Institut sur la gouvernance : « Démocratie, responsabilisation et citoyenneté à l’ère numérique »
Discours
Remarques de l’honorable Karina Gould, ministre des Institutions démocratiques
Ottawa, le 9 mars 2017
L’allocution prononcée fait foi. Le présent discours a été traduit conformément à la politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé pour la publication et la distribution conformément à la politique en matière de communications.
Je vous remercie énormément de m’accueillir, je suis heureuse d’être ici.
J’aimerais remercier l’Institut sur la gouvernance de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui et d’avoir organisé la série de discussions sur la gouvernance numérique de 2016-2017. J’aurais aimé être en mesure de me joindre à vous pour toutes les activités au programme et j’espère que vous profiterez de toutes les séances qui sont prévues. J’espère surtout que vous aimerez ce que vos collègues et amis ont à vous dire, notamment Greg Fergus, député de Hull-Aylmer, et Seamus O’Regan, député de St. John’s South – Mount Pearl.
Seamus, Greg et moi avons un point de vue unique lorsqu’il est question de démocratie. Nous avons le grand honneur de représenter les Canadiens à la Chambre des communes. Pour nous et pour tous les anciens candidats ou représentants élus qui se trouvent dans cette salle, la démocratie a une signification très personnelle – qu’il s’agisse de demander aux autres de nous accorder leur soutien, leur vote ou leur confiance afin de les représenter. Il n’en reste pas moins que toutes les personnes présentes dans la salle aujourd’hui ont une histoire à raconter sur la façon dont elles participent à notre démocratie. Il peut s’agir de faire du porte à porte pour un candidat, de participer à un rassemblement, d’écrire à un représentant élu, ou de déposer son bulletin de vote le jour des élections, un geste tellement puissant.
Il s’agit d’un rituel et d’un rite de passage dans ce pays. Je suis certaine que plusieurs d’entre vous se rappellent être allés avec leurs parents à un bureau de vote ou à l’isoloir avec leurs propres enfants afin de déposer leur bulletin. Que ce soit au milieu d’une tempête hivernale ou d’une canicule, des générations de Canadiens ont suivi la même tradition. De bien des façons, le jour des élections est l’un des rituels civiques auxquels les Canadiens tiennent. C’est une journée où nous sommes tous unis, nous faisons la queue, nous suivons les mêmes règles et nous exerçons les mêmes libertés.
Les plus grands changements que nous avons affrontés au fil du temps n’étaient pas liés aux avancements technologiques mais aux barrières que nous avons dressées entre les Canadiens et le vote.
Les générations qui nous ont précédés ont durement travaillé et fait ce qu’il fallait pour élargir les horizons et accorder le droit de vote à des Canadiens et Canadiennes qui jusque-là ne l’avaient pas.
En tant que ministre des Institutions démocratiques, je poursuis actuellement cette initiative importante. Notre gouvernement a introduit le projet de loi C-33 en vue d’éliminer les éléments antidémocratiques de la prétendue « Loi sur l’intégrité des élections » adoptée par le gouvernement précédent. Si le projet est adopté, notre loi éliminera les obstacles au vote et renforcera l’intégrité de notre système de scrutin. Par exemple, nous rétablirons la capacité d’un votant de se porter garant pour un autre à un bureau de scrutin. De plus, nous rétablirons le mandat du directeur général des élections de mener de vastes campagnes de sensibilisation auprès du public.
Je pourrais mentionner d’autres aspects importants, mais ce que j’essaie de démontrer ici c’est que nous pouvons toujours en faire plus pour améliorer, renforcer et protéger notre démocratie. Nous pouvons établir une démocratie canadienne plus inclusive, mais ce ne sera pas possible si nous faisons preuve de complaisance, de suffisance ou de désinvolture.
Je crois que les personnes attirées par les événements démocratiques dans l’ère numérique font preuve de curiosité et non de complaisance. Elles effectuent des recherches, sans faire preuve de suffisance. Ce sont des personnes optimistes qui posent des questions et qui sont ouvertes aux nouvelles idées, tout en étant enracinées dans les questions pratiques et dévouées à renforcer, et non à faire reculer, les progrès ayant déjà été accomplis.
