La Marine royale du Canada et la Première Guerre Mondiale

Lorsque le gouvernement du Canada apprit, par l’intermédiaire du haut-commissaire en Grande-Bretagne, que le gouvernement britannique jugeait la Marine royale du Canada « inutile » à l’effort de guerre de l’Empire, la Première Guerre mondiale faisait déjà rage depuis deux mois. Aussi décevante qu’ait pu être cette réponse pour les officiers du Quartier général du Service naval (QGSN) à Ottawa, elle traduisait la politique navale — ou le manque de politique navale — du gouvernement Borden d’avant-guerre. Le télégramme de Perley indiquait clairement qu’un bon nombre des décisions de base qui seraient prises au sujet de la défense navale du Canada pendant la guerre seraient prises par l’Amirauté et non par Ottawa. Pendant la guerre, les conseils donnés par Londres en matière de forces navales étaient souvent décousus et l’aide promise se matérialisait rarement. Malgré cela, le gouvernement Borden n’osa jamais aller à l’encontre de la politique de Londres, ni mettre en place un plan proposé par les professionnels, mieux informés, du QGSN. Comme le souhaitait Londres, le Canada recruta le Corps expéditionnaire canadien, composé de quatre divisions, et l’envoya sur les champs de bataille de France et de Belgique; ce corps expéditionnaire se fit une réputation bien méritée de formation choc de l’Empire britannique, mais le gouvernement Borden ne se décida jamais à donner à la Marine canadienne les ressources dont elle avait besoin pour s’acquitter de ses obligations de temps de guerre. Par conséquent, il revint à ce qui restait du Service naval de Laurier la tâche de protéger les intérêts maritimes du Canada avec une collection hétéroclite de navires civils réquisitionnés, de chalutiers et de harenguiers construits pendant la guerre et, vers la fin de la guerre, une poignée de bateaux à moteur et d’hydravions armés en équipage par des Américains.

Toile montrant un navire qui vogue sur une mer agitée, un ciel bleu nuageux en arrière-plan.

Peter Rindlisbacher, HMCS Niobe at Daybreak (le NCSM Niobe gagnant la mer à l’aube).

Voyant que la Grande-Bretagne allait déclarer la guerre à l’Allemagne, ce qu’elle fit le 4 août 1914, la Marine royale du Canada avait fait entrer son plus grand navire de guerre, le croiseur Niobe, en cale sèche à Halifax afin de l’équiper pour combattre; il n’en sortit qu’au début de septembre et dut alors partir faire des essais en mer. Pendant ce temps, l’autre Navire canadien de Sa Majesté, le Rainbow, qui était basé à Esquimalt sur la côte du Pacifique, avait déjà pris la mer. En effet, conformément à la Loi du service naval, les deux croiseurs, malgré leur vétusté, avaient été mis à la disposition de l’Amirauté britannique, pour être utilisés par la RN, lorsque la guerre fut déclarée. Les seules fonctions qui restaient à la Marine étaient donc des fonctions de surveillance dans les ports du pays, car les équipages civils des navires du gouvernement faisaient l’essentiel du travail. À Halifax, par exemple, la Marine du temps de guerre avait les fonctions suivantes : bloquer l’entrée du port par le passage de l’Est derrière l’île MacNab, placer les filets anti-sous-marins, préparer le dragage de mines et la pose de bouées dans le chenal pour la guerre, mettre en place un service d’arraisonnement, contrôler la station de radio sans fil de Camperdown, transporter le personnel préposé à la censure et les détachements de la Milice dans les autres stations radio de la côte et contrôler le trafic dans le port. Le 12 août, le capitaine du port informa le directeur Service naval, le Contre-amiral Charles E. Kingsmill, que : « tous les travaux du plan de défense révisé ont été faits, sauf le balisage du chenal pour la guerre »; quant à la préparation du Niobe à prendre la mer, elle était jugée « satisfaisante ».1

Le plus grand navire de guerre de la MRC étant immobilisé en cale sèche à Halifax, la première croisière opérationnelle de la guerre eut lieu sur la côte Ouest. Le commandant du Rainbow, le Capitaine de frégate Walter Hose, avaient reçu l’ordre le 1er août de préparer son croiseur à entrer en service actif parce que l’escadre de Chine de l’Amiral Maximilian von Spee, qui comprenait les croiseurs lourds Scharnhorst et Gneisenau, avait quitté l’Extrême- Orient en direction du Pacifique Est. Effectivement, l’Amirauté signala le 2 août que le croiseur allemand Leipzig avait quitté le port mexicain de Mazatlan le matin du 30 juillet, et le Rainbow reçut l’ordre de partir immédiatement vers le sud afin de protéger les routes commerciales situées au nord de l’équateur. Malgré les craintes que lui inspiraient les obus désuets que transportait le Rainbow pour ses deux canons de six pouces et le grand nombre de réservistes (de la Réserve navale royale des volontaires du Canada) qui se trouvaient à bord, Hose choisit sa route le 5 août après avoir reçu d’Ottawa la directive de protéger les bâtiments britanniques Algerine et Shearwater qui étaient partis de San Diego (Californie).

Le croiseur canadien arriva à San Francisco le matin du 7 août avec l’intention de prendre du charbon. Mais les autorités américaines firent respecter à la lettre la proclamation de neutralité du président américain Woodrow Wilson; le Rainbow ne put donc embarquer qu’une cinquantaine de tonnes. Son rayon d’action ainsi diminuée, le Capitaine de frégate Hose décida de patrouiller au large de San Francisco.

Il me semblait qu’il était de mon devoir, puisque nous étions apparemment très près de l’ennemi, d’essayer d’entrer en contact avec lui sans tarder. Je suis donc parti à minuit et j’ai fait route, dans la brume, jusqu’à un point situé à la limite des trois milles, à 15 milles au sud de San Francisco et de là, j’ai fait route vers le sud tout l’avant-midi, car le temps était successivement clair et brumeux...2

Deux navires voguent sur l’eau par une journée nuageuse.

Le Rainbow rentre à Esquimalt avec la goélette allemande capturée Leonor, mai 1916.

