Chapitre 1 : Introduction aux services offerts par les avocats de la défense

LES SOURCES DU DROIT

Le système de la justice militaire canadienne, s'il s'intègre entièrement à celui du système civil du Canada, y coexiste toutefois d'une manière parallèle et concomitante. Le besoin d'un tel système séparé a depuis longtemps été reconnu par le droit canadien, le plus récemment dans les cas de Mackay c. la Reine et R. c. Généreux1. Ainsi que l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans R. c. Généreux, la sécurité des Canadiens repose dans une large mesure sur l'efficacité des Forces canadiennes (FC) et la discipline qu'on y maintient.

C'est la Loi sur la défense nationale2 (LDN) qui représente le cadre de la justice militaire canadienne. Ainsi, non seulement les membres des FC sont-ils soumis aux lois ordinaires comme tous les citoyens du Canada, mais ils sont aussi soumis au Code de discipline militaire3. Ce dernier régit toute la structure du système de la justice militaire, telle que la juridiction, les infractions, les peines, les pouvoirs d'arrestation, l'organisation et les règles de procédure des tribunaux militaires, les appels et les révisions de leurs décisions. Les infractions énumérées au Code de discipline militaire sont, pour la plupart, semblables à celles qu'on retrouve dans le droit criminel commun à tous les civils canadiens. Cependant, plusieurs de celles-ci sont uniques au droit militaire et n'ont pas leur équivalent dans le droit qui régit la société civile canadienne.

En décembre 1998, le Parlement a procédé à une refonte de la LDN. Les modifications qui, en grande partie, ont pris effet le 1 septembre 1999, ont apporté des changements importants au système de la justice militaire. Par exemple, l'article 9.2(1) de la LDN stipule que l'avocat le plus haut gradé dans les FC, le juge-avocat général (JAG), est responsable de « tout ce qui touche à l'administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes ». Un autre changement important est la reconnaissance explicite dans la LDN du droit de l'accusé d'être représenté :

Tout justiciable du Code de discipline militaire a le droit d'être représenté dans les cas et de la manière prévus par règlement du gouverneur en conseil4.

La LDN a aussi créé un poste indépendant, le directeur du service d'avocats de la défense (DSAD). Militaire des FC, celui-ci est aussi un avocat d'expérience. Quant à son indépendance, elle lui vient de sa nomination, qui relève du ministre de la Défense nationale5 plutôt que d'y être simplement muté par le biais de la chaîne de commandement des FC. De plus, il y est nommé pour un terme qui n'excède pas quatre ans, mais qui peut être renouvelé après l'expiration d'un premier terme ou de termes subséquents6. Cependant, il exerce ses fonctions « sous la direction générale du JAG »7.

LES SERVICES JURIDIQUES QUI SONT OFFERTS8

Le DSAD fournit principalement les services juridiques suivants9.

LE RÔLE ET LES FONCTIONS DES AVOCATS DU DSAD AU SEIN DU SYSTÈME DE LA DISCIPLINE MILITAIRE

Les avocats du DSAD constituent « l'équipe des avocats de la défense » des FC. Ils sont l'équivalent de leurs confrères civils qui oeuvrent dans le domaine du droit criminel. Comme eux, ils se doivent de représenter « leur client » avec intégrité, soit en soulevant toute forme d'opposition juste et efficace, soit en présentant des arguments contradictoires ou en posant des questions qu'ils pensent être dans le meilleur intérêt de la cause qu'ils défendent. De plus, ils ont l'obligation d'entreprendre et de mettre en oeuvre tous les moyens de défense que le droit leur accorde, afin d'obtenir les résultats les plus avantageux pour ceux qu'ils représentent. Cette démarche doit se faire dans le cadre de la légalité, en usant de moyens justes et équitables, et dans le respect, la courtoisie, la franchise et l'honnêteté que tout avocat doit démontrer envers la cour13.

La loi exige que le DSAD fournisse gratuitement des services d'aide juridique, soit comme avocat-conseil ou comme avocat assigné à toute personne soumise au Code de discipline militaire14 et qui est soupçonnée ou accusée d'avoir commis une infraction militaire15. Les avocats du DSAD font donc directement affaire avec leurs « clients », de même qu'avec l'officier désigné pour aider l'accusé, sans distinction de grade, fonction, unité ou de situation géographique. Ils transigent aussi avec les supérieurs de leurs clients, les avocats chargés de la poursuite et les autorités policières, tant militaires que civils, ainsi que toutes les autres personnes qui sont liées aux procédures disciplinaires. Finalement, ils sont en contact étroit avec les procureurs chargés des poursuites militaires, les autorités des cours martiales, de la cour d'appel des cours martiales, de la Cour suprême du Canada, des différents Barreaux provinciaux et associations professionnelles.

