Les stratégies de prévention de la rapport du comité d'experts des FC sur la prévention du suicide

A. Programmes d’éducation et de sensibilisation

La présente section porte sur les programmes de formation et de sensibilisation au suicide destinés aux membres (c’est-à-dire, le personnel subalterne), aux protecteurs et aux cliniciens des FC.

Formation des membres des FC

De nombreux membres des FC ont reçu une formation élémentaire sur la sensibilisation au suicide, et bon nombre d’entre eux ont également reçu une formation avancée (c’est-à-dire, une formation de plusieurs jours; voir ANNEXE H). La sensibilisation au suicide fait partie intégrante du programme de formation sur la santé mentale des FC, mais, jusqu’à tout récemment, les programmes de sensibilisation étaient fragmentés et incohérents. C’est pourquoi les FC ont mis sur pied un Comité consultatif sur l’éducation en santé mentale (CCESM) dont le rôle consiste à fournir des conseils de haut niveau en ce qui concerne l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation d’un programme complet de formation en santé mentale. De plus, les FC ont amélioré et agrandi leur Bureau des conférenciers conjoint (BCC). Le BCC donne de la formation intensive à ses conférenciers afin d’assurer l’uniformité et la qualité de ses programmes de formation.

Le programme de formation sur la santé mentale des FC vise à fournir aux militaires une formation continue sur des questions en lien avec la santé mentale, et ce, à de nombreuses étapes au cours de leur carrière et de leur cycle de déploiement. La formation commencera le plus tôt possible dans la carrière des militaires. Le contenu de la formation sera modifié afin de refléter le cheminement du militaire dans sa carrière ou son cycle de déploiement et de s’assurer qu’il reçoit la bonne information au bon moment.

À l’aide des conseils émis par le CCESM (et selon les priorités établies par les cadres supérieurs), les FC ont déjà élaboré une série de modules destinée au cours de qualification élémentaire en leadership (QEL) et une autre série destinée à l’instruction préalable au déploiement. Les prochains modules qui seront élaborés seront consacrés à la période de postdéploiement. D’autres modules portant sur les périodes antérieures et postérieures de la carrière des militaires seront élaborés par la suite au cours de la prochaine ou des deux prochaines années. On travaille actuellement à intégrer la formation sur la sensibilisation au suicide à chacun des modules, si nécessaire.

Les FC ont également préparé un programme de sensibilisation au suicide et de prévention du suicide d’une demi-journée dans le cadre du programme Énérgiser les Forces (ELF). Vous trouverez des renseignements sur ce programme et les autres programmes sur la santé mentale et le bien-être du programme ELF à l’ANNEXE H. Ce module est inspiré du programme « ACE » de l’United States Army [20], qui cible des compétences précises permettant de reconnaître les tendances suicidaires et d’intervenir efficacement. Le programme ACE enseigne les points suivants aux militaires :

La formation sur la sensibilisation au suicide a également pour objectif d’améliorer les connaissances sur la santé mentale, notamment en aidant les personnes à reconnaître si elles ont besoin de recevoir des soins de santé mentale. En effet, au sein des FC [21;22] et de la population générale canadienne [23], on a constaté que le principal obstacle aux soins de santé mentale (observé chez au moins 80 p.100 des personnes interrogées) est que les personnes qui souffrent de troubles mentaux ne semblent pas réaliser qu’elles ont un problème pour lequel elles peuvent obtenir de l’aide. On a également démontré que les campagnes d’éducation destinées au public ont joué un rôle dans l’amélioration des connaissances sur la santé mentale et ont également incité des personnes à se faire soigner. Il a cependant été décevant de constater que les patients qui souffrent de dépression et qui ont des pensées suicidaires ont tiré beaucoup moins profit de ces campagnes que les autres patients [24].

Toutefois, l’éducation et la sensibilisation au suicide, lorsqu’elles sont utilisées comme unique moyen d’intervention, ne se sont jamais révélées une solution efficace afin de diminuer les comportements suicidaires [6]. Néanmoins, tous les programmes communautaires de prévention du suicide qui ont démontré une certaine efficacité comportaient à tout le moins certains éléments d’éducation de masse. Malheureusement, comme les programmes ayant démontré une certaine efficacité comportaient également d’autres éléments, il est donc impossible d’attribuer leurs avantages apparents à leur seul volet éducatif. Si l’éducation est efficace, on ne connaît toutefois pas dans quelle mesure elle doit être donnée. On a démontré qu’il était possible d’atteindre un certain niveau d’efficacité tant avec des programmes courts qu’avec des programmes longs [18;19].

Les FC ont demandé qu’un programme de formation sur la santé mentale soit donné avant un déploiement, après un déploiement et pendant les cours de formation professionnelle. Même si tous les militaires ne pourront pas suivre immédiatement ces séances de formation, le Comité d’experts a décidé de ne pas rendre immédiatement obligatoire la formation pour tous les militaires. Le raisonnement est celui-ci-après énoncé.

Le Comité d’experts a appliqué la même logique en ce qui concerne la formation destinée aux protecteurs et aux cliniciens (voir ci-dessous).

Formation des protecteurs

Les membres des FC qui assument certains rôles peuvent agir à titre de « protecteurs » auprès des personnes suicidaires. Ces protecteurs comprennent les aumôniers, la police militaire, les officiers de sélection du personnel et d’autres personnes. Les chefs militaires sont également d’importants protecteurs des soins de santé mentale puisque les militaires qui ont besoin de recevoir des soins pendant les heures de travail demandent souvent leur approbation.

Outre ce rôle officiel de protecteur, il existe une importante raison qui justifie les avantages de disposer d’un bon leadership comme une stratégie de prévention du suicide : les chefs jouent un rôle particulier en veillant à la santé et au bien-être de leurs subalternes. Le climat qu’ils créent en ce qui concerne l’attitude envers les soins de santé mentale peut inciter les personnes à consulter pour des problèmes de santé mentale [25]. Le stress professionnel est un facteur qui est à l’origine de certains suicides chez les militaires et le comportement des chefs peut atténuer le stress et la pression liés au travail [26;27]. Les chefs qui connaissent bien leurs subalternes peuvent également avoir des possibilités supplémentaires de les aider à surmonter des problèmes personnels ou familiaux.

Bien que la raison susmentionnée établisse un lien logique entre un bon leadership et le comportement suicidaire, il n’existe toujours aucune preuve concrète qui démontre que cet avantage possible est bel et bien réel. Néanmoins, un bon leadership apportera évidemment de nombreux autres avantages concrets aux FC et aux militaires.

Les mesures disciplinaires et les problèmes juridiques sont souvent des éléments déclencheurs des suicides et les offenses honteuses (comme la pédophilie) sont particulièrement porteuses de risques. De plus, les personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale sont plus susceptibles de commettre des infractions à la discipline. Par conséquent, on aurait la possibilité de gérer les mesures disciplinaires de façon à atténuer les risques de suicide.

Il n’existe aucune preuve concrète démontrant que le fait de donner une formation spécifique sur le suicide aux chefs ou à d’autres protecteurs permet de prévenir les suicides [6]. Toutefois, plusieurs programmes de prévention ayant démontré une preuve raisonnable de leur efficacité [19;28-30] comprenaient ce genre de formation qui était intégrée dans un ensemble d’interventions variées. Il a également été démontré que l’éducation des protecteurs peut améliorer les connaissances sur le suicide et la santé mentale, l’attitude envers ces derniers et l’auto-efficacité face à ceux-ci [31].

Bien que le Comité d’experts estime qu’il existait suffisamment de bonnes raisons pour justifier la nécessité de donner une formation sur la prévention du suicide, il croit fermement que ladite formation ne devrait pas éclipser la très grande importance que peuvent avoir les compétences générales de bon leadership comme outil de prévention du suicide.

Formation des cliniciens

Tous les cliniciens des FC auront reçu une formation sur le suicide dans le cadre de leur formation professionnelle. Ils auront également eu la possibilité de perfectionner leurs compétences en matière de prévention du suicide. Les cliniciens en soins primaires récemment formés auront également reçu une formation sur la reconnaissance des signes de dépression et sur la gestion des cas de dépression. Cependant, la qualité de la formation et l’expérience varieront grandement d’une personne à l’autre [32]. Les membres du personnel médical et d’autres intervenants de première ligne sont susceptibles d’avoir reçu moins de formation et de posséder moins d’expérience relativement à l’évaluation des tendances suicidaires. Néanmoins, le Comité d’experts croit que la capacité d’établir une relation de confiance représentait la principale compétence permettant d’évaluer les tendances suicidaires : il serait impossible d’évaluer les tendances suicidaires sans détenir cette compétence fondamentale.