Le Rainbow continua donc ses patrouilles au large du port californien sans jamais voir l’ennemi et, le matin du 10 septembre, dut repartir pour Esquimalt en raison du manque de charbon. Ce fut un heureux hasard car le Leipzig — dont les 10 canons de 4,1 pouces avaient une bien plus grande portée que les canons de six pouces désuets du Rainbow — arriva près de San Francisco le 11 août et resta dans les eaux du Nord de la Californie jusqu’à son départ vers le sud le 18. Le croiseur canadien ne vit jamais l’ennemi allemand de plus près

Pendant ce temps, la peur des raids ennemis sur la côte relativement peu défendue de la Colombie-Britannique conduisit le gouvernement de cette province à acheter clandestinement deux sous-marins dans un chantier naval de Seattle (Washington). Mis en service sous le nom de CC1 et CC2, ces deux bateaux étaient armés en équipage par des réservistes canadiens et une poignée de professionnels expérimentés. Cependant, le temps que ces sous-marins deviennent opérationnels, la menace allemande sur la côte Ouest s’était pratiquement dissipée. L’Amiral von Spee avait concentré ses deux croiseurs lourds et ses trois croiseurs légers à l’ouest de l’Amérique du Sud et vainquit facilement l’escadre britannique — deux croiseurs cuirassés vétustes, un croiseur léger et un croiseur marchand armé — du Contre- amiral Sir Christopher Craddock qui avait été envoyée pour l’attaquer. La bataille de Coronel, livrée le soir du 1er novembre 1914 au large des côtes du Chili, se termina par la destruction de deux croiseurs lourds britanniques. Dans l’histoire canadienne, on se souvient de cette bataille navale parce que les quatre aspirants de marine canadiens qui venaient d’embarquer sur le navire-amiral de Craddock, et qui périrent avec le reste de l’équipage britannique, furent les premières victimes de guerre de la MRC. Cette escadre allemande victorieuse fut par la suite interceptée et coulée par une puissante force britannique, qui comprenait les croiseurs cuirassés Invincible et Inflexible, au large des îles Malouines le 8 décembre. Après cette victoire britannique dans l’Atlantique sud, le seul danger pour la côte Ouest venait des navires marchands allemands dans les ports neutres, s’ils étaient équipés pour le raid. Or, malgré son âge, le Rainbow était tout de même plus rapide que la grande majorité des navires de commerce et suffisamment armé pour les mettre à la raison s’il le fallait.

Navire à quai entouré de militaires et de leur équipement.

Le Niobe en cale sèche à Halifax, août 1914, équipé pour la guerre.

Sur la côte atlantique, la MRC craignait surtout une attaque par les navires marchands allemands qui se trouvaient dans les ports de la côte Est américaine. Comme on l’a vu plus tôt, le Niobe était en train d’être équipé pour prendre la mer lorsque la guerre fut déclarée le 4 août. Ce croiseur désuet devait rejoindre l’escadre de l’Amérique du Nord et des Antilles de la RN et surveiller les routes commerciales de l’Atlantique Nord occidental, particulièrement celles qui menaient à New York, puisque plusieurs paquebots allemands qui avaient été équipés en croiseur auxiliaire risquaient de les emprunter. Dès sa sortie de la cale sèche, le Niobe était prêt à faire sa croisière d’endurance; il ne restait plus qu’à l’armer en équipage. Or, l’Algerine et le Shearwater avaient été désarmés à Esquimalt et leur équipage se trouvait libre. Le commandant de l’Algerine, le Capitaine Robert Corbett, prit le commandement du Niobe, sur lequel furent transférés 16 officiers et 194 matelots de la RN.Vingt-huit officiers et 360 matelots de la MRC et de la Réserve navale royale des volontaires du Canada se joignirent à eux. Pour compléter l’équipage, le gouvernement de Terre-Neuve affecta un officier et 106 matelots de la division de Terre-Neuve de la Réserve navale royale sur le navire. Le Niobe prit rapidement sa place parmi les croiseurs britanniques qui patrouillaient à tour de rôle la côte américaine, et il s’acquitta de sa mission d’octobre 1914 à juillet 1915. Son second, le Capitaine de frégate C. E. Aglionby, de la MRC, relata en 1944 que le Niobe faisait partie de « l’escadre britannique qui bloquait le port de New York, où se trouvaient trente-huit navires allemands, dont quelques paquebots rapides, capables de détruire les navires de commerce s’ils parvenaient à s’échapper ».

Nous arraisonnions et fouillions tous les navires qui quittaient le port et, dans les premiers temps, nous avons pris de nombreux réservistes allemands qui essayaient de rentrer en Allemagne sur des navires neutres… Nous étions obligés de laisser passer beaucoup de choses qui, nous le savions, seraient utilisées en Allemagne contre nos hommes. Je me souviens particulièrement d’un grand voilier qui faisait route vers Hambourg. Il transportait du coton, mais comme ce n’était pas de la contrebande, nous avons dû le laisser partir. C’était un travail très monotone, surtout au bout de quelques semaines, car nous devions parcourir le secteur, en zigzaguant sans cesse, à cause de la possibilité d’attaques par des sous-marins. Au bout de quelques semaines, nous avons dû nous éloigner de la côte, car des sympathisants allemands s’étaient plaints à la presse que nous étions à la porte de l’oncle Sam et que nous empêchions les gens d’entrer et de sortir. Les marins américains étaient aimables à notre endroit et quand leurs navires passaient près de nous, ils nous saluaient et jouaient des airs anglais...3

Portraits de quatre hommes, un croquis du NSM Good Hope en arrière-plan.

Les premiers marins canadiens victimes de la guerre : les quatre aspirants de marine embarqués sur le HMS Good Hope qui périrent avec le bâtiment à la bataille de Coronel, le 1er novembre 1914.

En septembre 1915, il était évident que le croiseur se détériorait; il fut donc retiré des opérations, mais il fut remis en service comme bâtiment-base à Halifax, où il passa le reste de la guerre. Il servit aussi de bâtiment-base aux navires affectés à des missions de patrouille et de bureau aux officiers d’état-major du Service naval canadien employés à Halifax. Les nouvelles fonctions du Niobe traduisaient l’évolution de la guerre de course de l’Allemagne. En effet, celle-ci avait adopté un nouveau mode d’attaque des navires marchands : les sous- marins. Après l’annihilation de l’escadre du Pacifique de von Spee aux îles Malouines et le manque de résultats des attaquants de surface pendant les premiers mois de la guerre, l’Admiralstab allemand lança une lutte sous-marine sans restriction contre le commerce maritime le 1er février 1915.

