Transcription de la vidéo « L'antiphonaire de Salzinnes – Partie 1 : Examen et analyse technique »
Durée de la vidéo : 00:16:13
[De la musique tirée de l’antiphonaire de Salzinnes joue en arrière-plan tout au long de la vidéo.]
[Texte à l’écran : L’antiphonaire de Salzinnes : Examen et analyse technique]
Narrateur :« En 2007, l’antiphonaire de Salzinnes a fait le trajet de Halifax, en Nouvelle-Écosse, jusqu’à la région d’Ottawa-Gatineau. Il avait été soigneusement emballé à l’Université St. Mary, puis envoyé dans une caisse à l’Institut canadien de conservation. En raison des rénovations en cours à l’Institut canadien de conservation, la caisse a été d’abord ouverte dans le laboratoire de restauration des livres à environnement contrôlé de Bibliothèque et Archives Canada par une équipe de restaurateurs, dont Betty Jaquish et Genevieve Samson que l’on voit ici. L’arrivée de l’antiphonaire aux laboratoires a marqué le début d’une longue collaboration entre l’Institut canadien de conservation et Bibliothèque et Archives Canada en vue de réaliser l’examen, l’analyse et le traitement de conservation de ce manuscrit des plus rares. Un examen visuel minutieux et une analyse par instruments ont révélé les secrets du manuscrit. En plus de documenter l’état du manuscrit et de recommander des méthodes de traitement de conservation, traitement de conservation, l’analyse technique avait pour objet d’examiner de manière plus détaillée la matière et la structure du manuscrit. »
[Texte à l’écran : Reliure médiévale gothique]
Narrateur : « La reliure de l’antiphonaire est constituée d’une couverture en cuir recouvrant ais de bois et des garnitures métalliques dont le style évoque les reliures médiévales gothiques. Les reliures de style gothique étaient en circulation du début du 14e siècle jusqu’en 1600 environ – ce qui englobe la période 1554-1555 attribuée au manuscrit. Il n’y a pas un style précis de reliures gothiques, mais plutôt un ensemble de caractéristiques communes telles que la forme des ais de bois, les types de garnitures métalliques et les points de couture. »
[Texte à l’écran : Indices dans la reliure]
Narrateur : « Les restauratrices de livres de Bibliothèque et Archives Canada, Genevieve Samson et Lynn Curry, ont trouvé de nombreuses caractéristiques gothiques au premier examen de l’antiphonaire : d’épais ais en chêne avec des garnitures aux extrémités et un bloc de feuillets en parchemin au dos arrondi. Plutôt que d’être découpées à la dimension exacte du bloc de feuillets, les ais ont des chasses qui débordent des feuillets. Les supports à couture, ou nerfs, sont des bandes surélevées de peau tannée à l’alun cousues au point droit. Ces supports ont servi à fixer les ais au moyen de ficelles recouvrant le dos. Toutes ces caractéristiques évoquent la période de reliure gothique. »
[Texte à l’écran : Quels sont les éléments d’origine?]
Narrateur : « Une bonne partie de la structure originale semble intacte, mais on retrouve des indices évidents de restauration antérieure : une pièce en cuir de qualité inférieure – aujourd’hui dégradée et montrant des signes de pourriture rougeâtre et poudreuse le long du dos et des ais. Les feuilles de garde en papier marbré et les tranchefiles fabriquées à la machine ne sont pas conformes aux reliures gothiques. Ces matériaux semblent avoir été intégrés au manuscrit au 19e siècle ou au début du 20e siècle. Par exemple, l’ondulation du papier marbré est tellement régulière que le papier a vraisemblablement été fabriqué à la machine plutôt qu’à la main. Il est donc probablement postérieur à la révolution industrielle. De même, les fibres du papier proviennent de pâte de bois – un produit qui n’a commencé à être utilisé qu’à compter des années 1840. À part des ajustements aux ais recto et verso du livre pour y ajouter les nouvelles pages de garde, le piquage quant à lui semble être intact et respecter la structure historique. On n’y voit aucun des raccourcis et mesures d’économie de temps que l’on voit dans les travaux de couture du 19e siècle. »
[Texte à l’écran : Feuillets, feuilles et cahiers]
Narrateur : « Le bloc de feuillets comprends jusqu’à 120 feuilles pliées en deux en folios et assemblées en 30 groupes imbriqués appelés cahiers, pour un total de 240 feuilles ou 480 pages dans l’antiphonaire. Tant la musique que la fixation modifiée des pages à la reliure révèlent que le premier folio du premier cahier a en fait été inversé dans la plus récente restauration de l’antiphonaire. Cela a eu pour effet de déplacer la première page originale, aujourd’hui sale et abîmée par l’usage, plus loin dans le volume et de placer sa feuille correspondante à sa place – une page décorée remarquable – afin qu’elle soit la première page que l’on voit en ouvrant le livre. »
