Les fondements du Service naval (1867-1914)
L’établissement de la Marine canadienne est remarquable à deux points de vue : son caractère tardif et ses maigres résultats. Le Canada, qui a pour devise « d’un océan à l’autre », a le plus long littoral au monde. Et pourtant, la Marine n’a été fondée que er le 4 mai 1910, près de 43 ans après la création de l’état canadien moderne, le juillet 1867. Malgré la tension croissante dans les relations internationales à cette époque, le nouveau service était si controversé qu’il faillit ne jamais voir le jour. Le Canada n’était donc pas du tout préparé lorsque la guerre éclata en Europe à l’été 1914.
-
Description de l'affiche
La première affiche de recrutement de la MRC
Service naval du Canada. La Marine canadienne a beaucoup à offrir aux hommes et aux jeunes hommes matelots et moussaillons.Seuls ceux qui sont forts, en santé et bien éduqués sont demandés et ils doivent être de bonne vie et moeurs. Moussaillons de classe matelot - Âge d'entrée, 15 – 17 ans. Deux ans de cours d'instruction à un établissement d'instruction navale. Soutiers – Âge d'entrée, 18 – 25 ans. Aucune expérience nécessaire. Métiers – Quelques postes d'artificiers pour la salle des machines, de menuisiers, de charpentiers, de forgerons, de plombiers, de peintres, de tonneliers, d'armuriers et d'électriciens. Il faut avoir moins de 28 ans à l'entrée. Carré des officiers – Les stewards et cuisiniers, de moins de 28 ans, doivent s'engager à servir pendant cinq ans. Pour obtenir des détails, se présenter en personne ou écrire à l'une des adresses suivantes : Ottawa, le Ministère du service naval. Halifax, N.-É., Victoria et Esquimalt, C.-B., Le commandant de l'établissement d'instruction navale. Le maître de poste, bureau de poste principal, à n'importe laquelle des villes mentionnées ci-dessous. Dieu protège le roi.
Ce paradoxe s’explique par le fait que le Canada s’est développé au sein de l’Empire britannique, qui a lui-même été créé et s’est développé grâce à la Royal Navy, la marine la plus puissante au monde de la fin du XVIIe siècle jusqu’au début des années 1940. La Grande- Bretagne put s’emparer des colonies d’Amérique du Nord de la France pendant la guerre de Sept Ans parce que la prédominance de la Royal Navy dans l’Atlantique avait permis à la Grande Bretagne de masser ses forces en vue d’attaquer les forteresses françaises de Louisbourg en 1758 et de Québec en 1759, tout en empêchant l’arrivée de renforts en Nouvelle-France. Quant aux colonies américaines de la Grande-Bretagne, elles ne purent obtenir leur indépendance en 1783 que parce qu’une alliance européenne, menée par la France, avait temporairement pris la haute main sur la RN. Et pourtant, la Royal Navy repoussa une invasion américaine du Canada en 1775-1776 et empêcha à plusieurs reprises, entre 1812 et 1814, les États-Unis de conquérir l’Amérique du Nord britannique. C’est la menace que représentait la Royal Navy pour le littoral américain, à partir de bases comme Halifax, les Bermudes et la Jamaïque, qui en fin de compte sauva le Canada de la destinée manifeste américaine pendant les crises des années 1830, 1840, 1850, et 1860.
Le Canada a été créé grâce à la puissance militaire de la Grande-Bretagne, qui a assuré sa défense sans rétribution financière. Il faut savoir que la grande cause de la révolte des colonies américaines en 1775 avait été la taxation des colons pour payer les coûts énormes de la conquête du Canada, effectuée par les troupes britanniques de 1754 à 1763 pour protéger les territoires américains contre les incursions des Français. Par la suite, la Grande- Bretagne n’essaya plus de récupérer ces dépenses auprès des colonies, particulièrement dans le cas du Canada dont la population de langue française percevait les militaires britanniques comme des occupants et non comme des protecteurs.
Il s’agissait là de forces terrestres et non de forces navales. Depuis l’invasion américaine de 1775, la frontière sud des colonies britanniques devait être protégée par des fortifications et des garnisons de soldats britanniques, professionnels mais coûteux. Ces fortifications et ces garnisons étaient nécessaires pour empêcher l’invasion des territoires pendant que la Royal Navy menait des offensives contre le commerce américain et les villes portuaires américaines. Dans les années 1840 et 1850, le gouvernement britannique calma les troubles politiques qui fomentaient dans ses colonies d’Amérique du Nord en leur accordant l’autodétermination pour les questions internes, mais il commença aussi à réduire considérablement l’effectif des garnisons, expliquant que l’autodétermination s’accompagnait d’une plus grande responsabilité d’autodéfense, ce qui aurait également pour effet de réduire les dépenses pour le trésor britannique. La guerre de Sécession américaine (1861–1865) menaçait les colonies, et l’armée britannique renforça massivement ses garnisons, mais le coût élevé de cette opération conduisit le gouvernement britannique à appuyer le projet de confédération des colonies et de création du dominion du Canada en 1867. La Grande-Bretagne retira toutes ses troupes de l’intérieur du nouveau pays en 1871 et la défense de la frontière revint à la Milice canadienne, force composée de quelque 40 000 volontaires à temps partiel, instruite par une toute petite « force permanente » de professionnels à plein temps — 1 000 hommes tout au plus — jusqu’au début du XXe siècle.
