Opération LANCE (MINUAR)

Nom de l'opération internationale : Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)

Dates de l'opération internationale : 1993/10/05 – 1996/03/08

Organisme responsable : Nations Unies

Nom de la région : Afrique

Lieu : Rwanda

Nom de l'opération canadienne : opération LANCE

Dates de l'opération canadienne : 1993/10/05 – 1996/02/15 

Mandat de la mission :

Le 5 octobre 1993, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 872, qui instituait la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Le mandat de la MINUAR consistait à faire en sorte que les parties concernées respectent l’Accord de paix d’Arusha, notamment en aidant à maintenir la sécurité dans la capitale, Kigali, en établissant des zones démilitarisées et des procédures de démobilisation et en surveillant l’état de la sécurité durant les dernières étapes du gouvernement de transition.

Au moment du déclenchement du génocide et de la reprise de la guerre civile, l’adoption de la résolution 912 (21 avril 1994) a élargi le mandat de la MINUAR afin qu’elle puisse servir d’intermédiaire pour la négociation d’un cessez‑le‑feu, faciliter le rétablissement de l’aide humanitaire et surveiller la sécurité des civils qui s’étaient réfugiés auprès de la mission.

La résolution 918, adoptée le 17 mai 1994, a autorisé la MINUAR à contribuer à la protection et à la sécurité des réfugiés et des civils, entre autres en protégeant les opérations de secours. Ce rôle additionnel a entraîné l’élargissement de la taille de la mission. La MINUAR a aussi été chargée de protéger le personnel du Tribunal international pour le Rwanda (résolution 965, adoptée le 30 novembre 1994), qui faisait enquête sur les crimes de guerre et le génocide perpétrés dans ce pays.

C’est seulement au milieu de 1995, soit près d’un an après la mise en place d’un nouveau gouvernement, que l’on a modifié le mandat de la MINUAR en fonction de cette nouvelle donne. Le 9 juin 1995, le Conseil de sécurité a approuvé la résolution 997 modifiant le mandat de la mission pour qu’elle puisse assister le nouveau gouvernement dans son entreprise de réconciliation nationale et de reconstruction. Le mandat a été modifié une dernière fois le 12 décembre 1995 par la résolution 1029, qui chargeait la mission de faciliter le retour des réfugiés en toute sécurité.

Notes sur la mission :  

En 1994, le Rwanda était un pays de deux extrêmes. Les Hutus constituaient 90 p. 100 de la population, et les Tutsis, environ 8 p. 100. Les deux groupes vivaient en grande partie de l’agriculture, et presque 95 p. 100 de la population, soit quelque 7,15 millions d’habitants selon les estimations de 1991, étaient établis à la campagne.   

Presque à partir de son indépendance, l’ancienne colonie belge a été en proie à des affrontements entre factions rivales. Certains actes de violence, à caractère tribal, opposaient les Hutus et les Tutsis. Les Belges avaient séparé la population en fonction de l’ethnicité. Les Tutsis détenaient le pouvoir au cours de la période coloniale belge, après que la Belgique a eu destitué les chefs et sous‑chefs hutus et les a eu remplacés par une monarchie tutsie. Cette situation a perduré jusqu’à ce qu’une élite hutue émergente et une contre-élite tutsie s’élèvent contre la monarchie à partir de 1959. Lorsque le Rwanda a acquis son indépendance en tant que république le 1er juillet 1962, plus de la moitié des chefs et des sous-chefs tutsis avaient été tués ou exilés.

 

Étant donné la violence persistance au cours des premières années de l’indépendance du Rwanda, l’exode des Tutsis s’est poursuivi, de sorte qu’en 1994, environ 550 000 d’entre eux vivaient à l’extérieur du pays. La plupart s’étaient enfuis en Ouganda, où, en 1988, ils ont pu mettre sur pied le Front patriotique rwandais (FPR) et, comme branche militaire, l’Armée patriotique rwandaise (APR). Bien qu’elle ait été principalement composée de Tutsis et dirigée par ceux-ci, l’Armée patriotique rwandaise comprenait des Hutus que le régime de Kigali s’était aliénés.

 

L’Armée patriotique rwandaise a lancé ses premières attaques dans le Nord du Rwanda en octobre 1990. Comme celles-ci se poursuivaient, les États voisins ont négocié un certain nombre d’accords de cessez-le-feu, qui ont tous été rompus, jusqu’à ce qu’en juillet 1992, l’Organisation de l’unité africaine et le gouvernement de la Tanzanie en concluent un qui semblait susceptible de durer. Cet accord prévoyait le déploiement d’un Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN I) de l’ l’Organisation de l’unité africaine composé de 50 membres, qui serait chargé de mener sa mission en Ouganda, le long de la frontière avec le Rwanda. Cependant, en février 1993, les combats ont repris malgré sa présence, si bien que l’Organisation de l’unité africaine a encore une fois organisé des pourparlers. L’Accord de paix d’Arusha a été signé le 4 août, et l’Organisation de l’unité africaine a envoyé un deuxième Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN II) en Ouganda. Entre-temps, le Rwanda et l’Ouganda ont tous deux demandé à l’ONU d’assurer une présence (observateurs militaires ou observateurs militaires de l’ONU) le long de leur frontière commune pour empêcher les incursions de l’APR.

 

Le 22 juin 1993, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 929, qui a créé la Mission d’observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda (MONUOR). Le mandat de la MONUOR était simple : empêcher toute aide militaire de pénétrer au Rwanda. Cela visait en fait non seulement l’Armée patriotique rwandaise, établie dans le Nord du pays, mais aussi le gouvernement du Rwanda. La résolution prévoyait le déploiement de 81 observateurs militaires des Nations Unies et intégrait les 54 membres du GOMN II. La MONUOR devait en principe réaliser ses activités du côté ougandais de la frontière, mais tout le monde reconnaissait la nécessité d’établir aussi une mission au Rwanda même. Un peu moins de quatre mois plus tard, le 5 octobre 1993, le Conseil de sécurité, au moyen de la résolution 872, a donc institué la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), dont le mandat consistait à faire respecter l’accord de paix d’Arusha, à surveiller l’application du cessez‑le‑feu, à aider aux activités humanitaires et à enquêter sur les violations de l’Accord d’Arusha. Le Conseil de sécurité a aussi accepté d’intégrer la MONUOR à la MINUAR.

 

Le commandant de la Force de la MINUAR, le brigadier-général canadien Roméo Dallaire (il détenait ce grade à l’époque), était aussi le chef du groupe d’observateurs militaires de la MONUOR. Il avait passé la majeure partie de son temps à New York à dresser des plans pour la MINUAR et il n’était arrivé au Rwanda que le 22 octobre, suivi 5 jours plus tard par 21 membres du détachement précurseur. Les membres du GOMN II de l’ l’Organisation de l’unité africaine ont été intégrés à la MINUAR, devenant ainsi les premiers militaires affectés à cette mission. Les troupes de la Belgique et du Bangladesh sont arrivées au début de décembre.

 

La situation a été davantage compliquée par des événements au Burundi, où un coup d’État mené par des Tutsis a entraîné l’assassinat du président hutu élu démocratiquement. La violence qui en a découlé a causé la fuite de quelque 580 000 personnes vers des camps de réfugiés dans le Sud du Rwanda, tandis que les réfugiés rwandais qui s’étaient enfuis vers le Burundi se rendaient maintenant dans des pays avoisinants. Les combats dans le Nord du Rwanda ont engendré un nouveau flot de réfugiés, certains s’enfuyant vers des pays voisins. De plus, 350 000 autres personnes, principalement des Hutus, ont été déplacées à l’intérieur du pays, surtout dans le Nord du Rwanda.

 

Une telle instabilité ne présageait rien de bon pour l’avenir, mais certains succès ont été remportés au Rwanda même. Le brigadier-général Dallaire a reçu l’autorisation de l’ONU de créer un secteur onusien additionnel dans le Sud afin de participer à l’initiative d’aide aux réfugiés burundais. Au 24 décembre, le brigadier-général Dallaire avait aussi été en mesure d’établir à Kigali une zone de sécurité où les armes étaient interdites et, le 28, les forces de la MINUAR ont escorté dans cette ville 600 soldats de l’Armée patriotique rwandaise ainsi que des ministres et des officiers d’état‑major désignés, conformément à l’Accord d’Arusha. Sur le plan politique, la MINUAR a également commencé à aider à la création d’un gouvernement de transition. 

