne soient pas encore intacts, à certains sites, par exemple au site de Ferryland, à Terre-Neuve qui produit d’énormes quantités de fer et dont une grande partie y est réenterrée. On note les choses qu’on trouve, on les déterre, on les consigne, on les note. On a ce matériel, on sait qu’on ne peut pas en apprendre plus pour l’instant, alors on l’enterre à nouveau. Il y a des milliers et des milliers de clous, personne ne va examiner chaque clou individuellement. Jamais. Et ça ne prend pas beaucoup d’espace de stockage – ce qui est une bonne chose –, mais vous voyez le tableau. Donc ça varie d’un site à l’autre, d’une situation à l’autre. On reçoit des milliers et des milliers de briques, par exemple, ou des milliers de morceaux de verre de fenêtre d’un bâtiment historique. Qu’est-ce qu’on fait? On peut les peser vous savez, le verre de fenêtre… on peut peser le verre de fenêtre pour avoir une idée de la quantité de verre réelle qu’on a. Ce n’est pas la peine de sauver chaque petit morceau pour le recoller. On peut jeter tout le lot, on peut les peser, et… ouais. Sans avoir l’air de… on peut en garder un peu, en garder un peu, parce que quelqu’un pourrait vouloir les analyser dans le futur pour la chimie, pour savoir ce qu’ils sont, garder les morceaux intéressants. On peut trouver des morceaux avec des moulures, par exemple, on peut trouver des morceaux de vitrail, on peut trouver des morceaux de plomb. Récupérer les morceaux intéressants, les morceaux qui vont dire : « Voici un exemple de ce que nous avons trouvé dans cette région ». Il faut commencer à se faire une idée de ce qui se passait, de ce que ces clous tenaient en place, par exemple, la couleur des clous, s’ils sont rouges : « Oh! Ils ont brûlé ». Vous savez, des choses comme ça, on apprend. Mais oui, il faut être assez pragmatique, et c’est en fait en regardant l’évolution de la restauration, de la restauration archéologique au fil des ans… Le plus gros problème de la restauration archéologique, je dirais, la façon dont elle a évolué, pour les archéologues aussi, c’est la façon de traiter les collections, parce qu’elles se sont énormément, énormément développées – et c’est le moins qu’on puisse dire –, à un point tel que les installations ne peuvent pas fournir de services de conservation pour les collections archéologiques. C’est un énorme problème en archéologie, et beaucoup d’activités archéologiques sont maintenant menées dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, chaque fois qu’il faut construire ou aménager un bâtiment, l’archéologie fait partie de l’évaluation environnementale, ce qui signifie que des fouilles sont effectuées et à l’endroit où se trouvent ces matériaux, qui est responsable de ces matériaux? C’est un enjeu important. La restauration en est encore un élément important, pour aider les gens à prendre des décisions et s’assurer que ces collections sont conservées, ou que des parties représentatives de ces collections sont conservées.
NNM : Pour revenir à l'objet dont nous parlions plus tôt, il s'agissait d'un textile fragile, n'est-ce pas ?
JL : Comme je le disais, je ne suis pas une restauratrice de textiles… vraiment pas une restauratrice de textiles, mais avec quelque chose comme ça, c’est... On fait venir toutes les personnes qui font véritablement le travail et elles guident le tout en fait, mais c’est l’une des beautés de travailler ici, je pense qu’on va aussi en parler, c’est l’une des beautés de travailler à l’ICC, d’avoir accès à tellement, tellement de spécialistes dans cet édifice. Et au sein de la communauté de spécialistes de ce bâtiment, ils ont eux aussi leurs réseaux, ils ont cet énorme réseau de personnes, alors quand quelqu’un vient voir un restaurateur à l’ICC pour lui poser une question, il ne voit pas une personne en particulier, il voit tout un réseau de personnes et c’est vraiment génial. Quand je travaillais ici, c’est ce que j’étais en mesure d’offrir à nos clients et je trouvais ça très important.