Malgré le petit nombre de sous-marins qui pouvaient opérer en même temps dans les eaux britanniques — en moyenne quatre au début de 1915, dont deux seulement étaient susceptibles d’être sur place à l’ouest des îles Britanniques — les résultats obtenus par les sous-mariniers allemands compensèrent largement leur petit nombre. Pendant les sept premiers mois de la campagne, les sous-marins coulèrent 470 navires, soit 787 000 tonnes, dont le grand paquebot britannique Lusitania le 7 mai 1915. Face aux succès des sous-marins dans les eaux britanniques, les services de renseignement de l’Amirauté mirent en garde le Quartier général du Service naval contre des agents allemands situés aux États-Unis qui essaieraient d’établir des bases d’approvisionnement pour les sous-marins sur les côtes isolées de Terre-Neuve et du Canada. À la fin juin, le chef d’état-major de la Marine, le Capitaine de frégate R. M. Stephens, proposa d’envoyer dix patrouilleurs surveiller les eaux du golfe du Saint-Laurent et la côte de la Nouvelle-Écosse entre Halifax, le cap Race et le détroit de Belle-Isle. Les cinq patrouilleurs auxiliaires disponibles — les NCSM Canada, Margaret, Sable I, Premier et Tuna — étaient représentatifs des navires de guerre que la MRC allait employer pendant la guerre. Deux étaient des patrouilleurs de pêche qui avaient au moins été construits selon les spécifications navales, mais le Premier et le Sable I étaient des navires civils affrétés par la Marine. En revanche, le Tuna était un yacht à turbine américain, qui avait été acheté par un riche playboy montréalais, J. K. L. Ross, et offert à la MRC. Ross acheta plus tard un autre yacht à turbine, plus grand, aux États-Unis, qui fut mis en service sous le nom de Navire canadien de Sa Majesté Grilse. Il était armé de deux canons de 12 livres et d’un tube lance torpilles, et le QGSN vit tout de suite les possibilités que ce bâti- ment représentait. La MRC l’employa donc comme unité offensive principale près des routes de navigation du Golfe. Deux autres grands yachts américains, équipés de machines alternatives, furent achetés et mis en service à la mi-août sous le nom de NCSM Stadacona et NCSM Hochelaga.

De nombreux bateaux patrouilleurs quittent le port.

À la fin de 1917, des chalutiers et des harenguiers construits à cet effet au Canada étaient prêts à se joindre aux patrouilles de la côte Est.

Kingsmill, chargé de mettre en place la force de patrouille du Golfe, décida judicieusement d’en faire un commandement séparé de celui d’Halifax. Craignant que les Britanniques n’essaient de prendre le contrôle des opérations dans le Golfe sans se soucier des besoins et des priorités du Canada, le directeur du Service naval voulait que la patrouille reste exclusivement sous le contrôle du QGSN et il en donna le commandement à un officier basé à Sydney, qui relevait directement d’Ottawa. Le travail de la flottille du golfe commença à la mi-juillet avec le Margaret et le Sable chargés de surveiller le détroit de Cabot et les bateaux à moteur civils affrétés par la Marine pour patrouiller la côte. Le commandement de la patrouille fut confié au Capitaine de vaisseau F. F. C. Pasco, un officier qui avait servi dans la RN en Australie. Ayant été rejeté par l’armée australienne à cause de son âge, Pasco accepta allègrement de commander la patrouille du golfe et il arriva à Sydney le 5 septembre 1915. Selon un jeune officier de la MRC qui servait sous ses ordres, Pasco était : « un vieux grincheux, qui aimait prendre les gens en faute… Pour nous cela voulait dire qu’il n’y avait que le service qui comptait et qu’il fallait respecter à la lettre la soi-disant bible navale, les Ordonnances et règlements royaux ».4

La petite force qui attendait Pasco à Sydney n’inspirait guère confiance. Les bateaux civils que la MRC avait chargé de surveiller les nombreuses baies et les nombreux passages de la côte du golfe du Saint-Laurent permettaient au moins d’assurer une présence dans le secteur et de vérifier les nombreuses rumeurs et fausses alertes données par des civils inquiets qui croyaient avoir aperçu l’ennemi. Les équipages étaient largement composés de membres de la Réserve navale royale des volontaires du Canada, mais des officiers et des officiers mariniers de la RN et de la Réserve de la RN donnaient à la flottille une certaine expérience navale et encadraient les recrues. Même si c’était une force de fortune, cette patrouille ne put obtenir de meilleurs navires de guerre pendant toute la guerre, malgré les efforts du QGSN.

Les sous-marins allemands n’avaient pas encore traversé l’Atlantique en 1915, mais l’augmentation du volume des approvisionnements de guerre canadiens qui étaient transportés en Europe laissait supposer que ce n’était qu’une question de temps. Par conséquent, au début de mars 1916, le QGSN demanda à l’Amirauté quelles mesures elle recommanderait pour les patrouilles navales de 1916 et aussi quelles formes d’assistance elle pourrait offrir. En réponse à ces questions, Londres ne recommanda aucune nouvelle mesure par rapport à 1915 et laissa entendre qu’il ne fallait attendre aucune aide. Comprenant que « si la Grande-Bretagne n’était pas en mesure de fournir des navires à présent, elle ne serait probablement jamais en mesure de le faire ».5, Kingsmill suggéra de bâtir des destroyers pour la MRC au chantier Canadian Vickers de Montréal. À Ottawa, les politiciens et les bureaucrates savaient que le chantier montréalais avait assemblé des sous- marins de classe H pour le gouvernement britannique en 1915 et qu’il était en train de construire des vedettes pour la Royal Navy. Il faudrait donc passer le contrat au printemps 1916 pour que Vickers puisse construire les destroyers pour l’automne 1917.