 

Toutefois, les progrès institutionnels n’avaient pas toujours un effet d’entraînement auprès des factions ennemies. Ainsi, la formation et l’arrivée de la MINUAR n’ont pas mis fin aux assassinats pour des motifs politiques ni à l’armement et à l’entraînement de jeunes hommes dans les camps de réfugiés burundais et aux alentours. En fait, en janvier et février 1994, la situation est devenue de plus en plus dangereuse à Kigali, où on a assisté à une multiplication des manifestations violentes, des assassinats de dirigeants politiques et des agressions contre les civils, en particulier les Tutsis et les Hutus modérés. L’Interahamwe, groupe de milice pro-gouvernemental qui a été actif dès mars 1992, s’est mis à commettre un nombre croissant d’exactions, si bien que le nombre de victimes a grimpé de façon inquiétante. Le président Juvénal Habyarimana n’a jamais dénoncé cette violence fondée sur l’ethnie.

 

Élément encore plus grave, le 11 janvier 1994, le brigadier-général Dallaire a envoyé un câble au siège de l’Organisation des Nations Unies pour rapporter sa conversation avec un « instructeur supérieur » de l’Interahamwe. L’informateur lui avait mentionné qu’il existait un plan d’extermination des Tutsis. Ce plan visait aussi à assassiner des soldats de la paix belges dans le but de persuader les Belges de se retirer. Le brigadier-général Dallaire était également au courant de l’emplacement de caches d’armes dans la région de Kigali et voulait y faire un raid pour saisir les armes. Les autorités de l’ONU ont rejeté sa demande et lui ont conseillé de plutôt consulter les dirigeants du gouvernement. Cette situation a mené à la dispersion des armes parmi les miliciens et les partisans du gouvernement.

 

La réaction du siège de l’ONU montrait comment la MINUAR était perçue et gérée aux niveaux supérieurs. S’étant déjà grandement engagé en Somalie et en ex-Yougoslavie, le siège de l’Organisation des Nations Unies ne voulait pas que la MINUAR prenne de l’expansion et, par conséquent, limitait les mesures que le brigadier-général Dallaire pouvait prendre, afin d’éviter un changement d’orientation de la mission, c’est-à-dire une modification graduelle des objectifs au cours de la campagne militaire souvent susceptible d’entraîner un engagement à long terme imprévu. Cela explique aussi le manque de soutien logistique : trop peu de véhicules, aucune réserve de nourriture, de carburant, de fournitures médicales et d’eau et préparatifs insuffisants pour permettre la légitime défense, si on en arrivait là.

 

Le 6 avril 1994, à 20 h 30, l’avion transportant le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, et le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, a été abattu par un missile sol-air tandis qu’il s’approchait de l’aéroport de Kigali. Cette catastrophe a déclenché un génocide étalé sur 3 mois, au cours duquel ont été tués plus de 800 000 hommes, femmes et enfants, tant tutsis que hutus. On disposait de nombreuses preuves visuelles du massacre, qui ont été largement diffusées. Le 8 avril, l’Armée patriotique rwandaise a lancé une offensive généralisée contre les troupes gouvernementales. Le génocide s’est arrêté uniquement lorsque l’Armée patriotique rwandaise a pris le contrôle du pays.

 

Parmi les premières victimes se trouvaient des politiciens hutus modérés et des opposants du régime. Des soldats du gouvernement du Rwanda ont capturé 10 soldats de la paix belges et les ont assassinés, ce qui a amené le gouvernement de la Belgique à annoncer le retrait de ses soldats de la paix. Le Bangladesh allait lui emboîter le pas. Le commandant du contingent belge, le Col Luc Marchal, a pu retarder son évacuation jusqu’à l’arrivée à Kigali des troupes ghanéennes, auxquelles le Front patriotique rwandais avait ordonné de quitter le Nord.

 

Le génocide a débuté à Kigali et dans les environs, mais à mesure que l’Armée patriotique rwandaise avançait vers le sud, les régions devant elle ont commencé à faire l’objet de nettoyages ethniques. Les actes de génocide se sont ensuite déplacés vers le sud. Ils n’étaient pas uniquement le fait de l’Interahamwe. En effet, la gendarmerie, les Forces gouvernementales rwandaises, les milices pro‑gouvernementales, les chefs politiques régionaux et, à mesure que la violence se propageait, même les paysans dans les villages y prenaient part. Les assassinats méthodiques des premières victimes indiquaient que les tueries avaient été planifiées. Tout d’abord, ce sont les opposants hutus du régime qui avaient été ciblés, y compris le président de la Cour constitutionnelle et le ministre de l’Information, ainsi que des Hutus modérés. Puis, les attaques avaient visé des civils dissidents très en vue et, finalement, tout Tutsi et Hutu modéré. Tandis que le génocide se poursuivait, les leaders régionaux et les chefs de village incitaient les Hutus locaux à tuer leurs voisins tutsis et quiconque essayait de les protéger.

 

Les émissions incendiaires de Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLMC) constituaient un autre incitatif à la violence. En effet, en juillet 1993, la station RTLMC a commencé à diffuser des messages haineux contre les Tutsis et les Hutus modérés. Ils étaient si extrêmes que peu de gens les prenaient au sérieux. Mais lorsque le génocide a débuté, RTLMC a entrepris d’indiquer les lieux où se trouvaient les Tutsis et les Hutus modérés à tuer, allant même jusqu’à donner des adresses précises, de sorte que l’Interahamwe, les soldats du gouvernement du Rwanda et la gendarmerie rwandaise puissent aller les assassiner.

 

Au début, dans l’esprit de nombreux observateurs de l’extérieur, il régnait une certaine confusion quant à savoir s’il s’agissait d’actes de violence à grande échelle contre des opposants du régime ou d’un génocide à proprement parler, ainsi qu’au sujet des auteurs de ces crimes. Pour ajouter à la confusion, les autorités gouvernementales niaient ou minimisaient les preuves des assassinats commis, tandis que les médias rwandais, en particulier RTLMC, attribuaient la violence à l’Armée patriotique rwandaise et à sa présumée violation du cessez-le-feu. En outre, le Rwanda était alors membre du Conseil de sécurité de l’ONU, où ses dénégations influençaient dans une certaine mesure une organisation qui avait été touchée par la violence contre les forces américaines en Somalie. 

 

Pour le personnel de la MINUAR au Rwanda, il était clair que les meurtres étaient une action motivée par des considérations politiques et approuvée tant par l’ancien gouvernement que par le nouveau gouvernement provisoire mis en place le 9 avril. Des membres du nouveau gouvernement avait en fait affirmé qu’ils pourraient arrêter le génocide s’il y avait un cessez-le-feu.

 

Malgré les rapports de la MINUAR envoyés du Rwanda indiquant que des assassinats systématiques étaient en cours, l’ONU mettait l’accent sur le processus de paix. Dans son rapport du 20 avril, le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, a insisté sur celui-ci, se servant de la menace de retrait de la MINUAR comme levier pouvant être utilisé contre les deux camps et pour assurer la sécurité des troupes de la MINUAR. À l’appui de ses arguments, il a proposé trois options : renforcer la MINUAR, en réduire les effectifs à 270 membres ou l’évacuer complètement du Rwanda. Le 21 avril 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU, choisissant la deuxième option, a adopté la résolution 912. La MINUAR s’est retrouvée avec une force d’environ 450 membres, principalement des soldats du Ghana et de la Tunisie, en plus de quelques observateurs militaires de l'ONU.

 

Au milieu de tout cela, le major-général Dallaire (qui avait été promu le 20 mars 1994) s’efforçait comme il le pouvait de gérer les multiples priorités. Il s’est réuni avec les chefs des deux camps pour tenter de conclure un accord de cessez-le-feu et de mettre fin au génocide. Il a aussi essayé de faire déclarer l’aéroport de Kigali emplacement neutre et de faire déplacer de grands nombres de civils de zones contrôlées par le gouvernement à des zones contrôlées par l’Armée patriotique rwandaise ou l’ONU, et vice versa. Le major-général Dallaire a poursuivi sa tâche en allant rencontrer les autorités ougandaises pour qu’il soit possible d’utiliser l’aéroport d’Entebbe comme base de l’ONU. De plus, il avait toujours du temps à consacrer aux journalistes, car il voulait que le monde entier sache ce qui se passait au Rwanda. En fait, il s’efforçait de faire tout ce qui était possible pour arrêter le génocide et fournir du soutien aux civils, mais en fin de compte, ses efforts auront été vains.