[Texte à l’écran : Estampage au froid et conception]
Narrateur : « La couverture originale est un cuir de tannage végétal, teint en brun foncé. Elle est décorée de ce que l’on appelle une « dorure à froid » Des outils manuels en laiton chauffé ont été appliqués avec force au cuir afin d’y créer des marques en relief. »
[Texte à l’écran : Fabrication de vélin]
Narrateur : « Rick Cavasin, fabriquant de parchemin, a examiné l’antiphonaire avec les restauratrices, Sherry Guild et Christine McNair. Selon lui, le parchemin est bien écharné (le parchemin est fait de peau qui a été plongée dans un liquide, mise en chaux, et bien grattée pour en retirer la chair et les poils avant d’être séchée sous tension). À en juger par la dimension du cuir, Rick Cavasin croit que la peau provient probablement d’un jeune veau. À ce titre, on pourrait le désigner comme du vélin, terme utilisé pour décrire un parchemin fait de peau de veau. D’autres détails, comme des trous formés par des entailles accidentelles et des imperfections recousues, révèlent le processus de fabrication utilisé. On peut même observer des bordures naturelles et des marques de vertèbres caudales sur certaines des feuilles de parchemin. »
[Texte à l’écran : Média : encre et pigment. Encre de l’écriture : encre ferro-gallique]
Narrateur : « Les lettres et les notes de musique de l’antiphonaire ont été écrites avec de l’encre dite « ferro-gallique » que l’on obtient en mélangeant un sel de fer et une source de tanin – généralement des noix de galle du chêne. L’encre ferro-gallique, qui était le type d’encre d’écriture le plus courant à partir du 11e siècle jusqu’à l’arrivée des colorant d’aniline au 19e siècle, peut causer la dégradation du parchemin de deux façons : d’abord, parce qu’elle est très acide; ensuite parce que certaines préparations d’encre contiennent une quantité excessive d’ions de fer qui accélèrent l’oxydation. Heureusement, la concentration de fer excédentaire mesurée était faible, comme le démontre le bon état général de l’encre du manuscrit. »
[Texte à l’écran : Éléments peints du manuscrit]
Narrateur : « Les enluminures sont des décorations ajoutées au texte d’un manuscrit. Six pleines pages de miniatures ont été insérées un peu partout dans l’antiphonaire ainsi que 2 301 enluminures. Six de ces lettres représentent une image. On les appelle des initiales historiées. Vingt-cinq initiales de couleur verte, bleue et rouge-orange de grande dimension sont recouvertes de motifs foliés. On trouve 534 autres plus petites lettres écrites à l’encre, ornées de motifs foliés de couleur. Enfin, il y a plus de 1 700 lettres majuscules en rouge ou bleu uni. Chacun de ces éléments colorés, y compris les portées rouges de la notation musicale, sont tracées avec des peintures constituées de pigments agglutinés par des liants. »
[Texte à l’écran : Analyse des pigments]
Narrateur : « Elizabeth Moffatt et Marie-Claude Corbeil, scientifiques en conservation, ont prélevé, sur le manuscrit, de minuscules quantités de 38 peintures. À l’aide d’un certain nombre de techniques différentes, allant de la microscopie électronique à balayage à la diffraction des rayons X, elles ont analysé la composition élémentaire, la forme, la taille et la structure cristalline des échantillons dans le but d’identifier les pigments et les liants utilisés dans l’antiphonaire. »
[Texte à l’écran : Palette de couleurs médiévale]
Narrateur : « Les travaux ont révélé que les couleurs étaient surtout à base de minéraux. Les jaunes et les bruns ont été obtenus à partir de pigments d’oxyde de fer naturels tandis que divers jaunes pâles proviennent de jaune de plomb-étain (type I), un ancien pigment synthétique. Les verts se sont avérés être un sulfate de cuivre inusité appelé posnjakite. Le blanc est du blanc de plomb, tandis que le noir est du noir de charbon. Les bleus –dans les miniatures et dans les initiales – proviennent d’azurite, un minéral à base de cuivre. La plupart des rouges sont du vermillon. Pour certains rouge-orange, on a utilisé un minium. En plus des pigments minéraux, on a découvert plusieurs pigments organiques. Les pourpres et les roses contiennent des pigments regroupés sous le nom de laques rouges, des matières à base de teinture organique, qui sont précipitées sur des particules blanches inertes fabriquer les pigments. »
[Texte à l’écran : Touches décoratives d’or et d’argent]
Narrateur : « Le lustre du manuscrit est en partie dû aux métaux précieux qui ont été appliqués comme une peinture – après avoir été broyés et mélangés à un liant plutôt que d’être appliqués comme une dorure. On a trouvé de l’argent métallique et de l’or métallique. »