Mais la garantie ultime de la sécurité du Canada était encore la Royal Navy. Même les politiciens britanniques les plus parcimonieux devaient admettre que la protection du Canada découlait du besoin qu’avaient les Britanniques de contrôler l’Atlantique Nord, par où passait l’essentiel du commerce maritime vital pour la Grande-Bretagne. Celle-ci conserva ses arsenaux fortifiés d’Halifax et des Bermudes ainsi que des escadres permanentes dans l’ouest de l’Atlantique et dans l’est du Pacifique, notamment un nouvel arsenal à Esquimalt en Colombie-Britannique. Quelque 2 000 soldats britanniques restèrent en garnison à Halifax et aux Bermudes, et les troupes britanniques construisirent plus tard des défenses à Esquimalt. Les dirigeants politiques canadiens de la fin du XIXe siècle pensaient que la présence navale britannique dissuadait les États-Unis d’envahir le Canada et ils évitaient donc de prendre des initiatives en matière de défense navale de peur d’inciter la Grande-Bretagne à retirer une partie de ses forces.
La possibilité de création d’une marine canadienne distincte apparut à la fin des années 1880, à la suite d’un conflit avec les États-Unis. Afin d’empêcher les bateaux de pêche américains d’entrer illégalement dans les eaux territoriales canadiennes, soit les eaux situées à trois milles marins (environ 5 km) des côtes, le gouvernement mit en place un service de protection des pêches, composé de six à huit petits navires armés. Ces navires et leur équipage faisaient partie du ministère canadien de la Marine et des Pêches, qui s’occupait principalement des phares et autres aides à la navigation et de la réglementation de la navigation maritime civile. Les anciens officiers de la Royal Navy qu’avait embauchés le gouvernement du Canada pour ce service et les représentants britanniques au Canada virent la possibilité de transformer cette force de protection des pêches en une force navale, mais l’Amirauté n’était pas intéressée. La technologie avait évolué et, vers la fin des années 1880, la Royal Navy disposait de grands navires de guerre en acier, rapides et à très grande autonomie, qu’elle pouvait, aussi facilement qu’au temps de la marine à voile, contrôler centralement depuis Londres et envoyer intercepter pratiquement n’importe quelle force ennemie. En 1887, les colonies australiennes et la Nouvelle-Zélande commencèrent à verser chaque année des sommes à l’Amirauté pour financer l’affectation de croiseurs de la Royal Navy dans leurs eaux.
Vers la fin des années 1890, l’idée que l’Empire devrait devenir une alliance militaire plus homogène afin de répondre à la concurrence croissante des grandes puissances fit rapidement des adeptes en Grande-Bretagne et dans les colonies autonomes. Lorsqu’en 1899, la Grande-Bretagne entra en guerre avec les Boers en Afrique du Sud, le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier, le premier premier ministre canadien français, se trouva pris entre les demandes de participation des Canadiens anglais et la forte résistance des Canadiens français. Le compromis adopté par Laurier, n’envoyer que des contingents de jeunes gens qui s’étaient portés volontaires, ne fit rien pour apaiser la querelle entre les deux camps. Le brillant député libéral et journaliste Henri Bourassa démissionna pour marquer son opposition à la coopération avec la Grande-Bretagne. Il se méfiait tout particulièrement des initiatives navales, car l’Amirauté avait pour doctrine de contrôler depuis Londres les défenses navales de l’Empire. Cependant, même Bourassa reconnaissait qu’il fallait protéger la pêche.
Laurier s’efforça de faire la quadrature du cercle politique en qualifiant les réformes militaires de mesures de défense nationale qui rehausseraient le profil du Canada, mais qui contribueraient aussi à la force de l’Empire en dégageant les forces armées britanniques débordées de leurs engagements en Amérique du Nord. Il était prêt à mettre sur pied le Service de protection des pêches et, en 1903–1904, le gouvernement fit l’acquisition du navire du gouvernement du Canada (NGC) Canada, un vapeur de 910 tonneaux construit aux spécifications navales. Les autres initiatives navales furent cependant mises de côté en décembre 1904 lorsque la Grande-Bretagne, désireuse de concentrer ses forces armées plus près de son territoire en raison de la montée de la menace de guerre en Europe, ferma les arsenaux d’Halifax et d’Esquimalt et annonça le retrait des escadres de la Royal Navy qui opéraient sur la côte Atlantique et la côte Pacifique de l’Amérique du Nord. Il fallait toutefois garder des défenses à Halifax et à Esquimalt, qui resteraient des bases pour la flotte britannique, et Laurier saisit l’occasion de proposer une mesure nationaliste qui fut chaudement reçue par tous les Canadiens, anglais et français; il offrit de prendre la pleine responsabilité des garnisons permanentes et des fortifications d’Halifax et d’Esquimalt. Cette offre, acceptée avec reconnaissance par la Grande-Bretagne, fit tripler l’effectif de la force terrestre permanente et fut la raison principale du doublement du budget annuel de la milice terrestre, qui passa à quelque 6 millions de dollars par an.
