Remarques officiaux au Comité permanent de la défense nationale (NDDN)

Remarques officiaux

Le 6 avril 2022

Monsieur Gregory A. Lick
L'Ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes


COMPARER AU DISCOURS PRONONCÉ

 

Bonjour,

Je veux remercier le comité de m’avoir invité pour discuter du recrutement et de la rétention du personnel dans les Forces armées canadiennes. Je suis accompagné de Robyn Hynes, ma directrice des Opérations, et nous sommes ravis d’être avec vous pour la prochaine heure pour vous parler de nos constatations concernant ces enjeux.

Bien que ce soit mon premier témoignage devant ce comité dans le cadre du 44e Parlement, j’ai déjà eu le plaisir de rencontrer plusieurs membres individuellement, et j’espère pouvoir rencontrer les autres membres du comité prochainement.

Comme vous devez en avoir entendu parler, les problèmes entourant le recrutement et la rétention sont causés par de nombreux facteurs.

Du point de vue du recrutement, différentes raisons font que les personnes choisissent ou non de s’enrôler dans les Forces armées canadiennes. Il y a aussi diverses raisons pour lesquelles les Forces armées canadiennes n’arrivent pas à atteindre certains Canadiens et les recruter dans leurs rangs. 

De plus, lorsqu’ils ne sont pas libérés pour des raisons médicales ou disciplinaires, diverses raisons peuvent pousser les militaires à quitter les Forces armées canadiennes.

Mais si on regroupe ces raisons, on voit émerger certaines tendances, et on découvre l’existence d’enjeux systémiques. Au cours des 23 années d’existence du bureau de l’Ombudsman, nous avons surveillé ces enjeux étroitement, et avons recommandé des mesures aux Forces armées canadiennes pour les résoudre.

Je tiens à aborder quelques-uns des thèmes que nous examinons ou prévoyons examiner qui affectent directement le recrutement et la rétention.

En juin dernier, j’ai donné une conférence de presse pour parler des problèmes entourant l’inconduite dans les Forces armées et au ministère. Pendant cette conférence de presse, j’ai déclaré que le système de redressement de griefs des Forces armées canadiennes est défaillant. Je maintiens cette position jusqu’à ce qu’on trouve une solution durable à des problèmes profondément ancrés, et aux longs délais qu’ils causent, qui reviennent après chaque tentative pour éliminer rapidement les retards.

Comme je l’ai dit à plusieurs d’entre vous, mon organisation est dans une position unique pour en juger. On nous décrit parfois comme une ressource de dernier recours. En effet, habituellement nous demandons aux plaignants d’épuiser les mécanismes du système des griefs avant de revenir nous voir, sauf en cas de circonstances urgentes. Je peux cependant affirmer est que nous intervenons de plus en plus souvent tôt dans le processus de grief, et cette tendance est troublante.

Le système de grief est le principal mécanisme de recours vers lequel un militaire des Forces armées canadiennes peut se tourner pour rectifier une injustice ou résoudre différents problèmes. Les militaires se butent toutefois à des délais importants dans le processus de grief. Pour certains, ces délais peuvent entraîner des difficultés financières, du stress physique et émotif, des relations brisées, ou pire encore.

Récemment, j’ai dû intervenir dans deux dossiers de grief, le premier ayant été ouvert il y a plus de neuf ans, l’autre il y a plus de quatre ans. Depuis, mon bureau a depuis reçu une réponse à sa demande concernant tous les griefs en retard, pour connaître les types de griefs concernés et la durée du retard. Cela dresse un portrait clair du problème en termes de nombre, mais n'explique pas les causes du problème.

Comme nous l’avons articulé dans deux lettres adressées au Chef d’état-major de la défense à la fin de 2021, je crois fermement que la solution au problème des griefs réside à la fois dans les personnes ET dans le processus. Malheureusement, beaucoup de solutions qui ont été lancées au fil des décennies n’ont fait qu’augmenter temporairement le personnel afin de réduire les dossiers en retard.

Les problèmes sous-jacents dans le système des griefs sont intimidants, mais ne rien faire pour s’y attaquer ne ferait qu’éroder davantage la confiance des militaires. Comme l’ont déjà fait beaucoup de militaires, d’autres qui ont une brillante carrière devant eux quitteront le navire à cause de l’inaction. Il est décourageant pour nous de continuer de signaler à la chaîne de commandement des problèmes que soulevait le premier ombudsman, entre 1998 et 2005. Le cycle se poursuit!