La proposition de destroyers canadiens reçut un accueil favorable, mais lorsqu’elle arriva sur le bureau du chef d’état-major de la Royal Navy, celui-ci suggéra que la capacité de construction navale canadienne serait peut-être mieux employée à la construction de navires marchands, opinion partagée par le ministre, sir Arthur Balfour. Or, sans l’approbation de l’Amirauté, le projet de Kingsmill n’avait aucune chance de voir le jour. Élu avec une politique navale qui prévoyait le rem- placement de la Marine proposée par Laurier par un soutien financier à la Royal Navy, le gouvernement Borden aurait eu besoin d’une directive claire de Londres pour donner suite à sa proposition de construire des navires de guerre de bonne taille. Et pourtant, les destroyers proposés auraient donné à la MRC une force navale efficace pour lutter contre les sous- marins allemands qui se rassemblèrent dans les eaux canadiennes pendant l’été 1918.

Pendant que la Marine s’employait à assembler sa force de patrouille de fortune pour protéger les routes de navigation de la côte Est, elle continuait à maintenir une présence navale dans le Pacifique, où le Rainbow, malgré sa désuétude, effectuait des patrouilles de reconnaissance contre la navigation allemande le long des côtes du Mexique et de l’Amérique centrale. Le croiseur canadien, encore commandé par Walter Hose, avait été choisi pour cette opération parce qu‘il n’y avait pas d’autres navires britanniques pour le faire. Il passa donc le printemps 1916 à patrouiller la côte ouest du Mexique et de l’Amérique centrale et captura deux goélettes appartenant à l’Allemagne. Il arraisonna l’Oregon, alors sous pavillon américain, et s’en empara le 23 avril et il captura le Leonor le 2 mai. Le Rainbow rentra à Esquimalt avec ses prises le matin du 21.

Même si l’effort de guerre canadien se concentrait sur le Corps expéditionnaire, il y avait beaucoup de jeunes Canadiens qui préféraient servir dans la Marine que dans l’Armée. Au début de la guerre, le QGSN avait fait le nécessaire pour le transport de tous les officiers et de tous les hommes de la Royal Navy Reserve résidant au Canada qui désiraient retourner en Grande-Bretagne, et il avait aussi aidé l’Amirauté à enrôler des hommes directement dans la RN. Pendant toute l’année 1915, la MRC fut occupée à maintenir les équipages de ses deux croiseurs, puis à organiser et à armer en équipage une flotte de patrouille dans le golfe du Saint-Laurent; ce n’est donc qu’au début de 1916 que la question d’envoyer des marins outre-mer fut de nouveau soulevée. Intéressée, l’Amirauté accepta en février 1916 la proposition du ministre d’enrôler des Canadiens dans la patrouille auxiliaire de la Marine royale, au taux de solde britannique. Les recruteurs britanniques s’aperçurent rapidement que les Canadiens n’avaient aucun intérêt à entrer dans la RN, qui payait ses matelots 40 cents par jour, alors que la MRC payait 70 cents et le Corps expéditionnaire 1,10 $ pour les mêmes qualifications. Ottawa offrit alors de recruter une division d’outre-mer de la Réserve navale royale des volontaires du Canada et de mettre les marins à la disposition de la RN. Cependant, en raison de l’expansion de la force de patrouille dans les deux dernières années de la guerre, un grand nombre de ces recrues restèrent au Canada. Par conséquent, bien qu’Ottawa ait eu au départ l’intention d’envoyer jusqu’à 5 000 Canadiens membres de la division d’outre-mer dans la RN, seulement quelque 1 700 d’entre eux traversèrent l’Atlantique et la majorité, 6 300 marins volontaires, restèrent dans les eaux canadiennes pendant la guerre.

Aperçu des dégâts causés sur terre par l’explosion Halifax

L’explosion d’Halifax du 6 décembre 1917 dévasta le port, mais, incroyablement, le Niobe échappa à la destruction et on le voit ici, sur la droite, surmonté d’un panache de fumée.

Le QGSN souhaitait aider la RN en Europe, mais la menace d’une attaque sous-marine   en Amérique du Nord se matérialisa par l’arrivée soudaine d’un cargo sous-marin allemand nom armé, le U-Deutschland, sur la côte des États-Unis en juillet 1916. La menace devint donc bien réelle pour les autorités navales britanniques et canadiennes, et le danger augmenta encore lorsque le sous-marin de combat U-53 apparut près du bateau-phare de Nantucket, le 8 octobre, et coula quatre navires marchands, soit 15 355 tonnes, et le paquebot Stephano, immatriculé en Grande-Bretagne, qui faisait route d’Halifax à New York avec 146 passagers à son bord. Dans les deux cas, les Allemands respectèrent les principes de la guerre : ils arrêtèrent le navire, examinèrent ses papiers et donnèrent le temps à l’équipage et aux passagers d’embarquer dans les canots de sauvetage avant de couler le navire à l’aide de leurs canons, de charges de sabordage ou de torpilles. Les destroyers américains qui se trouvaient sur place ne purent rien faire d’autre que de repêcher les survivants, et pendant ce temps, le U-53 avait le champ libre pour procéder à ses attaques et repartir pour l’Allemagne tard dans la nuit.

La vulnérabilité des routes de navigation nord-américaines devint particulièrement évidente trois semaines plus tard lorsque le U-Deutschland entreprit un autre voyage commercial. La troisième traversée de l’Atlantique par un sous-marin allemand finit par convaincre l’Amirauté qu’il était nécessaire de revoir ses conseils au sujet de la défense fournie par la MRC. Le 11 novembre 1916, Londres informa le gouvernement canadien qu’il faisait machine arrière. Cependant, outre la suggestion que la MRC devrait passer de 12 à 36 patrouilleurs, tout ce que les Britanniques offrirent comme aide fut de « prêter un officier rompu à la patrouille pour conseiller le gouvernement de Terre-Neuve et le gouvernement du Canada sur la façon d’acquérir des navires ».6

Les 36 patrouilleurs auxiliaires que recommandait Londres protégeraient bien les navires marchands dans les environs immédiats de Saint John ou d’Halifax pendant l’hiver mais ils ne seraient pas en mesure d’escorter les navires sur la route très fréquentée du golfe du Saint-Laurent pendant le reste de l’année, où Montréal redevenait le port principal de la côte atlantique du Canada. En outre, la MRC n’avait pas beaucoup de succès dans son acquisition de nouveaux patrouilleurs. Sur les deux navires d’État transféré par le Service hydrographique, le Cartier était capable d’une vitesse de 12 nœuds, ce qui était acceptable, mais l’Acadia, plus grand, n’était capable que de 8 nœuds. La Marine ne put leur ajouter que le Laurentian (355 tonnes, 11 nœuds) qu’elle avait acheté à la Canada Steamship Lines, et le Lady Evelyn (440 tonnes, 9 nœuds) qui avait été transféré du Service des postes au printemps. La Marine se tourna alors vers les États-Unis et acheta sept chalutiers construits en Nouvelle- Angleterre et les mit en service sous le nom de PV I à PVVII, même si leur faible vitesse, 8 nœuds, les destinait au dragage de mines plutôt qu’à la patrouille.