Je peux vous dire que je suis optimiste à l’égard de notre démocratie au Canada. Je crois que nous avons un grand potentiel et que l’ère numérique offre de grandes occasions aux Canadiens.
Sur le plan pratique, l’ère numérique actuelle facilitera beaucoup ce partage d’information, et notre culture numérique nourrit en partie ce désir d’information. Nous pouvons transmettre cette information sur le Web à la population canadienne en un clin d’œil. Cette ère numérique, qui offre aux Canadiens de si nombreuses possibilités de s’engager et d’apprendre, a conditionné les gens à rechercher ces possibilités. Il s’agit là, peut-être, d’un exemple très modeste de ce que voulait dire Marshall McLuhan quand il a affirmé que nous façonnons nos outils, et nos outils nous façonnent à leur tour.
Dans notre monde numérique, ces outils peuvent servir à rassembler les gens et à unir les Canadiens pour la tenue d’un débat démocratique. Cependant, entre des mains malveillantes, ils peuvent aussi nous diviser et nuire à la démocratie. Nous savons tous qu’il y en a qui cherche à miner ou à endommager la démocratie même. Je peux vous assurer que notre gouvernement est prêt à tout pour empêcher que cela ne se produise.
La sécurité et la protection des Canadiens est une des priorités de notre gouvernement et ceci doit comprendre la protection de notre système démocratique. Certes, les Canadiens votent aujourd’hui munis d’un crayon et d’un bout de papier, et les votes sont comptés à la main. Mais songez à l’importance du courrier électronique, des réseaux sociaux, des sites Internet sur lesquels nous comptons, et à l’information que nous sauvegardons en ligne.
Par exemple, si l’un des principaux partis politiques du Canada devait être piraté, les conséquences pourraient être graves. Un tel événement pourrait inciter certains Canadiens à remettre en question l’intégrité de nos élections. Les Canadiens méritent que nous soyons proactifs à cet égard et que nous tenions compte de ce qui peut être fait pour prévoir et prévenir les cybermenaces.
Nous demanderons au Centre de la sécurité des télécommunications d’analyser et de rendre publique l’évaluation des risques de piratage qui pèsent actuellement sur les partis politiques au Canada.
Le Centre de la sécurité des télécommunications est un chef de file mondial en matière de cybersécurité, et les hommes et les femmes du centre travaillent assidûment tous les jours pour protéger notre pays. Nous croyons que le CST peut partager son expertise pour aider les partis politiques à s’aider eux-mêmes.
En disposant des bons renseignements, les partis politiques peuvent prendre les décisions qu’ils jugent appropriées.
Le Centre de la sécurité des télécommunications communiquera avec les partis politiques afin de leur fournir les meilleures pratiques et les renseignements qu’ils pourront utiliser. Il s’agit d’un travail nouveau et important, mais dans le monde numérique dans lequel nous vivons, nous ne pouvons pas nous permettre de faire fi des risques. Notre gouvernement vous en dira davantage à ce sujet.
La démocratie à l’ère numérique expose les Canadiens à des menaces éventuelles mais aussi à de potentielles opportunités. Je suis de plus en plus convaincue que nous pouvons en faire plus que ce soit au sein du gouvernement, dans le secteur privé, en tant que société civile ou en tant qu’individu - pour examiner ensemble ces enjeux complexes. À l’ère numérique, je crois que nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour s’assurer que les électeurs, et tous les citoyens, aient les outils, la capacité et les occasions nécessaires pour participer à part entière dans la vie démocratique.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est maintenant plus facile que jamais de participer à la démocratie. En effet, les technologies numériques nous offrent encore plus de moyens de nous rapprocher et d’agir. Pourtant, comme nous le savons tous, ces mêmes outils technologiques peuvent être utilisés à des fins peu honorables. Il s’agit de l’une des grandes contradictions de l’ère numérique. Même si nous avons accès à plus d’information que jamais auparavant, certains d’entre nous sont peut-être moins informés, et moins disposés à participer. Comment changer cela? Comment mieux tirer parti des cadeaux que nous offre l’ère de l’information pour accomplir de bonnes choses?