Les simples colmatages, comme s’attaquer au fait que le Chef d’état-major de la défense a des pouvoirs financiers très limités lorsqu’il s’agit de redresser un tort envers un militaire, n’ont aucun sens.

Du point de vue de la rétention du personnel, toute personne susceptible de s’enrôler devrait savoir qu’il y a un système de redressement qui fonctionne si elle devait rencontrer un problème pendant son service militaire. À l’heure actuelle, cela ne peut être garanti. Cette situation aura une incidence sur la capacité des FAC de maintenir son personnel en poste.

Suivant le thème de la confiance, nous devons aussi rendre l’institution plus forte en garantissant l’indépendance des organismes de surveillance. Le Centre d’intervention en matière d’inconduite sexuelle (CIIS), le bureau de l’Ombudsman et d’autres autorités militaires et civiles doivent être mieux à l’abri des influences extérieures réelles ou perçues. Si aucune mesure supplémentaire n’est prise pour solidifier cette indépendance, la confiance continuera de s’éroder.

Je souhaite maintenant aborder un second thème, celui de la crise culturelle qui frappe les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale. Les histoires d’inconduite continuent de faire les manchettes. Nous savons donc que des personnes talentueuses et compétentes ont quitté les Forces armées canadiennes à cause de ces histoires, à cause d’un lien personnel avec ces histoires ou à cause de la façon dont les Forces ont réagi. Cela est difficile à mesurer, mais on peut présumer que la situation a eu une incidence sur le recrutement.

La culture générale dans les Forces armées, y compris ses initiatives pour promouvoir l’inclusion et la diversité dans ses rangs, continue d’en souffrir. Bien que nous ayons vu des changements organisationnels prometteurs comme la mise sur pied du Chef – Conduite professionnelle et culture, nous rien à l’horizon qui qui ressemble à un changement substantiel.

L’année dernière, mon bureau a entamé un examen historique de toutes les initiatives militaires et ministérielles entourant l’équité en matière d’emploi, couvrant une période de plus de vingt ans. Le but de cet examen est de déterminer si des progrès ont été réalisés pour changer la culture dans la communauté de la Défense. Mon bureau remettra le rapport sur cette enquête à la ministre prochainement.

Ce que nous avons conclu est que malgré les nombreuses initiatives, les Forces armées canadiennes continuent de rencontrer des difficultés et des obstacles pour recruter et retenir des candidats appartenant à certains postes. Robyn et moi pouvons faire une énumération plus détaillée de ces difficultés et obstacles pendant la séance de questions de la présente réunion. De plus, nous tâcherons d’envoyer le rapport complet au comité après la période d’examen ministériel de 28 jours.

Cela ne fait pas partie des conclusions du rapport, mais mon organisation, mes prédécesseurs, et moi-même avons souvent constaté que plusieurs politiques régissant le personnel ne sont pas inclusives. D’un point de vue régional, par exemple, certaines politiques appliquées dans le Grand Nord n’ont jamais été écrites, compte tenu du paysage opérationnel et culturel unique dans lequel les membres y vivent et travaillent.

Parlons maintenant du dernier thème : la famille. La politique de défense du Canada, Protection, Sécurité, Engagement, contient d’abord et avant tout des promesses envers les gens – civils et militaires – qui composent la défense. Malheureusement, près de cinq ans après la publication de ce document, les membres de la communauté de la Défense continuent de rencontrer d’importantes difficultés sur le front intérieur.

D’abord, parlons de la santé mentale et physique des personnes : pour les militaires des Forces armées canadiennes atteints d’une maladie ou d’une blessure, l’accès insuffisant à des ressources, surtout en santé mentale, peut les empêcher de recouvrer la santé. Cela peut causer un grand stress aux personnes atteintes et à leurs familles, et nuire à la rétention du personnel.