Il a été démontré que la formation des cliniciens en soins primaires sur la reconnaissance et le traitement des cas de dépression pouvait contribuer à diminuer les comportements suicidaires [6;31]. Toutefois, l’étude ayant démontré l’avantage évident de cette formation a été constaté il y a très longtemps [33]. Au moment où cette étude a été réalisée, les fournisseurs de soins primaires n’avaient que peu de connaissances sur la dépression et la façon de la traiter. Des études plus récentes ont démontré des avantages apparents dans d’autres pays [34;35]. Toutefois, la culture et les systèmes de soins de santé de ces pays diffèrent trop des nôtres pour que ces avantages puissent s’appliquer au Canada. Des efforts systématiques visant à améliorer la qualité des soins nécessitent souvent l’ajout d’un volet éducatif (bien qu’en général la formation des cliniciens, comme seul moyen, ait tendance à donner peu ou pas de résultats soutenus [36]).

B. Dépistage et évaluation

Actuellement, les FC soumettent les militaires à un examen de dépistage afin de déterminer ceux qui ont des idées suicidaires durant l’examen médical périodique (EMP), qui est réalisé pour les membres de la Force régulière tous les deux à cinq ans, et pendant le processus amélioré de dépistage postdéploiement, qui doit être effectué de trois à six mois pour les militaires revenant d’une déploiement d’une durée de plus de 60 jours. Les militaires doivent également remplir un questionnaire de dépistage en vue de leur préparation à un déploiement. Dans tous ces cas, le questionnaire du patient comprend une question portant sur les pensées suicidaires. Ces outils comprennent également des questions de dépistage sur la dépression, le TSPT et les troubles liés à la consommation d’alcool, qui sont reconnus comme étant des facteurs de risque en ce qui concerne les comportements suicidaires.

Les comités d’experts de consultation ont conclu qu’il n’existait aucune preuve qui démontrait que le dépistage courant du suicide mené dans un contexte de soins primaires permettait de prévenir le suicide [37]. Toutefois, il n’a pas non plus été démontré que ce dépistage était inutile. De plus, les renseignements recueillis dans le cadre des programmes de dépistage peuvent être utilisés aux fins épidémiologiques.

Presque toutes les victimes de suicide présentent clairement des troubles mentaux, dont la dépression est le plus prédominant [6]. Cependant, de nombreux patients souffrant de dépression passent inaperçus et ne reçoivent aucun soin dans un contexte de soins primaires [38]. Des soins efficaces pour lutter contre la dépression sont offerts et permettent de diminuer les risques de suicide. 1 Cela justifie de façon théorique l’utilité de mener un dépistage pour déceler les cas de dépression. Des preuves démontrent clairement que le dépistage courant pour déceler les cas de dépression dans un contexte de soins primaires peut se révéler plus efficace que les soins habituels, en présumant que certaines conditions supplémentaires sont respectées (comme de disposer d’une méthode systématique afin d’assurer un suivi des patients dépressifs [39;40]). Les différents groupes de concertation qui ont examiné pratiquement les mêmes preuves ont recommandé le dépistage avec des niveaux d’enthousiasme variés. Par exemple, l’US Preventive Services Task Force (UPSTF) a recommandé « de réaliser un dépistage de la dépression auprès des adultes dans les pratiques cliniques qui ont des systèmes en place afin d’assurer des diagnostics précis, des traitements efficaces et d’effectuer un suivi », la preuve se résume comme suit :

« L’USPSTF a trouvé des preuves valables qui indiquent que le dépistage permet de mieux identifier les patients dépressifs dans un contexte de soins primaires et que le traitement des adultes dépressifs identifiés dans le cadre de soins primaires diminue la morbidité clinique. Des essais menés visant à évaluer directement les effets du dépistage sur les résultats cliniques ont donné des résultats mitigés. Les études qui consistaient uniquement à faire part des résultats des dépistages aux cliniciens ont relevé peu d’avantages concernant cette méthode. On a observé un plus grand nombre d’avantages dans le cadre des études dont la communication des résultats des dépistages était jumelée à un suivi et à un traitement efficaces. L’USPSTF a conclu que les avantages du dépistage devraient probablement l’emporter sur tous les désavantages possibles ». [Traduction] [39]

Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a tiré la conclusion suivante :

« ...il y a suffisamment de données probantes pour recommander le dépistage de la dépression chez les adultes dans la population générale en contexte de soins primaires dans les milieux cliniques comportant des programmes intégrés de rétroaction aux patients et d’accès à la prise en charge de cas ou aux soins de santé mentale. » [Traduction] [40]

À l’inverse, la Collaboration Cochrane en est venue à la conclusion suivante :

« De nombreuses preuves révèlent que les questionnaires de dépistage et de recherche de cas administrés de manière courante pour déceler les cas de dépression ont peu d’influence sur la détection, la gestion ou le résultat des cas de dépression par les cliniciens. On devrait refuser d’appliquer les lignes directrices sur la pratique et les recommandations visant à adopter cette stratégie, de façon indépendante, dans le but d’améliorer la qualité des soins de santé. On n’a pas évalué les avantages à long terme et les coûts liés à la recherche de cas et au dépistage de la dépression. Une procédure en deux étapes pour le dépistage et la recherche de cas peut se révéler efficace. On devra toutefois la soumettre à une évaluation dans le cadre d’un essai aléatoire de groupement à grande échelle comprenant une évaluation économique prospective ». [Traduction] [41]

Le fait que ce groupe soit réticent à mener une analyse a posteriori des études qui présentent des effets différentiels est probablement la raison qui explique la conclusion divergente émise par la Collaboration Cochrane. Cette position conservatrice justifiée réduit au minimum les chances de recommander une solution inutile ou nuisible. Par contre, en adoptant cette approche, on augmente les risques d’empêcher une personne d’avoir recours à des mesures d’intervention efficaces jusqu’à ce qu’on ait démontré sans aucun doute leur efficacité.

On ne connaît toutefois pas la fréquence idéale à laquelle devrait être effectué le dépistage de la dépression. Toutefois, la justification de la nécessité d’augmenter la fréquence du dépistage au sein des FC est énoncée ci-après.

Le dépistage du TSPT a suscité l’intérêt des organisations militaires, particulièrement aux États-Unis, où l’on constate un nombre élevé de cas liés à ce trouble qui résultent des conflits en Asie du Sud-Ouest [7;45]. Les organisations militaires doivent évidemment s’acquitter d’une obligation particulière afin de réduire les cas de TSPT, compte tenu que ces derniers sont souvent liés au service militaire [46]. Dans le contexte de la prévention du suicide au sein des FC, l’importance de mener un dépistage se justifie comme suit : tout comme la dépression, le TSPT constitue un facteur de risque de suicide [47-50], et entraîne souvent des déficiences fonctionnelles importantes [51;52]. Les cas de TSPT sont également relativement répandus dans les FC : en 2002, la fréquence sur une période de 12 mois au sein de la Force régulière était de 2,8 p. 100 3 [53]. De plus, environ 4 p. 100 des militaires qui revenaient d’un déploiement à l’appui de la mission en Afghanistan ont signalé présenter des symptômes importants s’apparentant au TSPT 4 lors de leur dépistage postdéploiement [54]. Des traitements efficaces sont offerts, mais moins de la moitié des personnes qui souffrent de TSPT y ont recours [55]. La raison principale qui fait que les personnes atteintes ne cherchent pas à consulter est qu’elles ne semblent pas réaliser qu’elles ont un problème pour lequel il existe des soins efficaces. Même pour les membres des FC qui consultent, on remarque qu’il y a souvent un délai important entre l’apparition des symptômes et la première fois où le militaire réclame des soins. 5 Cependant, bien qu’il existe une raison théorique valable justifiant la nécessité d’effectuer un dépistage de masse du TSPT, on dispose de peu de données qui démontrent sans équivoque les avantages évidents de cette mesure [45], ce qui a pour effet de soulever davantage d’incertitude quant à la fréquence optimale à laquelle devrait être réalisé le dépistage. Cependant, on effectue actuellement de nombreuses recherches afin de cerner les avantages et les risques liés au dépistage du TSPT. On devrait donc obtenir des données supplémentaires, au cours des prochaines années, qui fourniront des renseignements sur les pratiques de dépistage. Par exemple, l’US Army procède actuellement à l’évaluation d’une initiative liée aux soins primaires qui comprend un dépistage courant du TSPT [56].