L'INDÉPENDANCE DES AVOCATS DU DSAD ET LA CHAÎNE DE COMMANDEMENT

Membres eux-mêmes des FC, les avocats du DSAD sont donc soumis à la LDN, au Code de discipline militaire, aux ORFC et à tous les ordres et directives des FC. Comme il a été mentionné précédemment, ils exercent leurs fonctions sous la direction générale du JAG16. Il peut apparaître qu'il puisse exister, ou sembler exister, un conflit entre, d'une part les exigences de la profession d'officier militaire et de sa loyauté aux FC, et d'autre part les responsabilités et les devoirs d'un avocat de la défense.

Afin de clarifier une situation qui peut prêter à confusion, il faut d'abord se souvenir que le DSAD est nommé par le ministre de la Défense nationale et non par les autorités militaires des FC17. De plus, en examinant le serment d'allégeance prêté par un officier militaire lors de son enrôlement, la législation et les règlements pertinents aux avocats du DSAD18 et les différents codes d'éthique de la profession d'avocat, tant des provinces que de l'Association du Barreau canadien, il apparaît clairement que l'intention législative est d'assurer dans sa pleine mesure19 toute l'indépendance possible que requière la prestation des services juridiques que doit fournir un avocat de la défense. En fin d'analyse, il convient de dire que ce dernier est soumis aux mêmes responsabilités et obligations que tout officier des FC, à moins que celles-ci n'entrent en conflit avec celles qu'exige sa profession d'avocat de la défense.

Les avocats du DSAD exercent leurs fonctions et fournissent leurs services en toute indépendance, tant de la chaîne de commandement hiérarchique, que des autorités policières ou de celles responsables de la discipline, qu'elles soient des FC ou du ministère de la Défense nationale (MDN) ou autres. Les seules contraintes auxquelles ils font face dans l'exercice de leurs fonctions sont celles que la loi et l'éthique propre à la profession d'avocat leur imposent, de même que celles rattachées au privilège du secret professionnel entre l'avocat et son client.

Comme il a été mentionné plus haut, en répondant aux exigences de la LDN, les avocats du DSAD fournissent des services à leurs clients en les conseillant et les représentant de la même manière que le font leurs confrères civils qui exercent le droit criminel dans un bureau de pratique privée. Ils en ont d'ailleurs l'obligation, de par la nature même des ordres militaires qui les régissent20. Conséquemment, en fournissant les services juridiques qui leurs incombent, les avocats du DSAD doivent d'abord et avant tout privilégier les intérêts de leurs clients21.


Notes en bas de page

1 MacKay c. la Reine, [1980] 2 RCS 370, et R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259.

2 Le chap. N-5 des SRC, tel qu'amendé à l'art. 35 des LDC 1998.

3 La partie III de la LDN, des art. 55 à 249.26.

4 L'art. 249.17 de la LDN.

5 L'art. 249.18(1) de la LDN.

6 L'art. 249.18(2) de la LDN.

7 L'art. 249.2(1) de la LDN.

8 L'art. 249.19 de la LDN. Les services juridiques qui y sont énumérés sont distincts et ne doivent pas être confondus avec ceux mentionnés à la directive du Conseil du Trésor intitulée Politique sur l'indemnisation des fonctionnaires de l'État et la prestation de services juridiques à ces derniers.

9 Voir les art. 101.20(2) et (3) des Ordonnances et Règlements Royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après ORFC).

10 Aux termes de l'article 101.20(6) des ORFC, les services juridiques d'un avocat ne sont pas fournis à une personne qui est représentée par un avocat civil.

11 Voir l'art. 101.21 des ORFC sur les dispositions touchant le comité d'appel.

12 « Un officier désigné pour aider un accusé » est défini aux art. 108.03 et 108.14 des ORFC, comme étant un officier ou un militaire du rang désigné par le commandant ou une personne agissant sous son autorité pour aider toute personne soumise au Code de discipline militaire et accusée d'avoir commis une infraction militaire.

13 Voir le commentaire 2, à la règle 10, du Code de déontologie du Barreau du Haut Canada, ainsi que l'art. IX du Code de déontologie professionnelle (1998) de l'Association du Barreau canadien.

14 Les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont décrites à l'art. 60 de la LDN.

15 Une infraction militaire est définie à l'art. 2 de la LDN comme étant une infraction définie comme tel selon la LDN, le code criminel ou toute autre loi du Parlement canadien, et qui a été commise par une personne soumise au Code de discipline militaire.

16 L'art. 249.2(1) de la LDN.

17 Voir le serment des officiers lors de leur enrôlement à l'art. 6.04 des ORFC.

18 Les art. 249.18 à 249.21 de la LDN et les art. 101.19 à 101.20 des ORFC.

19 Soit les art. 249.2(1) et (2) de la LDN.

20 Voir l'art. 249.19 de la LDN et les art. 101.20 et 101.22(1)(a) des ORFC.

21 Tout en s'acquittant de ses responsabilités envers son client, l'avocat du DSAD doit toujours agir selon les règles de l'éthique imposées aux avocats, telles qu'elles sont indiquées au code de déontologie de son Barreau provincial et de celles adoptées par l'Association du Barreau canadien.

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