KJ : Vous avez parlé de l’expérience de travail sur le terrain en Jordanie. Pouvez-vous nous dire comment ça s’est passé? Comment vous avez reçu une demande pour aller travailler sur un projet dans un autre pays, comment tout ça est arrivé?
JL : Eh bien, c’était vraiment intéressant. J’étais chef de la Division de l’archéologie et des textiles à l’époque, et on a reçu une lettre du directeur de projet, John Olsen, de l’Université de Victoria, disant qu’il avait besoin d’un restaurateur. Il avait travaillé sur un site dans le sud de la Jordanie, ils avaient découvert cette fresque, des fragments de fresque en plâtre coloré, et il a dit : « On a vraiment besoin d’un restaurateur, pourriez-vous nous recommander quelqu’un? » Je me suis dit que je pourrais regarder sur une carte et voir où se trouvait cet endroit. J’étais occupée, j’avais ce... travail administratif à ce moment-là, peu importe. Je l’ai envoyé à deux de mes collègues archéologues, et quand j’ai trouvé où c’était, je me suis dit : « Oh mon Dieu, c’est le pays de Laurence d’Arabie! » C’était un rêve d’enfant, d’aller voir le pays de Laurence d’Arabie, je ne pouvais pas croire qu’il y avait un endroit aussi beau dans le monde. Bref, j’ai contacté l’archéologue et je lui ai dit : « Vous savez, si vous êtes intéressé, je peux demander un congé pour une saison estivale de travaux sur le terrain ». Parce qu’à l’époque, on recevait des demandes du Moyen-Orient et la direction voulait savoir s’il y avait quelque chose au Moyen-Orient qui présenterait un intérêt particulier pour l’ICC, et ce projet-là a été financé en grande partie par le CRSH, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, et par des fonds privés provenant de fondations privées aux États-Unis. Bref, je lui ai écrit et je lui ai dit : « Je ne peux pas promettre plus d’une saison », mais j’ai obtenu l’autorisation pour y aller et – oh mon Dieu –, c’était en 1993 je crois, et j’ai réussi à y retourner pour la prochaine... jusqu’en 2005, je crois que ça été ma dernière saison sur le terrain.
KJ : Oh wow! Chaque année?
JL : Pas chaque année, il y avait des saisons d’études. On travaillait habituellement pendant quelques saisons, puis on avait une saison d’études et je suis retournée pour une ou deux saisons d’études pendant cette période et pour les saisons des fouilles. C’était un très gros projet, un projet vraiment intéressant. On a trouvé tout plein de fresques dans cette salle, la première année où j’étais là en 1993, à la fin de la saison de fouilles, à la toute fin. Ça arrive tout le temps, la toute dernière journée de la saison de travaux sur le terrain, l’archéologue du projet qui était responsable de cette partie du site était une étudiante au doctorat de Harvard et on se trouvait sur le sol en plâtre d’origine de la pièce, et il y avait ce matériau noir qu’elle avait trouvé, elle l’avait sorti du sol et me l’avait apporté en disant… Il était sculpté et… « Qu’est-ce que c’est? » et je ne le savais pas. Finalement, c’était de l’ivoire. J’ai ramené un échantillon à l’ICC; ça ne se comportait pas comme de l’ivoire, ça ne craquait pas, ça ne se fendait pas, ça ne se désintégrait pas comme l’ivoire l’aurait fait normalement, et sous un soleil de plomb, à une température de 40 degrés, ça aurait dû se désintégrer. Ça n’a pas été le cas et c’était de l’ivoire, et pendant les six saisons qui ont suivi, cette pièce a été plus ou moins, pas totalement fouillée, mais presque, et on a trouvé des milliers de fragments de plaques d’ivoire sculptées et brûlées datant du milieu du huitième siècle, et il s’agissait de figures humaines, généralement des paires, des images miroirs de personnes. Je crois que cette collection d’ivoire se trouve maintenant au Musée national de Jordanie. Quelques panneaux ont été exposés au Met il y a quelques années dans le cadre de l’exposition d’art islamique ancien.