 

Les tentatives du major-général Dallaire de négocier un cessez‑le‑feu ont échoué. Par ailleurs, en théorie, il n’était pas autorisé, selon son mandat initial, à intervenir pour sauver la vie des civils rwandais; néanmoins, des mesures ont été prises à cet égard quand c’était possible. Les quelques troupes qui servaient encore au sein de la MINUAR ont été en mesure de fournir une certaine protection aux quelque 20 000 civils rassemblés dans le stade d’Amahoro, à l’Hôtel des Mille Collines, à l’hôtel Méridien et à l’hôpital du roi Faisal, mais en raison du peu de personnel et d’une présence limitée dans le reste du pays, elles n’ont pas pu faire beaucoup plus. Il a même été impossible d’essayer de protéger les quelque 10 000 réfugiés à la cathédrale Saint-Michel, à Kigali.

 

Néanmoins, la présence de troupes de la MINUAR a eu un effet dissuasif dans de nombreux cas. Après le départ du bataillon bangladais, 12 soldats du maintien de la paix de l’ONU, armés de fusils et de pistolets et se servant de fil barbelé, ont réussi à protéger environ 10 000 civils dans le stade d’Amahoro. Dans au moins l’un des cas, le major-général Dallaire avait envoyé des observateurs militaires de l'ONU non armés dormir dans des orphelinats, comme moyen de dissuasion. Mais il y avait tout simplement trop peu de soldats pour pouvoir prendre ce genre de mesures partout et, lorsque l’ONU quittait une région, des tueries survenaient. Un peloton belge avait protégé environ 2 000 civils à l’École Technique Officielle, mais quand les Belges se sont retirés du Rwanda, ces civils ont tous été tués. Parfois, il fallait utiliser la force pour lutter contre la force. Un petit détachement de Tunisiens à l’Hôtel des Mille Collines, avec l’aide d’observateurs militaires de l'ONU dirigés par le major Victor Moigny, du Congo, a repoussé trois grosses attaques menées par l’Interahamwe et a résisté à plusieurs bombardements. 

 

Dans un autre cas, les Forces gouvernementales rwandaises ont rassemblé les Tutsis et les ont placés dans une église. Elles ont ensuite fait appel à l’Interahamwe, dont les membres ont attaqué à la machette les hommes, les femmes et les enfants à l’intérieur. En dépit des supplications des membres du clergé et de deux observateurs militaires de l'ONU, le fusil sous la gorge, les forces gouvernementales ne sont pas intervenues. Dans ce cas particulier, la présence des observateurs militaires de l'ONU n’a de toute évidence pas constitué un facteur de dissuasion, tant la rage était grande. Le major‑général Dallaire essayait d’organiser la protection comme il le pouvait ou de trouver des moyens de déplacer les réfugiés, mais cette dernière option se révélait très dangereuse, car l’Interahamwe régnait dans les rues et n’était que trop disposée à faire sortir les gens des véhicules de l’ONU. Quant aux personnes qui ne pouvaient pas bénéficier de la protection de la MINUAR, on tentait quotidiennement de leur apporter de la nourriture et d’autres approvisionnements à leur lieu de refuge.

 

Dans la semaine qui a suivi le début du génocide, la MINUAR a aidé à l’évacuation des ressortissants étrangers vivant au Rwanda, responsabilité qui s’est accrue une fois les troupes belges parties. Les membres de la MINUAR se faisaient régulièrement harceler au cours de toutes ces tâches et, parfois, on les attaquait directement. Si les gouvernements étrangers étaient presque toujours prêts à demander instamment l’évacuation des civils étrangers, à y participer et à l'appuyer, en particulier dans le cas de leurs propres ressortissants, peu acceptaient d’agir pour aider la MINUAR à arrêter le génocide. Cette inaction était particulièrement évidente au Conseil de sécurité.

 

La résolution 912 a autorisé la MINUAR à servir d’intermédiaire pour la négociation d’un cessez‑le‑feu au Rwanda, à contribuer au rétablissement de l’aide humanitaire et à surveiller la sécurité de tous les civils qui cherchaient refuge auprès de la mission. Le mot clé était « surveiller »; en effet, la MINUAR n’était pas autorisée à protéger les réfugiés. En raison du niveau de violence, il y a eu plus de deux millions de Rwandais déplacés à l’intérieur du pays et menacés d’agressions, d’où une crise humanitaire qui a dépassé toutes les capacités des organismes de secours non gouvernementaux et de l’ONU. Néanmoins, malgré les nombreux reportages décrivant les massacres commis, en plus des propres rapports de la MINUAR, ce nouveau mandat ne permettait pas à la MINUAR de recourir à la force pour arrêter le génocide ou pour assister les organismes humanitaires.

 

L’ONU a commencé à percevoir la nécessité d’un changement à la mi‑mai, lorsque la résolution 918 adoptée par le Conseil de sécurité le 17 a finalement autorisé la MINUAR à protéger les réfugiés et les civils en danger et à assurer la sécurité des opérations de secours. Les effectifs de la Force ont été multipliés par 11, pour passer de 500 à 5 500 membres. Mais peut-être parce que les États membres espéraient que la MINUAR pourrait négocier un cessez-le-feu durable – qui demeurait l’élément central du mandat – on ne s’est pas pressé pour déployer ces renforts. Au moins, les quelque 500 militaires et plus déjà sur place ont obtenu la permission d’employer la force en cas de légitime défense et contre ceux qui « menaçaient les populations et les emplacements protégés ». Néanmoins, on était encore loin de la protection complète de la population.

 

(Après l’adoption de la résolution 918, la mission au mandat élargi est souvent désignée à tort MINUAR II. Dans les documents de l’ONU de haut niveau, « MINUAR II » n’est utilisé que par le secrétaire général de l’ONU, Boutros-Ghali, dans son rapport du 13 mai 1994, pour désigner la mission révisée. Ni le Conseil de sécurité ni le secrétaire général [après le rapport du 13 mai] n’ont employé « MINUAR II » comme nom de la mission dans leurs documents.)

 

C’est la résolution 929, adoptée le 22 juin 1994 par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a enfin accordé aux troupes le droit explicite d’utiliser la force pour secourir d’autres personnes, autrement dit qui a signifié le passage à une opération relevant du Chapitre VII de la Charte. Cette mesure n’était toutefois pas prise à l’appui de la MINUAR. Pendant que les effectifs de la MINUAR augmentaient lentement et que l’ONU s’efforçait de réunir les fonds nécessaires à l’opération, le Conseil de sécurité a accepté l’offre de la France de protéger les personnes déplacées. La mission française, baptisée opération TURQUOISE, a débuté le 23 juin. Elle se concentrait surtout sur la partie sud-ouest du Rwanda, soit environ le cinquième du territoire. Cette opération très médiatisée a connu presque trop de succès, drainant à l’excès les ressources des troupes françaises, obligées de nourrir et d’abriter les réfugiés, tandis que de 1,2 à 1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays arrivaient dans la zone. Malheureusement, le mandat des Français ne comprenait pas le désarmement des forces gouvernementales, qui ont alors établi des camps militaires près de Bukavu, dans le Sud du Zaïre. Il ne permettait pas non plus aux troupes françaises d’arrêter des individus en lien avec le génocide lorsqu’ils pénétraient dans la zone. Les forces paramilitaires étaient désarmées quand les Français les rencontraient, mais les forces de l’Op TURQUOISE n’effectuaient pas de bouclage ni de fouilles pour trouver les armes des milices. Les troupes françaises ont commencé à se retirer le 31 juillet, après quoi la MINUAR a pris en charge leur ancien secteur le 31 août.

 

À ce stade-là, en fait depuis le 19 juillet environ, c’est l’Armée patriotique rwandaise qui contrôlait réellement le pays, au point de former un nouveau gouvernement. Les soldats de l’ancien régime se sont alors repliés au Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo), en pressant beaucoup de civils de les accompagner. Au cours de juillet 1994 seulement, plus de 1,2 million de réfugiés sont entrés au Zaïre, où il y avait peu de ressources pour gérer cet afflux massif. La MINUAR, qui n’avait pas le droit d’intervenir dans la guerre civile rwandaise, était impuissante à empêcher les atrocités commises envers les personnes qui fuyaient, tandis que les organismes d’aide humanitaire ne pouvaient tout simplement pas venir à bout des problèmes qu’entraînait cette situation très instable.

