Cramponnée à un bateau de sauvetage, Margaret Brooke a tenté désespérément de sauver une autre infirmière militaire

Le 14 octobre 1942, Margaret Brooke, infirmière de la Marine royale canadienne, revenait d’un congé à bord du traversier SS Caribou quand celui-ci a été torpillé par un sous-marin allemand.

Quand nous avons été touchés par la torpille, j’ai été projetée de l’autre côté de la pièce et j'ai atterri sur Agnes.

« Quand nous avons été touchés par la torpille, j’ai été projetée de l’autre côté de la pièce et j’ai atterri sur Agnes », a écrit Margaret Brooke dans une lettre qu’elle avait envoyée à son frère Hewitt Brooke quelques jours après l’incident. Agnes Wilkie était une infirmière militaire.

La lettre se poursuit ainsi :

J’ai compris ce qui se passait, mais j’étais incapable de faire quoi que ce soit pendant une ou deux secondes. Elle s’est emparée de la lampe de poche d’un bond et est montée chercher nos ceintures de sécurité.

Brooke et Wilkie ont réussi à prendre leur manteau puis se sont dirigées vers le bateau de sauvetage qui se trouvait à tribord, tout en enfilant tant bien que mal leur manteau.

Une fois sur le pont, nous avons remarqué que le bateau de sauvetage avait été fracassé. Les gens criaient et hurlaient. Un marin essayait de mettre des radeaux à l’eau, mais à part cela, tout le monde était terrifié. La seule chose que nous pouvions faire, c’était de mettre nos ceintures de sauvetage.

Le traversier a coulé en cinq minutes. Il était 3 h 14 du matin.

Les deux femmes ne savaient pas qu’elles devaient sauter loin du navire. Elles se sont retrouvées dans l’eau avec le Caribou.

Je ne sais pas comment nous avons fait pour lui échapper. Nous sommes restées cramponnées l’une à l’autre pendant que nous étions dans l’eau, je ne sais comment. Quand, enfin, nous sommes remontées à la surface, nous avons saisi un morceau de l’épave et nous nous y sommes agrippées.

Quelques minutes plus tard, elles ont vu un morceau du bateau de sauvetage chaviré à la surface de l’eau et se sont cramponnées aux cordes avec d’autres personnes. Un soldat a aidé Brooke à monter à bord et, ensemble, ils ont sorti Wilkie de l’eau.

Au début, nous étions environ une dizaine à nous accrocher aux cordes, mais les vagues nous frappaient sans cesse faisant s’incliner le bateau.

Elles savaient que si le bateau basculait, il coulerait. Elles pouvaient entendre des gens appeler à l’aide, mais elles ne pouvaient pas lâcher le bateau de sauvetage. Il nous fallait simplement « tenir bon et écouter », a-t-elle écrit.

Nous avons essayé de guetter les vagues et de nous y préparer, mais celles-ci nous engloutissaient tellement vite et nous pouvions à peine respirer à cause du froid et de l’eau salée que nous avions avalée.

Rapidement, nous avons commencé à sentir les effets de l’hypothermie causée par le temps froid et l’eau glacée.

Wilkie a perdu connaissance et a lâché la corde.

Agnes a soudain lâché la corde pas plus de deux ou trois heures plus tard. J’ai réussi à l’attraper d’une main.

Mais Brooke l’a ramenée vers elle d’une main, tenant de l’autre une corde qui la rattachait au bateau.

Luttant pour sa propre survie dans l’eau glacée, Brooke a fait tout ce qui était humainement possible pour sauver la vie de Wilkie.

J’ai tout de même réussi à la tenir jusqu’à l’aube, quand une vague l’a rapidement emportée loin de moi. Elle ne s’est pas débattue parce qu’elle était inconsciente, et je savais qu’elle ne souffrait pas, mais cela a été terrible de s’agripper à ma corde et de la voir s’en aller.

Brooke ainsi que deux ou trois autres survivants seulement étaient toujours cramponnés au bateau de sauvetage quand le dragueur de mines, le NCSM Grandmere, les a sortis de l’eau une demi-heure plus tard.

Extrait du sommaire du plan d’action du NCSM Grandmere rédigé par un historien :

Le navire de guerre d’escorte, le NCSM Grandmere, a presque immédiatement aperçu le sous-marin allemand ayant mené l’attaque et a changé de cap pour le heurter. Le sous-marin a tout de suite effectué une plongée rapide, malgré les trois grenadages menés contre lui, et s’est échappé.

Le NCSM Grandmere escortait le traversier, mais il a laissé les survivants pour poursuivre le sous-marin allemand. Sur les 237 passagers, le Grandmere en a secouru 101.

Wilkie est devenue la première, et la seule, infirmière canadienne à périr aux mains de l’ennemi durant la guerre.

En janvier 1943, Brooke a été nommée membre (Division militaire) de l’Ordre de l’Empire britannique en reconnaissance « de la bravoure et du courage dont elle a fait preuve alors qu’elle se trouvait dans l’eau en tentant de sauver la vie d’une autre infirmière militaire ».

Plus tard, Brooke a révélé à ses amis qu’elle croyait qu’elle avait été sauvée grâce aux deux trèfles à quatre feuilles qu’un patient lui avait donnés. Elle les avait sur elle quand le Caribou avait été torpillé. Après que Brooke s’était rétablie, son frère lui a envoyé un médaillon en argent pour qu’elle y conserve les trèfles à quatre feuilles.

Des années plus tard, le frère en question, qui est un amateur de voile, a fait construire trois bateaux. À chaque fois qu’un de ces bateaux a été mis à l’eau, les trèfles à quatre feuilles étaient placés à bord. La famille n’a jamais cessé de croire à la chance que leur portaient ces trèfles en mer.

Après la guerre, Brooke a continué à servir dans la Marine, à titre de diététiste, et a gravi les échelons jusqu’au grade de capitaine de corvette avant de prendre sa retraite en 1962.

Avant son décès le 9 janvier 2016 à l’âge de 100 ans, Brooke a appris que la Marine royale canadienne donnerait son nom à son deuxième nouveau navire de patrouille extracôtier et de l’Arctique.

« Je ne peux pas croire que mes actions en tant que survivante du naufrage du SS Caribou avaient incité la Marine royale canadienne à venir frapper à ma porte, a confié Brooke. Ce fut pour moi un honneur d’apprendre que l’un des navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique allait porter mon nom et qu’on l’appellerait le Navire canadien de Sa Majesté Margaret Brooke. »

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