En général, les personnes qui passent par le nouveau processus de transition vers la civile me font part de commentaires positifs. Cependant, mon bureau continue d’intervenir dans des dossiers où un militaire n’est clairement pas prêt quelques jours, voire quelques heures avant sa libération. De plus, si un militaire qui a reçu un ordre de libération médicale est en attente d’arbitrage concernant les prestations et services du ministère des Anciens Combattants, la situation peut être critique.

Les enjeux familiaux peuvent aussi avoir une incidence sur la rétention des militaires dans les Forces armées canadiennes, en raison du système des affectations militaires.

Imaginez un membre de la Force régulière des Forces armées canadiennes qui travaille à Edmonton et dont la conjointe occupe aussi un emploi. Ce militaire est muté à la BFC Gagetown, au Nouveau-Brunswick. Qu’arrive-t-il si la conjointe n’arrive pas à décrocher un emploi valorisant? Ou si sa profession fait l’objet de droits d’exercices gérés par les provinces et territoires ou d’un système d’ancienneté rigoureux? Cela est le cas si elle est infirmière. Acceptera-t-elle de déménager? Ou le couple résidera-t-il dans deux provinces distinctes afin de conserver leurs revenus? Le militaire quittera-t-il le service militaire?

Que feront-ils des enfants? Les programmes d’éducation varient selon la province et les enfants, surtout au secondaire, doivent souvent suivre des cours additionnels pour obtenir le diplôme.

Que se passe-t-il avec les enfants ayant des besoins particuliers? Il faut des mois sinon des années de listes d’attente pour obtenir un diagnostic et un suivi par un spécialiste. Un changement de territoire vous renvoie habituellement au bas de la liste. Certains militaires quittent l’armée pour ne pas perdre les soins à leurs enfants.

Voilà des problèmes particuliers qui relèvent des provinces et territoires. Selon moi cette situation nécessite des discussions entre les premiers ministres provinciaux et le premier ministre du Canada.

Donc, si un militaire vit une situation difficile, si par exemple un proche vieillissant a besoin de soins urgents, ou si toute autre situation intime et unique se produit, il peut demander ce qu’on appelle une affectation pour motifs personnels. Cette affectation permet au militaire de demeurer à son poste ou de déménager dans une région où la situation personnelle pourra être gérée.

Toutefois, il s’agit d’un privilège difficile à obtenir. De plus, les motifs retenus par les autorités qui acceptent ces demandes sont souvent incohérents, donc injustes. Cela sera le thème de second rapport que j’enverrai à la ministre sous peu. Lorsqu’un militaire se voit refuser une affectation pour motifs personnels, il ne voit pas d’autre solution que de demander une libération. Cela aura des répercussions non seulement sur cet individu et sa famille, mais aussi sur les Forces armées canadiennes et leur état de préparation. L’initiative intitulée « Le cheminement », ou « Stratégie des RH des FAC », annoncée il y a quelques années, est prometteuse en théorie. Malheureusement, les militaires ne sont pas tenus informés des progrès ou de l’évolution de cette stratégie.

Si la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement place vraiment « “les personnes d’abord », cela doit être davantage qu’une expression et se refléter dans la réalité. Ce n’est pas nécessairement ce que les militaires constatent en regardant les politiques en vigueur, dont certaines datent des années 1960, une époque peu compatible avec la façon dont le monde et la démographie des familles ont évolué.

Il y a eu certains progrès pour corriger les problèmes que vivent les familles. On a appelé cela le Plan global pour les familles des militaires. Lorsque le ministère nous l’a présentée en 2018, nous étions très en faveur de cette initiative. Cependant, nous constatons qu’à ce jour, le plan n’a toujours pas été annoncé publiquement, pourvu des ressources suffisantes, ou proprement mis en œuvre. 

Chers membres du comité, ce sont ces enjeux qui ont mené aux problèmes de recrutement auxquels font face les Forces armées canadiennes. Nous avons des milliers de postes vacants dans la Force régulière et la Réserve. La façon dont nous traitons les personnes en uniforme, dont nous changeons la culture dans laquelle ils baignent, et dont nous créerons et interpréterons les politiques dans une optique d’équité et d’inclusion, déterminera le nombre de militaires qui souhaitent s’enrôler et demeurer dans les Forces armées canadiennes. Nous devons nous montrer décisifs.

Merci. Je suis maintenant prêt à accueillir vos questions.

Détails de la page

Date de modification :