Malgré ces acquisitions, la MRC était encore loin des 36 patrouilleurs suggérés par l’Amirauté, et le Service naval s’adressa alors aux chantiers navals canadiens pour voir s’ils pourraient construire d’autres navires auxiliaires pour le service de patrouille. À la mi-février 1917, le gouvernement passa un contrat de construction avec deux chantiers navals canadiens — Polson Iron Works de Toronto et Vickers de Montréal — pour la construction de douze chalutiers à vapeur de 40 m et de 320 tonnes, six dans chaque chantier. Cette classe de bâtiments, la classe Battle, fut la première construite expressément pour la Marine royale du Canada. Pendant ce temps, l’Amirauté avait décidé de commander 36 chalutiers et 100 harenguiers en bois à différents chantiers navals canadiens. Tous ces bateaux devaient être capables de 9 ou 10 nœuds, les premiers seraient armés d’un seul canon de 12 livres et les derniers d’un seul canon de six livres. Cependant, la pénurie de main-d’œuvre et de matériaux retarda la construction, et la MRC ne commença à recevoir ses bateaux que vers la fin de 1917.

En février 1917, le haut commandement allemand décida de jouer son va-tout et déclara une guerre sous-marine sans restriction, au risque de faire entrer les États-Unis dans la guerre aux côtés des alliés. Ainsi, 500 navires, soit 1 million de tonnes, avaient été envoyés par le fond à la fin de mars et, en avril, les alliés perdirent 395 navires soient 800 933 tonnes, la plus grosse perte totale subie en un mois de cette guerre. Les flottes marchandes alliées ne pouvaient tout simplement pas supporter autant de pertes. Malgré les succès des sous- marins allemands, cette décision eut le résultat que craignait l’Allemagne, puisque les États-Unis lui déclarèrent la guerre le 6 avril 1917 et devint une puissance associée du côté allié. Désemparée par l’escalade des pertes, l’Amirauté envisagea une tactique qu’elle avait jusque-là refusé d’employer : les convois. Après plusieurs essais concluants, un système élaboré fut mis en place pendant l’été. Les premiers des convois nord-américains réguliers de la série HH (Homeward from Hampton Roads) partirent à quatre jours d’intervalle, à partir du 2 juillet. Les convois HN (Homeward from New York) se mirent en route le 14 juillet et partirent à intervalle de huit jours. Le 22 juin, le commandant en chef de la station de l’Amérique du Nord et des Antilles fut informé que l’Amirauté avait décidé d’élargir le système des convois aux ports canadiens. Le premier des convois HS (Homeward from Sydney), soit 17 navires marchands au total, partit de Sydney, au Cap-Breton, le 10 juillet et fut suivi d’autres convois à huit jours d’intervalle. Un convoi transporteur de troupes HX (Homeward from Halifax) partit pour la première fois le 21 août et comprenait les navires marchands partis de New York ou de Montréal qui étaient capables de maintenir une vitesse d’au moins 12,5 nœuds.

Le système des convois réussit peut-être à diminuer les pertes mais il contribua aussi à une des plus grandes catastrophes qu’ait connues le pays. Le matin du 6 décembre 1917, le SS Imo, chargé de ravitaillement d’urgence pour la Belgique, sortait du bassin de Bedford pour se rendre à New York, et le navire de munitions français Mont-Blanc entrait dans le port pour y attendre le prochain convoi HX. Ce navire de 2 840 tonneaux, avait été chargé de plus de 2 360 t d’acide picrique sec et liquide, de TNT et de fulmicoton par les agents maritimes de New York. En outre, des barils de benzène inflammable étaient entassés, trois ou quatre de haut, sur la plage avant et la plage arrière. L’Imo qui était parti en retard faisait route vers le sud à grande vitesse, du mauvais côté du chenal de navigation et heurta le navire français à un kilomètre au nord de l’arsenal. Quelques barils de benzène furent éventrés par le choc et prirent feu; l’équipage abandonna rapidement le navire en flammes et le laissa dériver vers la rive d’Halifax. Vingt minutes après la collision, des marins canadiens du Niobe se dirigèrent vers le Mont-Blanc pour éteindre le feu, mais le navire de munitions explosa. Ce fut la plus forte détonation d’explosifs artificiels jusque-là.

La déflagration tua quelque 1 600 personnes, la plupart sur le coup, et en blessa 9 000. Il faut savoir qu’un grand nombre des blessés l’avaient été par des éclats de verre projetés par l’explosion alors qu’ils regardaient le navire en flammes depuis leur fenêtre. Outre les morts et les blessés, 6 000 Haligoniens se retrouvèrent sans abri dans la partie nord de la ville, complètement dévastée. À 700 m vers le sud, l’arsenal fut lui aussi très touché. Pour la MRC, le plus grand impact de l’explosion d’Halifax fut le désir du public de blâmer les instances dirigeantes. Le QGSN savait parfaitement que l’explosion avait été causée par le chargement dangereux du Mont-Blanc à New York et par son arrivée à Halifax pour attendre le convoi, mais il fut déterminé que le gouvernement du Canada n’avait pas compétence pour faire enquête dans les affaires de l’Amirauté. Par conséquent, l’enquête publique présidée par le juge Arthur Drysdale ne put pas examiner les mouvements du navire français avant son arrivée à Halifax; la culpabilité de l’Amirauté ne fut donc même pas soulevée, et les actes des officiers de la MRC furent mis sous la loupe. Face à l’intense colère, bien compréhensible, des Haligoniens, et dans l’ignorance des circonstances réelles de la collision, l’enquête blâma le commandant et le pilote du Mont-Blanc, mais jugea aussi coupable de négligence l’enquêteur principal de la MRC pour ne pas avoir été suffisamment au courant des mouvements des navires dans le port.