Laurier maintenait que le service de protection des pêches était le « noyau » de la Marine, mais il ne put aller plus loin. C’est un scandale qui fit évoluer les choses. Au début de 1908, une commission royale découvrit que le ministère de la Marine et des Pêches était totalement inefficace. Laurier et le ministre, Louis-Philippe Brodeur, un avocat qui avait fait carrière parmi les nationalistes politiques québécois et qui avait donc de la crédibilité dans cette province, procédèrent immédiatement à un grand nettoyage. Georges Desbarats, un ingénieur du Ministère qui était réputé pour ses talents d’administrateur, devint sous-ministre. Laurier avait déjà rencontré Charles E. Kingsmill, un Canadien qui était entré dans la RN en 1869 à l’âge de 14 ans et qui avait atteint le grade de capitaine de vaisseau, et il avait été impressionné par ses compétences. Kingsmill accepta de prendre la direction du Service maritime du gouvernement. Promu au grade de contre-amiral à son départ de la RN, il avait des qualifications très différentes de celles de ses prédécesseurs, qui avaient pour la plupart quitté la Royal Navy très tôt dans leur carrière d’officier.
Les Conservateurs, dirigés par Robert Borden depuis 1900, n’avaient pas plus envie que les Libéraux de s’attaquer au problème épineux de la Marine. Ils se contentaient de rappeler périodiquement au gouvernement de s’occuper du développement naval du Service de protection des pêches. En janvier 1909, sir George Foster, un des collègues de Borden et ancien ministre de la Marine et des Pêches dans le gouvernement MacDonald, mit à l’ordre du jour de la prochaine session du Parlement la résolution suivante : « le Canada doit assumer sans plus tarder la part de responsabilité et du fardeau financier qui lui revient pour protéger convenablement son littoral exposé et ses grands ports de mer ». Cette résolution s’inspirait d’une initiative australienne visant à mettre fin aux subventions annuelles versées à la Royal Navy et à mettre en place une marine australienne. L’Amirauté, qui tenait à ce que la Grande-Bretagne continue à contrôler les navires de haute mer, consentit à ce que tous les services coloniaux acquièrent les nouveaux torpilleurs côtiers, destroyers et sous-marins, qui avaient été mis au point depuis la fin des années 1880. En effet, ces torpilleurs permettraient de sécuriser les ports pour les déploiements stratégiques de la flotte britannique.
Avant que la résolution Foster ne soit discutée en Chambre, la question navale prit un nouveau tournant en raison d’événements outre-mer. Le 16 mars, le premier lord de l’Amirauté dans le gouvernement libéral britannique, Reginald McKenna, demanda une rallonge budgétaire pour la construction de cuirassés, en se fondant sur l’accélération du programme de construction navale de l’Allemagne. En 1905–1906, la Royal Navy avait pris de l’avance en construisant le HMS Dreadnought, premier grand cuirassé moderne (16 270 tonnes), armé d’une batterie de gros canons de calibre uniforme — 10 canons de 12 pouces — au lieu des canons lourds et des canons légers qui étaient installés sur les cuirassés de 9 100 tonnes. Et maintenant, on apprenait que l’Allemagne serait peut-être en mesure d’avoir autant de « dreadnought » que la Grande-Bretagne dès 1912.
La nouvelle que la suprématie maritime de la Grande-Bretagne était gravement menacée par une seule puissance fit l’effet d’une « bombe » selon un commentateur canadien de l’époque. La Nouvelle-Zélande offrit rapidement de faire un paiement unique au gouvernement britannique afin de lui permettre de construire un ou même deux cuirassés. De nombreux Canadiens anglais, chez les Libéraux comme chez les Conservateurs, souhaitaient que le Canada en fasse autant, causant à Borden et à Laurier le même dilemme, puisque tous deux avaient des partisans canadiens français qui s’opposaient à toute forme d’initiative navale. Pour résoudre ce problème, les partis trouvèrent un compromis en une seule journée de débats de la résolution Foster, le 29 mars 1909. Dans une nouvelle résolution appuyée par les deux partis, Laurier promit d’organiser « rapidement », conjointement avec l’Amirauté, une force de défense côtière, sur le modèle de l’Australie (qui, il l’avait toujours soutenu, était bâtie sur le modèle de la défense côtière du Canada par des forces sous contrôle canadien). La proposition de Laurier excluait tout versement d’argent au gouvernement britannique, mais le texte fut révisé à l’insistance de Borden, et la version finale ne rejetait que des contributions régulières et n’excluait donc pas un paiement «d’urgence » à l’avenir.
Quelques semaines plus tard, pour respecter la résolution conjointe de collaboration avec les autorités britanniques, Laurier annonça au Parlement en avril que Brodeur et le ministre responsable de la milice, Sir Frederick Borden (cousin du chef conservateur) se rendraient bientôt à l’Amirauté pour discuter du développement de la force navale canadienne. L’Amiral Kingsmill rédigea un document de travail dans lequel il proposait l’acquisition, pour commencer, de trois petits croiseurs (3 400 tonnes), de deux grands destroyers de haute mer et de six petits destroyers ou grands torpilleurs.