Évaluation de la suicidabilité

Il est impossible d’assurer un traitement optimal des tendances suicidaires sans effectuer une évaluation approfondie des troubles mentaux sous-jacents et des tendances suicidaires en soi. L’American Psychiatric Association a publié des lignes directrices concernant l’évaluation et le traitement des tendances suicidaires [57]. Ces lignes directrices définissent les facteurs de risque et les signes avant-coureurs du suicide et indiquent comment et quand évaluer les tendances suicidaires. Puisque ces lignes directrices ont été établies en 2003, le Comité d’experts a jugé qu’elles constituaient une approche valable pour les FC.

Bien que la liste des facteurs de risque du suicide qui ont été relevés est longue, ces facteurs ne sont pas de bons indicateurs de suicide chez tous les patients [57]. Le fait d’accorder trop d’importance aux facteurs de risque du suicide est problématique si les personnes qui sont considérées à faible risque ne sont pas évaluées ou n’obtiennent pas les traitements dont elles ont besoin. Par conséquent, l’évaluation clinique du suicide doit servir d’outil principal pour évaluer les risques (plutôt que de se fonder sur une série de facteurs de risque socio-démographiques). L’évaluation des facteurs de risque peut toutefois être utile pour la surveillance épidémiologique, mesurer le rendement et planifier les traitements.

Certains ont indiqué que les tendances suicidaires sont un « signe vital » en soins de santé mentale et devraient être évaluées par les cliniciens à chaque visite [58]. Les membres du Comité d’experts croient que cette mesure n’est pas nécessaire et qu’elle pourrait banaliser l’importance du processus d’évaluation. Pour de nombreux patients à faible risque qui n’ont jamais eu de pensées suicidaires et qui ont un excellent état de santé, le fait de se faire questionner constamment au sujet du suicide peut envoyer le message que le thérapeute ne comprend vraiment pas leur situation. Cependant, le Comité d’experts croit que ce désavantage pourrait ne pas s’appliquer aux questionnaires informatisés, pour lesquels on a déjà démontré qu’ils permettaient d’améliorer les soins offerts [59;60].

Les examens d’assurance de la qualité des victimes de suicide ont constamment relevé des lacunes dans l’évaluation clinique du suicide [4;61;62], ce qui indique qu’une attention accrue doit être portée à cet aspect essentiel des soins dans le cadre des activités cliniques liées à l’assurance de la qualité.

Traitement de la suicidabilité

La décision la plus importante en ce qui concerne le traitement des patients suicidaires est le contexte des soins (c’est-à-dire le patient hospitalisé par rapport au patient externe). On a déterminé que les lignes directrices de l’American Psychiatric Association sur cet aspect [57] pouvaient s’appliquer de façon générale au contexte des FC.

La restriction la plus importante concernant ces lignes directrices est qu’elles tiennent pour acquis qu’il y a toujours des lits psychiatriques réservés aux malades suicidaires devant être hospitalisés. Au Canada, la réalité est bien différente : les FC ne disposent plus de leurs propres lits réservés aux patients hospitalisés, et le système de services aux patients hospitalisés est soumis à une pression importante, à un point tel qu’il est impossible de garder de nombreux patients à risque élevé aussi longtemps que les cliniciens traitants le souhaiteraient. Par conséquent, il faudra gérer des militaires présentant des risques élevés de suicide comme des patients externes.

Il est toujours difficile d’assurer la sécurité de patients suicidaires à l’extérieur de l’hôpital. Toutefois, les FC se heurtent à plusieurs autres défis. Premièrement, en raison de leurs obligations militaires, certains militaires ont dû quitter leur lieu d’origine ou renoncer à d’autres sources primaires de soutien social. Deuxièmement, les militaires qui vivent dans des casernes n’ont pas le même niveau d’intimité dont bénéficient normalement les civils. Enfin, de nombreux militaires doivent utiliser des armes à feu pour pouvoir accomplir leur travail. Toutefois, leur interdire l’accès à ces armes constitue une partie essentielle d’une stratégie de réduction des risques pour les personnes suicidaires.

Compte tenu de ces contraintes, il a été nécessaire d’avoir recours à la « surveillance d’un collègue » au sein d’une unité, dont les autres membres sont chargés d’assurer la sécurité d’une personne suicidaire [63;64]. Bien que cette approche ait une bonne intention, elle reste toutefois problématique : en effet, pour assurer la surveillance, il faut manquer grandement à l’obligation de confidentialité, à un moment où la confidentialité est essentielle. Les tentatives de suicide sont un fardeau en soi, et de nombreux patients ont honte d’avoir tenté de se suicider, et certains sont même embarrassés d’avoir raté leur tentative. De plus, les personnes chargées de la « surveillance d’un collègue » n’ont aucune expérience en ce qui concerne la prise en charge de patients suicidaires, c’est pourquoi il est possible que la surveillance n’assure pas un contrôle efficace des risques de suicide. Ces personnes peuvent cependant se sentir responsables lorsqu’une tragédie survient. Finalement, la période durant laquelle les risques de suicide sont fortement élevés dure des semaines, voire des mois, ce qui rend difficile de maintenir la « surveillance d’un collègue ». Ceci étant dit, le Comité d’experts a convenu que, dans des circonstances inhabituelles (comme une zone éloignée de déploiement), la « surveillance d’un collègue » pouvait se révéler une intervention essentielle qui peut sauver des vies.

C. Pharmacothérapie

La pharmacothérapie est la pierre angulaire du traitement des troubles mentaux qui sont le plus souvent associés à des tendances suicidaires, à savoir les troubles psychotiques, les troubles bipolaires et la dépression. Les médicaments font disparaître les principaux symptômes de la condition et améliorent le bienêtre et le fonctionnement de la personne touchée. On a démontré que le clozapine et le carbonate de lithium permettaient de réduire de manière significative les risques de suicide chez les patients souffrant respectivement de schizophrénie et de troubles bipolaires [6]. Cependant, ces avantages risquent d’être limités pour les FC puisque les troubles mentaux graves sont généralement incompatibles avec le service militaire.

De nombreux éléments indiquent que les antidépresseurs permettent en moyenne de réduire de manière importante les pensées suicidaires des patients déprimés [65;66]. Il est difficile, pour des raisons méthodologiques, de présenter des éléments de preuve irréfutables qui démontrent que la médication empêche les suicides. Néanmoins, le Comité d’experts et la plupart des experts estiment que la prépondérance de la preuve suggère fortement que les antidépresseurs permettent de réduire les risques de suicide chez les adultes. Cependant, il semble y avoir une augmentation paradoxale de comportements suicidaires dans les semaines ou les mois qui suivent le début de la prise (ou l’augmentation de la dose) d’antidépresseurs chez une minorité de patients petite mais importante [67].

Il existe des directives conventionnelles régissant l’utilisation des antidépresseurs et des autres médicaments utilisés en psychiatrie pour soigner une vaste gamme de troubles communs comme la dépression, les TSPT et les troubles paniques. De plus, il existe des directives concernant l’utilisation de médicaments chez les patients suicidaires en particulier [57].

Les membres de la Force régulière des FC bénéficient d’un excellent accès aux médicaments utilisés en psychiatrie dont ils ont besoin, et ce, sans frais. Le personnel civil possède quant à lui une couverture beaucoup plus inégale en ce qui concerne les médicaments qui ne sont généralement pas pris en charge par les régimes provinciaux de soins de santé. Même si les médicaments sont couverts par l’intermédiaire d’une assurance privée, une participation aux coûts et le paiement d’une franchise sont souvent requis, augmentant ainsi de façon importante les coûts. Les FC disposent du double de psychiatres par personne que le reste du Canada, ce qui signifie que les temps d’attente avant de pouvoir consulter un spécialiste qui prescrira des médicaments utilisés en psychiatrie sont plus courts que ceux observés au sein du système provincial.

D. Psychothérapie

Les psychothérapies factuelles sont utilisées pour traiter un grand nombre de troubles mentaux communs qui augmentent les risques de suicide, comme les dépressions, les troubles paniques, les troubles de la personnalité limite, les TSPT et autres. Pour de nombreux troubles, des éléments de preuve indiquent que la psychothérapie offre des avantages supplémentaires par rapport à la seule pharmacothérapie.

Les approches cognitivo-comportementales ont fait l’objet de plus d’études et présentent donc les meilleurs éléments de preuve de leur efficacité. C’est pour cette raison que les FC ont récemment terminé un programme de formation à la thérapie cognitivo-comportementale à l’échelle du pays destiné aux fournisseurs de soins de santé mentale. Cependant, d’autres approches comme la thérapie interpersonnelle, la thérapie fondée sur l’acceptation et l’engagement et la thérapie fondée sur la pleine conscience offrent également des avantages.