 

Le problème des réfugiés était énorme. Plus de 243 000 Rwandais se trouvaient au Burundi, 589 000 en Tanzanie et 1,2 million au Zaïre. Ces groupes inondaient les installations disponibles, et il était clair que la seule solution réaliste pour résoudre la crise humanitaire, qui s’était propagée dans les pays avoisinants, était de rétablir au Rwanda une stabilité suffisante pour convaincre les réfugiés de rentrer chez eux. Le major-général Dallaire a donc déployé la plus grande partie de son contingent encore relativement modeste dans les régions frontalières au nord‑ouest et au sud‑ouest, là où les soldats de la paix pourraient peut‑être rendre le retour des réfugiés plus sûr et plus attirant. Dans la première région, la principale menace venait des soldats de l’ancien régime qui infiltraient les colonnes de réfugiés pour relancer la lutte au Rwanda. Pendant ce temps, dans le Sud‑Ouest du pays, les anciens soldats avaient trouvé refuge dans la zone sous contrôle français, et le nouveau gouvernement rwandais a indiqué qu’il ne les rechercherait pas activement si la MINUAR prenait le contrôle de la région. Cela imposait au major-général Dallaire une nouvelle responsabilité de commandement : alors que son contingent ne comptait encore qu’un peu plus de 500 membres, il devait à présent protéger aussi ces zones et convaincre la population du reste du pays qu’elles resteraient sûres.

 

 La MINUAR a atteint son niveau d’effectif autorisé de 5 500 membres en octobre 1994, de sorte que le major‑général canadien Guy Claude Tousignant, qui a pris la relève comme commandant de la Force en août, disposait enfin des troupes dont avait été privé le major-général Dallaire. Ces soldats de la paix ont aidé au transport des réfugiés rentrant chez eux, maintenu une présence garantissant un minimum de sécurité et contribué aux secours humanitaires. La MINUAR a également affecté sur le terrain des unités médicales militaires pour soigner les personnes retournant chez elles. En collaboration avec le nouveau gouvernement, la MINUAR a tenté d’établir une stratégie pour inciter les personnes déplacées et les réfugiés à rentrer dans leurs foyers. Il y a eu dans le pays jusqu’à deux millions de personnes déplacées; deux millions d'autres habitaient des camps de réfugiés dans les pays voisins, et au moins 800 000 Rwandais avaient été tués, sur une population de 7,15 millions d’âmes avant la guerre civile.

 

En dehors du Rwanda, les dirigeants, les soldats et les miliciens de l’ancien régime contrôlaient dans une large mesure les camps de réfugiés, et il était devenu évident que ces individus empêchaient parfois de force les réfugiés de retourner chez eux; on pensait que c’était peut‑être afin d’enrôler ces réfugiés dans une quelconque armée de libération. C’était aussi le cas dans le Sud-Ouest du Rwanda, l’ancienne zone française. Après la tentative de la MINUAR et de l’Armée patriotique rwandaise de convaincre les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays de quitter le camp de Kibeho pour rentrer chez elles, proposition que beaucoup ont refusée, il a été décidé de réduire graduellement les ravitaillements en vivres et de transporter les gens hors du camp. Au camp de Kibeho, cette décision a entraîné des attaques à petite échelle contre les troupes de l’Armée patriotique rwandaise les 18 et 19 avril 1995. Le 20 avril, deux tentatives de rompre le cordon et des attaques présumées contre les troupes de l’Armée patriotique rwandaise ont fait de nombreuses victimes parmi les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Dans la nuit du 22 avril, des attaques à la machette et par des tireurs d’élite ont été lancées contre les personnes déplacées.

 

Entre‑temps, le Conseil de sécurité des Nations Unies a institué le Tribunal international pour le Rwanda en vue de juger les individus responsables de violations des droits de la personne, notamment le génocide. La MINUAR a été chargée le 30 novembre 1994 de protéger également les membres du Tribunal international, ainsi que de mettre sur pied et de former un nouveau corps de police.

 

Dans le cadre de son mandat consistant à garantir la sécurité, la MINUAR a entrepris d’inspecter les camps pour personnes déplacées au Rwanda, à la recherche d’armes et de munitions dissimulées. Ce travail a été fructueux dans une certaine mesure, mais la crédibilité de la MINUAR a été minée quand les autorités rwandaises ont capturé des soldats de l’ancien régime mêlés aux réfugiés rentrant à la maison, qui transportaient avec eux toutes sortes d’armes. Les forces de sécurité gouvernementales ont alors commencé à faire de l’obstruction, fouillant le personnel de l’ONU et confisquant même des véhicules de l’Organisation. D’ailleurs, le gouvernement a indiqué sans délai qu’il exigeait une réduction des effectifs et du champ d’action de la MINUAR. Ce processus de restriction a débuté le 9 juin 1995, lorsque le Conseil de sécurité a adopté la résolution 997, qui modifiait le mandat de la MINUAR. Celui-ci consistait désormais à aider le nouveau gouvernement dans son entreprise de réconciliation nationale et de reconstruction, et le personnel de la mission était réduit à environ 2 650 membres.

 

Pendant que ses troupes continuaient à acheminer les approvisionnements de secours et à prêter assistance aux organismes d’aide humanitaire, la MINUAR a consacré plus d’efforts à la reconstruction des ponts, des routes, des écoles et des pénitenciers pour soulager les prisons surpeuplées du Rwanda. En septembre 1995, les effectifs de la Force ont été de nouveau réduits, pour tomber à 2 100 membres. Toutefois, en décembre 1995, le gouvernement rwandais a manifesté son désir de voir la MINUAR sortir du pays. Le Conseil de sécurité a donc adopté, le 12 décembre 1995, la résolution 1029, qui mettait un terme à cette mission le 8 mars 1996. Les troupes de la MINUAR ont commencé à quitter le Rwanda le 9, retrait qui s’est achevé le 19 avril.

 

L’incapacité de la MINUAR à protéger les civils rwandais et à contribuer à rétablir dans ce pays un semblant de stabilité a fait l’objet d’une enquête indépendante autorisée par le Conseil de sécurité. Il a été conclu que cet échec et le génocide lui‑même n’étaient pas attribuables à des manquements de la part des membres de la MINUAR sur le terrain; la cause en était plutôt l'absence de volonté de l'ensemble de la communauté internationale d’accorder à la mission les moyens d’action nécessaires.

 

La participation du Canada à la MINUAR s’est déroulée en deux phases. La première a été l’opération LANCE, qui reprenait l’appellation utilisée pour la MONUOR. Elle a débuté par l’arrivée au Rwanda du brigadier-général Dallaire le 22 octobre 1993 et a pris fin lors du déclenchement du génocide le 6 avril 1994. La deuxième phase a englobé l'élargissement du mandat de la MINUAR et la participation accrue de la communauté internationale. Cette phase a donné lieu à trois opérations canadiennes. La première, l’opération LANCE, régissait les activités du quartier général canadien et l’appui direct à la MINUAR. La deuxième, l’opération SCOTCH, désignait la contribution canadienne au transport aérien à destination et en provenance du Rwanda. La troisième, l’opération PASSAGE, menée dans un but humanitaire, a servi au déploiement d’un hôpital de campagne.

 

Le gouvernement du Canada ayant donné le feu vert, les Canadiens ont participé à la planification de la MINUAR avant même son autorisation par le Conseil de sécurité, le 5 octobre 1993. Le brigadier‑général Dallaire a été désigné commandant de la Force deux semaines plus tard, ce qui en faisait le commandant adjoint de la MINUAR (c’était le chef politique de la mission qui exerçait l’autorité suprême), en charge de l’ensemble des effectifs militaires. Il est arrivé au Rwanda le 22 octobre, tandis que son principal adjoint, le major Brent Beardsley, y est parvenu le 25 novembre. Ils devaient au départ essayer de faciliter la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Arusha.