Le gouvernement britannique, surpris de l’intérêt et du désir d’agir des dominions, s’empressa d’en tirer parti et convoqua une conférence impériale de défense qui se réunit à Londres au mois d’août. L’Amirauté comprit enfin que son seul espoir d’engagement substantiel à long terme de la part des dominions — et donc d’allégement des dépenses de défense britanniques — était d’encourager les dominions à créer leurs propres forces armées comme ils le souhaitaient. Les possibilités d’action étaient particulièrement intéressantes dans les dominions du Pacifique, qui avaient été privés de cuirassés par la concentration de la flotte britannique dans les eaux européennes depuis 1904. Ainsi, au lieu d’organiser seulement les éléments de soutien d’une organisation navale, comme dans les modèles canadien et australien de défense côtière, l’Amirauté présenta un nouveau projet de collaboration impériale à grande échelle. Les dominions obtiendraient chacun un groupe naval de haute mer, composé d’un seul croiseur cuirassé (navire moins blindé qu’un cuirassé, mais plus rapide et avec les mêmes canons de gros calibre), trois grands croiseurs de classe Bristol de 4 370 tonnes, six destroyers et trois sous-marins. La somme versée par la Nouvelle-Zélande servirait à construire un troisième croiseur cuirassé qui serait stationné en Extrême-Orient. Le groupe naval canadien serait basé sur la côte du Pacifique, prêt à se joindre aux navires australiens et néo-zélandais en cas d’urgence.
Laurier fut atterré par cette proposition en raison de l’opposition prévue du Québec à ce plan « impérial ». Brodeur et Sir Frederick Borden précisèrent bien qu’aucune mesure ne serait prise sans résolution du Parlement canadien. Outre l’opposition du Québec, il fallait composer avec une autre réalité politique : l’essentiel de la population (et des électeurs) se trouvaient dans l’Est du pays et toute proposition devrait donc donner la même importance à la côte Est qu’à la côte Ouest, ne serait-ce que parce que la plus grande partie de la population de gens de mer et de recrues possibles se trouvait sur l’Atlantique. Quant au croiseur cuirassé, il était inacceptable, expliqua Borden, parce que : « le Canada ne fait que commencer à se construire une marine; il faut donc procéder graduellement, en commençant par des navires plus petits. »1
Brodeur demanda donc à l’Amirauté de proposer deux projets : un de 400 000 £ (approximativement 2 millions $) et l’autre de 600 000 £ (approximativement 3 millions $). Le chiffre important était 600 000 £, puisqu’il dénotait la volonté de consensus politique de Laurier. Robert Borden avait indiqué qu’il faudrait à la force navale environ la moitié des dépenses de la milice terrestre, soit environ 6 millions $ par an à l’époque. La demande du plan de 400 000 £ indiquait donc que le Canada était déterminé à ne pas se laisser pousser à acquérir un groupe naval complet.
Il faut souligner que l’Amirauté répondit de façon raisonnable à ces deux projets. Le projet de 600 000 £, donna lieu à un rapide accord mutuel. Il proposait six destroyers de haute mer, un navire chef de file (un petit croiseur qui pourrait faire office de navire de commandement pour la force des destroyers) et quatre croiseurs de classe Bristol améliorée. Tous les destroyers et deux des Bristol seraient stationnés sur la côte de l’Atlantique, et les deux autres Bristol sur la côte du Pacifique. L’Amirauté se rangea aussi au vif désir des Canadiens que les navires soient construits au Canada. Les Libéraux et les Conservateurs avaient tous largement exposé, dans le débat du 29 mars 1909, l’avantage que cela représenterait pour l’industrie canadienne. On prévoyait six ans pour la construction des destroyers et des croiseurs au Canada, et l’Amirauté convint d’aider les Canadiens à bâtir cette force en appuyant le plan proposé par Kingsmill au mois d’avril. Kingsmill, qui accompagnait Brodeur et Borden, avait demandé au départ deux croiseurs Apollo de 3 100 tonnes et deux destroyers : un croiseur pour la côte du Pacifique et l’autre, qui recevrait le plus grand nombre de recrues, pour la côte de l’Atlantique. En novembre 1909, le gouvernement du Canada acheta un croiseur Apollo, le HMS Rainbow, pour la côte Ouest. L’Amirauté offrit un deuxième Apollo, mais il n’y avait pas de destroyers disponibles, et Kingsmill fit le nécessaire pour acheter, en janvier 1910, un croiseur de la classe Diadem, beaucoup plus grand, le HMS Niobe, pour instruire les recrues de la côte Est. Le Niobe avait un déplacement de 10 000 tonnes et un équipage de 705 personnes par comparaison à 273 sur les Apollo. Le Niobe était aussi plus moderne car il était sorti du chantier en 1899, alors que le Rainbow datait de 1893. Pour trouver l’argent nécessaire à l’achat du Niobe, 215 000 £, il avait fallu renoncer à acquérir le navire chef de file prévu.
Le 12 janvier 1910, Laurier présenta le projet de loi du service naval à la Chambre des communes. Ce projet fut voté par la majorité libérale et reçut la sanction royale le 4 mai 1910, créant le nouveau Service naval du Canada et le ministère du Service naval pour l’administrer. Fidèle à ses origines bien canadiennes, le nouvel organisme fut formé à partir du ministère de la Marine et des Pêches. Aucun nouveau ministre ne fut nommé; Brodeur resta à la tête de la Marine et des Pêches et prit aussi celle du nouveau ministère. Les politiciens canadiens répondaient depuis longtemps, quand on les accusait d’inaction dans le domaine de la défense navale, que le ministère de la Marine et des Pêches s’était chargé de fonctions importantes qui, en Grande-Bretagne, revenaient à la Marine. Après le passage de la Loi du service naval, les composantes navales du ministère de la Marine et des Pêches — le Service de protection des pêches, le Service hydrographique, le Service des relevés de marée et de courants et le Réseau de radiotélégraphie sans fil des stations de radio côtière pour les communications mer-terre — furent transférées au nouveau ministère. Desbarats devint sous-ministre, et l’Amiral Kingsmill devint directeur du Service naval, c’est-à-dire chef professionnel du Ministère. Le contrôle national était garanti par la clause que le service naval canadien ne pouvait, ni dans son entier ni en partie, être transféré à la Royal Navy sous commandement britannique qu’avec l’approbation explicite du gouvernement du Canada, qui devait lui-même demander immédiatement l’approbation du Parlement.
