Renforcer la règle générale anti-évitement

Document de consultation

Table des matières

Annexe A

Annexe B

Annexe C

A. Introduction

Le présent document fait suite à l’engagement pris dans l’Énoncé économique de l’automne 2020 d’améliorer l’équité fiscale en consultant les Canadiens sur les approches possibles pour renforcer la règle générale anti-évitement (RGAE) dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

Depuis l’ajout de la RGAE à la Loi en 1998, elle s’est avérée être un outil raisonnablement efficace qui permet d’empêcher l’évitement fiscal abusif. Elle a été conçue pour être une règle globale qui empêcherait les opérations abusives d’évitement fiscal, sans gêner les opérations commerciales et familiales légitimes. L’objet de la RGAE était de trouver un équilibre entre le besoin de certitude des contribuables dans la planification de leurs affaires et la responsabilité du gouvernement de protéger l’assiette fiscale et l’équité du régime fiscal.

Le concept d’équité fiscale est vaste et ne peut pas être évalué du point de vue d’un intervenant individuel. L’équité a fait l’objet d’une brève discussion dans les mesures de réforme fiscale de 1987Footnote 1 et dans les renseignements supplémentairesFootnote 2 dans le contexte de la stabilisation des recettes fiscales. Une explication plus détaillée de l’équité du régime fiscal dans son ensemble a été fournie par David DodgeFootnote 3, qui était un sous-ministre adjoint principal des Finances au moment de l’instauration de la RGAE. Il a cité l’identification par le Rapport de la commission royale d’enquête sur la fiscalité des problèmes liés à l’évitement fiscal comme incluant « le sentiment d'injustice et d'inégalité ressenti par ceux qui ne bénéficient pas de l'évasion fiscale » et « le report injuste de la charge de l'évitant fiscal sur les autres contribuables. » Il a été reconnu que la RGAE proposée comporterait inévitablement un certain degré d’incertitude. Néanmoins, elle était destinée à introduire une approche cohérente de l’évitement fiscal tout en équilibrant ces objectifs.

Une abondante jurisprudence a été élaborée, laquelle a contribué à apaiser les inquiétudes exprimées au moment de l’introduction de la RGAE selon lesquelles elle introduirait beaucoup trop d’incertitude dans le régime fiscal canadien. Néanmoins, un certain nombre de décisions et d’autres développements ont souligné quelques problèmes liés à la RGAE qui devraient être réglés afin qu’elle réponde mieux à son objectif de prévenir l’évitement fiscal abusif. L’annexe A contient un tableau de l’ensemble des décisions (à la suite de la première décision de la Cour suprême du Canada en vertu de la RGAE) où la RGAE a été jugée non applicable, organisé par l’élément de la RGAE en vertu duquel l’affaire a été tranchée.

Lorsqu’elle a été instaurée, les objectifs de la RGAE incluaient mettre fin, selon les mots que la Cour suprême du Canada emploie dans Stubart Investments Ltd.Footnote 4, à « l’effet incessant d’action et de réaction produit par des mesures fiscales complexes et précises qui visent des pratiques commerciales compliquées d’une part et la réaction inévitable, experte et tout aussi spécialisée du contribuable. » Comme indiqué ci-après, l’objectif n’a pas été atteint.

Malgré les enjeux mentionnés ci-dessus, il est important de reconnaître l’efficacité de la RGAE depuis son introduction, influencée par la manière constructive dont elle a été administrée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) et jugée par les tribunaux. Bien que le présent document se concentre, pour des raisons pratiques, sur les décisions judiciaires où la RGAE a été jugée inapplicable, il est reconnu que la Couronne a obtenu gain de cause devant les tribunaux dans une proportion importante des affaires concernant la RGAE et que bon nombre de stratagèmes de planification fiscale agressive ne vont pas de l’avant en raison de la probabilité que la RGAE s’applique. De plus, la RGAE est une règle vivante qui a évolué au fil du temps à mesure que la jurisprudence se développe et sa souplesse lui permet de répondre au cadre législatif en évolution et de s’y adapter. Parallèlement, de nouvelles règles sont élaborées avec la RGAE à l’esprit. Dans ce contexte, l’effet potentiellement perturbateur de tout changement à la RGAE doit être pris en compte dans l’analyse des options présentées dans le présent document.

Cette consultation représente un diagnostic ciblé et pratique sur la RGAE, eu égard à la jurisprudence établie, aux commentaires d’universitaires et de fiscalistes, aux expériences de l’ARC et du ministère de la Justice (Justice) en matière de relations avec les contribuables (et leurs conseillers) et les tribunaux, et au point de vue du ministère des Finances sur la limitation de l’évitement fiscal abusif. Ce document est organisé en fonction d’un certain nombre de questions précises cernées liées à la RGAE. Chacune de ces questions est discutée en posant d’abord le problème à aborder, en fournissant un contexte pertinent ainsi que les approches possibles pour le régler. Le gouvernement espère aussi entendre les propos de certaines personnes portant sur d’autres questions liées à la RGAE ayant pu entraîner des résultats inappropriés.

En plus du bien-fondé de chaque approche, il faut tenir compte de l’interaction des différentes solutions alternatives. Pour toute question donnée à traiter, certaines des solutions seront fonctionnellement redondantes (de sorte qu’il n’est pas nécessaire de faire les deux) ou même mutuellement exclusives. Dans certains cas, une approche pour traiter une question donnée peut convenir de manière isolée, mais mener à des résultats inappropriés si elle est combinée à une approche pour traiter une autre question. Gardant cela à l’esprit, le gouvernement souhaite obtenir des observations sur ces interactions et sur l’approche optimale pour moderniser la RGAE dans son ensemble.

La Cour suprême du Canada a récemment publié sa décision sur l’application de la RGAE dans le contexte d’une convention fiscale et d’une affaire impliquant le chalandage fiscal.Footnote 5 Le gouvernement est en train d’évaluer la décision, y compris, entre autres considérations et plans d’action possibles, l’effet ou la pertinence de la décision en ce qui concerne notamment, les affaires où le nouveau préambule et le critère de l’objet principal dans la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices s’appliquent. Le gouvernement examine aussi les conséquences de la décision sur d’autres formes d’utilisation abusive des conventions fiscales. Par conséquent, l’application de la RGAE pour traiter l’abus de conventions fiscales n’est pas abordée dans le présent document. Le gouvernement a l’intention d’annoncer plus sur ses plans pour freiner l’abus des conventions fiscales ultérieurement.

Même si ce document de consultation traite d’un sujet particulier, il existe dans le cadre d’autres efforts visant à améliorer l’intégrité du régime fiscal canadien. Cela comprend l’adhésion du Canada à un plan à deux piliers pour la réforme fiscale internationale dans le cadre du Cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’OCDE et du G20. Le gouvernement mène également des consultations sur une amélioration importante des règles de divulgation obligatoire du Canada et a l’intention de publier un document de consultation sur les règles des prix de transfert du Canada dans un avenir proche.

Le gouvernement accepte des observations écrites sur le bien-fondé relatif des approches établies dans le présent document jusqu’au 30 septembre 2022. Les observations peuvent être adressées à GAAR-RGAE@fin.gc.ca.

B. Contexte

De façon générale, l’ARC peut appliquer la RGAE pour refuser un « avantage fiscal » obtenu par un contribuable si l’avantage fiscal découle d’une « opération d’évitement » et s’il est raisonnable de considérer que l’opération entraîne un abus dans l’application des dispositions de la Loi ou un abus dans l’application de ces dispositions lues dans leur ensemble.

Un avantage fiscal s’entend d’une réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la Loi ou d’une augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la Loi (y compris dans les affaires impliquant une convention fiscale). Le budget de 2022 a annoncé l’intention du gouvernement de modifier cette définition (et d’autres modifications corrélatives) pour veiller à ce que l’ARC puisse émettre un avis de détermination pour donner effet à l’application de la RGAE. Sous réserve des droits normaux d’opposition et d’appel du contribuable, cela permettrait le renversement des attributs fiscaux (par exemple, le prix de base rajusté d’un bien et le capital versé d’une action) découlant de l’évitement fiscal abusif avant qu’ils ne soient utilisés pour réduire l’impôt.

Une « opération d’évitement » est une opération dont découle directement ou indirectement un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer qu’elle est principalement effectuée pour des objets véritables — autres que l’obtention d’un avantage fiscal. Une opération d’évitement comprend aussi une opération effectuée dans le cadre d’une série qui entraîne un avantage fiscal. (Dans le présent document, les références à une opération produisant un avantage fiscal comprennent une opération qui fait partie d’une série d’opérations produisant un avantage fiscal et, conformément à la définition d’« opération » applicable aux fins de la RGAE, cette série peut comprendre des conventions, des mécanismes et des événements.)

Lorsqu’une opération constitue une opération d’évitement, la RGAE ne s’appliquera à l’opération que si celle-ci entraîne un abus dans l’application des dispositions de la Loi pour produire l’avantage fiscal. Bien que ce critère soit habituellement en lien avec la Loi, il s’applique aussi aux abus dans l’application des dispositions du Règlement de l’impôt sur le revenu, des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu, d’un traité fiscal ou d’autres textes législatifs qui sont utiles aux fins de montants calculés en vertu de la Loi. (Pour plus de commodité, dans le présent document, seule la Loi est référencée).

L’ARC peut établir une cotisation à l’égard d’un contribuable en utilisant la RGAE pour refuser un avantage fiscal obtenu à la suite d’une opération d’évitement. Comme pour tout différend fiscal, le contribuable a généralement le fardeau de réfuter les hypothèses factuelles émises par l’ARC qui appuient la cotisation. Toutefois, une jurisprudence s’est développée qui a imposé à l’ARC le fardeau d’établir que les opérations d’évitement frustrent l’objet et l’esprit (abus) des dispositions de la Loi.

Le processus d’application de la RGAE et l’approche judiciaire actuelle requièrent la mobilisation de beaucoup de ressources pour le gouvernement. Ils exigent une analyse détaillée des opérations contestées et la présentation des arguments pour l’application de la RGAE à un comité composé de représentants de l’ARC et des ministères de la Justice et des Finances (le Comité de la RGAE).

Depuis la promulgation de la RGAE en 1988 jusqu’en mars 2021, son application a été considérée à l’étape de la vérification dans environ 1 600 cas (un certain nombre d’entre eux représentent des opérations impliquant plusieurs contribuables s’étendant sur plusieurs années et par conséquent, le nombre de contribuables ayant fait l’objet d’une nouvelle cotisation excède considérablement ce nombre). Dans 80 pour cent de ces cas (plus de 1 300 fois), la RGAE a été ultimement appliquée par l’ARC en tant que position d’établissement de nouvelle cotisation principale ou alternative. De ce nombre, la RGAE a été la position d’établissement de cotisation primaire dans environ 50 pour cent des cas et une position alternative ou secondaire dans le reste des cas.

Il est impossible de quantifier l’incidence budgétaire possible des mesures qui peuvent être prises pour renforcer la RGAE. Néanmoins, pour donner un aperçu de l’importance de la disposition, au cours des six dernières années (exercices 2016 à 2021), 4,1 milliards de dollars d’« impôt généré par la vérification »Footnote 6 ont été cotisés au moyen de la RGAE (en tant que position d’établissement de cotisation principale ou alternative). Bien que le montant définitif cotisé et ultimement perçu en vertu de la RGAE sera plus faible, il importe de reconnaître que l’ARC ne peut pas de façon réaliste vérifier, détecter et cotiser 100 pour cent des planifications fiscales abusives. Même si elle ne dissuade pas ou ne prévient pas l’ensemble de la planification fiscale agressive, la RGAE constitue une protection importante contre l’évitement fiscal abusif et maintient l’intégrité du régime fiscal probablement beaucoup plus que ne laisse entendre les montants cotisés ci-dessus. Les mesures visant à renforcer la RGAE devraient veiller à ce qu’elle soit un outil plus efficace de prévention de l’évitement fiscal abusif et à dissuader davantage les contribuables d’entreprendre de telles opérations.

C. Consultation

1. Avantage fiscal

Énoncé de l’enjeu

Une inquiétude existe à l’effet que, malgré sa vaste définition, un avantage fiscal n’a pas été trouvé dans tous les cas appropriés.

Contexte

Tel qu’indiqué ci-dessus, « avantage fiscal » s’entend au sens d’une réduction, d’un évitement ou d’un report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la Loi ainsi que de l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la Loi. Les propositions annoncées dans le budget de 2022 comprendraient aussi comme avantage fiscal des sommes qui pourraient devenir utiles dans le calcul d’un impôt à un moment postérieur (c.-à-d., des attributs fiscaux). Le seuil pour un avantage fiscal est faible : si une opération comporte une conséquence de planification fiscale, on s’attend généralement à ce qu’elle donne lieu à un avantage fiscal.

La question de savoir s’il existe un avantage fiscal est une détermination factuelle.Footnote 7 Même si l’identification d’un avantage fiscal a été interprétée comme une étape dans l’analyse de la RGAE, elle alimente deux tests clés : la question de savoir s’il existe une opération d’évitement en vertu du paragraphe 245(3) et les conséquences fiscales appropriées (raisonnables) en vertu du paragraphe (5).