Pour ma part, je crois que nous devons d’abord obtenir de l’information qui englobe différents opinions et points de vue et, parfois même, une perspective à laquelle nous ne sommes pas habitués. L’ère numérique a engendrée un flot d’information et elle a donné lieu à une variété d’outils de communication pour partager ces connaissances.
On dit que, de nos jours, « il est plus facile que jamais d’écouter seulement ce qu’on veut entendre ». Non seulement l’ère de l’information nous permet de n’obtenir plus d’information que jamais auparavant sur les sujets qui nous intéressent, mais aussi elle définit la façon de fonctionner de certains moteurs de recherche, et la façon dont les sites de médias sociaux choisissent les annonces en fonction de l’historique de navigation de l’utilisateur. Ce qui veut dire que le genre de renseignements auxquels nous sommes exposés sont la plupart du temps des renseignements que nous avons choisis nous-mêmes ou qui ont été sélectionnés pour nous.
Si on tient compte du fait que la force de la démocratie réside dans la diversité des personnes qui expriment ensemble des opinions, en débattent, en discutent et se penchent sur des enjeux importants, le fait de ne pas y être exposé ne fait que limiter notre vision du monde, voire la remettre en question; c’est ce qui tout compte fait risque de nuire à la démocratie.
L’évolution de l’environnement médiatique traditionnel constitue un autre défi à relever, car les opinions diverses qui y sont exprimées deviennent de plus en plus cloisonnées.
Le Forum des politiques publiques a tiré cette conclusion dans son rapport intitulé Le miroir éclaté : Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique, où l’on examine les changements et les bouleversements qui surviennent dans le domaine du journalisme et le monde des nouvelles au Canada. Il s’agit d’un enjeu complexe qui est actuellement abordé par le Comité du patrimoine de la Chambre des communes.
Revenons à la principale question. Comment pouvons-nous, en tant que citoyens, surmonter cette difficulté?
Je crois que c’est à nous tous qu’il revient individuellement de remettre en question nos propres opinions en prenant le temps de trouver différentes sources d’information. Il n’y a pas de limites à l’information que nous pouvons consulter grâce aux nouvelles technologies. Avec un peu d’effort, nous pouvons accéder aux médias de divers pays, aux blogues de groupes d’intérêt et à plusieurs autres sources d’information fiable et transparente.
Évidemment, nous entendons parler depuis quelques mois de « fausses nouvelles », un phénomène qui se propage rapidement dans la société. Personne ne semble être à l’abri.
Les fausses nouvelles ne représentent pas un nouveau phénomène, mais elles ont pris beaucoup d’ampleur avec l’avènement des médias sociaux et des plateformes numériques. Tim Cook, directeur général d’Apple, a confié au journal britannique The Daily Telegraph en que dans l’ère du « piège à clics », la multiplication des fausses nouvelles est attribuable à des personnes déterminées à capter l’attention des cybernautes à tout prix, la vérité étant souvent sacrifiée.
L’avènement des fausses nouvelles est symptomatique des défis qui se posent au journalisme traditionnel ici au Canada et partout à l’étranger. Les organisations médiatiques et les journalistes s’efforcent de réagir à ce qui semble être un virage de l’âge de l’information vers l’âge de la mésinformation.
Bien sûr, on sait depuis longtemps qu’une presse forte et libre, qui demande des comptes au gouvernement, est essentielle à une démocratie saine. Les journalistes exercent une fonction civique cruciale. Mais la capacité des journalistes à exercer cette fonction est compromise d’une part par le regroupement des médias et, d’autre part, par le fait que n’importe quelle personne possédant un téléphone intelligent et un compte dans un média social peut devenir un journaliste citoyen qui sera aussi populaire, sinon plus, que les journalistes des organisations médiatiques traditionnelles.