Ce qui est remarquable chez Laurier, c’est le consensus politique qu’il s’efforça de bâtir, la façon dont il construisit sa politique navale sur les mêmes principes que sa réforme dramatique de la milice et la vitesse et la confiance avec lesquelles il agit, conséquence directe du succès politique de ses réformes de la milice.
L’Amirauté, en accord avec Kingsmill, fit le nécessaire pour prêter au Canada une cinquantaine d’officiers et plus de 500 marins engagés, pour une période de deux à cinq ans, afin d’armer les croiseurs et d’instruire les recrues canadiennes. La Marine canadienne fut symboliquement inaugurée le 21 octobre 1910, le jour de l’arrivée à Halifax du Niobe, escorté par le navire de protection des pêches Canada, que le gouvernement Laurier avait adopté comme « noyau » de la Marine canadienne. Le Rainbow arriva à Esquimalt le 7 novembre 1910. Parti d’Angleterre près de 12 semaines plus tôt, il avait fait un périple de quelque 15 000 milles marins (28 000 km) qui lui avait fait contourner l’Amérique du Sud et traverser le détroit de Magellan.
Les premiers membres de la Marine canadienne affectés sur les nouveaux navires furent six élèves officiers du NGC Canada qui embarquèrent sur le Niobe le lendemain de son arrivée à Halifax. Deux de ces élèves officiers avaient commencé leur instruction sur le Canada en 1908 et les quatre autres en 1909, dans le cadre des mesures d’amélioration du Service de protection des pêches prises par l’Amiral Kingsmill. Un des deux cadets qui avaient embarqué en 1908 était Percy W. Nelles, le fils d’un officier des Royal Canadian Dragoons, le régiment de cavalerie de la petite armée régulière du Canada. Percy, comme il l’a déclaré à un journaliste bien plus tard dans sa carrière, avait grandi à Brantford, Ontario, et était fasciné par la navigation sur la rivière Grand. Lorsqu’il avait 16 ans, son père lui demanda un jour ce qu’il voulait faire plus tard, et il le surprit en lui annonçant qu’il voulait entrer dans la Marine. Nelles deviendrait chef d’état-major de la Marine en 1933 et c’est à ce titre qu’il dirigea l’énorme expansion de la MRC pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Parmi les élèves officiers qui avaient commencé en 1909 se trouvait le propre fils de Brodeur, Victor Gabriel. Celui-ci raconta plus tard qu’au début d’octobre 1909, alors qu’il était chez lui, au lit, en train de se remettre d’une appendicite, son père :
… entra dans [sa] chambre et [lui] dit « Victor, est-ce que tu voudrais entrer dans la marine? » J’avais déjà navigué plusieurs fois dans le golfe du Saint-Laurent et j’aimais beaucoup la mer. Alors, j’ai saisi l’occasion parce qu’il aurait fallu que je rentre au collège [Mont-Saint-Louis] faire un discours, et s’il y a une chose que je déteste, c’est bien de donner un cours ou de faire un discours. Alors, il me dit « D’accord … le mois prochain, je t’emmènerai à Halifax ». Et voilà, c’est ce qui s’est passé.2
Victor-Gabriel Brodeur, qui devint contre-amiral pendant la Deuxième Guerre mondiale, au cours de laquelle il commanda la Marine sur la côte Ouest et fut pendant plusieurs années le représentant naval du Canada à Washington, avait été surnommé « the gift » par certains.
Ce début prometteur ne dura pas très longtemps. Ce que Louis-Philippe Brodeur avait bien compris est que l’élément essentiel de la création d’une marine vraiment canadienne n’était pas des navires ou des arsenaux, ni même des canons ou du matériel radio dernier cri, mais des marins professionnels canadiens. Malgré les offres de la marine britannique de former les élèves officiers canadiens dans les collèges de la Royal Navy, le Canada voulait son propre collège naval, et cela était prévu dans la Loi du service naval. Cela n’était d’ailleurs pas sans précédent puisque les forces terrestres avaient le Collège militaire royal, qui avait été établi à Kingston en 1876. Le Collège naval royal du Canada ouvrit ses portes dans l’ancien hôpital naval de l’arsenal d’Halifax, avec un cadre d’officiers et d’instructeurs prêtés par l’Amirauté. La première promotion (21 élèves officiers) y entra en janvier 1911. Il fallait maintenant armer en équipage les deux croiseurs, et une campagne nationale de recrutement commença, à grand renfort d’affiches et d’annonces dans les journaux, en février 1911. Les maîtres de poste avaient le pouvoir d’admettre les recrues, et les médecins locaux commencèrent à faire des examens médicaux.