 

La contribution du Canada à la MINUAR s’est limitée à ces deux officiers jusqu’à la période suivant le début du génocide. Comme les événements le montreraient, les observateurs militaires de l'ONU canadiens supplémentaires qui sont arrivés en avril 1994 allaient jouer des rôles importants au sein de la MINUAR. Dès le 9 décembre 1993, le brigadier-général Dallaire notait l’absence d’officiers canadiens bilingues au quartier général de la MINUAR, où ils auraient servi d’exemples à toute la composante militaire. Étant donné qu’un grand nombre des dirigeants du Rwanda avaient fait des études au Canada, la présence d’officiers bilingues aurait montré l’appui canadien à l’accord de paix. Cette idée a été renforcée plus tard au cours du mois lorsque le J3 Maintien de la paix, section du Quartier général de la Défense nationale chargée de la supervision des opérations de maintien de la paix, a informé le sous-chef d’état‑major de la défense des Forces armées canadiennes que c’était l’occasion pour le Canada d’appuyer la MINUAR et le nouveau secteur proposé par le brigadier-général Dallaire dans le Sud afin de gérer le problème des réfugiés burundais.

 

Le brigadier-général Dallaire a demandé des observateurs militaires de l’ONU supplémentaires directement dans son compte rendu de situation du 27 janvier 1994; toutefois, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) du gouvernement du Canada n’a approuvé la présence que de 2 observateurs militaires de l’ONU – le brigadier-général Dallaire et le major Beardsley. Pour sa part, le Quartier général de la Défense nationale était prêt à en envoyer 7 autres. Le ministère de la Défense nationale s’est de nouveau adressé au MAECI au début de février, mais il a reçu la même réponse. Enfin, le 1er mars, le MAECI a accepté l’affectation d’un maximum de 10 observateurs militaires de l'ONU.

 

La planification a rapidement été entreprise, mais cela signifiait que le gouvernement du Canada répondrait positivement à une demande de l’ONU. Jusqu’à 10 observateurs militaires de l'ONU seraient affectés dans le théâtre jusqu’au 31 décembre 1995. Toutefois, cette démarche officielle auprès de l’ONU n’a été faite que le 23 mars. Six jours plus tard, l’ONU a officialisé la demande relative à l’envoi de 10 observateurs militaires de l'ONU supplémentaires en mentionnant que les postes pour 5 d’entre eux avaient été déterminés. L’ONU espérait que les observateurs puissent être déployés d’ici le 15 avril.

 

Les événements allaient avoir d’importantes répercussions sur le déploiement canadien. Le départ des contingents belges et bangladais a grandement réduit les effectifs du quartier général de la Force de l’ONU. Le major-général Dallaire et le personnel restant ont alors dû s’efforcer de gérer une situation qui échappait désormais à tout contrôle, et ce, avec moins d’officiers.

 

 Le 14 avril 1994, l’ONU a demandé d’urgence au Canada de fournir 10 officiers supplémentaires. Trois officiers ont été détachés du contingent canadien affecté à l’opération des Nations Unies en Somalie (ONUSOM II), qui arrivait à son terme. Arrivés le 18 avril, ils se sont mis à l’œuvre immédiatement.

 

Les observateurs militaires de l'ONU canadiens allaient jouer un rôle marquant au sein de la MINUAR. Le major Beardsley a été aux côtés du major‑général Dallaire presque à partir du début de l’opération. En tant qu’adjoint particulier du général, il a participé à un grand nombre des réunions importantes, rédigeant le procès-verbal de chacune d’elles et envoyant des messages codés au quartier général de l’ONU. Le major Beardley était également chargé des opérations de sauvetage; il recevait les demandes des ambassades étrangères, de l’ONU et d’autres organismes, déterminait les opérations qui étaient réalisables, puis organisait le sauvetage. Dans ses mémoires, le lieutenant‑général Dallaire a noté que le major Beardsley était devenu expert du sauvetage des religieuses, ce dont lui seraient éternellement reconnaissants de nombreux ordres religieux. Toutefois, il était stressant de prendre ces décisions, car essentiellement, cela pouvait revenir à déterminer qui vivrait et qui risquait de mourir. En fait, selon le lieutenant-général Dallaire, cela équivalait à se substituer à Dieu. Au moins deux fois au cours de son affectation, le major Beardsley est personnellement intervenu pour sauver des individus attaqués par une foule. Le major Beardsley a poursuivi sa tâche sans relâche, jusqu’à ce qu’une réaction allergique à un nouveau médicament antipaludique le force à rentrer au Canada.

 

Les trois observateurs militaires de l’ONU qui sont arrivés de l’ONUSOM II ont immédiatement changé les choses. Le major Michel « Mike » Bussières est devenu officier du personnel du quartier général et a été initialement chargé de déterminer qui se trouvait encore dans le théâtre. Il s’est acquitté de cette tâche en une journée, puis a continué d’assurer le suivi du petit nombre de membres du personnel restants et des endroits où ils étaient affectés à mesure que l’opération était réduite en importance et qu’on répartissait le personnel pour essayer de recueillir de l’information, de distribuer de la nourriture et des approvisionnements et de protéger les civils.

 

Le major Joseph Arthur Jean-Guy Plante est devenu l’officier de liaison avec les médias. Il aidait à garantir qu’il y avait au moins un reportage par jour sur la situation au Rwanda. C’était là une importante priorité pour le major‑général Dallaire, dans sa tentative d’amener la communauté internationale à prendre des mesures pour arrêter le génocide. Pour sa part, le capitaine de corvette Robert John Read a créé une base de soutien logistique à l’aéroport, même s’il n’était pas officier de la logistique. Cette base avait comme tâche de décharger, de trier, d’entreposer et de distribuer les approvisionnements qui arrivaient par avions de l’ONU, notamment les Hercules canadiens. Le major Plante et le capitaine de corvette Read ont aussi participé à des opérations de sauvetage, exécutées souvent directement sous le nez des forces hostiles ou en traversant des lignes ennemies.

 

Sept autres officiers sont arrivés en trois semaines, à la fin d’avril et au début de mai. Le major Bussières et le capitaine de corvette Read ont ainsi eu la possibilité de rentrer au Canada, puisqu’ils avaient déjà effectué une affectation en Somalie. Le major Plante a décidé de rester. Le nombre de membres des Forces canadiennes au sein de la MINUAR est donc passé à neuf, le major‑général Dallaire étant inclus dans ce nombre.

 

Les observateurs militaires de l'ONU nouvellement arrivés ont vite été occupés et ils se sont aussi démarqués. Le major Donald MacNeil, le major Joseph Luc‑André Racine et le capitaine Pierre Frédéric André Demers ont été mis à contribution dans la cellule de l’aide humanitaire (CAH). Travailler au sein de la CAH avec d’autres observateurs militaires ne signifiait pas uniquement livrer des approvisionnements de secours; il fallait aussi mener des missions de sauvetage à Kigali et dans les environs. Les trois ont fait face à l’Interahamwe ou aux forces progouvernementales et ont dû négocier leur passage aux postes de contrôle. Dans un cas particulier, le major Racine a foncé à travers des postes de contrôle avec son camion pour amener un journaliste blessé à l’hôpital.

Le lieutenant-colonel Alexander Michael Austdal est devenu chef des plans opérationnels ainsi que représentant de la mission lors des réunions avec tous les combattants, y compris l’Interahamwe, et a exercé les fonctions de représentant personnel du major-général Dallaire. Le major Philip Charles

Lancaster a remplacé le major Beardsley comme adjoint particulier du général. Pour accomplir leurs tâches, ces militaires traversaient les lignes de front quotidiennement, souvent sous des tirs d’artillerie, d’armes légères et de mortier. 

Le major John Scott McComber est devenu officier en chef – Logistique et, aidé du capitaine Jean‑Yves St. Denis, il essayait de trouver des approvisionnements et, plus tard, d’en coordonner l’acheminement au contingent de l’ONU et aux centres de refuge. À une occasion, alors que le génocide se poursuivait, le major McComber s’est porté volontaire pour livrer du carburant à un hôpital du Comité international de la Croix-Rouge, afin que celui-ci puisse continuer de faire fonctionner sa génératrice. Sous les tirs, il a déchargé le carburant, puis a escorté deux camions pleins de Tutsis pour les amener en lieu sûr au-delà des lignes de front.   