Des études de grande qualité ont reconnu que la thérapie cognitive et la thérapie comportementale dialectique diminuaient les risques de comportements suicidaires chez les patients présentant des risques très élevés, comme ceux récemment hospitalisés après une tentative de suicide sérieuse et ceux qui présentent des comportements parasuicidaires [6]. Les trois objectifs clés de la thérapie cognitivocomportementale pour les patients présentant des risques élevés sont l’impulsivité, le dérèglement émotionnel et le désespoir ou le pessimisme [6;68].

La thérapie de résolution des problèmes, la thérapie interpersonnelle et même les approches axées sur la compréhension de soi ont démontré leur efficacité [6]. Aucune étude de haute qualité ne s’est intéressée à la meilleure approche pour les patients suicidaires, et encore moins au meilleur traitement à adopter en fonction des circonstances de chaque patient.

Ces thérapies ont en commun le fait qu’elles traitent les comportements suicidaires (ou les problèmes interpersonnels qui causent ces comportements) comme des problèmes indépendants qui nécessitent un traitement particulier plutôt que comme des symptômes d’un trouble latent. Les avantages que procurent ces approches ont été particulièrement démontrés chez les patients qui présentaient des antécédents de comportements suicidaires. Le Comité d’experts croit toutefois que d’autres patients qui présentent des risques élevés pourraient également en tirer profit.

Tout comme l’accès aux médicaments, l’accès à une psychothérapie de qualité est bien plus facile au sein des FC que dans le secteur civil au Canada. Les FC disposeront bientôt de près du double de psychologues et de travailleurs sociaux par personne en comparaison des systèmes provinciaux canadiens. De plus, les membres de la Force régulière ont accès aux psychothérapies dont ils ont besoin sans frais. Tout comme les médicaments, les psychothérapies sont peu prises en charge par les régimes provinciaux de soins de santé. Les assurances privées exigent généralement le paiement de participations aux coûts ou de franchises et la prise en charge est limitée

E. Suivi des personnes ayant tenté de se suicider et des patients présentant des risques élevés

Les premières semaines et les premiers mois suivant une tentative de suicide constituent une période à haut risque pendant laquelle les risques de répétition des comportements suicidaires sont élevés [69-71]. Au cours de cette période, des efforts intensifs doivent être déployés en vue d’optimiser la médication, d’entreprendre une psychothérapie adaptée au diagnostic et visant les comportements suicidaires, d’améliorer le soutien social, de renforcer les capacités du patient à répondre au stress, de résoudre les problèmes interpersonnels, etc. Ces interventions fonctionneront uniquement si le patient suit son traitement de façon continue. C’est sans surprise que l’on constate que les patients qui finissent par se suicider ne se présentent assidûment pas aux rendez-vous de suivi.

Les patients qui ne se prêtent pas assidûment au suivi le font pour diverses raisons, par exemple une certaine ambivalence par rapport aux soins reçus, une amélioration limitée ou lente, des circonstances sociales chaotiques, des éléments concomitants qui mobilisent leur temps et leur énergie, les effets néfastes du traitement, etc. Leur diagnostic principal ou certains traits de leur caractère peuvent avoir une incidence sur leur capacité à établir une relation avec le thérapeute et à déployer les efforts importants requis par une psychothérapie efficace. L’anxiété et le comportement d’évitement peuvent également constituer un obstacle. C’est pour ces diverses raisons qu’il n’est pas possible de rendre le patient seul responsable de son suivi.

Au lieu de cela, l’installation médicale doit déployer des efforts systématiques afin d’assurer le suivi des patients [6]. Cela permet d’améliorer les résultats obtenus en matière de traitement des patients souffrant de troubles mentaux [43] et de ceux qui présentent des comportements suicidaires en particulier [6]. À l’étape des soins primaires à tout le moins, on recommande l’utilisation de méthodes de suivi plus intensives (par exemple, une infirmière responsable des soins qui s’occupe de manière proactive du suivi des patients) plutôt que des mesures moins intensives (par exemple, le simple envoi d’une note par courrier à un patient pour qu’il prenne un nouveau rendez-vous) [43]. Les membres des FC qui présentent des problèmes physiques ou mentaux complexes sont généralement admissibles au programme de prise en charge des cas. Les gestionnaires de cas des FC sont des infirmières autorisées/infirmiers autorisés qui surveillent et coordonnent les soins reçus et s’occupent des avantages sociaux, etc.

Au sein des FC, chaque clinique possède sa propre approche en terme de suivi. Il n’y a pas de raison de penser que les différents procédés sont systématiquement inefficaces. Cependant, certains sont sans doute mieux que d’autres.

F. Restriction de l’accès aux moyens de se donner la mort (réduction des moyens)

Les recherches portant sur le suicide se concentrent généralement sur les raisons qui poussent une personne à se suicider, en considérant que cette compréhension est essentielle pour prévenir les suicides. Cependant, on s’intéresse de plus en plus aux moyens précis utilisés par les personnes pour se suicider [72].

On a longtemps considéré que les moyens utilisés par les personnes pour se suicider n’étaient pas particulièrement importants; si une personne n’avait pas accès à un moyen en particulier, par exemple une arme, on considérait qu’elle utiliserait une autre méthode pour arriver à ses fins, par exemple en sautant d’un pont. Alors que ce remplacement des moyens existe, des éléments de preuve solides indiquent que la réduction des moyens de se donner la mort peut fonctionner [72]. L’un des meilleurs exemples est illustré par la modification de la composition du gaz de cuisine des particuliers au RoyaumeUni, au début des années 1960. Avant cette date, le RoyaumeUni produisait l’essentiel du gaz de cuisine par l’intermédiaire de la gazéification du charbon. Le gaz de ville présentait une concentration élevée en monoxyde de carbone (CO), une impureté. Le CO est un gaz très toxique. Par conséquent, la méthode la plus fréquente de suicides au RoyaumeUni était l’intoxication au CO à l’aide du gaz de ville [73].

Au cours des années 1960, une proportion de plus en plus grande du gaz de ville a été produite à l’aide de méthodes différentes, ce qui a fait chuter la concentration en CO de 12 p. 100 en 1960 à 2 p. 100 en 1970 [72]. Le nombre de suicides causés par une intoxication au CO a diminué de manière importante, passant de 6 à 2 pour 100 000 personnes par année [72]. De manière surprenante, le taux de suicide par d’autres moyens n’a pas changé pour les hommes et a légèrement augmenté pour les femmes, ce qui fait qu’au total le taux de suicide a diminué de manière importante chez les hommes et chez les femmes [72]. Des analyses plus poussées des mêmes données ont démontré que ce changement n’était vraisemblablement pas lié à d’autres facteurs [74]. Par la suite, ce phénomène de réduction des moyens a été observé dans d’autres pays qui ont modifié la composition de leur gaz de ville [75-77].

D’autres éléments de preuve indiquent que d’autres formes de réduction des moyens de se donner la mort peuvent permettre de réduire le taux global de suicide. Ces moyens comprennent : [6]

Les données privilégient l’utilisation de certains de ces moyens plutôt que les autres, mais le Comité d’experts (ainsi que la majorité des experts en matière de prévention des suicides) estime que la réduction des moyens de se donner la mort permet de réduire dans son ensemble les taux de suicide de façon importante. En effet, les éléments de preuve indiquent que la réduction des moyens de se donner la mort est bien plus efficace que l’éducation de masse.

Toutes ces approches de réduction des moyens de se donner la mort visent plutôt la collectivité dans son ensemble qu’un sousgroupe particulier comme le personnel militaire. De nombreuses méthodes de réduction des moyens ont déjà été mises en place au sein des FC, par exemple le contrôle strict de l’accès aux armes de service; d’autres méthodes ne relèvent pas des FC, par exemple l’installation de barrières sur les ponts.

La réduction des moyens de se donner la mort doit se fonder sur les connaissances recueillies à propos des méthodes de suicide utilisées par la population à risque; ces données sont recueillies depuis 2004 dans le cadre du système de surveillance des suicides des FC. Comme l’indique la Figure 5, les suicides sont principalement causés par la pendaison, l’étranglement ou la suffocation. Il est quasi impossible dans ces cas d’utiliser la réduction des moyens de se donner la mort. Pour près de 22 p. 100 des suicides, le moyen utilisé n’est pas connu des épidémiologistes chargés de la surveillance des suicides. Les armes à feu constituent ensuite la troisième méthode la plus utilisée pour se suicider, mais on ne connaît pas toujours la provenance de l’arme (arme de service ou arme personnelle). De plus, on ne sait pas dans quelle mesure les procédures de contrôle de l’accès aux armes ont été suivies dans le cas des suicides réalisés avec une arme de service. Même si les suicides par empoisonnement ne représentent que peu de cas, il s’agit d’une possibilité d’utilisation de la réduction des moyens pour se donner la mort puisque les FC contrôlent le recueil des formules et distribuent à la fois des médicaments sur ordonnance et des médicaments en vente libre; les modifications de ces pratiques pourraient diminuer les risques de suicide.

