Nettoyage des peintures : précautions – Notes de l'Institut canadien de conservation (ICC) 10/1
Introduction
Avec le temps, l’image d’un tableau peut devenir difficile à discerner ou les couleurs peuvent s’assombrir. Ces altérations ont deux causes principales : l’accumulation de poussières, de saletés et de salissures (par exemple, dépôts laissés par les insectes, suie ou graisse et la fumée de tabac) et le jaunissement ou la formation de craquelures dans la couche de vernis au fil des ans.
Si le nettoyage d’une surface peinte peut paraître bien élémentaire, il n’en reste pas moins que des personnes sans formation ne devraient pas essayer d’enlever des couches de saleté ou de vernis jaunis. Les effets des produits de nettoyage ne peuvent être déterminés que par quelqu’un ayant une connaissance approfondie des matériaux constitutifs du tableau et une vaste expérience.
Nettoyage au moyen de solutions aqueuses
L’application de solutions aqueuses (c’est-à-dire à base d’eau) peut causer de nombreux effets néfastes, certains immédiats, d’autres à plus long terme, par exemple :
- l’affaiblissement de l’adhérence entre le pigment et le liant pour certains types de peintures (par exemple, peinture à l’huile et peinture-émulsion acrylique), ce qui peut entraîner une perte de pigments;
- la dissolution des éléments hydrosolubles (surfactants) dans la peinture-émulsion acrylique;
- le blanchiment de la peinture ou des couches de vernis;
- le dépôt d’agents de nettoyage nocifs sur ou dans la peinture ou les couches de vernis.
Les liquides et les pâtes aqueuses ou à base de solvant appliqués sur une peinture ne touchent rarement qu’une seule couche. De tels liquides, ou les liquides provenant des pâtes, peuvent pénétrer dans toutes les couches par les craquelures et les capillaires visibles ou invisibles. Par conséquent, les effets d’une solution de nettoyage doivent être envisagés non seulement en tenant compte de la saleté, du vernis et des couches picturales, mais aussi en tenant compte de la préparation, de l’encollage et du support de la toile. L’utilisation d’eau sur une peinture dont la préparation est soluble peut affaiblir son adhésion au support et provoquer immédiatement ou ultérieurement l’écaillage de la couche picturale et de la couche de préparation. Par ailleurs, une toile est faite à partir de matériaux particulièrement sensibles à l’eau, comme le coton, le lin ou des matériaux comparables au lin, tel le jute. Si de l’eau pénètre une toile, cette dernière risque alors de se rétrécir, causant ainsi non seulement la séparation de la toile, de la couche de préparation et des couches picturales, mais également leur déformation.
Nettoyage au moyen de solvants
Les professionnels de la conservation utilisent le plus souvent des solvants pour enlever les couches de vernis qui sont très jaunies ou qui défigurent le tableau. Le retrait des couches de vernis n’est pas toujours indiqué, voire nécessaire. Or, lorsqu’un retrait s’impose, ce travail doit être effectué par une personne ayant une formation et de l’expérience en conservation. En plus de constituer un risque pour la santé de l’utilisateur, les solvants peuvent également causer des dommages graves et irréversibles aux couches picturales fragiles. En fonction du liant de la peinture, des additifs dans la peinture et de l’épaisseur des couches picturales, les couches peuvent être soit ramollies, soit dissoutes.
Produits offerts sur le marché
On ne doit jamais tenter d’utiliser, sur les tableaux, des produits de nettoyage ou de restauration offerts sur le marché. Ces préparations ne sont ni utilisées ni recommandées par les restaurateurs professionnels de tableaux.
Nettoyage : mesures particulières pour les œuvres d’art datant du XIXe au XXIe siècle
Un grand nombre de peintures datant du XIXe siècle sont particulièrement vulnérables aux solvants en raison des additifs ajoutés par les artistes dans la peinture à l’huile. Plus précisément, si les solvants ne sont pas appliqués correctement, certains de ces additifs causent des plis et des gonflements dans la surface peinte. Ce même problème touche également de nombreuses peintures du XXe et du XXIe siècle. Les nouveaux médiums les pigments et les teintures synthétiques, de même que les divers mélanges de peintures utilisés par de nombreux artistes en arts visuels contemporains produisent parfois des couches picturales sensibles aux solvants ou à l’eau. Certains médiums modernes et contemporains sont, par nature, facilement endommagés par les solvants. Par exemple, la peinture-émulsion acrylique ne tolère même pas les solvants organiques doux. En conséquence, le nettoyage des peintures modernes ou contemporaines ne doit être effectué que dans l’absolue nécessité et, le cas échéant, uniquement par des professionnels qualifiés. Il arrive que les œuvres d’art récentes demeurent extrêmement fragiles jusqu’à ce que les couches picturales soient entièrement sèches (polymérisées). Tout contact avec des solutions aqueuses et des solvants organiques devient donc très risqué.