L’importance de la contribution de ce petit groupe de Canadiens à la mission se reflète dans le nombre de distinctions honorifiques attribuées. Le major-général Dallaire et le major Beardsley se sont tous deux vu décerner la Croix du service méritoire, tandis que le major Plante et le capitaine de corvette Read ont été décorés de la Médaille du service méritoire. Quant au lieutenant-colonel Austdal, au major Philip Lancaster, au major McComber, au major Racine et au capitaine Demers, ils se sont vu remettre des citations à l'ordre du jour.

 

Il a fallu du temps au Canada – notamment au haut-commissaire du Canada à Kigali – pour comprendre qu’il s’agissait d’un génocide et non du premier massacre pour motifs politiques des opposants du régime. (Le haut-commissaire n’était pas le seul à s’interroger.) Mais, en raison de la confusion qui régnait, le gouvernement du Canada, jusqu’à ce que l’ONU reconnaisse le génocide dans la résolution 918, était enclin à se concentrer sur la nécessité d’amener les factions ennemies à conclure un cessez-le-feu et encore plus sur l’apparente incapacité de la MINUAR à y parvenir. D’ailleurs, l’honorable André Ouellet, alors ministre des Affaires étrangères, a même laissé entendre que le Canada envisageait de faire appel à l’Organisation de l’unité africaine pour conclure un cessez-le-feu ou jouer un rôle de médiatrice. Pour le Canada, une partie du problème tenait au fait que, pour mener une opération en territoire étranger, il devait recevoir un mandat d’une organisation internationale, comme l’ONU. Or, ce n’est que plus d’un mois après le début du génocide que l’ONU lui en a effectivement remis un.

 

Grâce à la résolution 918 du 17 mai, le Canada a pu commencer à prendre des mesures en vue d’appuyer une mission élargie de l’ONU. Les Nations Unies avaient demandé de façon non officielle un escadron des transmissions, une unité de logistique et 50 transports de troupes blindés. En raison des engagements en cours du Canada en ex-Yougoslavie, il était hors de question qu’il fournisse une unité de logistique et des transports de troupes blindés. Au 18 mai, il a été décidé que la contribution la plus efficace serait l’escadron des transmissions, composé de quelque 350 membres du personnel. 

 

Toutefois, au 28 mai, une nouvelle demande de l’ONU concernant l’affectation d’observateurs militaires était discutée, et l’on estimait possible d’y acquiescer. Il y a eu aussi une demande portant sur l’envoi d’une équipe de chirurgie, mais elle a été rejetée. La demande d’observateurs militaires de l'ONU supplémentaires a été approuvée et, en août, ces observateurs étaient rendus au Rwanda, où ils effectuaient des patrouilles pour aider les commandants de secteur à comprendre ce qui se passait dans leurs zones, à mener des enquêtes et à assurer la liaison avec les commandants et les unités de l’Armée patriotique rwandaise. Au cours de leurs déplacements, ils verraient les cadavres qui jonchaient chaque ville et village rwandais et l’ensemble de la campagne.

 

Il existait des limites ou restrictions à la contribution canadienne. Le mandat de la MINUAR devait être clarifié au cas où il n’y aurait pas de cessez-le-feu; le reste de la Force de la MINUAR devait être équipé de façon appropriée; les règles d’engagement devaient être suffisamment solides pour que les forces de la MINUAR puissent mener à bien leur mandat. De plus, la limite supérieure de la contribution à la MINUAR élargie avait été initialement fixée à 350. À la fin de juin, le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont convenu que les trois conditions préalables étaient remplies ou sur le point de l’être.

 

L’intention du major-général Dallaire était que chaque secteur de l’ONU dispose d’un bataillon d’infanterie qui serait en communication avec le quartier général de la MINUAR, à Kigali. Étant donné l’ampleur du déploiement de l’ONU, il faudrait une formation de la taille d’une brigade ainsi que le soutien du quartier général sur le plan des liens de communication phonique et de transmission de données. Comme la MINUAR serait élargie à l’ensemble du pays, il était important que le système de communication soit installé au moment où chaque secteur de l’ONU était occupé. Les Canadiens avaient les compétences et les capacités pour exécuter cette tâche.

 

Le 21 juin, le gouvernement canadien a annoncé le déploiement d’une unité de communications comptant 350 membres pour épauler la MINUAR, dont les effectifs étaient censés passer à 5 500 soldats. Ce contingent, formé principalement d’éléments du Quartier général et Régiment de transmissions de la 1re Division du Canada (QGRT 1 Div CA) ainsi que du 79Régiment des communications, à Kingston (Ontario), est arrivé à la fin de juillet et a été chargé de s’occuper de l’ensemble des communications de la MINUAR. Le Peloton n8 du 3Commando du Régiment aéroporté du Canada devait assurer la sécurité. Le contingent comprenait aussi des soldats du 4Régiment d’appui du génie, 10 contrôleurs de la circulation aérienne (appartenant au 8Escadron de transmissions et contrôle [Air]),15 sapeurs de l’air de la Force aérienne, du personnel du 3e Groupe de soutien du Canada et des membres d’autres unités venant d’un peu partout au Canada. Le détachement précurseur de 40 soldats appartenant au QGRT 1 Div CA est parti pour Kigali le 18 juillet, et un deuxième groupe de 120 militaires et une partie de l’équipement de l’unité y sont arrivés le 30 juillet. Le dernier groupe de membres du personnel et le reste de l’équipement sont parvenus graduellement par air et par mer, en août et au début de septembre.

 

La mission du personnel du QGRT 1 Div CA ne consistait pas uniquement à installer un réseau de communication pour remplacer celui qui avait été en grande partie détruit par l’ancien gouvernement rwandais au début du génocide et dont le reste avait été anéanti au cours des combats. Il s’agissait notamment des systèmes de télévision, des stations terriennes de satellites et des systèmes téléphoniques. Le personnel du QGRT 1 Div CA devait aussi organiser un quartier général pour la MINUAR nouvellement élargie. Au début d’août, un état‑major de quartier général était en place, avec une salle des rapports pour la gestion de l’information, un système de soutien informatique et une section des communications, tout cela pouvant être pris en charge par les troupes de l’ONU qui suivraient. Enfin, les membres du QGRT 1 Div CA devaient aider le nouveau gouvernement rwandais à rétablir son propre système de communication.

 

Le QGRT 1 Div CA s’est attaqué au problème par étapes, en commençant par dépêcher des détachements comptant deux membres à Cyangugu, à Ginongoro, à Gisenyi et à Kibuye afin d’établir des communications stables au moyen d’appareils radio portatifs à haute fréquence et d’un téléphone satellite  Inmarsat. Lorsqu’il a été possible de disposer de davantage d’équipement et de personnel en août et en septembre, ces petits détachements ont été remplacés par des installations plus permanentes et des sections de communication plus importantes. À mesure que l’ONU accroissait ses efforts, le QGRT 1 Div CA élargissait ses opérations d’installation de systèmes de communication pour  équiper au total 11 quartiers généraux de secteur. Ainsi, le QGRT 1 Div CA avait du personnel à Kigali, à Butare, à Byumba, à Cyangugu, à Gabiro, à Gikengoro, à Gisenyi, à Kinungo, à Kibuye et à Ruhengeri. Butare deviendrait un autre quartier général tactique de l’ONU. L’unité assurait donc une présence dans toutes les régions du pays et constatait les nombreuses indications de génocide.

 

Disons, en bref, que la tâche du personnel du QGRT 1 Div Ca n’était pas facile en raison de la topographie du pays. La chaîne de montagne allant du nord au sud au beau milieu du pays comportait des sommets pouvant atteindre 4 570 mètres, tandis que les montagnes dans le reste du pays posaient des défis relativement aux communications en visibilité directe. Si le réseau routier principal du Rwanda était bon, les routes secondaires pouvaient être dangereuses. Comme les pylônes radio devaient être installés sur des sommets de montagne, l’accès à ces routes présentait parfois de grands risques. Dans d’autres cas, les emplacements ne pouvaient être atteints qu’en hélicoptère. Le personnel du QGRT 1 Div Ca a participé à la reconnaissance d’emplacements potentiels pour les bataillons, car les systèmes de communication devaient se trouver au même endroit que ceux-ci. Dans certains cas, le personnel du QGRT 1 Div Ca a dû persuader les commandants de bataillon des avantages de ce regroupement.