Force régulière des FC - Moyens de se donner la mort (de 2004 à 2005, N=41) (Déscription ci-dessous)

Figure 5 : Force régulière des FC - Moyens de se donner la mort (de 2004 à 2005, N=41)

Figure 5 : Force régulière des FC - Moyens de se donner la mort (de 2004 à 2005, N=41) (Textuel)

Moyens de se donner la mort % de suicides
Accident de véhicule automobile 2 %
Objet tranchant 2 %
Sauter ou s'allonger devant un objet en mouvement 7 %
Autoempoisonnement 12 %
Coup de feu 20 %
Moyen non précisé 22 %
Pendaison, strangulation et asphyxie 34 %

À la lumière de ces données, le Comité d’experts a déterminé deux domaines potentiels pour lesquels la réduction des moyens de se donner la mort peut être utilisée au sein des FC, à savoir l’optimisation de la restriction de l’accès aux armes de service et la modification de la distribution et de l’emballage des médicaments présentant des risques élevés.

Une plus grande restriction de l’accès aux armes de service ne serait pertinente que dans les cas suivants :

De la même manière, le changement des pratiques pharmaceutiques ne serait pertinent que dans les cas suivants :

La réduction des moyens de se donner la mort est également essentielle au niveau des patients présentant un comportement suicidaire. Par exemple, il faut éliminer les armes et les médicaments à haut risque présents dans la résidence d’un patient qui présente un comportement suicidaire.

G. Mobilisation des médias

Des éléments de preuve indiquent que le signalement de suicides par les médias peut déclencher des comportements suicidaires chez les personnes à risque [6]. C’est pour cette raison qu’il existe des directives régissant le signalement responsable des suicides par les médias [78;79]. Seuls les suicides qui méritent d’être signalés dans les bulletins de nouvelles doivent l’être; cela comprend le suicide des personnalités connues (dont le décès aurait de toute manière été signalé dans les médias). En théorie à tout le moins, le signalement responsable des suicides peut comporter des avantages, par exemple en augmentant la sensibilisation du public, en présentant les ressources auxquelles la collectivité peut avoir accès, en accélérant le processus d’améliorations des systèmes de soins, etc.

Les suicides des membres des FC sont généralement considérés comme dignes d’être signalés dans les bulletins nouvelles, particulièrement s’ils semblent être liés à une mission. Le thème général qui soustend cette couverture médiatique consiste à penser que les FC sont à l’origine du problème de santé mentale chez une personne lorsqu’elles l’envoient en mission, puis qu’elles ne fournissent pas de soins adéquats à ladite personne, entraînant ainsi directement son suicide. Les médias pensent sans doute que le signalement de ces cas tragiques se fait dans l’intérêt du public, de manière à ce que les lacunes présumées du système de soins soient corrigées. Évidemment, les faits derrière ces cas sont souvent beaucoup plus complexes que ceux relatés par les médias, mais les FC ne peuvent réagir en raison des restrictions imposées relativement à la divulgation de renseignements personnels. Les comptes rendus trop négatifs ou subjectifs risquent de créer ou de renforcer des obstacles en matière de soins en brisant la confiance pourtant essentielle que les membres des FC doivent avoir envers leur organisation s’ils doivent demander de l’aide.

Si les médias réalisaient que les membres des FC bénéficient d’un excellent accès à des soins de santé mentale de grande qualité et que les suicides des militaires ont rarement un lien direct avec la participation à une mission, leur intérêt à signaler les cas de suicides diminuerait probablement..

H. Interventions organisationnelles visant à réduire le stress et ses conséquences au travail

Le stress lié au travail est un facteur de risque commun des troubles mentaux, en particulier de la dépression [80]. De plus, le TSPT et les autres troubles liés au stress traumatique peuvent être déclenchés par des événements traumatiques liés au travail, particulièrement dans le cas des postes pour lesquels une exposition à de tels événements est fréquente. On a déterminé que le stress et les conflits liés au travail étaient des éléments déclencheurs des comportements suicidaires parmi les membres des FC. Ainsi, l’atténuation du stress et ses conséquences au travail par l’intermédiaire de mesures organisationnelles comme la formation et la mise en oeuvre de politiques et de programmes peut avoir des effets positifs en matière de prévention des suicides.

Le Comité d’experts a déclaré précédemment que les compétences ordinaires en matière de bon leadership constituaient un outil de prévention des suicides plus efficace que les compétences particulières en matière de prévention des suicides. Ce principe général s’applique également en matière de politiques organisationnelles : les politiques qui atténuent de manière efficace le stress lié au travail constituent vraisemblablement des outils plus utiles que les politiques de prévention des suicides en tant que tel. Il va sans dire qu’il est plus intéressant de mettre l’accent sur la prévention du stress et de la fatigue liés au travail (par exemple en prévenant le harcèlement) que d’aider des employés à vivre avec les conséquences. Comme il a été signalé précédemment, l’atténuation du stress et de la fatigue liés au travail offre de nombreux avantages en plus de la prévention des suicides.

Au cours de la dernière décennie en particulier, les FC ont mis en oeuvre un certain nombre de politiques et de programmes visant à améliorer la qualité de vie et à atténuer le stress au travail. Ces mesures comprennent la politique liée à la fréquence de déploiement du personnel, la politique de sélection et de réintégration, la politique de règlement des différents, la politique de prévention du harcèlement et bien d’autres. D’autres politiques et programmes visent à soutenir les familles des FC, ce qui devrait réduire le stress des familles et, espéronsle, l’échec des relations intimes. Ce dernier point est un élément déclencheur important des comportements suicidaires [81].

Le Comité d’experts a indiqué précédemment que le fait d’éduquer les responsables à propos de la gestion du processus disciplinaire de manière à atténuer les risques de suicide était prometteur, du moins en théorie. La réciproque est vraie pour les politiques et les procédures organisationnelles liées aux procédures disciplinaires. Par exemple, l’USAF 6 a mis en oeuvre une politique de « transfert » pour les militaires visés par une enquête [28]. 7 Cette politique exige que les enquêteurs « transfèrent » la responsabilité du militaire visé par une enquête à la chaîne de commandement de ce militaire immédiatement après la tenue de l’entrevue d’enquête. Les responsables sont ensuite chargés d’évaluer les réactions du militaire et d’intervenir au besoin.

I. Dépistage, l’entraînement à la résilience et modification des facteurs de risque

Le modèle d’objectifs potentiels de prévention du suicide des FC souligne que les stratégies de prévention doivent tenir compte des facteurs de risque et de résilience des personnes, comme les problèmes vécus au cours de la petite enfance, les prédispositions génétiques et la personnalité. Ces facteurs ainsi que d’autres facteurs contrôlent ou atténuent l’efficacité des mesures prises pour prévenir les suicides. Par exemple, certains facteurs génétiques ont vraisemblablement une incidence sur l’efficacité des antidépresseurs. De plus, certains traits de caractère ou certains troubles de la personnalité (par exemple une personnalité limite (« borderline »)) réduisent l’efficacité des psychothérapies conventionnelles.

Ces facteurs d’atténuation ou de modification constituent donc des objectifs possibles pour la prévention des suicides. Le Comité d’experts a déterminé trois domaines qui présentent au moins des possibilités, à savoir : 1) le dépistage; 2) l’entraînement à la résilience; 3) la modification des facteurs de risque.

Dépistage et sélection

Les FC rejettent généralement du processus de recrutement un nombre limité de recrues potentielles qui ont des antécédents de troubles mentaux graves, parmi lesquels la schizophrénie, la dépression grave récurrente et le trouble bipolaire. Ces troubles causent généralement des déficiences qui sont incompatibles avec le service militaire et ils sont également associés à des risques de suicide significativement plus élevés.

Les militaires qui se préparent à partir en mission subissent un dépistage médical et psychosocial afin de s’assurer qu’ils sont en mesure de participer à une mission; ce processus comporte des questions à propos de la dépression, du TSPT, des troubles liés à la consommation d’alcool et des idées suicidaires.

Le dépistage des personnes qui présentent simplement des facteurs de risque pour des troubles mentaux (et donc qui pourraient développer de possibles comportements suicidaires) est difficile et pose également des questions d’éthique. Les problèmes de dépistage tournent autour de trois points fondamentaux :

  1. la prévalence des résultats d’intérêt (troubles mentaux graves, chroniques et difficilement traitables) est faible en terme d’épidémiologie;
  2. la valeur prédictive des outils existants de dépistage et d’évaluation est relativement faible;
  3. les outils de dépistage et d’évaluation peuvent être faussés de manière importante – les candidats motivés sont en effet capables de déterminer la réponse « correcte » aux questions de dépistage.