Les conclusions de l’enquête du juge Drysdale furent un rude coup pour la Marine, mais au début de 1918, le QGSN avait un problème bien plus important : il devait planifier la saison de navigation sans un seul navire de lutte anti-sous-marine dans sa force de patrouille. En janvier, l’Amirauté avait évalué de façon réaliste l’étendue probable des attaques par les sous-marins allemands et les forces dont la MRC aurait besoin pour les combattre. Londres prévoyait qu’il y aurait en tout temps un ou deux sous-marins à longue portée près des côtes canadiennes et déclara qu’il faudrait six destroyers, six chalutiers rapides à canon de quatre pouces, 36 nouveaux chalutiers et 36 harenguiers pour lutter contre ces sous-marins, en plus de la force de patrouille existante de la MRC. Le télégramme de l’Amirauté assurait aussi à Ottawa que les navires de guerre les plus importants pour ce plan, les six destroyers et les six chalutiers rapides seraient fournis soient par la RN soient par la marine américaine. Fort de cette promesse d’aide de Londres, le QGSN se prépara à mettre en place son premier plan de défense adéquat de la guerre, mais l’Amirauté lui fit faux bond quelques semaines plus tard. À la mi-mars, l’Amirauté informa brusquement Ottawa que les chalutiers rapides promis n’arriveraient pas et que la question des six destroyers « s’ils deviennent nécessaires, serait examinée par le commandant de l’escadre de l’Amérique du Nord et des Antilles avec les autorités navales américaines ».7

La Marine se retrouva encore dans la situation où elle devait défendre les routes de navigation du Canada avec des chalutiers, des harenguiers et des patrouilleurs auxiliaires mal armés et tous très lents. L’arrivée des chalutiers et des harenguiers de construction canadienne à Halifax et à Sydney en juin et en juillet 1918 donna finalement au commandant des patrouilles la possibilité de défendre les approches des deux ports où s’assemblaient les convois. Le Capitaine Hose, qui était à la tête de la force de patrouille de la côte Est depuis le mois d’août 1917, fut donc obligé de dresser un autre plan de défense au début juin. La Marine n’aurait pas les 12 destroyers et chalutiers rapides sur lesquels comptaient Hose et Kingsmill en mars, mais quelques renforts étaient arrivés de la Marine américaine sous la forme de six chasseurs de sous-marins — bateaux à moteur armés de grenades sous-marines — et de deux très vieux torpilleurs. La menace pour la côte Est du Canada se précisa lorsque le premier sous-marin ennemi, le U-151, commença à couler des navires marchands au large des États-Unis à la fin mai et en juin. À la mi-juillet un autre sous-marin croiseur allemand, le U-156, avait été repéré faisant route vers New York, où il posa des mines dans les approches du port. Le 19 juillet, le USS San Diego, un croiseur cuirassé de 12 440 tonnes, coula après avoir heurté une des mines posées près de Long Island; six marins périrent. Ce fut le plus grand navire de guerre américain coulé pendant la guerre.

Le 22 juillet, le U-156 attaqua avec audace un remorqueur et quatre chalands à seule- ment 5 km du cap Cod, sous les yeux de milliers de baigneurs abasourdis. Le 2 août, il coula le quatre-mâts canadien Dornfontein à 40 km au sud-ouest de l’île Grand Manan, à l’entrée de la baie de Fundy. Si on avait pendant quelque temps cru qu’il repartirait vers les routes maritimes menant à New-York, où le trafic était bien plus important, le doute était main- tenant levé. Le sous-marin continua sa route vers l’est, en direction de la côte sud de la Nouvelle-Écosse où il coula quatre bateaux de pêche américains et trois canadiens du 3 au 5 août, puis repartit vers le nord en direction des approches de Halifax. Le matin du 5, il torpilla le pétrolier Luz Blanca à 58 km au sud-sud-ouest du bateau-phare de Sambro.

Le commandement de Halifax fit un effort honorable pour placer dans la zone de l’attaque tous les chalutiers, harenguiers et chasseurs de sous-marins qu’il avait à sa disposition (le U-156 passa les deux semaines suivantes dans les eaux américaines), mais après la destruction du Luz Blanca, les autorités navales décidèrent que les convois s’assembleraient désormais à Québec. Cette décision vida pratiquement les routes de navigation qui conduisaient à Halifax et, lorsque le U-156 retourna sur les côtes de la Nouvelle-Écosse le 18 août, il n’y restait plus que des bateaux de pêche en train de pêcher sur les bancs du Canada et de Terre-Neuve. Ces bateaux de pêche étaient néanmoins des cibles intéressantes, et les sous-mariniers allemands étaient tout à fait prêts à changer de tactique afin de les attaquer. Le U-156, qui suivait la côte en direction du nord-est, se trouvait à 110 km au sud-sud- ouest du cap Canso, le 20 août à 12 h, lorsqu’il captura le chalutier canadien Triumph. Ayant installé sur le chalutier un canon de trois livres qu’il avait apporté dans ce but, l’équipage du sous-marin obligea l’équipage canadien du chalutier à embarquer dans un canot de sauvetage, puis attaqua et coula quatre autres bateaux de pêche cet après-midi-là. Le sous-marin et le Triumph firent route vers le nord-est à la vitesse maximum du chalutier et coulèrent deux autres bateaux de pêche à l’aube du 21, à 80 km à l’est-sud-est de l’île du Cap-Breton. Le chalutier fut probablement sabordé le matin du 21, et le sous-marin allemand disparut jusqu’à 1 h 30 le matin du 25 août et attaqua alors le vapeur britannique Eric à environ 115 km à l’ouest-nord-ouest de l’île française de Saint-Pierre puis, vers 6 h du matin, le U-156 surprit la goélette terre-neuvienne Wallie G. à 40 km à l’ouest de Saint-Pierre.