 

Tout au long de la reconstruction du système de communication du gouvernement du Rwanda, les hommes et les femmes du QGRT 1 Div CA ont travaillé en étroite collaboration avec leurs homologues rwandais. En premier, cela a exigé d’établir un niveau de confiance, car le nouveau gouvernement se montrait naturellement méfiant à l’égard des initiatives de l’ONU. Toutefois, la confiance s’est vite installée, et le personnel de l’unité a été en mesure d’aider pleinement le nouveau gouvernement et d’avoir un meilleur accès aux emplacements pour installer le système de l’ONU. 

 

Au cours de la dernière partie de l’opération exécutée par le personnel du QGRT 1 Div Ca, la transition à un système de l’ONU a été effectuée. Le personnel des Nations Unies se composait de civils de la direction du Service mobile de l’ONU. L’équipement militaire canadien a été retiré et remplacé par un ensemble de systèmes de communication par radio, par lignes téléphoniques et par satellite. Grâce à la compétence des techniciens de l’ONU et à la coopération entre les deux groupes, la transition s’est déroulée sans heurts.

 

Le personnel du QGRT 1 Div Ca a participé à une seule opération spéciale de la MINUAR. En décembre 1994, l’ONU s’efforçait de séparer les véritables réfugiés des présumés miliciens et criminels de guerre dans l’un des camps de réfugiés à l’ouest de Butare. Le but visé était d’en retirer les éléments coercitifs. Du personnel du QGRT 1 Div Ca a été dépêché d’un autre secteur pour prendre part à l’opération de quatre jours en assurant le soutien des communications.  

 

Ce n’était pas uniquement sur le plan physique qu’il était difficile de servir au Rwanda. En effet, dans presque tous les endroits où ils se rendaient, les hommes et les femmes du QGRT 1 Div Ca voyaient des corps empilés les uns sur les autres ainsi que les survivants du massacre, dont un grand nombre souffraient de blessures causées par des attaques à la machette. Le triste sort des enfants, dont beaucoup avaient perdu leurs parents, était déchirant; pour l’alléger, l’unité a adopté un orphelinat à Ruhango, près de Kigali. Grâce à l’appui des familles et amis au Canada, les membres du personnel du QGRT 1 Div Ca ont recueilli 15 tonnes de vêtements et d’autres fournitures et on estime qu’ils auraient aidé plus de 6 000 orphelins pendant leur séjour dans le pays.

 

Les 10 contrôleurs de la circulation aérienne qui faisaient partie du contingent travaillaient à l’aéroport, où ils ont donné une formation de recyclage aux contrôleurs locaux pour que ceux-ci puissent reprendre leurs fonctions. Dans l’intervalle, 15 sapeurs de l’air ont rétabli l’alimentation électrique et contribué à la lutte contre les incendies, permettant ainsi à l’aéroport d’accueillir les vols commerciaux autant que militaires. Bien que leur travail ait été lié à l’aérodrome, ils ont été affectés dans le cadre de l’opération LANCE et non de l’opération SCOTCH, car ils relevaient du commandant de la Force de la MINUAR.

 

Les membres du 3e Groupe de soutien du Canada (3 GSC) ont fourni le soutien logistique au contingent canadien. Étant donné le gros volume de matériel et d’approvisionnements requis par le personnel du QGRT 1 Div Ca, pour organiser les opérations, en assurer la continuité, puis rentrer au Canada, ils ont été occupés en tout temps. À l’arrivée de la rotation suivante de Canadiens, les membres du 3 GSC ont aménagé un entrepôt pour eux, tout en se préparant eux-mêmes au départ.

 

En tout, environ 440 militaires ont participé à ce déploiement, de la fin de juillet 1994 à la fin de janvier 1995. C’est au cours de cette période que le major‑général Tousignant est venu relever le major-général Dallaire à titre de commandant de la Force quand ce dernier est rentré au Canada le 18 août 1994. (Le major-général Tousignant a occupé ce poste jusqu’en décembre 1995, un peu plus d'un mois avant la fin de l’engagement du Canada auprès de la MINUAR.)

 

Une fois la mission de l'unité de communications terminée, c'est un contingent canadien complètement différent qui a été déployé. Constitué très rapidement à la fin de décembre 1994, le 95e Groupe de soutien logistique de la Force (95 GSLF) a été déployé par le Canada en janvier, le gros des troupes arrivant le 17. Composé de 85 membres, dont 10 réservistes et du personnel venant d’unités d’un peu partout au Canada, ce groupe a fourni des services d’entretien de véhicules, d'approvisionnement et de transport à la Force de la MINUAR et est rentré au Canada à la fin de juillet 1995. 

 

Le rôle du 95 GSLF consistait à fournir des services de soutien de deuxième ligne aux bataillons et unités de l’ONU déployés. Parallèlement, il devait aider à établir un système de soutien de l’ONU intégré regroupant des entrepreneurs, des militaires et du personnel civil de l’ONU. Le plus grand nombre de membres du personnel, 22 au total, a servi dans la section du transport. Au moyen d’une flotte de camions canadiens – quatre camions de transport de 8 tonnes, deux camions-citernes de 5 000 litres et deux chargeurs pour conteneurs de 15 tonnes – la section du transport ravitaillait les divers contingents de l’ONU un peu partout au Rwanda. Cette activité était menée conjointement, en vertu d’un contrat, avec un petit parc de camions exploité par une entreprise civile internationale de construction, Brown and Root, les Canadiens fournissant la moitié du parc. Les commandants de convois étaient presque toujours des Canadiens détenant le grade de caporal-chef.

 

La section du transport était appuyée par la section de l’entretien. Composée de 19 membres, celle-ci comprenait un service des réparations mineures et majeures, un service de récupération du matériel lourd et un service auxiliaire de réparation (électricité, réfrigération et soudure). Le service des réparations mineures et majeures travaillait principalement en atelier, mais il était déployé au besoin pour effectuer des réparations de véhicules de l’ONU sur la route. Quant à la section de récupération du matériel lourd, elle était le seul service du genre au sein de l’ONU et, pendant son affectation, elle a effectué 249 missions de récupération. En attendant, dans leurs temps libres, le plus souvent le soir, les membres de la section de l’entretien construisaient un camion d’incendie pour la MINUAR.

 

La section de l’approvisionnement des Nations Unies comprenait 18 Canadiens et 13 membres du personnel civil de l’ONU. Elle contrôlait les commandes, la distribution et l’entreposage des approvisionnements. Elle a produit des barèmes de distribution mensuels pour les produits consomptibles, a élaboré un système d’inventaire et de contrôle des réserves d’eau et de carburant et a conçu un système de données informatiques pour l’entreposage, le contrôle des stocks, la délivrance de reçus et l’émission de demandes d’achat.  Ces éléments ont facilité la livraison en temps opportun des approvisionnements et ont aidé à réduire le nombre de pénuries.

 

Le génocide et la guerre civile étaient terminés, mais le Rwanda demeurait un pays dangereux. On prenait des mesures simples pour garantir une certaine sécurité, notamment se déplacer par deux dans les véhicules et deux véhicules ensemble, porter des gilets pare-éclats et se munir d’armes de poing lors des déplacements à l’extérieur du camp de base. Le 95 GSLF a également demandé un peloton de sécurité, qui lui a été fourni d’abord par le bataillon indien, puis par les Tunisiens, pour garder le périmètre de la base d’approvisionnement.

 

Étant donné les dommages causés par la guerre civile et le génocide, les membres du 95 GSLF ont trouvé des moyens de fournir de l’aide. Ils ont soutenu plus de 10 orphelinats dans le pays en donnant des fonds, en réparant des toits, des génératrices et des véhicules et en construisant deux portiques d’escalade.  En plus de recevoir une subvention initiale de 30 000 $ de l’ambassade du Canada, ils ont recueilli 5 500 $ au moyen de diverses activités, notamment un salon de coiffure pour hommes, un marathon de marche, une diverticourse et un tournoi de golf avec les autorités rwandaises locales.

 

Même s’il fallait davantage de personnel, le gouvernement du Canada avait imposé une limite de 120 personnes au Rwanda. Par conséquent, les membres de l’unité travaillaient au moins 12 heures par jour, 7 jours sur 7, pour accomplir les tâches confiées par l’ONU et le travail exigé par le Canada.