NNM : C’était quoi cette pièce, finalement?
JL : Cette pièce était probablement la salle de réception du « cazor » – ou du manoir – du chef de la famille des Abbassides. C’était donc leur maison familiale, et pour l’histoire de l’Islam, c’est un site très important.
NNM : Comment ça se passe quand on apporte un nouvel objet intéressant à l’ICC qu’on peut ensuite examiner avec ses collègues? Est-ce qu’il y a une sorte de buzz par rapport à cet objet?
JL : Oui, oh oui, on a eu ce buzz plusieurs fois. C’est une autre facette du travail qu’on fait ici. Il y avait un artéfact, d’accord – ça remonte à Terre-Neuve, à Ferryland, au milieu des années 80 – Jim Tuck avait commencé à étudier la colonie anglaise du 17e siècle à Ferryland. Il était en ville, en 1985, et il avait trouvé cet objet bizarre et bosselé; il mesurait à peine 12 centimètres de long et il avait la forme d’une croix, mais il était en fer, on pouvait voir qu’il y avait du fer là-dedans. Il était couvert de gravier, de corrosion, etc. Il a apporté cet objet à l’ICC, avec un de ses collègues, il me l’a apporté et on l’a examiné au microscope. J’ai commencé à le tâter et un morceau de corrosion est tombé. « Oups! C’est quoi? Quelque chose de jaune. Oh regardez ça, c’est intéressant! » Alors j’ai tâté un peu plus. On a le droit de faire ça prudemment, vous savez. Il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas? Et là, il y a un autre morceau, d’une autre teinte de jaune, et je dis : « Quoi? » parce que c’est du fer. Donc, pendant que ces deux archéologues étaient là, j’ai appelé le laboratoire de recherche analytique et j’ai dit : « Est-ce que quelqu’un pourrait jeter un œil à ça? » Et en l’espace d’une demi-heure, dans un très court laps de temps, on a obtenu les résultats. Le premier était en or et l’autre était en laiton. Oh! Et tout à coup, la teinte de cet objet change. Vous ne regardez pas seulement une quelconque masse de fer bosselée et bizarre, vous regardez un objet. « Oh mon dieu… Qu’est-ce que c’est que cette chose maintenant? » Vous savez, le collègue que Jim a amené avec lui était un bon archéologue de la vieille école, un peu sceptique quant à ce qu’une bonne restauration pourrait vraiment faire, genre vraiment faire, et il était assez impressionné.
KJ : Parce que c’est arrivé juste comme ça? Ce n’était pas prévu d’une certaine façon, ce n’était pas dans les livres comme un projet sur lequel vous auriez travaillé, j’imagine?
JL : Oui, c’était quelque chose comme ça. On avait d’autres choses comme ça qui arrivaient au labo. On a eu un objet qui provenait de l’Arctique et Bob Janes, qui était le principal archéologue des Territoires à l’époque dans l’Arctique – c’était avant le Nunavut – a apporté une boîte de cuivre. L’équipe de la Commission géologique l’avait trouvée sur une des îles de l’Arctique, dans un cairn volé. Et il y avait une grande flèche gravée sur le côté indiquant que c’était britannique, la grande flèche britannique. Bref, tout le monde s’y intéressait, alors tout le monde s’est rassemblé autour, les restaurateurs du laboratoire ethnologique et quelques scientifiques sont venus voir ça – c’est toujours amusant de voir de nouvelles choses arriver – et il y avait quelque chose à l’intérieur, si on brasse... Oh oui! Brasse, brasse, brasse... Bref, après avoir regardé cette chose, comment on