[Texte à l’écran : Liants des pigments]
Narrateur : « On a aussi déterminé le liant de 28 des échantillons de pigments : La majorité des échantillons, soit 19, contenaient un liant à base à base de gomme, typique de l’aquarelle et de la gouache. Cinq échantillons étaient des peintures à l’huile renfermant un liant d’huile siccative et quatre échantillons avaient un liant à base de protéine. Les échantillons avec des huiles siccatives renfermaient aussi des mélanges à base de blanc de plomb, bien que certains mélanges à base de blanc de plomb contenaient plutôt des liants à base de gomme. Le liant à base de protéine semble souvent associé aux grandes lettres à motifs foliés : le rouge-orange d’une lettre ou le rouge, l’orange et le pourpre du motif folié lui-même. »
[Texte à l’écran : Pigments problématiques : écaillage du blanc de plomb]
Narrateur : « On a remarqué plusieurs tendances dans des pigments posant problème : le blanc de plomb dans l’huile siccative, utilisé pour colorer nombre des habits des religieuses ou les teintes de chair des personnages, avait tendance à s’effriter et à se décoller du parchemin entraînant une perte de pigments par effritement. Sous une lumière transmise, la plupart des pertes apparaissent en blanc, tandis que les autres couches de peintures demeurent intactes. »
[Texte à l’écran : Pigments problématiques : pulvérulence de l’azurite]
Narrateur : « La concentration de liant dans l’azurite bleu utilisé pour les miniatures et dans nombre d’initiales avait tendance à être si faible qu’elle était parfois indétectable à l’analyse. Il en est résulté un pigment poudreux qui n’adhère pas très bien aux pages de parchemin. »
[Texte à l’écran : Microvieilissement à la lumière]
Narrateur : « La détermination des pigments permet aux restaurateurs de savoir de manière générale comment les éléments colorés du manuscrit vieilliront et changeront, et aussi d’établir le risque de décoloration pendant l’utilisation et l’exposition du manuscrit. On s’attendait à ce que les pigments inorganiques de l’antiphonaire soient généralement stables, mais les pigments roses et pourpres produits à partir de pigments laqués organiques étaient plus inquiétants. Une évaluation de la micro décoloration est utilisée pour repérer les colorants qui sont très sensibles à la lumière. On expose une section à peine perceptible des diverses couleurs à une source lumineuse à haute intensité, puis on repère et compare la décoloration à des normes connues. Puisque les dommages causés par la lumière sont cumulatifs et permanents, cette technique permet de prendre des décisions informées sur les niveaux d’éclairage et la durée des expositions. Les données concernant l’antiphonaire révèlent qu’aucune des couleurs soumises à l’évaluation n’était très sensible à la lumière. Mais comme cela n’exclut pas la possibilité d’une sensibilité moyenne, l’intensité lumineuse dans l’exposition demeure modérée. »
[Texte à l’écran : Éléments métalliques]
Narrateur : « Un livre de grandes dimensions et pesant près de 50 livres comme l’antiphonaire est fabriqué avec des garnitures métalliques qui ont un rôle décoratif aussi bien que fonctionnel. Les cornières métalliques protègent les ais, tandis que les cabochons, des saillies réparties sur la surface des ais, sert à protéger la couverture en cuir de l’abrasion durant l’entreposage ou l’utilisation. Il y a même des chevilles d’appui pour protéger les bords inférieurs des ais lorsque le livre est ouvert sur un lutrin. Pour maintenir le livre fermé, durant l’entreposage, des plaques du fermoir fixé côté gouttière à l’ais verso retenaient des lanières de cuir. Un œillet dans ces lanières venait s’attacher aux tenons sur l’ais recto. »
[Texte à l’écran : Analyse des fermoirs et des éléments métalliques]
Narrateur : « Ces diverses composantes métalliques ont été analysées par une scientifique en conservation, Dominique Duguay, par spectroscopie de fluorescence X – une technique non destructive servant à déterminer leur composition élémentaire. Les cornières, les cabochons, les tenons et les plaques de fermoir sont en laiton (un alliage de cuivre et de zinc), tandis que les chevilles d’appui sont principalement fabriquées en fer. Les cabochons sont fabriqués d’un laiton légèrement différent de celui du reste de la garniture. En effet il contient du cuivre mélangé à du zinc et du plomb en proportion égales. Ceci confirme les constats que diverses méthodes ont été utilisées pour fabriquer les pièces métalliques : les cornières, les tenons et les plaques de fermoir semblent avoir été fabriqués à la main, tandis que les cabochons semblent avoir été coulés dans des moules. »
[Texte à l’écran : Perte et remplacement?]