Personne ne devrait sous-estimer son propre pouvoir de citoyen. Comme jamais auparavant, l’information circule librement entre les personnes et les frontières. Comme le dit si bien le politicien français François Bayrou : « Le citoyen n’est pas un consommateur. C’est un producteur d’idées, de convictions, d’engagement et de solidarité ».
C’est cela qu’il faut retenir lorsqu’on pense aux répercussions des fausses nouvelles sur les échanges vitaux entre les citoyens qui sont à la base d’une saine démocratie. Cela témoigne de l’influence des médias numériques et de l’information en ligne sur la manière dont nous percevons la réalité politique. Ces récentes tendances démontrent à quel point il est important qu’en tant que citoyens, nous ne soyons pas seulement de simples consommateurs d’information, mais également des générateurs d’idées et que nous participions à la démocratie et aux institutions qui en découlent.
Des médias rigoureux, dynamiques et indépendants sont essentiels à une démocratie rigoureuse, dynamique et pluraliste. Mais pour y participer pleinement, les citoyens doivent posséder le bon vocabulaire ainsi que de bonnes connaissances sur la démocratie. La participation active des citoyens dans l’ère numérique d’aujourd’hui l’exige, et nous devons prendre les moyens nécessaires pour aider les Canadiens dans leur exploration de ce nouveau paysage. Qu’est-ce qu’un citoyen dans notre démocratie? En quoi un citoyen a-t-il l’obligation de se tenir informé? En quoi est-il responsable de sa capacité à demander des comptes au gouvernement?
Ma collègue, Mélanie Joly, ministre du Patrimoine canadien, a mené une consultation sur l’avenir des médias canadiens, y compris sur la relation qui existe entre ceux-ci et la démocratie. Nous devons nous remettre en cause individuellement et collectivement, nous interroger sur ces questions ainsi que sur nos institutions.
La démocratie consiste à s’éveiller à des idées parfois dérangeantes. Nous n’y arriverons pas en cliquant simplement sur un lien : cette façon de faire est trop passive et détachée. Mais qu’en est-il pour capter l’attention de nos citoyens, et comment la démocratie doit-elle s’adapter? C’est une évidence que le gouvernement est lent à agir, même si c’est souvent pour une bonne raison. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout est offert sur demande, et où les attentes des citoyens évoluent. Au sein de la ligue majeure de baseball, de nouvelles règles ont été adoptées afin d’accélérer le jeu et d’évoluer avec le temps. Que devraient faire nos gouvernements pour s’adapter à cette évolution et aux nouvelles attentes?
Compte tenu de l’accès à l’information au sein d’un gouvernement « ouvert par défaut », comment les citoyens peuvent-ils gérer les nombreuses données et les utiliser pour interagir de manière significative avec le gouvernement, les représentants élus et la société civile?
Je vais conclure avec cette réflexion sur la démocratie, la responsabilisation et la citoyenneté dans l’ère numérique de notre époque. Greg, Seamus, moi ainsi que les autres personnes présentes dans cette salle avons cogné aux portes pour demander aux personnes de voter pour nous. Les personnes âgées à Burlington étaient préoccupées par les soins de santé, les familles de classe moyenne avaient de la difficulté à joindre les deux bouts, et les propriétaires d’entreprise essayaient de gagner leur vie et de créer des débouchés. Nous savons ce que c’est que de regarder une personne dans les yeux et de lui demander à la fois de croire en nous et de voter pour nous. Je crois que dans l’ère numérique actuelle, ce geste simple, l’aspect humain essentiel de notre démocratie, ne changera pas. La responsabilité qui vient avec l’urne électorale ne changera pas. Le lien profond que nous ressentons à l’égard de notre droit de vote ne changera pas.
En étudiant les enjeux importants sur lesquels vous vous penchez, je vous encourage fortement à réfléchir aux avantages que les gens, les électeurs, les Canadiens, peuvent tirer des technologies numériques. Je crois que cette conversation est très utile et je suis impatiente de la poursuivre. Je vous souhaite une bonne journée et je vous remercie encore une fois de m’avoir accueillie.
Merci.