Le U-156 mit le cap au sud-sud-ouest et parcourut une trentaine de kilomètres; il aperçut alors un groupe de quatre goélettes de pêche à l’ancre, à environ 1 km les unes des autres. Le sous-marin s’apprêtait à les couler, mais il fut aperçu depuis la passerelle du NCSM Hochelaga, qui avec trois autres patrouilleurs canadiens était à la recherche du sous-marin allemand. Au lieu de foncer droit sur l’ennemi, le commandant du Hochelaga, le Lieutenant de vaisseau R. D. Legate, se tourna vers le commandant de la flottille et lui recommanda d’agir avec prudence et d’attendre des renforts. Le commandant de la flottille, qui se trouvait sur le NCSM Cartier, le trouvant trop timoré, ne l’écouta pas et fonça vers la dernière position connue du sous-marin, mais celui-ci avait déjà plongé après avoir coulé les autres goélettes. Le commandant du Hochelaga fut mis aux arrêts et traduit en cour martiale au début d’octobre à Halifax. Il fut reconnu coupable d’avoir manqué de courage devant l’ennemi et il fut renvoyé de la Marine avec la perte de son brevet d’officier, de sa prime de service de guerre, de ses médailles et d’autres avantages. Le U-156, lui, s’était échappé et avait coulé une goélette de pêche canadienne de 118 tonnes, le Gloaming, le 26 à 130 km au sud-ouest de l’île de Miquelon, puis avait pris le chemin du retour. Contrairement aux autres sous-marins allemands qui opéraient au large de la côte nord-américaine en 1918, le U-156 ne retourna pas au pays. Il disparut le 25 septembre, probablement victime de la barrière de mines posées par les Britanniques à l’ouest de l’île Fair. Néanmoins, la réaction de Legate le 25 août apporta une bien triste conclusion à la seule rencontre de la MRC avec un bâtiment ennemi pendant toute la guerre.

Un homme fait descendre un hydravion à coque dans l’eau.

La MRC créa la station navale Dartmouth pendant l’été 1918 comme base de son futur Service aérien, mais à la fin de la guerre, elle n’avait accueilli que des hydravions HS-2L de la marine américaine, comme celui-ci.

Pendant que les navires de la force d’escorte de la côte Est se déployaient sur les bancs de pêche pour prévenir les goélettes de la présence du U-156, un deuxième sous-marin apparut au large de la Nouvelle-Écosse. Le U-117 qui avait opéré au sud de New York rentrait en Allemagne et s’arrêta pour attaquer la goélette canadienne Bianca à 275 km au sud-est de Halifax le 24 août. Il essaya de la couler à la bombe, mais la goélette était chargée de tabac, et sa cargaison se gonfla d’eau de mer, bouchant tous les trous de la coque. Trois jours plus tard, le Bianca fut pris en remorque par une goélette de pêche de Boston qui le ramena à Halifax. Il fallut longtemps pour ramener les survivants à terre, à cause de la distance à laquelle le U-117 opérait, ce qui retarda l’intervention des autorités. Par exemple, lorsque Halifax apprit l’attaque du Bianca, le sous-marin allemand avait déjà coulé le chalutier américain Rush le matin du 26, à environ 260 km à l’est-sud-est de Canso et à 170 km au sud-sud-ouest de l’endroit où le U-156 avait coulé le Gloaming le matin même. Le lendemain, le U-117 torpilla et coula un navire marchand norvégien de 2 320 tonnes à 175 km au sud-ouest du cap Race. Le soir du 30 août, le sous-marin gagna de vitesse deux goélettes de pêche canadiennes qui naviguaient de conserve et il les coula à la bombe à 450 km au nord-est de St. John’s. Heureusement, les pêcheurs naufragés furent secourus deux jours plus tard par un navire marchand qui les ramena à bon port. Le sous-marin, quant à lui, arriva sain et sauf en Allemagne à la fin d’octobre.

Les maigres forces sous-marines de la Marine canadienne reçurent des renforts fort appréciés à la fin du mois d’août. Depuis le début du printemps, le QGSN essayait de mettre en place une force aéronavale chargée d’effectuer des patrouilles aériennes le long des routes de navigation. Étant donné que les aviateurs canadiens avaient besoin d’instruction pour s’acquitter de cette nouvelle mission, le gouvernement américain accepta d’envoyer des avions et des équipages de la marine américaine en Nouvelle-Écosse pour effectuer ces patrouilles. Un détachement précurseur arriva à Halifax le 5 août. Il avait apporté des hangars mobiles afin d’établir un aérodrome temporaire à Baker Point, sur la rive de Dartmouth. Ayant reçu quatre hydravions Curtiss HS-2L par le train, les aviateurs américains commencèrent à patrouiller au large d’Halifax à la fin août. Un autre détachement, affecté à la station aérienne de Sydney, commença aussi à effectuer des patrouilles au large du Cap-Breton à la mi-septembre. Pendant que les Américains se préparaient à patrouiller, le nouveau Service aéronaval de la Marine royale du Canada (RCNAS) commença à recruter dans les journaux le 8 août, avant même que le gouvernement n’ait approuvé l’établisse- ment de ce nouveau service (il le ferait le 5 septembre). Soixante-quatre volontaires du RCNAS furent envoyés au Massachussetts Institute of Technology, à Boston, à la fin septembre et au début octobre pour commencer leur instruction, et un troisième contingent les suivit à la fin d’octobre. Douze élèves-officiers et six officiers mariniers de la MRC partirent pour la Grande-Bretagne au début d’octobre afin de commencer leur instruction d’aviateur, mais ils ne la terminèrent pas car la guerre avait pris fin.

Les sous-marins U-156 et U-117 quittèrent les eaux canadiennes à la fin d’août et le U-Deutschland, modernisé et remis en service sous le nom de U-155 arriva à la mi- septembre et posa une série de mines de 10 à 15 km à l’ouest de Chebucto Head et de l’île Sambro. Le sous-marin allemand fut gêné dans ses opérations par la brume qui se produit régulièrement en Nouvelle-Écosse pendant les mois d’été, mais il dut aussi interrompre son travail car il avait repéré des destroyers et des patrouilleurs dans les routes de navigation passant à proximité du bateau-phare de Sambro : sans aucun doute le Grilse déployé dans les approches du port et les trois chasseurs de sous-marins américains qui défendaient le port. Après avoir passé la nuit du 18 au 19 septembre à une vingtaine de kilomètres de la côte, le sous-marin allemand partit pour l’île de Sable afin de couper les câbles télégraphiques qui reliaient le Canada à la Grande-Bretagne, mais il ne prit le temps d’en couper qu’un seul avant de partir pour les eaux américaines. Le 17 octobre, le U-155 coula un cargo américain de 6 130 tonneaux, le Lucia, qui se rendait, en convoi mais sans escorte, de New York à Marseille; ce fut le dernier navire coulé dans les eaux nord-américaines pendant la guerre.