 

Au cours de cette période, le 95 GSLF n’a pas été le seul groupe de Canadiens déployé au Rwanda. En effet, il y avait 5 Canadiens parmi les 71 personnes servant au quartier général de l’ONU, et 8 des 69 policiers militaires venaient du Canada, tout comme 20 des 302 observateurs militaires. Au quartier général, les Canadiens occupaient les postes de sous-chef d’état-major – Opérations (SCEM Ops), de G3 Opérations aériennes (G3 Op A), d’officier d’état-major – information, d’officier des affaires publiques et de conseiller médical auprès du commandant du détachement de tir. Le SCEM Ops coordonnait les opérations de l’ONU sur le terrain. Le G3 Op A coordonnait les activités de transport aérien pour le compte de la MINUAR, notamment celles des cinq hélicoptères Bell 412 loués que la mission utilisait. Les policiers militaires constituaient l’élément central de la compagnie de police militaire de la Force de l’ONU et fournissaient une grande partie du soutien administratif et organisationnel à l’unité.

 

Quant aux observateurs militaires de l'ONU canadiens, d’autres sont arrivés en août comme renforts auprès de ceux qui étaient venus en mai. Ces observateurs servaient dans divers secteurs de l’ONU, où ils étaient les yeux et les oreilles du commandant de contingent local. Les observateurs militaires de l'ONU se rendaient par voie terrestre à différents endroits dans leur secteur et ils parlaient avec les habitants pour voir quelle était la situation sur le plan de la sécurité ou pour enquêter sur des rapports relatifs à des attaques ou à d’autres incidents. Ils ont aussi aidé les rotations canadiennes à accomplir leur travail humanitaire, particulièrement en s’impliquant au niveau des orphelinats que soutenaient les Canadiens ou en attirant l’attention sur un autre orphelinat qui avait extrêmement besoin d’assistance.

 

À la fin de juillet 1995, le 95 GSLF a entamé son redéploiement vers le Canada, en s’arrêtant d’abord à Nairobi, au Kenya, pour une période de repos et de détente et pour décompresser après une mission longue et épuisante sur le plan émotionnel. Les membres du 95 GSLF n’ont pas pu achever toutes les tâches d’intégration qu’ils avaient entreprises, en partie pour des raisons indépendantes de leur volonté. Leurs services ont été essentiels au succès de la MINUAR et ont permis à l’ONU de faire la transition vers la prestation de ses propres services par l’entremise de personnel de l’ONU et d’entrepreneurs.

 

À la suite du redéploiement du Groupe de soutien logistique, le Canada a mis sur pied le 95Groupe mixte de soutien de la mission (95 GMSM), qui a participé à l’opération de juillet 1995 à janvier/février 1996. Cette unité avait pour rôle de remplir des fonctions d’administration, de communications, de finances, de police militaire, d’approvisionnement et de transport auprès de la MINUAR. Pour ce faire, elle a été intégrée aux structures existantes de la MINUAR.

 

L’unité a entrepris ses activités le 1er août 1995. Son rôle le plus important consistait à livrer du carburant et de l’eau aux contingents et aux observateurs militaires de l'ONU dans l’ensemble du Rwanda, mais les membres de l’unité transportaient aussi des matériaux de construction, de l’équipement lourd et de nombreux articles plus petits. Ces livraisons étaient effectuées quotidiennement, les unités étant réapprovisionnées au besoin. La fonction de transport s’accompagnait du rôle de récupération de véhicules.

 

Lorsque de nouveaux contingents arrivaient ou que du personnel en place quittait le pays, le 95 GMSM assurait le transport jusqu’à l’aéroport de Kigali. Toutefois, l’ONU n’était pas la seule à bénéficier des services du Groupe. En effet, l’unité a installé deux réservoirs souples d’eau pour les forces de l’Armée patriotique rwandaise à Kigali et les a ensuite remplis.

 

Lorsque le Zaïre a entrepris un rapatriement forcé des réfugiés rwandais en août 1995, le 95 GMSM était prêt. Le retour a commencé pour de bon le 21 août, ce qui a pris l’ONU par surprise, car elle n’en avait pas été informée même si elle avait été en relation avec les autorités zaïroises. Le 22, le 95 GMSM a fourni 15 véhicules dans le cadre du soutien de l’ONU au transport des rapatriés. L’aide s’est poursuivie jusqu’au 25, date à laquelle le rapatriement a cessé. Le gouvernement du Zaïre a déclaré qu’il reprendrait si le reste des réfugiés ne se déplaçaient pas volontairement d’ici la fin de l’année. Comme dans le cas de la rotation antérieure, les commandants de convoi étaient des caporaux-chefs canadiens. 

 

Au début de cette rotation, il a été constaté que l’Armée patriotique rwandaise effectuait des contrôles plus stricts aux postes de contrôle, ce qui nuisait aux activités. Le 15 août, un véhicule et son équipement avaient déjà fait l’objet d’une fouille même si l’ONU était censée être exemptée de telles procédures. Ces contrôles sont demeurés un problème pendant toute la durée du déploiement. Par ailleurs, en dépit du fait que les hostilités étaient officiellement terminées, les mines terrestres représentaient toujours un danger. On en attribuait la pose aux soldats de l’ancien gouvernement rwandais, qui tentaient de déstabiliser le pays. Il était aussi probable qu’ils soient responsables d’une grande partie des actes de banditisme le long de la frontière du Zaïre, où ils provoquaient souvent des échanges de feu avec l’Armée patriotique rwandaise.

 

Les membres du 95 GMSM ont continué d’apporter leur soutien aux orphelinats comme avaient entrepris de le faire leur prédécesseurs canadiens. Ils ont pris 16 de ces établissements sous leur aile, compilant des listes des éléments requis dans chacun d’eux (comme des raccordements pour douches, des lits de camp, de la literie et des réparations de véhicules) et essayant de répondre à ces besoins. De plus, ils ont donné des articles de la vie courante, dont des ustensiles de cuisson, des vadrouilles et des produits de nettoyage.

 

Pendant le déploiement du 95 GMSM, il y avait encore 8 policiers militaires au sein du corps de policiers militaires de la MINUAR de 69 membres, 5 des 71 membres du personnel du quartier général et 20 des 302 observateurs militaires de l'ONU qui étaient fournis par le Canada. Dans le cas des observateurs militaires, les déplacements dans leurs secteurs respectifs les exposaient aux mêmes risques que les hommes et les femmes du 95 GMSM. Toutefois, en août 1995, juste au moment où le 95 GMSM terminait son déploiement, le nombre d’observateurs militaires de l'ONU canadiens a chuté de 20 à 10, tandis que tous les policiers militaires ont été redéployés en même temps.

 

Dans le cas de tous ces déploiements, ce sont des avions CC150 Airbus et CC130 Hercules des Forces armées canadiennes (FAC) qui ont acheminé l’équipement et le personnel au Rwanda. Une partie de l’équipement a été transportée à partir de la Base des Forces canadiennes (BFC) Trenton par des appareils Antonov 124, Boeing 747 et Ilyushin 76 nolisés par l’ONU. La plupart des membres des Forces armées canadiennes ont été amenés au Rwanda ou à Entebbe à bord d’avions CC150 Airbus des FAC.

 

La réduction des effectifs et la dissolution de la MINUAR ont entraîné une diminution des besoins en personnel des Forces armées canadiennes. Le Canada a alors annoncé son intention de cesser de participer aux opérations de la MINUAR au plus tard en janvier 1996. Les derniers militaires canadiens affectés à l’opération LANCE ont quitté le pays le 15 février 1996. Au total, environ 700 membres du personnel ont servi dans le cadre de l’opération LANCE.

 

La décision de décerner une médaille ONU pour une mission de l’ONU particulière appartient uniquement à l’organisation intéressée — et non au gouvernement du Canada ou aux Forces armées canadiennes. Le Canada autorise, selon les règles et règlements qui s’appliquent, le port des médailles qui sont jugées appropriées par l’ONU pour le service dans le cadre de ses missions. De plus, le Canada attribue sa propre Médaille canadienne du maintien de la paix.

Les membres du personnel militaire qui ont servi dans le cadre de cette opération avaient droit à la médaille de la MINUAR de l’ONU ainsi qu’à la Médaille canadienne du maintien de la paix.

https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/medailles/medailles-tableau-index/mission-nations-unies-assistance-rwanda.html

https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/medailles/medailles-tableau-index/medaille-canadienne-maintien-paix-mcmp.html

 

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