Il y a eu un très petit nombre de cas où il a été conclu qu’il n’y avait pas d’avantage fiscal même si la planification fiscale était évidente.Footnote 8 Même s’il est encore trop tôt pour conclure qu’il existe un modèle clair, le gouvernement craint que le concept ne soit interprété de manière trop restrictive et continue de surveiller l’évolution de la jurisprudence afin de veiller à ce que le concept d’« avantage fiscal » soit appliqué comme prévu dans le contexte de la RGAE.

Traitement de l’enjeu

Le gouvernement ne propose pas de changements spécifiques pour régler cette question.

2. Opération d’évitement : opérations à objet mixte

Énoncé de l’enjeu

La RGAE ne parvient pas à empêcher l’évitement fiscal abusif lorsqu’un avantage fiscal est réalisé dans le contexte d’une opération avec principalement des objets autres que fiscaux. Par conséquent, une opération avec des objectifs importants de planification fiscale peut être exemptée de la RGAE, même si cette opération entraîne un évitement fiscal abusif.

Contexte

Une opération qui entraîne un avantage fiscal (ou qui fait partie d’une série d’opérations qui entraîne un avantage fiscal) n’est pas assujettie à la RGAE s’il « est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable  ». Dans ce cas, il ne s’agirait pas d’une « opération d’évitement », qui est l’un des trois principaux éléments du test de la RGAE. Le test de l’opération d’évitement est souvent considéré comme une fonction de contrôle importante pour l’analyse de la RGAE, évitant ainsi le besoin que des opérations principalement motivées par des objectifs non fiscaux passent par l’analyse des abus plus complexe.

Même si l’existence d’une opération d’évitement est reconnue dans de nombreux cas et ne fait pas l’objet de litiges, dans environ 29 pour cent des cas depuis l’affaire Trustco CanadaFootnote 9 où la RGAE a été jugée non applicable, c’était parce que le critère de l’opération d’évitement n’avait pas été satisfaitFootnote 10.

Dans l’affaire SwirskyFootnote 11, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la vente d’actions d’une entreprise familiale entre conjoints dans le but de refinancer un prêt à un actionnaire et de générer des pertes qui pourraient être attribuées au vendeur a été effectuée principalement à des fins de protection contre les créanciers et ainsi, a échoué au critère de l’opération d’évitement. Plus précisément, le juge a admis que la planification entourant le prêt à l’actionnaire était l’« un des principaux objets » des opérations, mais n’était pas l’objet « principal ». En obiter, la décision semblait indiquer que la planification fiscale aurait pu constituer de l’évitement fiscal abusif, mais cette détermination n’était pas nécessaire parce qu’on n’a pas satisfait au critère de l’opération d’évitement. De même, dans McClarty Family TrustFootnote 12, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la protection contre les créanciers était la « principale motivation » qui sous-tendait chaque opération et ainsi, le critère de l’opération d’évitement n’a pas été rencontré.

Dans l’affaire LoblawFootnote 13, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que bien que l’obtention d’un avantage fiscal était clairement l’un des objets des opérations en cause, il y avait également deux objets autres que fiscaux pour les opérations et ils l’emportaient sur l’objet d’évitement fiscal. La décision a aussi ajouté qu’il y a eu un abus dans l’application d’une disposition de la Loi (l’exemption bancaire dans les règles sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens) et, sans la conclusion qu’il n’y avait aucune opération d’évitement, la RGAE aurait été appliquée. La citation suivante, tirée du paragraphe 288 de la décision, est particulièrement pertinente :

L’un des deux objets non fiscaux mentionnés dans la décision de Loblaw était l’évitement de l’impôt étranger. Même s’il n’est pas clair quel poids a été donné à cet objet par rapport à l’autre objet non fiscal de « gagner de l’argent à partir d’une stratégie de placement soigneusement préparée », il est inapproprié pour le résultat du critère de l’opération d’évitement de s’en remettre simplement à l’importance relative de l’évitement fiscal étranger par rapport à l’évitement fiscal canadien. Par exemple, il pourrait en résulter des résultats incohérents lorsque la même technique de planification fiscale est utilisée dans deux circonstances différentes, une lorsque l’avantage fiscal canadien est supérieur et l’autre, lorsque les économies d’impôts étrangers s’avèrent plus élevées.Footnote 14

Bien que les commentaires concernant la RGAE dans les affaires Swirsky et Loblaw aient été formulés en obiter, puisque les deux affaires ont été tranchées selon des motifs techniques autres que la RGAE, ils aident à illustrer certaines lacunes possibles dans la formulation actuelle de la définition d’« opération d’évitement » :

  1. S’il est approprié de considérer certains objets, tels que l’évitement fiscal étranger, comme étant des objets véritables autres que des objets fiscaux;
  2. Si le seuil « principalement » est approprié.

L’affaire Spruce CreditFootnote 15 porte sur une limite légèrement différente du critère de l’opération d’évitement, à savoir si le test d’objet dans la définition d’opération d’évitement s’applique à un choix dans l’élaboration d’une opération. Dans l’affaire Spruce Credit, la Cour d’appel fédérale a maintenu la décision de la Cour canadienne de l’impôt que la RGAE était inapplicable. Une compagnie d’assurance-dépôts était tenue de rembourser les fonds qu’elle détenait pour le compte de ses caisses de crédit membres afin d’aider celles-ci à payer une cotisation établie à leur égard par une autre compagnie d’assurance-dépôts. Au lieu de payer les fonds aux membres en tant que remboursement de cotisations antérieures, ce qui aurait donné lieu à du revenu imposable pour les membres, elle a choisi de verser les fonds aux membres à titre de dividendes. Cela a permis aux membres (dont le contribuable) de demander la déduction pour dividendes intersociétés et d’obtenir une déduction supplémentaire sur le paiement des fonds à la seconde compagnie d’assurance-dépôts.

Tant la Cour canadienne de l’impôt que la Cour d’appel fédérale ont conclu qu’il n’y avait aucune opération d’évitement. En particulier, le juge de première instance a conclu que la décision de rembourser les fonds à Spruce Credit sous forme de dividendes plutôt qu’à titre de remboursement de cotisations n’était pas en soi une opération pour l’application du critère de l’opération d’évitement. En confirmant la décision de la Cour canadienne de l’impôt, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit, au paragraphe 61 :

L’affaire Canadien PacifiqueFootnote 16 est un exemple antérieur du raisonnement tenu dans l’affaire Spruce Credit à l’effet qu’un élément de décision dans une opération commerciale n’est pas en soi une opération. Dans l’affaire Canadien Pacifique, c’était la décision d’emprunter des dollars australiens (à l’époque, une soi-disant « devise faible ») qui était l’élément de planification fiscale de l’opération commerciale. L’affaire Canadien Pacifique montre également que la formulation actuelle du critère de l’opération d’évitement peut mener à des résultats incohérents selon la manière dont une planification fiscale abusive est mise en œuvre. Dans ce cas, la cour a jugé que l’opération d’emprunt en monnaie faible en cause ne constituait pas une opération d’évitement parce que son objet principal était de lever du capital.

Toutefois, les faits relatés dans Canadien Pacifique peuvent être contrastés avec une situation hypothétique dans laquelle un emprunt déjà en place est restructuré en vue d’utiliser la même stratégie fiscale d’emprunter en devise faible. Dans la situation hypothétique, étant donné que le capital a déjà été réuni, il semblerait raisonnable de conclure que l’objet principal de l’opération de restructuration consiste à réduire l’impôt. Dans ce cas, la RGAE peut s’appliquer à la seconde opération, mais pas à la première (en supposant que le critère de l’abus est rencontré), malgré le fait que les deux opérations produisent le même avantage fiscal, en s’appuyant sur les mêmes dispositions de la Loi, au moyen essentiellement de la même technique de planification et qu’elles aient été mises en œuvre dans un contexte commercial similaire. La seule différence est qu’une stratégie est structurée comme deux ou plusieurs opérations (y compris une étape identifiable à caractère fiscal) et l’autre est regroupée dans une opération unique.

Spruce Credit et Canadien Pacifique peuvent illustrer un problème plus fondamental lié à l’utilisation d’un critère d’« opération d’évitement » fondé sur un test d’objet. Dans ces deux cas, il y avait des avantages fiscaux qui découlaient des opérations, le choix d’effectuer les opérations d’une façon donnée avait été arrêté afin d’obtenir ces avantages fiscaux et la planification fiscale a abusé des dispositions de la Loi invoquées (ou au moins un argument raisonnable pourrait être avancé dans ce sens). Toutefois, les deux opérations ont été considérées ne pas être des opérations d’évitement en vertu de la RGAE.

Traitement de l’enjeu

Dans le but de limiter de façon appropriée les circonstances dans lesquelles des avantages fiscaux canadiens peuvent être réalisés dans les cas qui ne font pas l’objet d’une analyse de l’abus en vertu de la RGAE, le gouvernement a identifié les solutions possibles suivantes :

Préciser ce qui n’est pas un objet « véritable »

Le premier changement potentiel serait de fournir des exclusions explicites de ce qui est considéré comme un « objet véritable » pour le critère de l’opération d’évitement. Cela pourrait être effectué par l’introduction d’une règle d’interprétation afin de préciser ce qu’on entend par « objet véritable ». Par exemple, les économies d’impôts étrangers ou provinciaux pourraient être réputées ne pas être un objet véritable autre que fiscal (étant donné qu’elles sont effectuées à des fins fiscales par nature). Cela soulève la question de quels autres objets pourraient être réputés ne pas être véritables. Par exemple, la protection contre les créanciers est souvent avancée comme un objet principal, mais la mesure dans laquelle elle constitue un objet véritable (ou en effet si elle peut même être considérée comme véritable) varie considérablement et il peut être en fait particulièrement difficile pour la Couronne de le confirmer ou de le réfuter. Cet exemple demande également si une liste d’objets non véritables devrait être dressée ou si la nature ou les qualités des objets qui ne sont pas véritables devraient être plutôt précisées. Bien que cette approche puisse traiter certains aspects de cette question, elle ajouterait une autre couche d’interprétation et d’incertitude connexe.

Une autre question est à savoir ce qu’on entend par empêcher certains objets d’être considérés véritables. Par exemple, imaginons qu’une opération pourrait être décrite comme ayant les trois objets suivants (et ces objets pourraient être quantifiés précisément) : commercial (40 %), impôt étranger (35 %) et impôt canadien (25 %). Si les économies d’impôts étrangers ne sont simplement pas prises en considération, l’opération serait en toute vraisemblance, principalement commerciale (40 % par rapport à 25 %). Si les économies d’impôts étrangers sont considérées comme faisant partie de la catégorie « nonvéritable » avec les économies d’impôts canadiens, le critère de l’opération d’évitement serait vraisemblablement satisfait (40 % par rapport à 35 % plus 25 %). Évidemment, en pratique il serait difficile (voire impossible) de quantifier et de comparer les objets à ce niveau de précision. Ainsi, l’exemple vise simplement à illustrer certains des défis de conception pour cette approche.

Ce changement semblerait résoudre des situations particulières, comme lorsqu’une opération purement motivée par des objets fiscaux produit plus d’économies d’impôts étrangers que d’économies d’impôts canadiens. Toutefois, on peut se demander si un tel changement suffirait pour établir l’existence d’une opération d’évitement dans tous les cas appropriés (puisque l’objet commercial pourrait encore l’emporter sur les objets fiscaux canadiens et étrangers). Par ailleurs, il n’aborderait pas les lacunes potentielles plus larges décrites dans les deux options suivantes.

Élargir la définition d’« opération » pour inclure un choix

La définition actuelle d’« opération » au paragraphe 245 prévoit qu’elle inclut une convention, un mécanisme ou un événement. Même si c’est assez général, il pourrait être envisagé de modifier la définition afin d’explicitement inclure les choix effectués par un contribuable. Cela pourrait inclure le choix d’effectuer une opération d’une façon particulière. Cette considération répond à l’idée que les choix qui sont motivés considérablement par des avantages fiscaux ne devraient pas être exemptés de l’analyse de l’abus parce que ces choix étaient intégrés, par exemple, à une plus grande décision commerciale. Est-il approprié que le choix dans Canadien Pacifique d’emprunter une devise faible – un choix qui impliquait des avantages fiscaux importants et qui représentait un volet important de l’opération – ne constituait pas une opération d’évitement et, par conséquent, ne serait pas soumis à l’analyse de l’abus? On peut faire valoir que l’étape de l’opération d’évitement de l’analyse de la RGAE ne visait pas à protéger les opérations comportant un élément si important de planification fiscale.

D’autre part, il est reconnu que l’inclusion de tous les choix qui entraînent des avantages fiscaux dans la définition d’opération peut avoir pour effet l’élargissement excessif de la définition d’opération d’évitement et la diminution de son rôle de gardien dans l’analyse de la RGAE. Il semble raisonnable de s’attendre à ce que dans la vaste majorité d’opérations produisant un avantage fiscal, un choix ait été fait de réaliser cet avantage. Par exemple, le choix d’emprunter de l’argent plutôt que de lever du capital, de vendre des actions plutôt que des actifs ou de rembourser du capital plutôt que de verser un dividende pourraient devenir assujettis à l’analyse d’abus. Même si l’application de l’exception d’abus dans de nombreux cas pourrait être simple et constituer un allègement, celle-ci pourrait introduire un fardeau de conformité supplémentaire et un degré d’incertitude difficiles à justifier en termes de politique fiscale, compte tenu de l’importance de la question donnée.