Petites taches, marques et graffiti
On ne doit pas tenter d’enlever une tache, même petite, d’une peinture. Toute tentative de nettoyage par un amateur risque de rendre la tache encore plus apparente et même d’endommager la peinture de façon permanente.
Dépoussiérage
Le dépoussiérage d’un tableau comporte aussi certains risques dont la perte de peinture. Dans le cas du microécaillage, qui affecte certains tableaux, de minuscules écailles se détachent partiellement. Ces écailles de peinture, qui ne sont pas nécessairement visibles, se détachent au cours d’un dépoussiérage même léger. Les écailles plus grosses peuvent aussi être difficiles à déceler, car elles peuvent se camoufler dans l’image ou dans les irrégularités à la surface de la peinture. On ne doit jamais se servir d’un chiffon sec ou humide, d’un pinceau à poils durs, ni d’un plumeau pour dépoussiérer la surface. Les fils d’un chiffon risquent de s’accrocher aux empâtements de la peinture, et l’humidité peut causer la perte subséquente de la peinture (car la peinture, la couche de préparation et la toile réagissent au contact de l’eau); aussi, les pinceaux à poils durs ainsi que les plumeaux risquent d’égratigner la surface de la peinture ou du vernis. Le dépoussiérage d’un cadre orné risque d’égratigner les couches fragiles du fini de sa surface, alors que l’essuyage humide du cadre retire le fini de la surface, surtout s’il s’agit d’une dorure traditionnelle. Il ne faut jamais retirer la poussière d’une peinture ou de son cadre à l’aide d’un aspirateur. Il ne faut pas non plus utiliser de l’air comprimé pour enlever la poussière : le propulseur peut endommager la surface de la peinture et le volume d’air peut être assez puissant pour déloger la peinture écaillée d’une surface instable.
Comment protéger une peinture
Cette Note présente les risques liés au nettoyage des surfaces peintes – qu’il s’agisse d’un nettoyage à l’aide d’un linge humide ou d’un solvant, ou encore d’un nettoyage à sec – dans le but de dissuader toute tentative de nettoyage, aussi bien intentionnée soit‑elle. De nombreuses précautions peuvent être prises pour empêcher, ou à tout le moins ralentir, l’accumulation de poussières et de saletés sur les peintures :
- Ajouter une vitre (en verre ou en acrylique) dans le cadre. Laisser un espace d’au moins 0,5 cm (environ 3/16 po) entre le point le plus surélevé de la peinture et la vitre. Pour ce faire, il est possible de placer une marie‑louise ou des matériaux d’espacement entre la vitre dans la partie extérieure du cadre et la surface peinte. De nos jours, il existe des vitres en verre et en acrylique spécialement conçues pour réduire les reflets. Il existe par ailleurs des vitres en acrylique ayant des propriétés antistatiques. Il est possible de nettoyer la vitre à l’aide d’un linge légèrement humide (en prenant soin de ne pas toucher le cadre et de ne pas laisser de liquide s’infiltrer entre le cadre et la vitre). La vitre a également l’avantage de protéger les surfaces peintes et fragiles des contaminants présents dans l’air, des résidus acides laissés par les insectes, de même que des contacts physiques directs.
- Il est déconseillé de placer une peinture non protégée par un cadre, une vitre et un dos protecteur près d’une entrée d’air, car on y trouve la concentration la plus élevée de poussières et de saletés. Ne pas placer une peinture près d’une source de contaminants graisseux, comme les foyers au bois, les salles à manger et les cuisines.
- Porter en tout temps des gants lors de la manipulation de peintures non encadrées, car l’huile naturelle des doigts s’imprègnera dans les couches picturales non protégées et laissera des marques indélébiles.
- Si un liquide éclabousse une surface peinte, coucher immédiatement le tableau, face vers le haut, pour éviter les coulures. Ne jamais frotter la peinture pour retirer le liquide; éponger plutôt le liquide en utilisant le coin d’un papier absorbant ou d’un chiffon. Appeler ensuite un spécialiste pour évaluer les dommages et effectuer le nettoyage approprié.
Conclusion
Le nettoyage sécuritaire des tableaux est l’un des domaines les plus exigeants de la restauration de peintures. Cette opération exige beaucoup d’habileté acquise pendant des années de formation et d’expérience pratique. Un nettoyage effectué par une personne non qualifiée, même en prenant toutes les précautions possibles, risque d’endommager irrémédiablement une peinture. Certaines mesures peuvent prévenir, ou à tout le moins ralentir, l’accumulation de poussières et de saletés. La pose d’une vitre, la manipulation adéquate de la peinture et le choix d’un emplacement approprié où l’exposer sont les mesures les plus importantes à prendre. Si un nettoyage s’avère nécessaire, il importe tout d’abord d’identifier et d’évaluer la composition de la peinture, après quoi un professionnel de la conservation peut appliquer un traitement adéquat.
Rédigé par Leslie Carlyle
Révisé par Wendy Baker en 2016
Première date de publication : 1986
Also available in English.
© Gouvernement du Canada, Institut canadien de conservation, 2016
ISSN 1928-5272
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