Ces trois facteurs donnent à penser que les outils de dépistage et de sélection sont finalement peu utiles sont utilisés sur des individus dans des conditions réelles.

Alors qu’il est impossible de rejeter les personnes qui présentent simplement des risques de développer des troubles mentaux à l’avenir, il est possible de sélectionner des candidats en fonction de leur rendement. Ainsi, les personnes qui ne sont pas en mesure de supporter la rigueur de l’instruction militaire ne seront pas sélectionnées. Puisque presque tous les militaires qui participent à une mission ont un rendement adéquat, il semble que ce processus de sélection fonctionne. Cependant, si ce processus permet de déterminer les militaires qui mèneront à bien les opérations qui leur sont confiées pendant une mission, il ne permet pas de s’assurer que les militaires sélectionnés continueront à avoir une bonne santé mentale à long terme après leur retour.

Alors que le dépistage et la sélection peuvent être considérés en théorie comme des stratégies de prévention du suicide pour les organisations militaires, ces mesures ne permettent pas de prévenir le suicide dans son ensemble. Elles déplacent simplement les personnes à risque du secteur militaire au secteur civil.

C’est pour toutes ces raisons que le Comité d’experts n’estime pas qu’il existe des possibilités actuelles de prévention des suicides par l’intermédiaire du dépistage ou de la sélection des militaires.

Entraînement à la résilience

La résilience psychologique se définit comme « la somme des processus psychologiques qui permettent à des personnes de conserver un niveau de bienêtre et de fonctionnement ou de retrouver un niveau précédent face à l’adversité » [82]. Une formation qui permettrait d’améliorer la résilience comporte des avantages certains : les militaires seront confrontés à l’adversité, particulièrement lorsqu’ils participeront à une opération difficile. Il existe des traits psychologiques (notamment le névrosisme) associés à des risques significativement élevés de troubles mentaux. Lors d’une psychothérapie, ces traits peuvent être atténués à l’aide de la thérapie cognitivo-comportementale ou d’autres techniques psychothérapeutiques. L’utilisation de telles techniques avec les personnes qui présentent des symptômes faibles de dépression peut permettre de diminuer les risques de dépression majeure [83]. La thérapie d’inoculation contre le stress permet de réduire l’anxiété et d’améliorer le rendement si elle est suivie avant un événement qui pourrait provoquer l’anxiété (par exemple un saut en parachute) [84].

Le taux élevé de militaires souffrant de problèmes de santé mentale graves après leur retour des conflits qui se sont déroulés en Asie du Sud-Ouest [7], associé au fait que de nombreux militaires ont dû y retourner plusieurs fois en raison des besoins opérationnels, ont fait naître l’intérêt des organisations militaires envers l’entraînement à la résilience. Cependant, ces programmes n’ont pas permis de démontrer une diminution des risques de troubles mentaux chez les militaires. Une fois cette mise au point faite, il faut ajouter que certains programmes semblent prometteurs, par exemple le programme « BATTLEMIND » de l’US Army [25;85;86]. Aucun de ces programmes n’a permis de réduire les comportements suicidaires, mais ils ont permis d’améliorer légèrement le bienêtre des militaires [85], ce qui peut avoir une incidence positive sur la prévention des suicides.

Les FC ont récemment élaboré un programme d’instruction de 10 heures en matière de santé mentale à suivre avant une mission qui comprend différents modules qui traitent de certains aspects de l’entraînement à la résilience. D’autres modules liés à la résilience seront intégrés au programme complet sur la santé mentale. À ce jour, l’évaluation de ces approches d’entraînement à la résilience est cependant limitée au sein des FC.

Modification des facteurs de risque

En plus du programme universel d’éducation sur la santé mentale qui est coordonné par le CCESM, les FC offrent couramment d’autres programmes factuels par l’intermédiaire du programme de bienêtre et de santé mentale ELF. Il s’agit entre autres des programmes « Gérer les moments de colère », « Cours préparatoire sur les relations » et « Le stress : Ça se combat! ». On n’a pas démontré que ces programmes permettaient de prévenir les comportements suicidaires, mais on a des raisons de penser qu’ils peuvent aider. Par l’exemple, l’échec d’une relation intime est un élément déclencheur commun des suicides. Le Cours préparatoire sur les relations est conçu pour prévenir et résoudre les conflits et améliorer le degré d’intimité et les communications, ce qui pourrait éviter l’échec de certaines relations. Même si ces programmes n’empêchent pas les comportements suicidaires, ils offrent d’autres avantages concrets aux FC, aux militaires et à leur famille.

L’abus d’alcool est un facteur de risque courant et un élément déclencheur des comportements suicidaires [6;87]. Les FC disposent d’une stratégie active de prévention de l’abus d’alcool. Les FC offrent également des traitements factuels des troubles liés à l’abus d’alcool par l’intermédiaire des conseillers en alcoolisme, toxicomanie et dépendance au jeu présents sur les bases. Les différents programmes s’adressent aux patients qui souffrent d’une dépendance totale ainsi qu’aux autres.

L’anonymat des militaires qui ont recours à des services de traitement de l’abus d’alcool est grandement protégé : les seuls renseignements qui peuvent être transmis à la chaîne de commandement du militaire sans sa permission concernent les restrictions à l’emploi pour raisons médicales. Rien n’indique que cette politique a mis en danger la sécurité ou l’efficacité opérationnelle.

J. Efforts systématiques pour vaincre les obstacles en matière de soins de santé mentale

Comme il a été mentionné précédemment, la plupart des victimes de suicide semblent souffrir d’un problème de santé mentale au moment de leur décès, mais bon nombre d’entre elles ne reçoivent pas de soins [88-91]. Puisque des soins efficaces peuvent diminuer le risque de suicide, il est essentiel d’intégrer à tout programme de prévention du suicide les moyens de vaincre les obstacles aux soins.

La principale stratégie adoptée dans la plupart des programmes de prévention du suicide pour vaincre les obstacles aux soins est l’éducation de masse. Les objectifs de cette stratégie sont l’amélioration des connaissances sur la santé mentale, le renforcement des techniques d’intervention face au suicide et la déstigmatisation des problèmes de santé mentale. Ces objectifs visent certains, mais non pas tous les obstacles éventuels en matière de soins de santé mentale. À titre d’exemple, ils ne touchent pas aux obstacles structurels tels que l’accès limité aux fournisseurs de soins de santé mentale, à la difficulté d’avoir des congés, aux problèmes de transport, aux barrières linguistiques, etc.

C’est pourquoi un vaste éventail d’initiatives visant à vaincre les obstacles en matière de soins de santé ont été intégrées au Projet de santé mentale – Rx2000 des FC, notamment :

On a beaucoup parlé des obstacles particuliers auxquels se heurte le personnel militaire, tels que la stigmatisation. Ceux-ci ne sont toutefois qu’un obstacle parmi de nombreux autres, et ne constituent peut-être pas un problème plus important dans les FC que dans la population générale [21;23;92]. En outre, même si le personnel militaire est aux prises avec des obstacles particuliers en matière de soins, il a un accès spécial aux soins : Il reçoit les traitements nécessaires absolument sans frais pendant les heures de travail; les services sont offerts dans les deux langues officielles, d’un bout à l’autre du pays. Le transport est fourni (ou est remboursé) lorsque les services sont offerts à l’extérieur.

Même lorsqu’on remonte aussi loin que 2002 (c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la plupart des initiatives relatives à la santé mentale), les militaires aux prises avec des problèmes de santé mentale étaient de loin plus susceptibles que les membres de la population générale d’avoir réclamé des soins de santé mentale [53]. Les données recueillies depuis révèlent que ces initiatives fonctionnent : Les militaires adoptent maintenant pratiquement des attitudes avant-gardistes à l’égard des soins de santé mentale. En outre, plus de la moitié de ceux qui ont signalé des symptômes de TSPT ou de dépression au moment du dépistage postdéploiement recevaient déjà des soins qui leur ont été prodigués en moyenne cinq mois après leur retour [54]. Finalement, des données relatives à une garnison révèlent qu’environ 32 p. 100 des militaires de retour d’un déploiement à l’appui de la mission en Afghanistan ont réclamé des soins de santé mentale au cours de la première année suivant leur retour [93].