Il est prévu que cette approche préserverait le droit des contribuables de choisir d’organiser leurs affaires de manière à réduire au minimum l’impôt, pourvu que ces choix n’entraînent pas un abus de l’application des règles fiscales. Bien qu’en dernière analyse, la RGAE ne s’appliquerait que dans les cas où le critère de l’abus était satisfait, ce changement entraînerait une importance accrue à l’analyse des abus. En effet, la définition d’opération d’évitement servirait en grande partie à identifier l’opération, la convention, le mécanisme, l’événement ou le choix qui mène au refus des avantages fiscaux dans les circonstances d’évitement fiscal abusif. Étant donné que la portée de cette question particulière ne pourrait pas justifier une telle réforme fondamentale de la RGAE, la question qui s’ensuit est celle de savoir quels types de choix seraient inclus dans la définition d’opération. Cette détermination ne serait pas simple, mais théoriquement, les choix à considérer seraient ceux dont la nature et les conséquences sont plus susceptibles de soulever des préoccupations liées à l’évitement fiscal abusif.

Réduire le seuil du test d’objet

La Loi renferme un bon nombre de tests d’objet, qui peuvent être organisés par seuils décroissants comme suit : l’(unique) objet; l’objet principal; l’un des principaux objets; et l’un des objets. Les tests d’objet à seuil inférieur aident à régler les situations suivantes :

Changer la définition d’opération d’évitement afin qu’elle s’applique lorsque l’« un des principaux objets de l’opération (ou de la série) consiste à obtenir l’avantage fiscal » comporterait les avantages suivants :

Il est toutefois incertain si l’utilisation d’un test de « l’un des principaux objets » suffirait pour établir l’existence d’une opération d’évitement dans tous les cas appropriés, puisque l’objet fiscal pourrait toujours être jugé ne pas être un des objets principaux, malgré l’importance des économies d’impôts. Par exemple, dans l’affaire Gerbro HoldingsFootnote 19 (un cas ne traitant pas de la RGAE), la Cour d’appel fédérale a maintenu la décision de la Cour canadienne de l’impôt à l’effet que le report d’impôt réalisé par le contribuable ne satisfaisait pas au critère de l’« une des raisons principales » au paragraphe 94.1(1) de la Loi, même si l’objet fiscal était important.

La question pourrait être réglée en ayant un seuil inférieur, comme un test de l’« un des objets ». D’autres alternatives pourraient aussi être envisagées comme un test d’« objet important » ou un critère d’« objet non accessoire ». Cette approche pourrait être justifiée étant donné que les opérations en question devraient toujours être considérées comme abusives avant que la RGAE ne puisse s’appliquer. De cette manière, un plus grand nombre d’opérations s’inscriraient dans la portée de l’« opération d’évitement », ce qui aurait pour résultat que le test d’abus serait le facteur déterminant dans l’application de la RGAE.

3. Abus : déterminer l’objet et l’esprit et l’économie générale

Énoncé de l’enjeu

Il peut être difficile de déterminer l’objet et l’esprit d’une disposition de la Loi, ou l’existence et la pertinence d’un mécanisme général dans la Loi lue dans son ensemble, afin de déterminer si un évitement fiscal abusif s’est produit. En outre, les tribunaux se sont tournés vers la Couronne pour faire des observations convaincantes sur l’objet et l’esprit des dispositions et lorsque l’existence d’un évitement fiscal abusif est incertaine, les tribunaux ont donné le bénéfice du doute au contribuable.

Contexte

Le paragraphe 245(4) de la Loi prévoit qu’une opération qui, à la fois :

sera assujettie à la RGAE s’il peut être raisonnable de considérer qu’elle entraînerait, directement ou indirectement,

La RGAE n’est pas destinée à refuser les avantages fiscaux découlant d’opérations qui sont conclues à l’intérieur de l’objet et de l’esprit des dispositions de la Loi. La question est alors de savoir comment procéder à l’analyse de l’« abus ». Dans Trustco CanadaFootnote 20, la Cour suprême du Canada a décrit l’exercice en deux étapes requis de la façon suivante :

De façon générale, l’interprétation contextuelle implique l’examen du texte de la disposition pertinente spécifique et la façon dont il s’intègre et se rapporte aux autres dispositions de la Loi.Footnote 21 L’interprétation téléologique est moins un exercice textuel, étant donné les méthodes traditionnelles d’interprétation des lois fiscales, et exige souvent des inférences fondées sur le texte et le contexte ainsi que sur du matériel qui est extrinsèque à la législation (appelées « aides extrinsèques »).

Le renvoi à des aides extrinsèques pour aider à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions spécifiques de la Loi dans le contexte d’une analyse de la RGAE est accepté par les tribunaux.Footnote 22 Les renseignements supplémentaires produits dans les annonces de mesures fiscales budgétaires et les notes explicatives qui accompagnent les avant-projets de loi sont souvent cités dans les décisions des tribunaux et peuvent constituer des aides extrinsèques pertinentes, en particulier lorsqu’ils sont publiés en même tempsFootnote 23 que les dispositions en question.

Dans KauliusFootnote 24, la Cour d’appel fédérale a conclu que la planification du contribuable avait abusé une politique générale dans la Loi à l’encontre de la commercialisation de pertes fiscales entre contribuables non liés, tel que démontré par l’interaction du paragraphe 18(13) et de l’article 96 de la Loi. En confirmant la décision, la Cour suprême du CanadaFootnote 25 n’a pas accepté de fonder l’analyse de l’abus sur l’économie de la Loi dans son ensemble. Elle a plutôt confirmé qu’une « méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée »Footnote 26 est requise. Dans Deans KnightFootnote 27, la Cour d’appel fédérale a aussi reconnu un régime législatif contre la commercialisation de pertes fiscales, mais l’a fait dans le contexte de son analyse de l’objet et de l’esprit du paragraphe 111(5) de la Loi. Cela soulève la question de savoir dans quelle mesure devrait-on mettre l’accent sur les dispositions de la Loi lues dans leur ensemble dans le processus d’interprétation.

Dans la décision de Alta Energy, dans le cadre de l’application de la RGAE à une convention fiscale, la majorité de la Cour suprême du Canada a affirmé que la RGAE « a été adoptée dans le but d’identifier des stratégies fiscales qui n’avaient pas été prévues. »Footnote 28 Cela pourrait être interprété comme soutenant une application restreinte de la RGAE et ne reconnaît pas l’interaction complexe de la RGAE avec les règles anti-évitement spécifiques. Par exemple, l’instauration de la RGAE était motivée, en grande partie, par le rejet par la Cour suprême du Canada d’un critère d’objet commercial dans le cadre d’une opération impliquant l’utilisation de pertes fiscales. Bien que la manière de consolider les profits et pertes dans un groupe dans le cas donné peut ne pas avoir été considérée comme abusive, les opérations impliquant des pertes fiscales représentent un secteur de la planification fiscale agressive qui était très répandu à l’époque et l’est encore aujourd’hui.Footnote 29 Il semble aussi difficile de concilier cette affirmation avec l’abrogation de règles anti-évitement spécifiques existantesFootnote 30 lors de l’adoption de la RGAE sur le fondement qu’il était attendu qu’elle s’appliquerait dans des circonstances où les règles abrogées se seraient appliquées.Footnote 31

La Loi est un texte législatif très vaste et complexe qui contient de nombreux objets, mécanismes et dispositions, lesquels évoluent au fil du temps. Certains de ceux-ci fonctionnent de façon indépendante tandis que d’autres interagissent et se croisent. Pour ajouter à la complexité de la situation, il existe un nombre croissant de règles anti-évitement qui sont fréquemment introduites dans le cadre d’efforts continus pour maintenir l’intégrité et l’équité du régime fiscal. La RGAE représente la disposition de dernier recours à cet égard et s’applique afin de refuser des avantages fiscaux découlant d’un abus des dispositions de la Loi qui seraient autrement disponibles si ce n’était de la RGAE. La Cour suprême du Canada a fait la déclaration suivante à propos du rôle judiciaire de la RGAE :

Tel qu’indiqué dans le bref contexte fourni ci-dessus, le processus d’interprétation est difficile pour les contribuables, les conseillers, l’ARC et les tribunaux. Toutefois, les tribunaux ont établi que l’existence d’un évitement fiscal abusif doit être claire et lorsque l’existence d’un évitement fiscal abusif est floue, on doit donner au contribuable le bénéfice du doute.Footnote 33 Puisque la détermination de l’objet et de l’esprit d’une disposition législative est une pure question de droit, la question est de savoir si les fardeaux doivent être modifiés dans le but d’améliorer l’efficacité de la RGAE et l’équité du régime fiscal.

Traitement des enjeux

Le gouvernement examine les solutions possibles suivantes à ces questions :

Préambules législatifs et énoncés du but

En dehors des lois fiscales, la législation fédérale canadienne inclut parfois des préambulesFootnote 34 et des énoncés d’objet. La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre contient un exemple de préambuleFootnote 35, qui fournit un énoncé du but général et de la portée de la loi. Un exemple d’un énoncé du but se trouve à l’article 718 du Code criminelFootnote 36, lequel expose en détail l’objet fondamental de la détermination de la peine des délinquants.

Certains pays intègrent des énoncés d’objet dans leur législation fiscale. Par exemple, la Income Tax Assessment Act 1997 australienne, qui est généralement divisée en chapitres, divisions et subdivisions, contient des énoncés d’objet au début de la plupart des divisions et subdivisions.

Même s’il serait difficile d’élaborer un préambule significatif pour la Loi, étant donné sa complexité et ses multiples objectifs, des énoncés d’objet pourraient être établis au début de certaines dispositions discrètes. Ceux-ci pourraient être inclus dans de nouvelles dispositions à mesure qu’elles sont instaurées, ajoutées à des dispositions lorsqu’elles font l’objet de modifications substantielles, ou un projet pourrait être entrepris pour introduire des énoncés d’objet dans la législation existante. Un exemple simple d’un énoncé d’objet serait d’établir qu’une règle anti-évitement spécifique est destinée à empêcher un type spécifique de planification fiscale de procurer un avantage fiscal spécifique. Ainsi, si une planification fiscale alternative était entreprise pour obtenir le même avantage fiscal, dans le même contexte factuel ou dans un contexte factuel substantiellement similaire, il serait clair (ou au moins plus facile d’établir) que la justification sous-jacente de la règle anti-évitement spécifique a été frustrée. Même si les énoncés d’objet peuvent être utiles dans l’interprétation des dispositions spécifiques auxquelles ils se rapportent, ils peuvent aussi être utiles pour identifier des politiques générales dans la Loi dont une disposition particulière fait partie (voir aussi la discussion ci-dessous sous « Abus de la Loi lue dans son ensemble »).

Souvent, les dispositions de la Loi permettent d’atteindre de nombreux objectifs. Dans un article donné de la Loi, on peut compter plusieurs paragraphes, alinéas, sous-alinéas, et ainsi de suite. Un bon nombre de ceux-ci prévoient des exceptions à une règle générale ou servent à soutenir d’autres règles d’autres dispositions. Par conséquent, il se peut qu’un énoncé d’objet au niveau de l’article doive être assez général et possiblement permettre l’existence d’exceptions. Plus les énoncés sont généraux, plus difficile il serait de déterminer leur pertinence pour chaque ensemble donné de faits. Même si plus de spécificité pourrait être obtenue en introduisant des énoncés d’objet au niveau d’un paragraphe, d’un alinéa ou à des niveaux inférieurs, cela constituerait une entreprise importante en vue de l’obtention d’avantages potentiellement incertains.

Aides extrinsèques

Comme alternative, ou de surcroît, afin de prévoir des énoncés d’objet dans des dispositions législatives en matière d’impôt sur le revenu, une description claire de l’objet de ces dispositions pourrait être fournie dans les publications du gouvernement relatives à l’adoption de telles dispositions. Les notes explicatives et les renseignements supplémentaires qui accompagnent les modifications législatives le font souvent déjà. Toutefois, dans le cas des notes explicatives, elles se concentrent fréquemment sur les détails et ne mettent pas l’accent sur les objectifs généraux des modifications législatives et sur la façon dont celles-ci sont conçues pour interagir avec d’autres dispositions. Aussi, une limitation possible des notes explicatives peut être qu’elles ne sont pas édictées ou expressément approuvées par le Parlement bien que leur texte lui soit fourni comme une aide pour son étude article par article d’un projet de loi.

Pour renforcer l’importance des aides extrinsèques, certaines parties de ces aides pourraient être référencées dans des dispositions spécifiques de la loi, selon ce qui est jugé approprié. Il existe des précédents pour ce type de référence dans la Loi. Par exemple, les règles relatives aux normes communes de déclaration font référence à un document produit par l’Organisation de coopération et de développement économiques comme une aide à l’interprétationFootnote 37. Plus récemment, les projets de propositions législatives visant à faire face aux dispositifs hybrides précisent que les règles doivent être interprétées conformément au « Rapport final sur Neutraliser les effets des dispositifs hybrides » publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques, avec les adaptations nécessaires au contexte fiscal canadien.