Narrateur : « Six des dix cabochons ont disparu – soit les cinq cabochons de l’ais verso et un de l’ais recto – laissant des trous là où il y aurait eu des chevilles pour les retenir à travers le cuir des ais de bois. Aussi, quand on les observe de près, on peut voir que deux des huit cornières sont des pièces dont la conception est fondamentalement différente : le coin est taillé à 45 degrés et le motif plumeté est aux extrémités, non à la bordure intérieure. Il se pourrait que ce soit des pièces de remplacement puisque le fini de surface aussi est différent. »
[Texte à l’écran : Sangles sur le dos]
Narrateur : « Chacune des deux lanières du dos du livre est faite de peau tannée à l’alun, fixée à l’aide de garnitures en laiton. Ces lanières sont un peu mystérieuses : elles pourraient avoir servi à fixer les ais, mais il n’est pas absolument certain que ce soit les lanières d’origine ou si elles ont été ajoutées plus tard. Les restaurateurs de livres penchaient pour l’hypothèse qu’elles ont été ajoutées plus tard, car elles ne sont pas caractéristiques d’autres reliures de ce style ou de cette période et qu’il n’y a pas d’exemples de cette structure dans les ouvrages sur la restauration ou les reliures. Quoi qu’il en soit, ces deux lanières ne sont plus utiles puisqu’elles sont déchirées près de leur point de fixation. »
[Texte à l’écran : Signets et inclusions. Signets.]
Narrateur : « Des rubans plutôt que des marques-pages étaient fixés au manuscrit original pour indiquer les pages pertinentes – on les voit qui dépassent de la tranche inférieure, près du dos du livre. Des onglets en vélin servaient aussi à marquer des emplacements importants dans le manuscrit, généralement près des miniatures. Maureen MacDonald, scientifique en conservation, s’est servie d’une microscopie à lumière polarisée pour déterminer la nature d’échantillons de fibre de l’antiphonaire. Les rubans originaux en soie rouge sont aujourd’hui usés. En vieillissant, la soie perd sa résistance mécanique. De nombreux rubans perdus ou manquants, ont été remplacés par des extensions en fibre de lin.
Les marqueurs de page ont été stabilisés par les restaurateurs de textile de l’Institut canadien de conservation, Renée Dancause et Gaelen Gordon. »
[Texte à l’écran : Résidus dans le fond de cahier]
Narrateur : « Des aiguilles de pin, des carcasses d’insectes, des restes de matières adhésives et des touffes de fibres ont souvent été trouvés dans la gouttière du manuscrit. Ils font maintenant partie du passé de l’antiphonaire et, comme tout élément de la reliure qui sera enlevé durant la restauration, ils seront conservés avec le manuscrit dans une pochette de rangement séparée pour qu’au moment d’examiner l’antiphonaire, les chercheurs disposent de tous les éléments de l’histoire.
Après avoir examiné les diverses composantes du manuscrit afin d’en déterminer la structure et la composition, les restaurateurs de livres et de papier peuvent ensuite proposer un traitement et exécuter le traitement de conservation. Les deux autres vidéos exploreront le traitement de conservation du bloc de feuillets et de la reliure de l’antiphonaire. »
[Texte à l’écran : Étape suivante : conservation.
L’antiphonaire de Salzinnes se trouve dans les collections spéciales de la Patrick Power Library de l’Université Saint Mary’s.
« Centuries of Silence: The Discovery of the Salzinnes Antiphonal » Organisée par Judith Dietz. Du 5 mai 2017 au 28 janvier 2018.
Art Gallery of Nova Scotia.
Droits musicaux :
Ave Maris Stella, de la page 135v de l’antiphonaire de Salzinnes
Fulcite Me, de la page 139r de l’antiphonaire de Salzinnes
Confessor Dei, de la page 197v de l’antiphonaire de Salzinnes
Ave Roche, de la page 197v de l’antiphonaire de Salzinnes
O Huberte, de la page 198r de l’antiphonaire de Salzinnes
Benedicta Sis, de la page 198r de l’antiphonaire de Salzinnes
Plebs Fidelis, de la page 198r de l’antiphonaire de Salzinnes
Interprété par l’ensemble de chant grégorien Psallentes de Louvain en Belgique
Fondé et dirigé par Hendrik Vanden Abeele
Transcription de Hendrik Vanden Abeele]
[Signature de l'Institut canadien de conservation]
[Mot-symbole Canada]
Cette vidéo a été créée par l'Institut canadien de conservation.