l’ouvre pour voir ce qu’il y a dedans? C’est Bob Barclay, qui était restaurateur d’objets à l’époque, qui a dit de l’ouvrir avec une scie à métaux. On a donc laissé Bob le faire. Alors Bob l’a ouvert, très soigneusement, le long de la ligne de soudure, et cette chose en est tombée. C’était tout mouillé, c’était vert, un morceau de quelque chose. C’était mouillé et visqueux et ça mesurait, je ne sais pas, 15 centimètres par 10 centimètres. Finalement, c’était un document! On a donc fait venir Greg Young – à ce moment-là, je ne sais pas combien de scientifiques et de restaurateurs tournaient autour de cette chose – et l’archéologue était là, debout, se disant : « Oh mon Dieu, c’est un document! » Et dès les premiers instants où on a regardé cette chose, on a pu reconnaître une signature : W. E. Parry, P-a-r-r-y, l’un des premiers explorateurs de l’Arctique à chercher le passage du Nord-Ouest après Frobisher. Frobisher remonte à bien avant, dans les années 1800; en 1819 et 1820, il a cherché le passage du Nord-Ouest et l’a finalement traversé, mais il ne savait pas qu’il l’avait traversé. Une fois arrivé à l’île Melville, il a fait demi-tour pour revenir. S’il avait continué, il serait arrivé en Chine, mais il ne l’a pas fait parce qu’il était un explorateur très prudent. Mais il avait laissé cette chose dans un cylindre de cuivre, dans un cairn de roche, sur la côte du bras Prince Régent. Il était coincé là à cause de la glace et il a laissé ça, l’Amirauté lui avait ordonné de laisser des messages chaque fois qu’il touchait terre au cas où Franklin se trouverait dans le secteur. Franklin explorait la terre ferme à l’époque, dans les Territoires du Nord-Ouest, et il était en train de se perdre et de perdre ses hommes. C’était avant la grande expédition. Franklin avait fait de l’exploration terrestre avant de faire la traversée à bord de l’Erebus et du Terror, mais c’est son collègue et ami, William Edward Parry, qui avait laissé cette chose, sur ordre de l’Amirauté britannique, et ça nous a pris un certain temps pour en faire l’analyse. Bien sûr, on a fait faire l’analyse par Greg Young, et on a découvert qu’il y avait en fait un morceau de peau non tannée, on a découvert qu’elle contenait du carbonate de calcium, on a découvert que la surface était plus dégradée que le reste de la peau parce que Greg Young a pu appliquer une technique qu’il venait de mettre au point pour examiner des objets faits de collagènes – la peau – pour déterminer l’état de la peau et c’était tout nouveau. C’est quelque chose qui a été mis au point à l’ICC, par le personnel de l’ICC, par Greg Young, et on a finalement pu le faire sécher sur une table aspirante à froid. On l’a traitée comme un morceau de papier, sauf que c’était un morceau de peau non tannée extrêmement dégradée. Il y avait des traces d’écriture dessus, et c’est uniquement grâce aux noms de ses deux navires – l’Hecla et le Griper – qu’on a pu la dater, on pouvait voir sa signature. Donc tous ces éléments se rejoignaient, mais oui, encore une fois, c’est comme ça que tout a commencé, par un « Oh wow! » et tous ces gens qui étaient là et qui disaient : « Qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce que c’est? »
KJ : On a parlé de votre présence à Parcs. Quand exactement êtes-vous arrivée à l’ICC et qu’est-ce qui vous a amené à l’ICC?