Abus dans l’application de la Loi lue dans son ensemble

La décision OSFC HoldingsFootnote 38 a interprété la RGAE comme incluant deux analyses distinctes, une pour déterminer si des dispositions spécifiques ont fait l’objet d’un abus et l’autre pour déterminer si les dispositions de la Loi, lues dans leur ensemble, ont fait l’objet d’un abus. Toutefois, les décisions de la Cour suprême du Canada concernant Trustco Canada et MathewFootnote 39 ont préféré une approche unique et unifiée de l’analyse des abus en vertu du paragraphe 245(4). Cette approche a été plus récemment suivie par la Cour suprême du Canada dans Alta Energy.Footnote 40 Une inquiétude existe à l’effet que cette approche unique et unifiée a indûment affaibli la pertinence des considérations des politiques générales de la Loi dans l’analyse de la RGAE. Cette situation est particulièrement préoccupante dans les cas où l’élément d’« abus » dans l’application d’une disposition donnée peut ne pas être manifeste.

Le gouvernement examine la possibilité de modifier le paragraphe 245(4) afin de veiller à ce que les politiques générales qui peuvent raisonnablement être établies après avoir examiné la Loi dans son ensemble soient prises en considération (et se voient conférer un poids approprié) dans l’analyse de la RGAE, même s’il est impossible d’identifier un abus dans l’application de dispositions spécifiques de la Loi. La modification au paragraphe 245(4) en 2005, laquelle définit plus clairement les deux tests dans des alinéas distincts et harmonise mieux les versions française et anglaise du texte aurait pu justifier une interprétation différente. Cependant, étant donné que les tribunaux continuent d’adopter la même approche unique et unifiée que celle utilisée dans Trustco Canada et Mathew, qui était fondée sur la version du paragraphe 245(4) antérieure à 2005, d’autres mesures législatives pourraient être souhaitables.

Règle d’interprétation pour l’évaluation de la certitude, de la prévisibilité et de l’équité

Dans Alta Energy, la Cour suprême du Canada a souligné l’importance de la certitude, de la prévisibilité et de l’équité du régime fiscal. Dans sa décision, la majorité a lié la certitude, la prévisibilité et l’équité avec le droit des contribuables de réduire légitimement l’impôt comme fondement du droit fiscal. Cet énoncé pourrait être interprété comme impliquant que l’équité devrait être interprétée individuellement, de sorte qu’elle implique simplement le droit d’une personne de se prévaloir de ses stratégies de réduction de l’impôt.

La dissidence reconnaît toutefois la RGAE comme établissant un équilibre entre fournir une certitude aux contribuables et assurer une « équité du régime fiscal dans son ensemble ».Footnote 41 Comme indiqué dans l’Introduction, assurer l’équité du régime fiscal canadien était un objectif majeur lorsque la RGAE a été instaurée. Cette notion plus large d’équité reflète les effets distributifs inéquitables de l’évitement fiscal comme le transfert du fardeau fiscal de ceux qui ont la volonté et la capacité d’éviter de payer des impôts à ceux qui ne l’ont pas. Si l’évitement fiscal est perçu comme un problème important dans la société, il peut miner les attitudes vers l’observation fiscale et plus généralement l’état de droit lui-même. De ce point de vue, une notion plus large d’équité est essentielle pour maintenir la confiance des contribuables dans le fonctionnement efficace du système fiscal. On pourrait aider à atteindre cet objectif d’équité en incluant une règle d’interprétation dans la RGAE qui aiderait à atteindre un équilibre plus approprié relativement à la considération d’équité. Des règles d’interprétation pourraient aussi être introduites pour régler les problèmes d’application qui surviennent de temps à autre. Par exemple, une règle d’interprétation pourrait être ajoutée à la lumière de la décision de Alta Energy de prévoir que la RGAE s’applique à la planification fiscale prévue et imprévue.

Modifier le fardeau du critère d’abus

Comme indiqué ci-dessus, lorsqu’il n’est pas certain qu’un évitement fiscal abusif s’est produit, le bénéfice du doute est accordé au contribuable. Pour que le critère d’abus soit pertinent, une opération d’évitement doit avoir produit un avantage fiscal. Lorsqu’un contribuable conclut une opération d’évitement délibérément afin de se servir des dispositions de la Loi pour obtenir un avantage fiscal, il va de soi que les contribuables et leurs conseillers sont bien placés pour former et exprimer des opinions relativement à l’objet et à l’esprit des dispositions pertinentes sur lesquelles ils s’appuient. Cependant, dans Trustco Canada, la Cour suprême du Canada a fait remarquer au paragraphe 65 ce qui suit :

Puisque l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes représentent une question de droit à déterminer selon le libellé de la Loi et d’autres aides extrinsèques permises (qui sont tous accessibles au public), il n’est pas évident que la Couronne soit mieux placée (ou possède des connaissances particulières) pour établir qu’il y a évitement fiscal abusif que les contribuables le soient pour établir que les avantages fiscaux recherchés sont conformes (ou du moins ne sont pas incompatibles) à l’objet et à l’esprit des dispositions invoquées.

On pourrait envisager de modifier le fardeau du critère d’abus de différentes façons. Par exemple, plutôt que la Couronne ait le fardeau d’établir l’évitement fiscal abusif, cela pourrait être changé pour exiger du contribuable qu’il démontre clairement que l’avantage fiscal recherché serait conforme à l’objet et à l’esprit des dispositions sur lesquelles il s’appuie. Une autre formulation serait de supposer qu’un évitement fiscal abusif s’est produit, sauf si le contribuable peut établir selon un standard approprié que la disposition ou les dispositions utilisées pour fournir l’avantage fiscal ont été utilisées de la manière dont le Parlement entendait qu’elles le soient. Étant donné que le Parlement ne peut certainement pas anticiper toutes les situations possibles, des modifications au fardeau pourraient être requises seulement dans des circonstances particulières, comme pour les opérations qui manquent de substance économique (voir ci-après).

4. Substance économique

Énoncé de l’enjeu

La RGAE ne tient pas suffisamment compte de la substance économique des opérations.

Contexte

Dans Trustco Canada, la Cour suprême du Canada interdit expressément la considération de la substance économique de ce qui était censé être une opération de cession-bail dans l’application du critère d’abus de la RGAE dans le contexte d’une opération d’évitement qui s’est appuyée sur les règles de la déduction pour amortissement. Elle poursuivait en disant que la substance économique n’est pertinente que si, et dans la mesure où, le texte de loi l’affirme. Ainsi, les tribunaux n’appliquent pas régulièrement ou expressément un critère de « substance économique » lorsqu’ils déterminent si une opération d’évitement constitue un abus d’une disposition donnée de la Loi.

Trustco Canada a établi un rôle limité de la substance économique à l’étape de l’analyse de la RGAE impliquant l’enquête factuelle sur l’évitement fiscal abusif; toutefois, la Cour suprême du Canada a effectivement exclu un rôle pour une substance économique dans la détermination de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes (en l’absence de langage législatif exprès) et empêché toute conclusion à l’effet que les opérations pourraient être jugées abusives simplement parce qu’elles manquaient de substance économique. Cette limitation du rôle de substance économique dans l’analyse de la RGAE peut ne pas s’aligner complètement avec la déclaration du gouvernement dans la période précédant l’adoption de la RGAE que « la nouvelle disposition ne supplantera pas d’autres dispositions de la loi, mais s’appliquera en combinaison avec ces dernières pour exiger qu’une opération ait un fondement économique, en plus de se conformer à la lettre de la loi ».Footnote 42 [Traduction interne]

Avec le rôle limité accordé à la substance économique dans les cas autres que la RGAEFootnote 43, l’exclusion, ou les limitations, d’une substance économique comme une considération pertinente dans l’analyse de la RGAE ont eu un impact profond sur le régime fiscal. Toutefois, un examen de la jurisprudence ne produit pas de nombreux cas, après la décision dans Trustco Canada, où un manque de substance économique a mené à une conclusion qu’une opération est abusive. Étant donné les directives de la Cour suprême du Canada dans Trustco Canada sur le rôle limité d’une substance économique dans l’analyse de la RGAE, il n’est pas surprenant que l’argument soit rarement avancé par la Couronne (et les cas ne sont pas poursuivis).

Certaines affairesFootnote 44 peuvent indiquer que la substance économique est un facteur qui est pris en considération dans les décisions de la RGAE. Toutefois, certaines autresFootnote 45 ont tendance à minimiser le rôle et le poids accordés à la substance économique. De plus, les décisions judiciaires qui montrent une certaine considération à l’égard de la substance économique impliquent habituellement un type de duplication, de préservation ou de manipulation des attributs et sont jugés abusifs sur cette base. En tout état de cause, ce rôle limité ou ponctuel de la substance économique est insatisfaisant sur le plan de la politique fiscale.

Il convient de noter que le critère de l’opération d’évitement est, en quelque sorte, une forme de critère de substance économique. En cherchant à savoir si l’objet principal d’une opération est l’obtention d’un avantage fiscal, les opérations purement motivées par des objets fiscaux qui sont dépourvues de substance économique seront considérées des opérations d’évitement. Toutefois, le test d’abus au paragraphe 245(4) n’attribue pas explicitement une signification à la substance économique d’une opération donnée. Même si les commentaires accompagnant l’introduction de la RGAE ont envisagé explicitement une substance économique, le rôle précis de cette dernière dans le processus d’interprétation n’a pas été établi. Comme indiqué plus haut, les tribunaux ont limité le rôle de la substance économique à celui de la détermination du contexte factuel pertinent des opérations et n’en ont pas tenu compte dans la détermination de la manière dont les dispositions de la Loi devraient être interprétées et appliquées dans des cas particuliersFootnote 46. Cette approche judiciaire laisse entendre que si un facteur (comme la substance économique) doit faire partie de l’analyse d‘abus, il devrait faire partie d’un critère clair et explicite.

Traitement de l’enjeu

Le gouvernement a l’intention d’ajouter une règle de substance économique explicite à la RGAE, de sorte qu’elle s’applique de façon plus appropriée. À cet égard, trois principales questions doivent être abordées. Premièrement, il est nécessaire de définir une substance économique afin qu’il soit possible de déterminer quand elle est manquante. Deuxièmement, une règle de substance économique devrait être intégrée dans l’analyse de la RGAE. Troisièmement, les conséquences appropriées associées à un manque de substance économique devraient être déterminées.

Le gouvernement envisage les solutions suivantes, regroupées dans ces trois catégories, qui sont discutées de façon plus détaillée ci-dessous :

Sens de, ou vérifier l’existence ou le manque de, « substance économique »

Il existe différentes façons de vérifier si une opération manque de substance économique. Celles-ci comprennent :

Intégration de substance économique dans la RGAE

Il existe différentes façons dont un critère de substance économique pourrait être intégré dans la RAGE. Celles-ci comprennent :

Conséquences en cas d’application de la règle de substance économique

Lorsqu’une opération s’avère manquer de substance économique, il y a diverses autres conséquences qui pourraient raisonnablement suivre. Celles-ci comprennent :

Certaines de ces solutions de rechange pourraient devoir tenir compte d’autres changements qui pourraient être effectués à la RGAE. Par exemple, si le fardeau d’abus était renversé pour l’ensemble des opérations, tel qu’il est soulevé pour considération dans la section « abus » du présent document, il ne servirait à rien de le faire précisément pour les opérations manquant de substance économique.

Sens de, ou vérifier l’existence ou le manque de, « substance économique »

Le critère de l’opération d’évitement actuel cherche à savoir s’il est raisonnable de considérer qu’une opération est principalement effectuée pour des objets véritables — autres que l’obtention d’un avantage fiscal. Cela peut être considéré comme une forme de critère de substance économique, en ce sens qu’il compare l’importance relative de l’avantage fiscal et les motifs véritables autres que fiscaux pour conclure l’opération. Toutefois, plutôt que de tester la substance économique directement, il utilise l’intentionnalité comme indicateur de substance économique; implicitement, une opération qui est effectuée entièrement (ou presque entièrement) pour des raisons fiscales pourrait être présumée manquer de substance économique.

Lorsqu’un contribuable n’a aucun objet commercial véritable ou autre objet non fiscal (ou presque pas de tels objets), les opérations pertinentes pourraient être considérées suffisamment manquer de substance économique qu’il devrait en résulter l’application de l’une des règles spéciales examinées ci-après. Ce niveau d’objet peut être comparé à un critère de « la totalité ou presque », qui est communément traité comme signifiant 90 %.

Les opérations commerciales cherchent à augmenter les bénéfices d’une entreprise en augmentant ses revenus ou en réduisant ses coûts. À cette fin, les impôts représentent l’un des coûts que les entreprises payent, ainsi que des choses comme le salaire et le loyer. Étant donné qu’un critère de substance économique cherche à faire la distinction entre les opérations motivées par des objectifs fiscaux et celles motivées par des objectifs commerciaux, une approche pour vérifier si une opération manque de substance économique consiste à déterminer si elle pourrait se traduire par des bénéfices avant impôt.Footnote 47

Au niveau le plus élémentaire, si les recettes raisonnablement prévisibles associées à une opération sont dépassées par les coûts de l’opération, celle-ci semblerait manquer de substance économique. Ce sera généralement le cas des abris fiscaux et d’autres plans purement fiscaux. Les coûts de l’opération comprendraient en général les frais juridiques de mise en œuvre de l’opération ainsi que toute somme payée, directement ou indirectement, à titre d’honoraires de consultation ou de facilitation.