Bien que ces données soient encourageantes, les meilleures données sur les obstacles aux soins dans les FC remontent à 2002 [92]. Dans le cadre du système actuel, les obstacles sont vraisemblablement différents : lorsqu’un obstacle est levé, les autres deviennent plus importants. Pour mieux comprendre les obstacles aux soins, les FC posent maintenant des questions détaillées sur les obstacles en matière de soins de santé mentale dans leur Sondage sur la santé et le style de vie (SSSV) bisannuel. Les résultats du sondage de 2008-2009 seront présentés dans quelques mois.

Toutes les données dont on dispose sur les obstacles aux soins dans les FC portent sur les soins en garnison, non pas dans des environnements de déploiement là où les obstacles peuvent être différents. Les FC envoient maintenant plusieurs fournisseurs de soins de santé mentale dans le cadre de leurs principales opérations. Cependant, on ne connaît pas l’étendue des besoins non satisfaits lors des déploiements. Il est beaucoup plus facile d’avoir accès à des moyens de se donner la mort (les armes de poing) pendant un déploiement. Des suicides surviennent occasionnellement pendant des opérations. C’est pourquoi les FC sont en voie de planifier un processus d’évaluation des besoins en soins de santé mentale dans le théâtre d’opérations, calqué sur la méthode de la Mental Health Assessment Team des États-Unis (équipe consultative en santé mentale américaine) [25].

Les représentants du Comité provenant du Royaume-Uni, des États-Unis et d’Australie ont mentionné que leurs politiques exigeaient que la chaîne de commandement soit informée des comportements suicidaires chez les patients à risque élevé. À leur avis, cela est important pour deux raisons. Tout d’abord, la chaîne de commandement est fondamentalement responsable du bien-être des militaires ainsi que de la sécurité et du succès de la mission de l’unité. Ensuite, les membres de la chaîne de commandement pourraient offrir le soutien dont a tant besoin un militaire de leur unité aux prises avec des problèmes.

De leur côté, les représentants des FC étaient d’avis que de solides mesures de protection de la confidentialité étaient essentielles pour que les militaires se sentent en mesure de dévoiler en toute sécurité leurs idées suicidaires. Toutefois, les représentants des FC ont reconnu que cela ne devrait pas exclure un dialogue sérieux avec la chaîne de commandement au sujet des restrictions à l’emploi pour raisons médicales. Finalement, ils ont reconnu que la divulgation volontaire par le militaire était souvent utile pour son rétablissement.

On reconnaît que le temps d’attente constitue un obstacle éventuel à la prestation de soins de santé mentale aux civils canadiens [23]. Le temps d’attente pour obtenir des services de soins de santé mentale dans les FC ressemble grandement ou est inférieur à celui des civils canadiens. Normalement, les personnes qui réclament des soins de santé mentale sont ambivalentes : elles reconnaissent d’une certaine manière qu’elles souffrent, mais elles ont des inquiétudes quant aux soins qui leur seront bénéfiques, aux conséquences de réclamer des soins, etc. Cette ambivalence se manifeste à des degrés divers dans leur détermination à obtenir des soins. Cette variation peut être particulièrement frappante chez les personnes dont les traits de personnalité les prédisposent à un comportement suicidaire, tels que les états limites et l’impulsivité.

Même celles qui sont fermement déterminées à obtenir de l’aide à l’égard d’un problème de longue date seront toujours à risque de se suicider (et d’avoir une déficience fonctionnelle) jusqu’à ce qu’elles reçoivent les soins nécessaires. Une évaluation de triage rapide des comportements suicidaires de ces personnes ne peut que leur apporter autant de réconfort : pour divulguer leurs idées suicidaires, ces personnes doivent entretenir des relations plus étroites avec leur thérapeute que celles qui peuvent être établies au cours d’une visite de triage. Enfin, même lorsque le temps d’attente ne porte aucun préjudice, personne n’aime attendre plus qu’il ne faut pour obtenir un service. Pour toutes ces raisons, le Comité d’experts considérait qu’il était possible d’améliorer la satisfaction (et peut-être d’atténuer le risque de suicide) en diminuant davantage le temps d’attente, même dans les cas « courants ».

K. Efforts systématiques pour améliorer la qualité des soins cliniques

Le Comité d’experts a fait allusion plus tôt à l’« abîme de la qualité » en matière de soins de santé mentale. Des données provenant d’autres milieux révèlent qu’un nombre relativement peu élevé de patients en santé mentale reçoivent des soins que les spécialistes qualifieraient d’optimaux. Par exemple, seulement 55 p. 100 des Canadiens ayant reçu des soins contre la dépression étaient réputés avoir obtenu les soins adéquats minimaux [94]; plusieurs autres études réalisées aux États-Unis [95-97] et au Canada [98;99] révèlent des résultats semblables ou encore plus décevants. Dans des établissements de soins primaires, la proportion des soins contre la dépression qui sont conformes aux lignes directrices s’est révélée aussi faible que 8 p. 100 pour les patients souffrant de dépression au Canada [98] et aussi faible que 13 p. 100 aux Etats-Unis [100]. Les données relatives aux troubles autres que la dépression révèlent un portrait autant préoccupant [101-106]. Tragiquement, les soins donnés aux personnes qui font une tentative de suicide ou qui complètent leur suicide sont en moyenne particulièrement faibles [107;108].

Toutefois, des données révèlent que les soins prodigués dans les établissements spécialisés de santé mentale sont beaucoup plus conformes aux lignes directrices que ceux prodigués dans les établissements de soins primaires [100;109-113]. Cependant, il reste encore beaucoup de place à l’amélioration.

Les causes de cet « abîme de la qualité » sont complexes et mal comprises. Cependant, il est clair qu’il ne suffit pas d’avoir des professionnels bien instruits, bien formés et bien équipés. Ces qualités sont nécessaires, mais ne sont pas suffisantes pour prodiguer des soins de qualité en santé mentale. Le simple fait de distribuer des lignes directrices sur la pratique clinique ou d’exhorter les cliniciens à travailler fort a peu d’effet ou presque sur leur rendement ou sur les patients. Ainsi, le Comité d’experts se rend compte qu’en l’absence d’efforts supplémentaires ses recommandations sur la gestion des soins cliniques optimaux en matière de comportements suicidaires auront peu ou pas d’effets.

Les données précitées proviennent de milieux autres que les FC. Il est donc possible que le système de soins de santé mentale des FC, bien pourvu en ressources, 8 soit plus efficace. Il est certain que les FC ont mis en place un système qui devrait être en mesure d’offrir des soins de grande qualité. Cependant, les FC n’ont pas les moyens de prouver qu’elles le font réellement. De même, elles ne peuvent étayer les résultats des soins qu’elles donnent à ceux qui en demandent [114].

Dans chacune de leurs vingt plus grandes cliniques, les FC comptent un coordonnateur de l’amélioration de la qualité dans son modèle de clinique de santé mentale. Ces coordonnateurs travaillent surtout à l’échelle locale pour trouver des solutions aux problèmes propres aux cliniques. Un nombre restreint d’employés des quartiers généraux participent aussi à l’amélioration de la qualité des soins de santé mentale.

Bien que ces efforts soient louables, il faut adopter une approche systématique et nationale pour améliorer la qualité des services de santé mentale. Pour ce faire, il faut avoir des renseignements détaillés sur :

Ces renseignements doivent être saisis presque en temps réel et stockés dans un entrepôt de données électroniques. En l’absence de riches données électroniques, les efforts d’amélioration de la qualité sont difficiles à entreprendre et encore plus difficiles à maintenir. Il faut posséder des connaissances spécialisées en épidémiologie pour pouvoir manipuler, analyser, interpréter les données et produire rapport à ce sujet.

Actuellement, on dispose de données limitées qui sont utilisables à l’échelle du système aux fins de l’assurance de la qualité. Des améliorations planifiées du Système d’information sur la santé des Forces canadiennes seront utiles. Cependant, il manquera toujours des données importantes (notamment, des données suffisamment détaillées sur le processus et les résultats des soins de santé mentale à l’appui de l’amélioration de la qualité).

L’absence d’une infrastructure pour appuyer les activités d’amélioration de la qualité des soins en santé mentale n’est pas seulement propre aux FC. En 2006, le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a souligné ce qui suit :

« Le Canada ne dispose actuellement d’aucun cliché national de la situation de la santé mentale au pays. La collecte de données de qualité fournira de meilleurs renseignements aux responsables des politiques et aux décideurs, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, ainsi qu’aux prestataires de services et aux groupes de consommateurs. » [115]

L’US Institute of Medicine a formulé des observations semblables dans son étude intitulée Improving the Quality of Mental Health Care for Mental and Substance-Use Conditions [116]..