Brodeur souhaitait que le Niobe parte pour un long voyage d’instruction aux Antilles dans les premiers mois de 1911, mais ce souhait resta un souhait car les autorités britanniques déclarèrent que les dominions n’avaient aucun pouvoir au-delà de leurs eaux territoriales, soit trois milles marins. Furieux, Brodeur s’en plaignit au gouverneur général, Lord Grey, qui compatit mais ne put rien faire.
Je ne vois pas pourquoi ils ne font pas confiance au Canada … Est-ce qu’ils ont peur d’actes illégaux? … Nous avons depuis des années un Service de protection des pêches qui entre constamment en contact avec des navires étrangers … mais nous n’avons jamais rien fait pour mettre les autorités impériales en grave difficulté.3
Un compromis acceptable fut atteint à la conférence impériale de mai et juin 1911. Le gouvernement britannique désigna comme « station navale canadienne » des secteurs de l’Atlantique Nord-Ouest et de l’est du Pacifique où les navires de guerre canadiens pouvaient opérer sans consulter l’Amirauté. Laurier et Brodeur étaient ravis, car cela voulait dire que les Britanniques convenaient que la Marine canadienne était avant tout une force régionale chargée de protéger les eaux qui entouraient le Canada. En août 1911, le Service naval du Canada reçut un nouveau nom. En effet, le roi avait approuvé le nom « Marine royale du Canada » et il avait aussi sanctionné l’appellation « Navire canadien de Sa Majesté » pour les nouveaux croiseurs du dominion.
Le Niobe n’alla pas bien loin. La nuit du 31 juillet 1911, à son retour de Yarmouth (Nouvelle-Écosse), il s’échoua sur les rochers du cap Sable. S’il ne coula pas, c’est grâce au sang-froid de l’équipage de la RN et des jeunes recrues canadiennes qui se trouvaient à bord. Il fut dégagé et remorqué jusqu’à Halifax, mais les réparations durèrent jusqu’en décembre 1912, et la nouvelle Marine était alors aussi désemparée que le Niobe sur les rochers du cap Sable.
La politique navale de Laurier, bien qu’elle ait été élaborée pour trouver un consensus politique, eut des résultats désastreux. Les difficultés avaient commencé à l’automne 1909, en réponse à la position du gouvernement Laurier à la conférence de Londres. Les dirigeants conservateurs canadiens anglais trouvaient inadmissible que Laurier ait refusé d’acheter un croiseur cuirassé, que l’Amirauté jugeait absolument urgent. Pendant ce temps, F. D. Monk, le chef des Conservateurs canadiens français dénonçait les résultats de la conférence pour des raisons contraires. Il accusait Laurier « d’ivresse impériale » pour s’être laissé embarquer par l’Amirauté dans un projet qui dépassait la mission de défense côtière et de protection des pêches que prévoyait la résolution du Parlement.
Depuis le début du débat sur le Service naval à la Chambre des communes en 1910, le chef conservateur Robert Borden s’était efforcé d’unifier son parti divisé en passant à l’attaque. Borden demanda alors une contribution d’urgence en argent à l’Amirauté. Dans un geste qui plut à la fois aux adeptes de l’Empire et aux Canadiens français du parti, il rejeta catégoriquement la Loi du service naval de Laurier. Il dénonça tout particulièrement la clause nationaliste prévoyant que les navires de guerre canadiens ne pourraient être transférés sous contrôle britannique qu’avec l’accord du gouvernement du Canada et il brossa un tableau humiliant de navires britanniques attaqués pendant que les navires canadiens attendaient les ordres d’Ottawa pour passer à l’action. Ce projet de loi, déclara-t-il, n’était rien d’autre qu’une déclaration de séparation de l’Empire de la part du Canada.
Le danger que représentait cette controverse politique pour le gouvernement apparut clairement le 3 novembre 1910. Dans une élection partielle, l’ancienne circonscription électorale de Laurier, Drummond-Arthabaska, qui avait longtemps été un fief libéral, passa aux mains d’un nationaliste peu connu qui se présentait comme un adversaire de la politique navale impériale de Laurier. Celui-ci perdait son emprise sur le Québec. Dans les mois qui suivirent, le gouvernement cessa pratiquement de s’occuper de la Marine. Il ne plaça même pas les contrats de construction de navires de guerre moderne, qui pourtant avaient passé le stade de l’appel d’offres. D’autres événements avaient supplanté la Marine. Le gouvernement Laurier avait réussi à négocier un accord réciproque de libre-échange avec les États-Unis, et le premier ministre déclencha une élection sur la question. Les Conservateurs de Robert Borden gagnèrent cette élection, qui eut lieu le 21 septembre 1911, en créant dans le pays la peur de la domination économique des États-Unis.
Lorsque le nouveau Parlement se réunit en mars 1912, Robert Borden avait réévalué la situation et décidé que la contribution d’urgence n’était pas si urgente que ça. Il révoqua la très impopulaire loi de Laurier, et ramena les prévisions de la Marine de 3 millions à 1,6 million de dollars. C’était toutefois, comme le note Desbarats dans son journal, du « sur place ». Borden attendait que le gouvernement soit en mesure de coopérer avec l’Amirauté mieux que ne l’avait fait Laurier avec son Service naval canadien.