Un avantage important de cette approche est qu’elle fournit un calcul déterminable qui pourrait donner plus de certitude aux contribuables et à leurs conseillers. Toutefois, il peut être difficile en pratique de quantifier avec précision les rendements économiques attendus et le coût des opérations dans certaines circonstances. Une autre difficulté avec un tel calcul mécanique est qu’il laisse la possibilité aux planificateurs de réaliser un bénéfice insignifiant (ou un potentiel de présenter un bénéfice) dans une opération afin de satisfaire au critère bien que le montant de bénéfices soit non matériel dans le contexte plus large de l’opération.

Afin de répondre à cette préoccupation, un critère de substance économique pourrait comparer le bénéfice avant impôt raisonnablement prévisible d’une opération avec ses économies d’impôt prévues. Lorsque le potentiel de présenter un bénéfice avant impôt associé à une opération est non matériel par rapport à l’avantage fiscal escompté, elle pourrait être considérée comme dépourvue de substance économique.

Plutôt que d’utiliser un seuil de « matérialité » un peu vague, la comparaison du profit économique attendu et des avantages fiscaux associés à une opération pourrait être exprimée mathématiquement. Par exemple, le critère pourrait prévoir qu’une opération manque de substance économique lorsque l’avantage fiscal attendu dépasse 10 fois le profit économique attendu. Le facteur de 10 utilisé dans l’exemple est quelque peu arbitraire et pourrait être plus élevé ou plus faible si nécessaire. Il correspond sensiblement au critère de « la totalité ou presque » couramment utilisé dans la Loi, lequel est généralement interprété comme signifiant environ 90 % ou plus. Un autre seuil se trouve dans le Projet de loi émanant d’un député C-362 - Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (substance économique), 1ere session, 42e législature, qui examinait la question de savoir si le montant de l’avantage fiscal dépassait l’avantage financier réel ou prévu (semblable au profit économique attendu) de l’opération.

Dans de nombreux cas, la valeur d’un avantage fiscal est un reflet du montant d’impôt ayant été évité. Toutefois, dans le cas d’une planification fiscale qui crée des attributs fiscaux, l’évaluation des attributs fiscaux inutilisés pourrait présenter un défi. Cela est dû à la valeur temporelle de l’argent et au fait qu’il est impossible de connaître précisément quand (ou si) un attribut fiscal sera utilisé. Toutefois, afin de fournir une certitude, une approche raisonnable serait de valoriser l’attribut fiscal aux fins de la présente analyse comme s’il était immédiatement utilisé de la façon la plus fiscalement avantageuse.

Une difficulté avec l’approche précédente est qu’elle exige le calcul des bénéfices avant impôt et des avantages fiscaux associés à une opération. Cela peut être difficile dans bon nombre de cas, étant donné que des opérations commerciales véritables peuvent être effectuées par des contribuables dans des situations où il est difficile de quantifier le bénéfice avant impôt attendu associé à l’opération. Une autre approche consiste à vérifier si la situation économique d’un contribuable a changé à la suite d’une opération.

Cette méthode d’essai d’une substance économique consiste à analyser les éléments constitutifs de l’opération pertinente. Une opération comporte essentiellement des transferts et des prises en charge de droits et d’obligations. Dans un contexte commercial, ces droits et obligations donnent lieu à des possibilités de réaliser des gains ou des bénéfices ou de subir des pertes (c’est une façon courante de décrire le risque économique dans la Loi). Avant et après une opération, chaque participant a un ensemble de droits et d’obligations qui donnent naissance à certaines possibilités de réaliser des bénéfices ou de subir des pertes. Si le risque économique des participants à une opération n’est pas considérablement touché par les transferts de droits et d’obligations dans le cadre de l’opération, on peut dire de cette dernière qu’elle manque de substance économique même si les opérations ont légalement transféré ces droits et obligations. Ainsi, ce type de règle pourrait être efficace pour traiter les affaires impliquant des opérations circulaires et de compensation et des flux financiers, comme Trustco Canada et d’autres affaires où l’argent circule (au sein d’un groupe de sociétés, mais également par des intermédiaires externes) de façon circulaire dans le but de produire des avantages fiscaux découlant de dépenses d’intérêts ou d’autres paiements déductibles, sans aucune somme à inclure dans le revenu correspondant.

Même si cette approche a le potentiel de mesurer la substance économique d’une opération avec une certaine précision et certitude, elle comporte aussi certains risques. Peut-être le plus important, l’interaction entre la substance légale et le risque économique pourrait être difficile à suivre dans un groupe. Par exemple, supposons qu’une société mère possède deux filiales détenues à cent pour cent (SocX et SocY) qui concluent une opération conçue pour augmenter artificiellement le coût fiscal d’un bien détenu par SocX. La société mère est indifférente quant à la question de savoir si le bien est détenu par SocX ou SocY et donc, dans le cadre de la série d’opérations, le bien est transféré à SocY. Le problème est que si vous examinez les participants aux opérations (SocX et SocY) et acceptez leur existence légale distincte, leur situation économique est très changée — SocY détient un bien qui était antérieurement propriété de SocX. Mais, considérée de manière globale, l’opération est largement dépourvue de substance économique. Par conséquent, le test devrait être appliqué au niveau du groupe. Dans certains cas, le groupe peut inclure des entités ou des personnes qui ne résident ni au Canada ni n’y sont assujettis à l’impôt.

Si un critère de substance économique est appliqué au niveau du groupe, il faudrait déterminer la meilleure façon de traiter les opérations de restructuration au sein d’un groupe qui peuvent ne pas se solder par un changement de situation économique du groupe. Étant donné les ensembles étendus de règles de la Loi relatives aux réorganisations corporatives (et autres), il pourrait être préférable de simplement traiter ces opérations comme ayant une substance économique et appliquer le critère d’abus actuel. Bien que cela puisse dans certains cas accroître la pression sur l’analyse de l’objet et de l’esprit, cela n’est pas intrinsèquement inapproprié ou problématique.

Les principes comptables généralement reconnus présentent souvent les opérations en fonction de leur substance économique plutôt que leur forme juridique. Par exemple, de nombreux types d’actions privilégiées d’une société sont présentés comme des passifs de la société étant donné leur similitude sur le plan économique à des titres de créance. Aussi, les baux peuvent être traités comme des ventes à des fins comptables si les risques et les charges de propriété sont transférés, compte tenu des termes du bail. La planification fiscale vise parfois à créer des opérations dont les caractéristiques juridiques diffèrent considérablement de leur substance économique et, ainsi, leur présentation à des fins comptables pourrait être très différente de leur caractérisation selon les principes juridiques. Lorsque c’est le cas, ces opérations pourraient être considérées comme manquant de substance économique ou reflétant une substance économique qui est fondamentalement différente de la forme juridique de l’opération à laquelle les règles fiscales sont appliquées.

Bien que le traitement fiscal puisse être un indicateur utile de substance économique, il y aurait des limitations importantes quant à l’utilisation d’un tel indicateur. Par exemple, les normes comptables évoluent constamment et, soumises à leurs propres pressions, elles peuvent varier d’une juridiction à l’autre et entre les sociétés privées et publiques. Leur application est fondée sur le jugement professionnel et, plus important, elles ne sont pas légiférées par le Parlement. De plus, les états financiers sont souvent établis sur une base consolidée, qui peut avoir pour effet d’éliminer ou d’annuler les opérations effectuées entre les membres d’un groupe consolidé qu’elles soient dépourvues ou non de substance économique. Ainsi, une règle qui s’appuie sur la présentation comptable d’opérations devrait être abordée avec prudence. Pour cette raison, il peut être souhaitable d’envisager le traitement comptable comme une aide à l’interprétation non exécutoire. La meilleure utilisation d’une telle option serait probablement dans un modèle hybride qui tient compte de deux ou plusieurs des approches mentionnées ci-dessus.

Les approches indiquées plus haut ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. De plus, certaines des approches fonctionnent mieux dans certaines circonstances et moins bien dans d’autres. Par exemple, la deuxième approche (qui vérifie si une opération a le potentiel de présenter un bénéfice avant impôt) fonctionne particulièrement bien pour les opérations discrètes où il est facile de quantifier le potentiel de présenter un bénéfice avant impôt. C’est le cas des abris fiscaux, dans lesquels un contribuable est souvent assuré que ses risques économiques à l’égard de l’opération sont limités aux honoraires de facilitation payés à un promoteur. Elle fonctionne moins bien pour les opérations qui ne sont pas des abris fiscaux distincts ou celles pour lesquelles il est difficile de mesurer le potentiel de présenter un bénéfice avant impôt. Par exemple, cette approche serait relativement plus difficile à appliquer lorsque le contribuable acquiert des biens qui pourraient théoriquement devenir hautement rentables, mais dont l’acquisition est vraiment accessoire à l’objectif fiscal principal (par exemple, le contribuable acquiert des actions ordinaires d’une société qui pourraient théoriquement fournir une croissance illimitée, mais où des arrangements ont été mis en œuvre pour contraindre les caractéristiques de croissance sous-jacente).

Compte tenu de ce qui précède, on pourrait envisager une approche qui combine les approches distinctes examinées plus haut dans un critère de substance économique intégré, plus général. Chacune de ces approches pourrait être des facteurs qui sont pris en compte pour déterminer si des opérations manquent de substance économique. Cela serait conceptuellement semblable à un certain nombre de tests dans le contexte fiscal.Footnote 48 Cela mène à la question de savoir si chaque facteur doit être pris en compte dans chaque cas ou si une grande souplesse est préférable pour donner à différents facteurs différents poids en fonction des circonstances.

Veuillez vous reporter à l’annexe B pour des exemples qui illustrent comment, de façon générale, les critères proposés pour vérifier l’existence ou le manque de substance économique pourraient s’appliquer dans certaines situations de fait.

Intégration de la substance économique à la RGAE

Comme il en est question plus haut, le critère d’opération d’évitement actuel pourrait être considéré comme ayant un élément de substance économique, en ce sens qu’il compte un objet commercial véritable en remplacement de la substance économique. Si l’on reformule un peu le critère, lorsqu’une opération qui entraîne un avantage fiscal est principalement motivée par l’impôt, elle est assujettie à la RGAE, sauf si l’exception d’abus est satisfaite.

Le critère d’opération d’évitement pourrait être remanié de manière que si une opération qui entraîne un avantage fiscal est principalement, mais pas entièrement (ou presque entièrement), motivée par l’impôt, le système actuel continuerait de s’appliquer (c.-à-d., l’opération serait assujettie à la RGAE sauf si l’exception d’abus est satisfaite). Cependant, lorsqu’une telle opération ou série d’opérations et entièrement (ou presque entièrement) motivée par l’impôt, en assumant qu’un critère de substance économique est adopté, des conséquences différentes en découleraient. Les conséquences différentes éventuelles sont abordées en plus de profondeur ci-dessous, mais, par exemple, l’exception d’abus pourrait être annulée ou le fardeau de l’abus pourrait être inversé.

Cette approche aurait pour avantage l’intégration du critère de substance économique à la RGAE tout en maintenant les règles actuelles, à l’exception des opérations qui sont entièrement (ou presque entièrement) motivées par l’impôt.

On pourrait instaurer une règle autonome qui réputerait que certaines conséquences surviennent lorsqu’une opération n’a pas de substance économique (voir l’exposé des conséquences potentielles ci-dessous). Un des avantages de cette approche est qu’elle n’exige pas de modification à la formulation existante de la RGAE. Par conséquent, lorsque les conditions de cette règle autonome ne sont pas remplies, les règles existantes et la jurisprudence qui les accompagnent sont maintenues.

On pourrait instaurer une règle d’interprétation voulant que, pour l’application de la RGAE, les avantages fiscaux se limitent au contexte des opérations ayant une substance économique. Une telle règle annulerait effectivement la déclaration de la Cour suprême du Canada dans Trustco Canada qu’il ne faut tenir compte de la substance économique à moins que la législation l’exige spécifiquement. Il serait toutefois important de veiller à ce que les opérations qui semblent ne pas avoir de substance économique, mais qui ne sont pas inadmissibles sur le plan de la politique fiscale, ne soient pas assujetties à la RGAE. Ainsi, cette approche, qui peut ne pas sembler envahissante au premier regard, présente certains des mêmes défis que l’instauration de la substance économique à l’analyse de l’abus, abordée ci-après.

On pourrait modifier le critère de l’abus en ajoutant une exigence explicite de tenir compte de la substance économique des opérations pertinentes. On pourrait y arriver en établissant une règle autonome ou en l’incluant à d’autres facteurs, comme si l’opération correspond ou non à l’objet identifié des dispositions sous-jacentes.

