Camarades abandonnés : pourquoi il est de notre obligation morale de soutenir les conseillers linguistiques et culturels

Voici ma tribune qui a d’abord été publiée dans The Hill Times du 26 juin 2024.

Lorsque le devoir l'exigeait, un groupe extraordinaire de citoyens canadiens a répondu avec courage et habileté. Ils sont intervenus pour jouer un rôle crucial dans la mission du Canada en Afghanistan : les conseillers linguistiques et culturels (CLC). Triés sur le volet par les Forces armées canadiennes (FAC) pour leur maîtrise des langues afghanes et leur profonde compréhension de la culture afghane, ces personnes courageuses ont été essentielles aux opérations des FAC.

Les CLC ont fourni des conseils précieux, ce qui a considérablement renforcé les efforts des FAC pendant la guerre. Cela a non seulement mis en danger leur vie, mais aussi celle de leurs familles en Afghanistan et au Canada, qui pourraient encore faire face à des représailles de la part des talibans ou de ceux qui les soutiennent.

De nombreuses CLC ont servi en Afghanistan sans pause ni secours, pendant plus de cinq ans. Il y avait une politique limitant la fréquence et la durée des déploiements des membres des FAC, généralement de six à neuf mois. Cependant, une politique similaire pour les civils a été abandonnée et finalisée seulement en 2021, longtemps après la fin de la mission du Canada en Afghanistan.

Au départ, les CLC ont été informés qu'ils travailleraient dans les limites relativement sûres de l'aérodrome de Kandahar. Cependant, ils se sont rapidement retrouvés à l'extérieur du fil, côte à côte avec les membres des FAC lors d'opérations vers les bases d'opérations avancées, les villages, les convois et divers champs de bataille.

Des cicatrices profondes subsistent ; les disparités en matière de reconnaissance et de soins persistent

Après 13 ans de conflit, la mission militaire du Canada en Afghanistan a pris fin, laissant de profondes cicatrices sur toutes les personnes impliquées, y compris les CLC. Ces cicatrices – physiques, émotionnelles et mentales – témoignent des expériences intenses et souvent déchirantes auxquelles sont confrontés ceux qui sont en première ligne.

Heureusement pour les membres des FAC, ils ont eu accès à des soins médicaux et à un soutien en santé mentale pour les aider à faire face aux défis auxquels ils ont été confrontés après avoir vécu le combat et le traumatisme en Afghanistan. Toutefois, malgré leurs contributions importantes et leurs difficultés communes, les CLC n'ont pas bénéficié d'avantages comparables. Comme ils ont été engagés en tant qu'employés nommés pour une période déterminée du ministère de la Défense nationale, ils ont été, et continuent d'être, gravement mis à l'épreuve pour avoir accès aux soutiens médicaux et financiers dont ils ont besoin, y compris les avantages du Régime de soins de santé de la fonction publique (RSSFP). Cela met en évidence une disparité marquée dans la reconnaissance et la prise en charge de ceux qui ont joué un rôle si vital dans la mission.

Une fois leur emploi terminé, les CLC n'étaient plus admissibles à la couverture médicale en vertu du RSSFP. Étant donné que bon nombre de leurs blessures se sont manifestées plus tard, ils ont présenté une demande de prestations par l'entremise de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT). Ce groupe n'a pas l'habitude de déterminer les blessures subies sur les théâtres de guerre.

Bien que certaines CLC aient reçu des paiements de la CSPAAT, ce n'était souvent qu'après des années d'attente et d'appel de la décision initiale de la CSPAAT. Cependant, les paiements qu'ils ont reçus sont loin d'être suffisants. Bon nombre d'entre eux se sont retrouvés à avoir besoin d'un traitement, incapables de travailler ou sous-employés en raison de leurs blessures. Il n'y a toujours pas suffisamment de soins et de rémunération pour les CLC qui ont connu les mêmes risques et qui ont subi bon nombre des mêmes difficultés que les membres des FAC à leurs côtés.

Laissés pour compte et oubliés, ils continuent à ce jour sans les ressources et le soutien dont ils ont besoin et qu'ils méritent à juste titre. Ils ont l'impression que le gouvernement du Canada leur a tourné le dos après qu'ils ont risqué leur vie pour leur pays.

Il existe des solutions pour combler les lacunes en matière de ressources

Comme je l'ai dit à maintes reprises au ministre de la Défense nationale (actuel et prédécesseur) : les solutions existent. Le ministre peut et doit utiliser son pouvoir pour combler les lacunes en matière de soutien auxquelles font face les CLC, en particulier lorsque le régime de la CSPAAT s'est avéré inadéquat.

Il existe des précédents d'action. Les ministres précédents ont créé une couverture pour les personnes qui n'avaient pas accès aux avantages et aux services dont elles avaient besoin en raison de blessures subies aux côtés des membres des FAC.

L'explosion de 1974 dans un camp de cadets à la BFC Valcartier en est un exemple. À la suite du rapport et des recommandations de mon prédécesseur, les FAC ont établi un programme équitable pour les cadets qui ont été touchés, blessés et tués dans cet incident. À juste titre, le gouvernement du Canada a fourni le soutien médical requis aux deux groupes.

Le ministre devrait établir un programme semblable pour les CLC qui ont servi aux côtés des membres des FAC, et rapidement. Ils ont attendu assez longtemps.

C'est notre obligation morale

J'ai écrit de nombreuses lettres et j'ai eu d'innombrables conversations avec des hauts fonctionnaires pour proposer une voie à suivre pour les CLC. Dans une lettre adressée au sous-ministre de la Défense nationale en 2019, j'ai déclaré : « si l'obligation morale de prendre soin des militaires et de les soutenir occupe une place prépondérante dans la conscience canadienne contemporaine, il est moins évident que l'on considère des obligations similaires pour les employés civils qui peuvent souffrir de blessures ou de maladies semblables à celles dont souffrent les membres des [Forces armées canadiennes], du fait de leur contribution aux mêmes opérations internationales ».

Il s'agit de mon dernier appel, en ma qualité officielle d'ombudsman, pour que le ministre appuie les CLC. Cependant, mon bureau continuera de se battre pour leur traitement équitable après la fin de mon mandat, le 1er juillet. Comme je l'ai dit à maintes reprises, ce n'est pas seulement une question d'équité, mais aussi une obligation morale que le gouvernement du Canada doit remplir.

  

Gregory A. Lick

Ombudsman

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2024-07-09