Étant donné l’absence totale de destroyers de l’ordre de bataille de la Marine, le fait que les sous-marins allemands ne coulèrent pas un seul navire en convoi prouve bien que la décision d’assembler les convois à Québec plutôt qu’à Halifax était justifiée, mais aussi que la MRC savait tirer parti de ses yachts armés, de ses chasseurs de sous-marins, de ses chalutiers et de ses harenguiers. Les trois navires coulés dans les eaux canadiennes naviguaient seuls, comme d’ailleurs les navires coulés dans les eaux américaines. Les seules autres victimes dans les eaux canadiennes furent les 15 petites goélettes de pêche et chalutiers coulés par les sous-marins U-156 et U-117 du 20 ou 30 août. Il est indéniable qu’il était beaucoup plus efficace d’assembler les convois à Québec plutôt qu’à Halifax, mais cette décision était évidente pour les autorités navales. En effet, 80 p. cent du trafic maritime destiné au Canada devaient remonter le Saint-Laurent pour être chargés à Montréal, ce qui fait que le choix d’Halifax comme port de rassemblement était peu logique dans le réseau de transport canadien — dont le système des convois n’était qu’un simple prolongement — puisqu’il ajoutait 650 km de route dans les eaux les plus exposées aux attaques des sous-marins allemands. Il était cependant beaucoup plus difficile de protéger la flotte de pêche. Les goélettes non armées, qui n’avaient pas de radio, n’étaient en mesure d’alerter les autorités navales qu’à leur arrivée à terre, soit 12 à 24 heures après avoir été attaquées. Par conséquent, tout ce que pouvait faire la Marine canadienne était de voir à ce que tous les bateaux de pêche soient prévenus du danger, sachant bien que son incapacité à intercepter les sous-marins allemands (à l’exception de la rencontre du Hochelaga) la faisait paraître complètement inefficace aux yeux de beaucoup de gens des Maritimes. Néanmoins, les officiers de la Marine canadienne furent soulagés de voir les sous-marins allemands attaquer des bateaux de pêche vulnérables au lieu des convois de navires marchands, d’une bien plus grande valeur.

Pendant toute la Première Guerre mondiale, la MRC fut prise entre la relative indifférence de l’Amirauté à l’égard de la défense navale du Canada et le refus du premier ministre Borden d’accepter les conseils du QGSN sans l’approbation de Londres. En 1918, la Marine se trouvait donc dans une situation peu enviable puisqu’elle devait lutter contre des sous- marins armés de canons de six pouces avec une flotte composée principalement de chalutiers et de harenguiers lents, armés de canons de la moitié de la taille de ceux de l’ennemi. Malgré ce handicap, la MRC connut des succès pendant la guerre. Au total, 8 826 Canadiens servirent dans la MRC pendant la guerre : 388 officiers et 1 080 matelots de la MRC, ainsi que 745 officiers et 6 613 matelots de la Réserve navale royale des volontaires du Canada. En outre, 90 officiers et 583 matelots de la RN et de la RNR servirent dans la MRC, soit 9 499 marins au total. Sur ce nombre, 190 moururent au combat, de leurs blessures, de maladie ou d’accident, cette dernière catégorie comprenant ceux qui périrent dans l’explosion d’Halifax. Toutes proportions gardées, la MRC connut à peu près le même taux de mortalité pendant la Première Guerre mondiale que pendant la Deuxième Guerre mondiale, soit environ 2 p. cent. Les croiseurs d’avant-guerre Niobe et Rainbow étaient les plus grands bâtiments de la MRC, mais celle-ci employa 130 petits navires de guerre sur la côte Est pendant la guerre et quatre dans le Pacifique. Néanmoins, il est indéniable que la réputation de la MRC souffrit beaucoup pendant la guerre aux yeux du public canadien. Elle avait été jugée en partie responsable de l’explosion d’Halifax, mais la décision de l’Allemagne d’attaquer la flotte de pêche fut aussi une attaque directe, bien qu’involontaire, de la crédibilité déjà entamée de la MRC aux yeux du public. Le Capitaine Hose, qui dirigea la Marine pendant 15 ans après la guerre, déclara vers la fin de sa vie que la Marine canadienne avait été « ridiculisée, et même calomniée dans la presse et au Parlement, alors qu’elle essayait de s’acquitter le plus efficacement possible de sa mission avec des ressources bien insuffisantes et qu’elle ne pouvait pas se défendre; c’était vraiment décourageant ».8  Le découragement contenu dans ces paroles eut toutefois pour effet de donner à beaucoup de jeunes officiers la volonté de tout faire pour que la MRC ne se retrouve plus jamais dans une telle situation en cas de conflit.


Auteur : William Johnston

1 Defensive Measures — 1914. Reports on Situation. Copies for Chief of Staff, 12 août 1914 (DHP).

2 Hose à l’officier supérieur de la Marine à Esquimalt, Report of Proceedings, 17 août 1914 (DHP).

3 Traduction du récit d’Aglionby, cité par Tucker dans The Naval Service of Canada (I), 243-4.

4 W. McLaurin à E.C. Russell (historien naval), 11 février 1963 (DHP).

5 Kingsmill, Memorandum for the Deputy Minister, 17 avril 1916 (BAC).

6 Secrétaire aux colonies au gouverneur général du Canada, 11 novembre 1916 (BAC).

7 Amirauté au Service naval, Ottawa, 16 mars 1918 (BAC).

8 Contre-amiral Walter Hose : The Early Years of the Royal Canadian Navy, 19 février 1960, (DHP).

Haut de la page

Détails de la page

Date de modification :