Cette approche instruirait les tribunaux à toujours tenir compte de la substance économique des opérations lorsqu’ils appliquent le critère de l’abus, mais une conclusion que les opérations n’ont pas de substance économique n’entraînerait pas nécessairement l’application de la RGAE. La substance économique d’une opération serait simplement un élément à considérer dans l’analyse. Un problème important avec cette approche est qu’elle exigerait une définition pratique de la substance économique ou qu’elle instaurerait une incertitude supplémentaire dans l’application du processus d’interprétation en vertu du paragraphe 245(4) de la RGAE. Comme il en est question plus loin, elle pourrait nuire considérablement à l’ensemble de la jurisprudence qui a été rassemblée sur l’analyse de l’abus ainsi que des domaines réglés du droit fiscal où les règles ont été rédigées dans l’hypothèse que les règles fiscales s’appliquent à la forme juridique des opérations. Ces deux effets potentiels viendraient introduire une incertitude supplémentaire.

Alors que d’autres approches comporteraient la détermination de l’absence de substance économique des opérations de manière binaire, celle-ci intégrerait la substance économique à l’analyse de l’abus. On peut y arriver de plusieurs façons, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, on pourrait établir la substance économique comme facteur à prendre en considération pour l’application de la RGAE (peut-être avec d’autres facteurs), ou l’absence de substance économique pourrait être un indicateur qui a tendance à pointer vers l’évitement fiscal abusif. Une approche plus granulaire serait de fournir des règles d’interprétation sur la façon dont la substance économique doit être considérée en général ou dans certaines circonstances. Par exemple, dans le cas des dispositions conçues pour encourager un certain comportement économique, une analyse économique du comportement du contribuable pourrait être exigée afin de s’assurer que l’incitatif réalise son objectif. De même, pour les dispositions conçues pour fournir un soutien à une catégorie de contribuables subissant certaines conditions économiques particulières, une analyse économique pour déterminer si le contribuable entre dans la portée voulue de l’allègement pourrait être requise. Un problème de cette approche réside dans le fait qu’il peut être difficile de décrire chaque type de circonstance où des considérations économiques devraient être envisagées et elle pourrait entraîner des inférences contraires pour les circonstances qui ne sont pas énumérées. De plus, la détermination de circonstances ou de comportements particuliers peut ne pas être évidente dans le contexte de nombreuses dispositions de la loi et la planification fiscale vise souvent à demeurer dans les limites établies par les règles et stratagèmes fiscaux de la loi.

Une autre approche serait d’instaurer par voie législative, dans le cadre de la détermination de l’objet et de l’esprit d’une disposition, une présomption voulant que les dispositions de la loi soient interprétées comme ayant égard à la substance économique des opérations auxquelles elles s’appliquent. Par exemple, cela pourrait comporter l’examen quant à savoir si un traitement de dividende est approprié étant donné l’objet et l’esprit d’une disposition lorsque ce dividende est payé sur des actions qui sont l’équivalent économique d’une créance. Un défi important de cette approche est que la loi a évolué au fil de plusieurs décennies dans la perspective où les règles fiscales s’appliquent généralement aux résultats juridiques des opérations, alors que l’intégration de la substance économique au processus d’interprétation de cette manière en ce moment pourrait être considérée comme un changement fondamental.

Le défi principal repose dans la façon d’intégrer un tel critère à l’analyse de l’abus, étant donné son cadre analytique à deux volets. Par exemple, si la substance économique est jugée ne pas être par ailleurs pertinente à l’objet et l’esprit d’une disposition, que signifie une règle exigeant de tenir compte de la substance économique à ce stade-ci de l’analyse? De même, sauf si la substance économique est pertinente pour l’objet et l’esprit d’une disposition, il n’est pas clair comment une opération d’évitement qui n’a pas de substance économique contreviendrait à l’objet et l’esprit de celle-ci. À ce titre, cette approche peut exiger la modification (peut-être par voie législative) d’un ou des deux volets du processus d’interprétation de l’abus ou l’élaboration d’un nouveau processus d’analyseFootnote 49.

Tel qu’il a été noté dès le départ, la RGAE s’est révélée un outil raisonnablement efficace pour prévenir l’évitement fiscal abusif. En outre, l’ensemble de la jurisprudence élaborée depuis son instauration a donné beaucoup de certitude supplémentaire dans son application. Tout effort visant à améliorer la RGAE doit être conscient de toute incertitude qui serait créée, involontairement ou autrement, dans la mesure où la valeur de précédent de la jurisprudence actuelle sur l’abus est érodée ou rendue non pertinente.

Conséquences de l’application de la règle de substance économique

L’échec d’un critère de substance économique pourrait avoir pour conséquence l’application automatique de la RGAE. Cette application pourrait se réaliser en réputant que les opérations soient abusives lorsqu’elles n’ont pas de substance économique ou en éliminant l’exception pour l’abus lorsque le critère de substance économique échoue. L’avantage fiscal recherché serait refusé par une détermination des attributs fiscaux raisonnables dans les circonstances de la manière habituelle.

Il y a toutefois un risque qu’un tel critère entraîne l’application de la RGAE aux opérations qui ne sont pas inadmissibles d’un point de vue de politique fiscale. Dans la loi, on retrouve de nombreux incitatifs fiscaux conçus pour encourager les contribuables à conclure des opérations qu’ils n’entreprendraient pas par ailleurs. Il s’agit notamment d’opérations communes comme la cotisation de fonds à un REER pour acheter des placements, plutôt que d’utiliser les fonds pour acheter des placements à l’extérieur d’un REER. Il serait inapproprié que la RGAE s’applique pour refuser un avantage fiscal qui était prévu intentionnellement dans les circonstances pertinentes par des dispositions auxquelles le contribuable se fiait pour se prévaloir de l’avantage.

Les opérations de consolidation de pertes au sein d’un groupe affilié illustrent un autre problème de l’application automatique de la RGAE aux opérations qui n’ont pas de substance économique. Bien que le transfert des pertes fiscales et d’autres attributs au sein d’un groupe de sociétés est généralement considéré comme acceptable, ces opérations sont souvent effectuées d’une manière qui peut être considérée comme n’ayant pas de substance économique. Il serait inapproprié, en principe, de réputer de telles opérations comme abusives et de déterminer les résultats fiscaux en fonction de la substance économique (peut-être en ignorant les opérations qui donnent lieu aux avantages fiscaux). Ainsi, il faudrait une exception ou une adaptation quelconque.

Ces problèmes ne sont pas nécessairement fatals, mais ils illustrent qu’un critère de substance économique bien peaufiné qui ne vise pas la planification fiscale acceptable peut être requis pour que cette conséquence soit appropriée. Il n’est pas encore clair s’il est possible d’avoir un tel critère de substance économique. Une autre façon de régler ce problème peut être de fournir une liste de catégories d’opérations approuvées qui sont considérées comme non abusives malgré l’absence de substance économique. Cependant, il faudrait continuellement tenir cette liste à jour, et les éléments de la liste devraient s’appliquer à un grand nombre de situations, dont beaucoup pourraient être imprévues au moment de la création de la liste.

Comme on l’a noté plus haut, certaines opérations (comme les cotisations à un REER et les transferts de pertes intragroupe) pourraient être considérées comme n’ayant pas de substance économique bien qu’elles correspondent à la politique sous-jacente des dispositions sur lesquelles elles reposent. Il serait important de s’assurer que la RGAE ne s’applique pas à de telles opérations.

Ainsi, s’il est considéré indésirable d’inverser le fardeau pour déterminer l’abus dans le contexte de l’application générale du critère d’abus, comme il en est question dans la section précédente du présent document, cette approche pourrait s’appliquer plus étroitement aux opérations qui n’ont pas de substance économique.

Si l’on conclut que des opérations n’ont pas de substance économique, une autre approche consisterait à instaurer un critère d’abus plus rigoureux. Cette approche poserait le fardeau de l’établissement de l’absence d’abus sur le contribuable, comme dans l’approche précédente.

Cela pourrait être fait en prévoyant que l’exception pour abus ne s’appliquerait que si le contribuable démontre clairement que son utilisation des dispositions sur lesquelles il s’est appuyé pour obtenir l’avantage fiscal était précisément envisagée et visée par le Parlement au moment de la promulgation des dispositions.Footnote 50 Par exemple, lorsque l’objet d’une disposition à laquelle il s’est fié consiste à procurer un incitatif fiscal, le contribuable devra prouver que les opérations effectuées devaient spécifiquement procurer un incitatif au moment de la promulgation des dispositions. Dans le cas où une règle anti-évitement spécifique est évitée, le contribuable serait tenu d’établir qu’elle ne devait pas s’appliquer.

Si la RGAE s’applique dans les circonstances où l’on conclut qu’une opération n’a pas de substance économique, cette conclusion peut être pertinente pour la détermination des conséquences fiscales raisonnables en vertu du paragraphe 245(5).

On peut soutenir que le critère actuel pour les conséquences raisonnables donne une marge de manœuvre suffisante pour établir de nouvelles déterminations raisonnables en fonction de l’application de la RGAE attribuable à une absence de substance économique. Cependant, par souci de certitude, il peut être utile de prévoir que, dans les circonstances où le nouveau critère de substance économique échoue, les attributs fiscaux raisonnables soient déterminés en tenant compte de cette absence de substance économique.

5.  Pénalités et autres facteurs dissuasifs

Énoncé de l’enjeu

La RGAE n’a pas un effet suffisamment dissuasif à l’égard de la planification fiscale abusive. 

Contexte

Si la nature potentiellement abusive d’une opération n’est pas relevée, le contribuable profite d’un avantage fiscal. Cependant, comme il en est question dans la section précédente du présent document, même lorsque la RGAE s’applique, elle ne cherche qu’à appliquer les attributs fiscaux « raisonnables » pour un contribuable afin de refuser l’avantage fiscal recherché. Dans la majorité des cas, cela retournerait le contribuable à la position où il aurait été s’il n’avait pas entrepris l’arrangement de planification fiscale. Ainsi, il semblerait qu’en vertu de la RGAE actuelle, le désavantage économique pour les contribuables se limite aux honoraires professionnels engagés pour mettre les opérations en œuvre en plus de l’intérêt non déductible sur les impôts dus. En revanche, l’avantage peut être considérable.

Même si l’application des dispositions actuelles sur les pénalités devrait être envisagée dans le contexte des cotisations liées à la RGAE, notamment l’application potentielle de la pénalité pour faute lourde (particulièrement dans les cas où le contribuable a entrepris une opération semblable à celle où les tribunaux ont conclu que la RGAE s’applique ou si le contribuable à des antécédents d’effectuer des opérations qui ont été jugées assujetties à la RGAE), il semble y avoir une certaine réticence judiciaire à imposer une pénalité dans le contexte d’une règle que seul le ministre peut appliquerFootnote 51.

Les contribuables ont des tolérances au risque et des attitudes différentes à l’égard de la planification fiscale abusive. Certains contribuables qui pourraient par ailleurs entreprendre une opération sont sans doute dissuadés de procéder suivant les conseils professionnels que la RGAE s’appliquera probablement, ou des déclarations semblables par l’ARC. Il demeure néanmoins évident que la RGAE ne dissuade pas d’autres contribuables d’entreprendre une planification fiscale abusive.

De récents investissements dans la capacité de vérification de l’ARC ont eu pour effet de réduire les chances de non-détection de la planification fiscale abusive. Cependant, étant donné les économies fiscales potentielles relativement aux coûts probables, il est peu probable que la RGAE actuelle ait un effet dissuasif important pour le segment relativement plus tolérant au risque de la population des contribuables.

Les dossiers d’évitement fiscal concernant l’application de la RGAE sont de nature très complexe et technique. Il faut beaucoup de temps pour découvrir et analyser les opérations d’évitement fiscal complexes. Par exemple, la détermination de l’objet principal d’une opération ainsi que de l’objectif, de l’esprit et du but des dispositions applicables peut imposer un lourd fardeau à l’ARC et aux contribuables. Le processus de l’ARC pour vérifier des opérations complexes, demander et obtenir des renseignements supplémentaires, et par ailleurs correspondre avec les contribuables (et leurs conseillers et avocats) sur les faits et les positions s’étend souvent sur plusieurs années. Ainsi, il se pourrait que l’ARC n’ait pas suffisamment de temps pour établir une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration de revenus pour l’année d’imposition concernée relativement à ces opérations avant que la déclaration soit frappée de prescriptionFootnote 52.

Le point de vue de l’ARC : la RGAE est-elle un facteur dissuasif efficace?

Les contribuables ont des niveaux de tolérance du risque différents dans la tenue de leurs affaires fiscales. Certains cherchent à éviter la controverse et prennent des mesures pour s’assurer que leurs rapports sont exacts; ils n’entreprennent pas de planification qui pourrait, selon eux, attirer l’application de la RGAE. D’autres contribuables perçoivent l’impôt comme un coût inutile et potentiellement évitable pour leur bilan. Ils prennent toutes les mesures possibles, et dans certains cas, concluent des arrangements abusifs pour tenter de réduire leur dette fiscale. La RGAE dissuade déjà les premiers, mais pas les derniers. Beaucoup de contribuables se situent entre ces deux approches et évaluent les coûts, les avantages et les risques de tout plan fiscal donné en fonction de leurs circonstances et de leurs perspectives particulières.