JL : Bien en fait, j’ai fini mes études à Queen’s et j’étais comme sur un nuage. J’étais vraiment, vraiment emballée par la restauration. L’été d’avant, j’étais à Red Bay avec Parcs Canada et j’avais vu ce que l’ICC faisait avec l’Université Memorial et évidemment, je connaissais l’ICC. Tout le monde se connaissait, on jouait au hockey ensemble à l’époque – doux Jésus... Je me suis dit que je n’avais rien à perdre à essayer, pourquoi pas? Deux choses excitantes se sont produites le premier jour où j’étais au travail : tout d’abord, Charles m’a dit : « Personne d’autre n’a vraiment envie d’aller à Red Bay cet été, alors tu peux y aller si ça t’intéresse ». Je me suis dit : « Vous me laissez m’occuper du meilleur site archéologique au Canada? Vous voulez rire? » Et la deuxième chose était : « Ah oui, on aura aussi bientôt un atelier de métal avec Henry Hodges, accepterais-tu de le faire avec lui? », et je me suis dit : « Oh mon Dieu, je dois faire un atelier avec mon professeur! » Alors bon, c’était mon introduction à l’ICC et j’ai trouvé ça assez emballant, oui. C’était une bonne décision. Quand on est jeune, qu’on vient tout juste de sortir de l’école, qu’on a des idées et qu’on n’a pas d’idées préconçues sur ce dans quoi on s’embarque, c’est là qu’on fait un très, très bon travail et qu’on a une très bonne dynamique. Je déteste dire ça, mais j’espère que quand nous serons tous partis à la retraite, la nouvelle cohorte sera aussi... sera géniale et aussi heureuse qu’on l’était, mais on a tous grandi ensemble. On avait tous à peu près le même âge, comme je l’ai mentionné, le hockey, c’est... disons qu’à une certaine époque, Parcs et l’ICC jouaient au hockey, au baseball et à d’autres sports. Les choses ont changé, mais on travaille tous ensemble.
KJ : On a parlé de certaines choses, et j’ai l’impression qu’il y aurait encore beaucoup de choses à couvrir, mais avez-vous des conseils à donner aux nouveaux restaurateurs?
JL : Eh bien, une chose que j’aurais dû faire beaucoup mieux quand je travaillais… J’aurais dû garder des notes personnelles plus détaillées. Quand vous prenez des notes, n’abandonnez jamais votre stylo et votre crayon. Gardez vos notes, gardez vos carnets, gardez tous vos journaux. Je crois qu’ils sont inestimables et je m’en veux souvent quand je pense que je n’ai pas pris ça en note parce qu’au fil des ans, vous allez vous bâtir un réseau de collègues et avec un peu de chance, votre réputation va se répandre de façon positive et les gens vont vous demander conseil. Les artéfacts que vous aurez traités vont vous revenir – revenir vous hanter, peut-être, ou vous rappeler vos bons coups – et vous serez étonné de voir tout ce que vous avez appris au fur et à mesure que vous avancez, à quel point c’est précieux quand vous voulez fouiller dans votre mémoire et trouver ce qui s’est réellement passé parce que oui, vous avez votre documentation, votre documentation scientifique, vous avez tout ça, mais il y a aussi les autres choses que vous êtes la seule personne à savoir. Essayez de garder ça en note parce que c’est inestimable et encore une fois, ne cessez jamais d’apprendre et de vous amuser, et gardez vos contacts, rencontrez des gens, assistez à des conférences – si vous pouvez vous le permettre, assistez à des conférences – et essayez simplement d’entretenir vos contacts professionnels. J’aime parler de restauration.
[“Here’s Where Things Get Interesting" de Lee Rosevere de l’album "Music for Podcasts 6." Style : Minimalisme électronique]
NNM : Merci à Judy Logan et à ma coanimatrice, Kelly Johnson.
L’ICC et le RCIP se racontent est une production de l’Institut canadien de conservation, ministère du Patrimoine canadien.
Notre musique a été composée par Lee Rosevere.
Voix hors-champs par Carmen Grenier.
Aide à la production par Pop-Up Podcasting.
Qui devrions-nous interviewer dans le cadre de cette baladodiffusion? Trouvez-nous sur Facebook à l’Institut canadien de conservation et dites-le-nous.
La prochaine fois sur le balado…
Lyn Elliot Sherwood : Il s’est rendu au Musée de la pomme de terre de l’Île-du-Prince-Édouard, et il a dit : « On a une photo de Marilyn Monroe dans un sac de patates. Pensez-vous que c’est quelque chose que les gens aimeraient voir sur Internet? » Et j’ai répondu : « Oui, je pense qu’ils aimeraient beaucoup voir ça. »