Le jour-même où Borden promettait prudence et respect de la loi à Ottawa, le premier lord de l’Amirauté, Winston Churchill, annonça à la Chambre des communes britannique l’expansion inquiétante de l’Allemagne en construction de cuirassés. La Grande-Bretagne allait donc devoir faire des efforts extraordinaires pour maintenir son avance sur l’Allemagne. Lorsque Borden se rendit à Londres en juillet 1912 pour consulter Churchill sur la « politique permanente », Churchill lui demanda d’honorer sa promesse de contribution d’urgence. Borden accepta de verser 35 millions de dollars à la Grande-Bretagne pour construire trois « super dreadnoughts » modernes et, en décembre 1912, il présenta le projet de loi à l’aide navale. Les Libéraux s’y opposèrent furieusement, et le gouvernement dut clore les débats pour la première fois dans l’histoire canadienne. La majorité conservatrice aux Communes passa le projet de loi le 15 mai 1913, mais les Libéraux avaient la majorité au Sénat, dont les membres ne sont pas élus, et deux semaines plus tard, le projet de loi fut rejeté.
Les dirigeants des deux partis s’efforcèrent de trouver un compromis et continuèrent à le faire pendant les premiers mois de 1914. Les politiciens canadiens anglais étaient généralement d’avis que le Canada devait construire sa propre marine et envisageaient diverses mesures, notamment de consacrer une partie des fonds de l’aide navale au développement du service canadien et à l’affectation de militaires canadiens sur les cuirassés achetés pour la Grande-Bretagne dans l’intention de prendre un jour possession de ces navires. Toutes ces propositions échouèrent à cause de la Loi du service naval, sur laquelle aucun des partis ne voulait bouger. Laurier avait engagé l’unité de son parti sur cette loi, et Borden avait engagé l’unité de son parti sur la promesse de la révoquer. Cette intransigeance n’était pas simplement politique; elle traduisait deux visions diamétralement opposées du Canada et de son avenir. Laurier avait à cœur l’autonomie du pays et sa liberté d’action; pour lui, le Canada participerait ou non aux guerres de la Grande-Bretagne selon les circonstances. En revanche, Borden voulait que le Canada prenne un rôle plus important dans l’empire. En échange de la mise automatique à la disposition de l’Amirauté des forces navales canadiennes et d’autres formes d’assistance comme des contributions en espèces, le gouvernement britannique devrait permettre au Canada, par l’intermédiaire d’un haut représentant, de participer à la prise de décisions du gouvernement britannique. Autrement dit, le Canada était peut-être tenu de participer aux guerres de la Grande-Bretagne, mais il devrait aussi participer à la décision de faire la guerre.
Le fiasco du projet de loi sur l’aide navale jeta la Marine dans l’oubli. Le nouveau gouvernement n’autorisa aucun effort spécial de recrutement, ne poursuivit aucun des nombreux déserteurs et ne remplaça aucun des marins de la Royal Navy qui, à la fin de leur engagement de deux ans, repartirent. L’effectif de la Marine royale du Canada passa de 700 personnes (le personnel britannique prêté et les recrues canadiennes) au printemps de 1911 à 330 au printemps de 1914. Les élèves officiers de la première promotion du Collège naval terminèrent leurs études en décembre 1912 et firent honneur au nouveau service en réussissant tous les examens fixés par l’Amirauté avec une moyenne « supérieure à la normale ». Sans équipage, les croiseurs canadiens ne pouvaient pas naviguer et ne pouvaient donc pas donner la formation pratique qui est le complément de la formation théorique au Collège. La Royal Navy offrit de prendre les élèves officiers sur le croiseur HMS Berwick. Les élèves officiers qui étaient entrées en 1908 et 1909 et qui avaient embarqué sur le Niobe à son arrivée étaient allés en Angleterre pour poursuivre leur instruction sur le HMS Dreadnought, premier bâtiment de la nouvelle classe de cuirassés. Malgré cela, le nombre d’élèves officiers désireux d’entrer au Collège diminuait et il n’y avait que quatre élèves à la rentrée de 1914.
Alors, pourquoi garder ces deux croiseurs? C’est la question que posa le gouvernement à l’Amiral Kingsmill en octobre 1912. Même si le gouvernement décidait de ne pas acquérir des navires de guerre moderne, répondit-il, on aurait toujours besoin de personnel qualifié, ne serait-ce que pour la défense côtière, le fonctionnement des installations de communication côtière, l’arraisonnement des navires (petits navires qui arrêtaient les navires marchands à l’entrée de ports défendus, comme Halifax, pour s’assurer que ce n’était pas des navires ennemis) et pour faire fonctionner des navires armés civils pour le dragage de mines, les patrouilles côtières, etc. Les croiseurs, même s’ils restaient à quai, faisaient de bonnes installations d’instruction en temps de paix et, s’ils étaient bien entretenus, pourraient prendre la mer afin de protéger les navires marchands qui entraient dans les eaux canadiennes ou en sortaient.
En fait, une des grandes activités de la Marine entre 1912 et 1914 fut de contribuer à la préparation de la défense côtière. Les navires et les équipages du service de protection des pêches, la chaîne de stations radio sans fil côtières et les ressources d’autres ministères, comme par exemple les agents des douanes, leur étaient essentiels. En 1912, le NGC Canada et d’autres navires de protection des pêches commencèrent à mener des opérations de dragage de mines et d’arraisonnement à Halifax, en même temps que les exercices de mobilisation de la milice dans les forts, opérations qui ne seraient plus de simples exercices en août 1914.