L’ARC continue d’identifier les arrangements d’évitement fiscal qui obtiennent les mêmes résultats que dans les cas où les tribunaux ont appliqué la RGAE. Dans ces situations, les contribuables savent que l’ARC appliquera la RGAE si leur planification est détectée, mais ils entreprennent tout de même les opérations. Ces contribuables évaluent les coûts, les avantages et les risques du plan fiscal sachant que :

  • Lorsque la RGAE est appliquée, l’ARC ne peut généralement refuser que les avantages fiscaux demandés sans conséquences supplémentaires au-delà des frais d’intérêts;
  • L’ARC ne peut pas, de façon réaliste, vérifier, détecter, établir une nouvelle cotisation et obtenir un jugement favorable au moyen d’un litige dans tous les arrangements de planification fiscale abusive.

L’ARC remarque en outre que certains contribuables entreprennent à maintes reprises une planification fiscale abusive. Ainsi, l’ARC est d’avis que la formulation actuelle de la RGAE n’a pas un effet suffisamment dissuasif à l’égard de la planification fiscale abusive.

Traitement de l’enjeu

Le gouvernement envisage les solutions possibles suivantes à cet enjeu :

Pénalité

Une option consiste à établir une pénalité automatique, fondée sur un pourcentage fixe du montant de l’avantage fiscal, chaque fois que la RGAE s’avère applicable. Il serait important de trouver l’équilibre entre un effet dissuasif significatif de la planification fiscale abusive et ne pas prévoir une pénalité excessive. Par exemple, une pénalité de 10 % peut être trop faible pour décourager la planification fiscale abusive, et une pénalité de 100 % peut être trop élevée, menant à une réticence à appliquer la RGAEFootnote 53.

L’ARC aurait toujours un certain pouvoir discrétionnaire dans la mesure où la RGAE est évaluée comme position secondaire. Dans un tel cas, les contribuables auraient un incitatif à régler le dossier en fonction de la position technique principale, si celle-ci n’entraîne pas une pénalité, et l’ARC aurait le pouvoir discrétionnaire d’accepter cette approche. Cependant, pour égaliser les règles du jeu, on pourrait aussi envisager d’instaurer des pénalités structurées de la même façon pour beaucoup d’autres règles anti-évitement de la loi.

Une autre option consiste à ce qu’une pénalité s’applique seulement dans certaines circonstances. Même si l’ARC peut établir une pénalité, celle-ci pourrait être infirmée par les tribunaux s’ils concluent que les conditions nécessaires à l’application de la pénalité n’ont pas été remplies. Il pourrait s’agir d’une pénalité indépendante, ou une pénalité appliquée en plus d’une pénalité automatique. Puisqu’une pénalité indépendante peut ne pas avoir l’effet dissuasif nécessaire, une approche combinée semblerait plus efficace. Cependant, le pourcentage combiné des deux pénalités devrait, encore, être fixé dans le but d’en assurer l’effet dissuasif sans toutefois être si excessif qu’il entraîne une réticence à appliquer la RGAE.

Le défi principal d’une pénalité circonstancielle consiste à en régler les conditions d’application. Par exemple, elle pourrait s’appliquer dans les cas suivants :

Une pénalité purement discrétionnaire n’est pas envisagée.

On pourrait également examiner s’il est approprié d’établir une règle spéciale pour déterminer la pénalité lorsque l’avantage fiscal comporte des attributs fiscaux inutilisés. Par exemple, un pourcentage inférieur pourrait être appliqué afin de tenir compte de la valeur temporelle de l’avantage fiscal ou, comme dans le cas des pertes en capital par exemple, de la probabilité qu’il soit réalisé. Dans le cas où un contribuable estime que la RGAE ne s’applique pas à l’égard d’un attribut fiscal, elle pourrait également inciter des déterminations anticipées. Par contre, l’application d’une pénalité complète à l’avantage possible maximum serait plus facile à administrer et pourrait avoir un effet dissuasif efficace. Elle réduirait également tout incitatif pour un contribuable de conclure des opérations à deux étapes où un attribut fiscal est d’abord créé puis utilisé dans une opération ultérieure, de sorte que si la RGAE était appliquée, elle s’appliquerait à la première opération, ce qui entraînerait une pénalité moindre.

Enfin, il pourrait y avoir des mécanismes qui offrent aux contribuables un moyen de se protéger contre l’application d’une pénalité. Beaucoup de pénalités offrent une défense de diligence raisonnable. On pourrait aussi prévoir une exclusion lorsqu’un contribuable a divulgué de façon proactive suffisamment d’information sur l’opération d’évitement à l’ARC — une approche semblable à celle du Québec. À cet égard, le régime proposé pour les règles de divulgation obligatoire dans le budget fédéral de 2021Footnote 54 se rapporte étroitement à la présente consultation.

Taux d’intérêt spécial

Un taux d’intérêt plus élevé pourrait s’appliquer aux impôts payables qui sont contestés dans le cadre d’une cotisation liée à la RGAE que celui qui s’appliquerait normalement à d’autres types de cotisations. Cela pourrait changer considérablement les calculs économiques de la planification fiscale abusive et créer un incitatif pour régler les différends liés à la RGAE plus tôt dans le processus.

L’impact d’une telle décision serait plus grand, ou moindre, selon le taux choisi. Cependant, il s’agirait d’un facteur dissuasif moins important dans les circonstances où un plan fiscal abusif serait mis en œuvre dans l’espoir de ne pas être détecté et réglé ensuite immédiatement au moment où la cotisation est établie. En outre, il faudrait examiner la façon dont on pourrait l’adapter à la planification fiscale impliquant des attributs fiscaux inutilisés.

Prolongation de la période de nouvelle cotisation pour les cotisations liées à la RGAE

On pourrait envisager de prolonger la période de nouvelle cotisation pour trois ans de plus dans le cas de cotisations liées à la RGAE, comme le temps supplémentaire accordé à l’ARC pour examiner convenablement les activités liées aux sociétés étrangères affiliées d’un contribuable qui sont pertinentes à l’assiette fiscale canadienne.

Même si les règles de divulgation obligatoire proposées venaient améliorer la déclaration relative à certaines opérations, et qu’elles prolongeraient la période de nouvelle cotisation lorsque ces obligations de déclaration ne sont pas respectées, la déclaration n’est pas requise en vertu de ces règles pour toutes les circonstances où la RGAE pourrait s’appliquer.

La prolongation de la période de nouvelle cotisation donnerait à l’ARC plus de temps pour détecter et évaluer les opérations auxquelles la RGAE devrait s’appliquer, ce qui diminuerait les chances de non-détection et accroîtrait l’effet dissuasif de la RGAE. Elle tiendrait également compte de la complexité d’un grand nombre de structures d’évitement fiscal et de la difficulté de détecter les opérations d’évitement dans une série d’opérations complexe.

D. Conclusion

Le gouvernement envisage des mesures pour répondre aux enjeux décrits plus haut et souhaite obtenir une rétroaction sur les questions posées ci-haut à la fin de chaque section. Le gouvernement est également à l’écoute de tout autre enjeu lié à la RGAE que les répondants estiment comme entraînant des résultats inappropriés. Les parties intéressées sont invitées à envoyer leurs observations écrites d’ici le 30 septembre 2022 au ministère des Finances Canada, Direction de la politique de l’impôt à GAAR-RGAE@fin.gc.ca sur le bien-fondé relatif des diverses approches pour répondre aux enjeux.

Annexe A

Pour donner suite à l’établissement du cadre d’une analyse de la RGAE énoncée dans la première décision de la Cour suprême du Canada sur la RGAE (Trustco Canada), les cotisations liées à la RGAE établies par l’ARC ont été infirmées 24 fois par les tribunaux. Le tableau suivant montre ces 24 décisions où la cour a maintenu que la RGAE ne s’appliquait pas, organisé selon l’enjeu.

Avantage fiscal Opération d'évitement Abus
Univar Canada Ltd. (2005 CCI723) Evans (2005 CCI 684) Trustco Canada (2005 CSC 54)
Fundy Settlement (2012 CSC14)Footnote 55 Overs (2006 CSC 26) MIL Investments (2007 CAF 236)
Wild (2018 CAF 114) McMullen (2007 CCI 16) Landrus (2009 CAF 113)
Rogers Enterprises (2020 CCI92) McClarty (2012 CCI 80) Remai (2009 CAF 340)
Bank of Montreal (2020 CAF82) Swirsky (2013 CCI 73)Footnote 56 Lehigh (2010 CAF 124)
Damis Properties (2021 CCI24)Footnote 57 Spruce Credit (2014 CAF 143) Collins & Aikman (2010 CAF 251)
Loblaw (2018 CCI 182)Footnote 58 Gwartz (2013 CCI 86)
  MacDonald (2012 CCI 123)Footnote 59
  Univar (2017 CAF 207)
  MMV (2020 TCC 82)Footnote 60
  Alta (2021 SCC 49)

Annexe B

Exemples

Les exemples suivants illustrent comment, en général, les critères proposés pour vérifier l’existence ou l’absence de substance économique pourraient s’appliquer à certaines situations factuelles. Même si ces exemples sont fondés sur des situations réelles auxquelles la Couronne a cherché à appliquer la RGAE ou pourrait chercher à la faire, ils visent simplement à illustrer la façon dont les différents critères pourraient être appliqués, et ils ne devraient pas être lus comme une suggestion que la RGAE actuelle devrait s’appliquer ou non à des circonstances particulières.

Les exemples mettent l’accent sur l’analyse d’une opération dans chaque situation factuelle pour déterminer si elle présente une substance économique, mais les autres opérations, ou la série d’opérations dans son ensemble, devraient être analysés dans toute affaire réelle.

Décision dans Trustco Canada

Cet exemple s’appuie sur la situation factuelle dans l’affaire Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 (Trustco Canada).

Contexte

Sur le plan économique, une cession-bail et une créance garantie sont très substituables. La différence principale entre les deux est le fait qu’elles ont pour effet que le titre du bien se trouve dans différentes mains : dans le cas de la cession-bail, l’institution financière détient le titre, alors que dans le cas d’une créance garantie, c’est l’emprunteur qui détient ce titre.

Parce que la législation de l’impôt sur le revenu examine la propriété pour déterminer qui peut demander la déduction pour amortissement, les baux ont été utilisés pour transférer les déductions pour amortissement de l’utilisateur d’un bien à la personne qui en finance l’acquisition. Afin de chercher à neutraliser les conséquences fiscales de la substitution d’un bail pour un prêt, les règles relatives aux biens de location déterminés du Règlement de l’impôt sur le revenu requalifient effectivement ces baux du point de vue du cédant pour qu’ils deviennent un prêt et prévoient des restrictions quant au montant de déduction pour amortissement qu’un cédant peut demander. Durant les années d’imposition en question, les règles relatives aux biens de location déterminés contenaient une exception pour les remorques, ce qui était un facteur déterminant de la planification fiscale dans Trustco Canada.

Opérations

Les faits de l’affaire ont été décrits dans la décision de la Cour canadienne de l’impôt et résumés à l’annexe de la décision de la Cour suprême du Canada. Ils ne sont donc pas reproduits ici.

Analyse de la substance économique

Critère de l’objet unique ou dominant

Comme pour le critère actuel de l’objet principal, ce critère dépendrait des faits de l’affaire. Si un contribuable n’a pas d’objet commercial véritable (ou presque aucun tel objet) pour entreprendre une opération ou une série d’opérations, les opérations concernées seraient considérées comme n’ayant pas de substance économique.

Dans Trustco Canada, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’objet principal de la série d’opérations était d’obtenir un avantage fiscal. Cependant, la Cour a jugé que l’impôt n’était pas le seul objet des opérationsFootnote 61. Selon cette conclusion, un critère d’objet unique ne mènerait pas à la conclusion d’une absence de substance économique dans le modèle de faits de Trustco Canada.

En vertu du critère proposé, on pourrait conclure qu’une opération n’a pas de substance économique lorsqu’elle est presque entièrement motivée par l’impôt, ou, en d’autres mots, son objet principal consiste à obtenir un avantage fiscal. Bien qu’il s’agisse essentiellement d’une détermination factuelle, il semble raisonnable de conclure que les opérations de location dans Trustco Canada étaient presque entièrement motivées par l’impôt. En effet, le témoignage mentionné dans la décision de la Cour de l’impôt laissait entendre que les déductions pour amortissement offraient des retombées très attrayantes et la décision elle-même renvoie à « la prédominance de l’objectif visant l’obtention d’avantages fiscaux »Footnote 62 (cependant, puisque l’objet dominant n’était pas en cause, il ne faut pas le considérer comme un fait juridique).

Possibilité de bénéfices avant impôt

Les faits dans Trustco Canada illustrent un défi dans la conception d’un critère de bénéfices avant impôt. L’annexe à la décision de la Cour suprême du Canada déclare que les opérations « rapporteraient à HTC la somme d’environ 8,5 millions de dollars avant impôt ». Cependant, ce rendement provenait indirectement de l’achat d’une obligation du gouvernement de l’Ontario et non des opérations d’achat et de location qui ont donné lieu à l’avantage fiscal.

Si le critère du bénéfice avant impôt visait simplement l’examen quant à savoir si la série d’opérations avait, dans son ensemble, la possibilité de bénéfices avant impôt, les faits dans Trustco Canada mèneraient à la conclusion qu’il existe une possibilité de bénéfice avant impôt. De même, dans un tel critère, une comparaison de la possibilité de bénéfices avant impôt et les économies fiscales attendues peut ou non entraîner une conclusion de substance économique, selon le facteur utilisé.