Des efforts systématiques visant à améliorer la qualité des soins de santé mentale peuvent s’avérer efficaces. En général, ces efforts consistent à restructurer le système de soins au lieu de simplement former des cliniciens. Dans des établissements de soins primaires, la mise en oeuvre de modèles de « collaboration interprofessionnelle » a donné lieu à une amélioration extraordinaire de la qualité des soins donnés aux patients souffrant d’une dépression [117]. Une des méthodes les plus connues est le modèle RESPECT [44;118], qui compte trois principaux volets :

  1. une « pratique préparée » qui comprend la formation sur le programme et la dépression ainsi que la mise en oeuvre d’un mode de dépistage régulier de la dépression;
  2. le recours à une infirmière « responsable des soins » qui communique régulièrement par téléphone avec les patients, pendant la durée des soins, pour évaluer le fardeau des symptômes résiduels, la fidélité au traitement, les effets néfastes, etc.;
  3. l’amélioration de l’accès par les patients aux services spécialisés de santé mentale (consultation officielle, idéalement sur place dans les cliniques de soins primaires) et aux fournisseurs de soins primaires ainsi qu’aux responsables des soins (consultation non officielle).

Une adaptation de ce modèle, qui cible tant la dépression que le TSPT, donne des résultats très prometteurs dans l’US Army [56].

Les enquêtes postsuicides représentent un outil d’assurance de la qualité potentiellement puissant. En vertu de la politique actuelle des FC [119], tous les suicides de militaires doivent faire l’objet d’une commission d’enquête. Bien que l’enquête effectuée par la commission d’enquête soit très approfondie, le Comité a estimé que cet outil était faible et inefficace pour prévenir le suicide, en particulier en ce qui concerne le Groupe des Services de santé des FC. 10 Un certain nombre de facteurs limitent l’utilité de la commission d’enquête :

  1. le processus peut prendre plus d’une année pour que des conclusions fermes soient tirées, ce qui limite la valeur des renseignements utiles fournis. Une dizaine ou plus d’autres militaires peuvent s’être suicidés avant l’achèvement du rapport;
  2. des incidents importants peuvent remonter à plusieurs mois avant la mise sur pied de la commission d’enquête et la convocation des témoins, ce qui augmente la difficulté de procéder à une évaluation précise;
  3. bien que les enquêtes soient terriblement détaillées dans certains domaines, il manque parfois les principales données nécessaires pour prévenir le suicide;
  4. bien que les membres de la commission d’enquête soient des militaires actifs, dévoués et expérimentés, ils possèdent peu ou pas de formation ou d’expérience dans les enquêtes sur le suicide;
  5. le conseiller médical qui participe à la commission d’enquête et les témoins fournis par les Services de santé doivent abandonner d’autres fonctions importantes;
  6. l’enquête peut être dérangeante pour les amis et les membres de la famille, surtout si elle ne leur fournit pas la réponse qu’ils recherchaient;
  7. la mémoire de l’organisation est défaillante en ce qui concerne les conclusions et les recommandations formulées lors de commissions d’enquête précédentes. Par conséquent, ce sont les mêmes recommandations qui sont formulées chaque fois;
  8. le fait de tenir une commission d’enquête concernant tous les suicides peut envoyer le message selon lequel tous les suicides dans les FC peuvent être prévenus ou c’est la « faute » des FC. Après tout, il n’est pas obligatoire de tenir une commission d’enquête lorsqu’un militaire succombe à un accident dans son véhicule personnel, non plus lorsqu’un militaire meurt d’une crise cardiaque durant le service.

En raison de ces contraintes, le Comité d’experts a estimé qu’une enquête clinique rapide sur le suicide, menée immédiatement après un suicide, serait de loin plus utile que la commission d’enquête menée aux fins d’assurance de la qualité des soins médicaux.

En général, les autopsies psychologiques ne font pas partie des enquêtes sur le suicide dans les FC. Le Comité d’experts doute de la valeur de ces autopsies comme outil courant. Aux États-Unis, celles-ci sont réservées aux cas où il existe un doute quant à la cause de la mort ou à l’intention de la victime (homicide ou suicide, surdose intentionnelle ou accidentelle, etc.).

La surveillance constitue un élément essentiel d’un programme de prévention. Depuis 2004, les FC comptent un programme de surveillance du suicide. Ce programme est décrit en détail à l’ANNEXE I. Bien qu’il s’agisse d’un progrès important par rapport au système précédent, il manque souvent les principales données permettant d’évaluer les efforts de prévention. Par exemple, il est possible de ne pas trouver dans les documents dont dispose le personnel responsable de la surveillance du suicide la provenance de l’arme utilisée (personnelle ou appartenant aux FC) dans les cas de suicide commis à l’aide d’une arme à feu.

Les FC ne disposent d’aucun mécanisme leur permettant de saisir des données sur les suicides commis par les réservistes, auprès desquels les FC peuvent beaucoup moins intervenir pour prévenir le suicide. Les réservistes de classe A (qui représentent la majorité des membres de la Première réserve des FC) ne passent que quelques heures par semaine sur leur lieu de travail militaire et reçoivent la plupart de leurs soins de santé par l’intermédiaire du système provincial.

Jusqu’à tout récemment, il n’existait aucun mécanisme de surveillance au sein des FC et du ministère des Anciens Combattants concernant le suicide chez les anciens combattants (après leur libération du service militaire). Il s’agit d’une lacune importante en raison des risques accrus de suicide chez les militaires actifs seulement après leur libération [12;120]; ces risques semblent être des plus élevés au cours des premières années suivant la libération [120;121].

Pour trouver des solutions à ce problème, les FC et le ministère des Anciens Combattants travaillent de concert avec Statistique Canada afin de développer la capacité d’examiner l’incidence des cancers et la mortalité (y compris la mortalité liée au suicide) chez les militaires et les anciens combattants (y compris les réservistes) qui ont servi à compter de 1972. 11 Pour ce faire, il faudra établir de façon périodique des liens entre les dossiers du personnel des FC et les registres nationaux sur les décès et les cancers. 12

Les FC comptent d’autres mécanismes de surveillance efficaces relativement aux données sur le suicide, notamment sur les idées suicidaires, les tentatives de suicide déclarées par les intéressés, les symptômes de problèmes de santé mentale et les obstacles en matière de soins de santé mentale. Selon les données provenant d’autres sources, les tentatives de suicide chez les militaires ressemblent beaucoup aux suicides réussis], sauf que les moyens utilisés sont moins de nature létale. Les tentatives de suicide graves sont probablement plus nombreuses que les suicides réussis par environ un facteur de cinq, ce qui augmente l’efficacité statistique de l’évaluation des programmes de prévention du suicide.

1 Les deux prochaines sections aborderont ce point en détail.

2 On abordera ces systèmes plus en détail plus loin dans le présent rapport.

3 On ne connaît pas la prévalence actuelle, mais on recevra sous peu les résultats du Sondage sur la santé et le style de vie de 2008 qui fourniront une estimation ponctuelle de la fréquence du dépistage du TSPT pour l’ensemble des FC.

4 C’est-à-dire qu’ils ont obtenu une note égale ou supérieure à 50 pour la liste de vérification du TSPT, version civile (PCL-C).

5 Le délai médian avant que les militaires atteints de TSPT liés au service militaire au sein des FC consultent était de l’ordre de 5,5 ans en 2002. Toutefois, des données plus récentes indiquent que le délai entre l’apparition des symptômes et l’obtention des premiers soins est beaucoup plus court à l’heure actuelle.

6 Le programme de prévention des suicides de l’USAF sera examiné plus en détails dans une section ultérieure.

7 Le choix terminologique de l’USAF est ici malheureux : dans ce contexte, le terme « transfert » ne signifie pas que l’enquêteur ne s’intéresse pas au bienêtre psychologique du militaire visé par l’enquête. Au contraire, l’objectif de cette politique consiste à améliorer cet aspect.

8 Les FC dépensent environ six fois plus par personne en soins de santé mentale que le fait le Canada dans son ensemble.

9 Les données sur les caractéristiques de base qui influencent le pronostic sont importantes, car elles sont nécessaires pour établir des comparaisons valables.

10 Bien sûr, les commissions d’enquête sur le suicide peuvent servir à d’autres fins.

11 On a choisi l’année 1972 parce qu’il s’agit de la première année où les FC disposent de données électroniques fiables sur le personnel.

12 Ces études de corrélation ont été effectuées concernant les anciens combattants de la guerre du Golfe Persique originaires d’un certain nombre de pays. Il n’a pas été démontré que les anciens combattants de la même époque, qui n’ont pas participé à ce conflit, présentaient un risque accru de suicide.

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