Le Capitaine de frégate Walter Hose, le commandant du Rainbow, était un des officiers de la Royal Navy détaché au Canada qui, malgré l’avenir sombre de la MRC, décida d’y rester et joua un rôle crucial dans sa survie. Il se souvient de cette période de l’histoire de la Marine canadienne comme d’une « période de famine crève-cœur ».
Le directeur du Service naval se rendit à Esquimalt au printemps 1912 … Il semblait très déprimé et craignait beaucoup que le nouveau gouvernement ne donne suite à l’intention de révoquer la Loi du service naval, exprimée par M. Borden en période pré-électorale.
… Je lui dit que ce que j’avais lu me portait à croire qu’il serait difficile d’obtenir le soutien de la population pour une marine dans ce vaste pays. Je lui suggérai de s’inspirer de la Milice et de créer une marine populaire — une marine de réservistes volontaires, qui aurait des unités dans tout le pays. Sa réponse fut : « mon cher Hose, vous ne comprenez pas; c’est impossible. »4
Hose fit cependant tout son possible pour encourager un groupe de jeunes gens qui voulaient établir une unité navale de volontaires à Victoria. Leur effort bien organisé parvint à convaincre sir Richard McBride, le premier ministre conservateur de la Colombie-Britannique, et à faire des adeptes pour une force de volontaires dans d’autres villes notamment à Vancouver, où une unité était en train de se former, et à Toronto. Ce lobbying convainquit Borden, qui passa outre les protestations des membres canadiens français de son gouvernement et évita le piège politique que représentait la mise en œuvre de loi de Laurier; il créa la Réserve navale royale des volontaires du Canada (RNRVC) par un décret distinct en mai 1914, même si elle prévoyait la même chose, pour trois ans de service, que la force des volontaires de la Loi du service naval.
Les volontaires entrèrent en service actif pratiquement dès leur reconnaissance officielle. Au début de 1914, le gouvernement Borden accepta que le Canada fasse respecter l’interdiction de la chasse aux phoques dans la mer de Behring qui résultait d’un accord entre la Grande-Bretagne et les États-Unis et dans lequel le Canada était fortement concerné. Le Rainbow était le seul navire canadien ou britannique disponible sur la côte Ouest et son équipage fut complété par un détachement de la Royal Navy, un autre du Niobe et par des volontaires de Victoria et de Vancouver. Le Rainbow n’arriva jamais dans la mer de Behring. Le 20 juillet, Hose reçut l’ordre d’Ottawa de se rendre à Vancouver, où le navire japonais Komagata Maru était immobilisé depuis deux mois. À son bord se trouvaient 400 Indiens Sikh qui, à titre de sujets britanniques, demandaient à entrer au Canada comme immigrants et refusaient d’être rejetés par les lois canadiennes. La police, qui avait essayé de monter à bord, avait dû se retirer sous une pluie de morceaux de charbon lancés par les passagers. Toutefois, lorsqu’ils virent le croiseur, les Indiens acceptèrent de partir, et le Rainbow les escorta au-delà des eaux canadiennes.
Le croiseur retourna à Esquimalt pour terminer les préparatifs de sa mission dans la mer de Behring, mais moins d’une semaine plus tard, le 29 juillet 1914, la Grande-Bretagne avertit le Canada par télégramme qu’elle craignait une guerre avec l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois. Les préparatifs frénétiques qui suivirent en réponse à des rumeurs, presque toutes fausses, que des croiseurs allemands se dirigeaient vers les deux côtes canadiennes faisaient penser à une comédie « tarte à la crème ». Cette activité courageuse aurait même pu être tragique. Le 2 août, le Rainbow partit, à la demande de l’Amirauté, protéger le HMS Shearwater, qui remontait vers le nord depuis les eaux mexicaines où un navire de guerre allemand mieux armé et plus rapide était censé se trouver. S’il avait rencontré ce navire allemand, le Rainbow n’aurait eu aucune chance de s’en tirer.
Ce qu’il faut retenir c’est que la Marine canadienne fut rapidement capable de prendre des mesures pour protéger ses côtes, particulièrement les bases d’Halifax et d’Esquimalt dont les navires britanniques et alliés avaient besoin pour protéger les navires marchands en mer. Le Rainbow sur la côte Ouest et, après seulement quelques semaines de recrutement, le Niobe sur la côte Est furent en mesure de jouer leur rôle dans la défense de la navigation commerciale. C’était toute une réalisation pour ce nouveau service qui avait en quelque sorte été abandonné par le gouvernement dans les mois suivant sa création.
Author: Roger Sarty
1 Notes of the Proceedings of Conference at the Admiralty on Monday, 9 August 1909, Between Representatives of the Admiralty and of the Dominion of Canada (Laurier Papers, BAC).
2 Transcription d’une interview du Contre-amiral V-G Brodeur (DHP).
3 Brodeur à Lord Grey, 16 mars 1911 (Brodeur Papers, BAC).
4 Contre-amiral Walter Hose, The EarlyYears of the Royal Canadian Navy, 19 février 1960 (DHP).
Détails de la page
- Date de modification :