Toutefois, en considérant l’achat des remorques dans le contexte des conventions de location et de financement laisse entendre qu’elle n’avait aucune possibilité de bénéfices avant impôt étant donné le flux circulaire des fonds et les près de 6 millions de dollars en coûts (c.-à-d., 2,34 millions de dollars pour les coûts de mise en place des opérations et 3,6 millions de dollars versés à Transamerica Leasing Inc. – la société de sous-location établie aux États-Unis). Ce fait souligne un enjeu à traiter dans la conception particulière du critère: qu’un élément pourrait être ajouté à une série d’opérations de nature purement fiscale, qui donne visiblement la possibilité qu’un bénéfice avant impôt soit réalisé, bien que secondaire aux opérations qui donnent lieu à l’avantage fiscal.

Changement à la position économique

Comme il en est question ci-dessus, les fonds que les Hypothèques Trustco Canada ont versés ont servi indirectement à l’achat d’une obligation du gouvernement de l’Ontario. Au-delà de ce fait, et de tous les coûts des opérations, les positions économiques des parties sont demeurées essentiellement les mêmes à l’égard des remorques et des opérations de location qui ont donné lieu à l’avantage fiscal. Hypothèques Trustco Canada n’avait aucune occasion concrète de réaliser des gains ou des bénéfices ou un risque de perte relativement aux biens loués en raison de la série d’opérations. Ainsi, selon ce critère, il aurait été raisonnable de conclure que les opérations dans Trustco Canada n’avaient pas de substance économique.

Forme juridique ou traitement comptable

Puisque les parties dans l’affaire n’ont pas abordé le traitement comptable accordé à ces opérations, il est inutile de commenter sur l’application de ce facteur.

Planification de filiale d’assurance

Cet exemple s’appuie sur de la planification à l’égard de laquelle une mesure a été annoncée dans le budget de 2014. Il traite des règles fiscales telles qu’elles étaient avant ces modifications.

Contexte

Le régime fiscal canadien contient des règles qui protègent l’assiette fiscale en empêchant que les contribuables transfèrent certains revenus de source canadienne à des juridictions sans impôt ou à faible taux d’imposition. En vertu de ces règles, un tel revenu gagné par une société étrangère affiliée contrôlée d’un contribuable résidant au Canada est considéré comme un revenu étranger accumulé, tiré de bien (REATB) et est imposable entre les mains du contribuable canadien dans l’année où il est gagné.

Une règle anti-évitement particulière du régime du REATB vise à empêcher que les contribuables canadiens, notamment les institutions financières, transfèrent à l’étranger le revenu provenant de l’assurance des risques canadiens (c.-à-d., les risques relatifs aux personnes résidant au Canada dont le revenu des primes provient de sources canadiennes). Cette règle prévoit que le revenu tiré de l’assurance des risques canadiens est un REATB dans la mesure où au moins 10 % du revenu brut des primes (net de la réassurance cédée) d’une société étrangère affiliée du contribuable canadien relativement à tous les risques assurés par la société affiliée constitue un revenu en primes tiré de risques canadiens.

Opérations

Un contribuable transfère un bassin de risques canadiens, assuré à l’origine au Canada, à une société étrangère affiliée en propriété exclusive du contribuable.

Les risques canadiens sont ensuite échangés avec un tiers pour les risques étrangers assurés à l’origine à l’extérieur du Canada, tout en veillant à ce que le profil de risque global de la société étrangère affiliée et son rendement économique soient essentiellement les mêmes que si la société étrangère affiliée n’avait pas effectué l’échange. On peut y arriver au moyen d’ententes intégrales qui obligent les parties à se verser des paiements compensatoires l’une à l’autre dans la mesure où le rendement de leurs portefeuilles respectifs diffère.

Analyse de la substance économique

Critère de la fin unique ou dominante

Comme pour le critère actuel de l’objet principal, ce critère dépendrait des faits de l’affaire. Si un contribuable n’a pas d’objet commercial véritable (ou presque aucun tel objet) pour entreprendre une opération ou une série d’opérations, les opérations concernées seraient considérées comme n’ayant pas de substance économique.

Dans ce cas, l’échange avec le tiers serait considéré comme n’ayant pas de substance économique s’il était entièrement motivé par l’impôt ou si, tout au plus, les considérations non fiscales étaient inconséquentes dans le contexte de l’opération.

Possibilité de bénéfices avant impôt

Si les coûts visant à mettre l’échange en œuvre dépassent les bénéfices avant impôt ou son peu important dans le contexte de l’opération, celle-ci serait considérée comme n’ayant pas de substance économique.

Les faits laissent supposer que le rendement économique du portefeuille canadien et du portefeuille étranger échangés est essentiellement le même. S’il est exactement le même, de sorte qu’il ne puisse pas y avoir d’augmentation des bénéfices, le critère de substance économique échouerait. De même, si le rendement était suffisamment différent pour qu’il y ait une possibilité d’augmentation des revenus avant impôt, l’opération serait considérée comme n’ayant pas de substance économique si les coûts de l’opération dépassent l’augmentation prévue.

Si le critère visait une comparaison de l’avantage fiscal et de la possibilité de bénéfices avant impôt, le montant du REATB que l’opération cherche à éviter serait comparé aux bénéfices avant impôt anticipé. S’il n’y a pas de possibilité de bénéfices avant impôt, le montant de l’avantage fiscal serait nécessairement plus de 10 fois le bénéfice avant impôt raisonnablement anticipé.

Changement à la position économique

Cette série d’opérations est conçue pour faire en sorte que le rendement économique du contribuable soit essentiellement le même en raison de l’opération. Ainsi, sa possibilité de gain ou de bénéfices et de risque de perte n’est pas touchée de façon importante. Même s’il peut y avoir un certain risque de contrepartie supplémentaire en raison de l’échange, la question de savoir si elle entraîne un changement important à sa position économique serait une question de fait.

Forme juridique ou traitement comptable

Si le traitement comptable de cette série d’opérations est semblable à ce qu’elle aurait été (sans les avantages fiscaux) si les risques canadiens n’avaient pas été transférés à la société étrangère affiliée et échangée contre les risques étrangers du tiers, il s’agirait d’une indication que les opérations peuvent ne pas avoir de substance économique.

Planification de chevauchement

Cet exemple s’appuie sur une planification relativement à laquelle une mesure a été annoncée dans le budget de 2017. Il traite des règles fiscales telles qu’elles étaient avant ces modifications.

Contexte

Les instruments dérivés sont des instruments financiers dont la valeur est dérivée des changements à la valeur d’un intérêt sous-jacent. Avant les modifications découlant de l’annonce du budget de 2017, il n’existait pas de règles particulières dans la Loi de l’impôt sur le revenu qui régissait le moment de la reconnaissance des gains et des pertes sur les instruments dérivés détenus en inventaire. Par conséquent, certains contribuables ont mis en œuvre des stratégies visant à réaliser sélectivement des gains et des pertes sur des instruments dérivés, notamment au moyen d’opérations de chevauchement dans le but de reporter l’impôt.

Opérations

Un contribuable prend deux positions d’instruments dérivés qui devraient produire des gains et des pertes égaux et compensatoires.

Peu avant la fin de son année d’imposition, le contribuable dispose de la position qui affiche une perte accumulée (branche perdante) et réalise la perte. Peu après le début de l’année d’imposition suivante, le contribuable dispose de la position compensatoire qui affiche un gain accumulé (branche gagnante) et réalise le gain. Le choix du moment entre la clôture des deux branches est le plus court possible afin de tenir au minimum toute possibilité de risque économique dû aux fluctuations dans la valeur des instruments de référence sous-jacents.

Le contribuable demande une déduction relativement à la perte réalisée par rapport à d’autres revenus dans l’année d’imposition initiale et reporte la reconnaissance du gain compensatoire à l’année d’imposition suivante. Le contribuable obtient l’avantage du report même si les deux positions sont compensatoires sur le plan économique.

Ces opérations se poursuivent d’une année à l’autre, le contribuable cherchant à reporter indéfiniment la reconnaissance du gain sur la branche gagnante en effectuant des opérations de chevauchement successives.

Analyse de la substance économique

Critère de la fin unique ou dominante

Comme pour le critère actuel de l’objet principal, ce critère dépendrait des faits de l’affaire. Dans certaines circonstances, des positions compensatoires à couvert et à découvert peuvent être conclues à des fins commerciales, comme dans le contexte de stratégies d’opérations d’arbitrage qui, par exemple, cherchent à exploiter l’écart des prix entre des titres différents mais semblables pour réaliser des bénéfices.

Dans le cas présent, il semble raisonnable de conclure que la série d’opérations est entièrement motivée par l’impôt. Il est particulièrement pertinent de noter les mesures prises pour veiller à ce qu’il n’y ait aucune conséquence économique non fiscale liée aux opérations. Par conséquent, selon ce critère, la série d’opérations serait considérée comme n’ayant pas de substance économique.

Possibilité de bénéfices avant impôt

Dans la mesure du possible, les opérations sont structurées afin d’éviter toute possibilité de gains ou de pertes économiques. Ainsi, la possibilité de bénéfices avant impôt semble être nulle ou négligeable, et serait probablement inférieure aux frais de transaction, ce qui indique que les opérations n’ont pas de substance économique.

Une comparaison de l’avantage fiscal attendu de la possibilité de bénéfice avant impôt entraînerait de même une détermination que la série d’opérations n’a pas de substance économique.

Changement à la position économique

Dans ce cas, l’intention, c’est que les deux positions soient le plus parfaitement compensatoire que possible, et des mesures sont prises afin de tenir au minimum tout risque économique. Même si la période entre la clôture d’une branche et l’ouverture de l’autre est courte, cet écart est minimisé de sorte que la totalité ou la presque totalité de la possibilité de bénéfices et du risque de perte du contribuable relativement à la série soit éliminée.

Forme juridique ou traitement comptable

Si le traitement comptable pour cette série d’opérations — soit la présentation du bilan soit le revenu déclaré dans l’état des résultats — ne diffère pas considérablement de ce qu’il aurait été sans ces opérations, cela pourrait indiquer l’absence de substance économique. On sait que ce ne sont pas tous les contribuables qui préparent leurs états financiers selon les principes comptables généralement reconnus. Dans certains cas, il peut être impossible d’appliquer ce facteur.

Annexe C

Sommaire des questions de consultation

Avantage fiscal

  1. Y a-t-il des changements au libellé de la définition d’« avantage fiscal » requis afin de s’assurer qu’elle s’applique convenablement?

Opération d’évitement : opérations à objet mixte

  1. La définition « d’opération » devrait-elle être élargie afin d’inclure certains choix et, dans l’affirmative, quels choix devraient être inclus?
  2. Quelles alternatives, ou quelle combinaison de celles-ci, indiquées ci-dessus sont plus appropriées pour s’assurer que la RGAE est efficace pour prévenir l’évitement fiscal abusif?
  3. Existe-t-il d’autres alternatives pour atteindre cet objectif?

Abus : déterminer l’objet, l’esprit et les mécanismes généraux

  1. Les répondants ont-ils des commentaires ou des suggestions sur les façons de préciser l’objet, l’esprit et le but des dispositions de la Loi?
  2. Les répondants ont-ils des commentaires ou des suggestions sur les façons d’améliorer le processus d’interprétation en vertu du paragraphe 245(4) par, par exemple, l’ajout de règles d’interprétation ciblées ou le changement des fardeaux et des normes de clarté établis par les tribunaux?
  3. En ce qui concerne le changement éventuel des fardeaux et des normes de clarté établis par les tribunaux, dans quelles circonstances serait-il approprié d’y procéder et comment la norme de clarté actuelle pourrait-elle être modifiée, compte tenu de la complexité de la Loi?
  4. Concernant les objectifs de certitude, de prévisibilité et d’équité (incluant la notion plus large d’équité), les répondants ont-ils des commentaires ou des suggestions sur la meilleure façon de maintenir un niveau approprié de certitude, de prévisibilité et d’équité et un équilibre entre ceux-ci?

Substance économique

  1. Les répondants ont-ils des suggestions quant à la façon dont la substance économique devrait être définie à des fins d’analyse de la RGAE?
  2. Les répondants ont-ils des points de vue sur ce que devraient être les conséquences appropriées lorsqu’une opération s’avère ne pas avoir de substance économique?
  3. Les répondants ont-ils des points de vue sur la meilleure façon d’intégrer un critère de substance économique à la RGAE?
  4. Si un critère de substance économique est intégré à l’analyse de l’abus, les répondants ont-ils des points de vue sur la meilleure façon d’accommoder la transition et de tenir les perturbations au minimum en ce qui concerne la jurisprudence actuelle?

Pénalités et autres effets dissuasifs

  1. Les répondants ont-ils des points de vue sur la conception optimale d’une pénalité ou d’autres règles prévues pour avoir un effet suffisamment dissuasif à l’égard de la planification fiscale abusive?

Conclusion

  1. L’application de la RGAE a-t-elle entraîné d’autres enjeux qui ont entraîné des résultats inappropriés?
  2. Les répondants ont-ils d’autres commentaires ou suggestions sur la façon de moderniser la RGAE?

Détails de la page

Date de modification :