Lettre au MDN : impact sur les conseillers linguistiques et culturels
29 septembre 2023
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député
Ministre de la Défense nationale
Ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes
Quartier général de la Défense nationale
101, promenade Colonel By
13e étage, tour nord
Ottawa, Ontario K1A 0K2
Je vous écris pour attirer votre attention sur un problème qui touche un petit, mais important, groupe de civils qui ont soutenu les opérations des Forces armées canadiennes (FAC) en Afghanistan : les conseillers linguistiques et culturels (CLC).
Comme vous le savez sans doute, le déploiement des FAC dans le cadre des opérations de combat et d'entraînement en Afghanistan a représenté le plus important déploiement de personnel des FAC depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit également de la plus longue mission de combat de l'histoire des FAC. Les Canadiens ont soutenu nos troupes et ont collectivement ressenti la douleur, le chagrin et la perte aux côtés des membres des FAC.
Au cours de la dernière décennie, le gouvernement du Canada a mis en œuvre des programmes et des services pour soutenir ceux qui ont subi les cicatrices mentales et physiques du combat, y compris ceux qui ont fait le sacrifice ultime au service du Canada. Ces programmes et services ne sont pas parfaits, mais ils représentent un effort significatif, mené par les dirigeants, pour répondre aux attentes de tous les Canadiens de prendre soin des membres actuels et anciens des FAC.
Mais ce soutien ne comprend pas les soins apportés aux anciens CLC qui ont servi aux côtés des membres des FAC déployés (Kandahar 2006-2011; Kaboul 2012-2014). Ils ont également besoin et méritent cet effort de leadership pour combler les lacunes réelles et persistantes en matière de service et de soutien. Ces citoyens canadiens ont été embauchés au Canada en tant qu'employés civils du ministère de la Défense nationale et ont servi pour une durée déterminée. Ils ont travaillé aux côtés de nos membres sur les lignes de front pendant les opérations de combat et ont contribué aux efforts précieux de formation de coalitions et de consensus avec les dirigeants politiques/tribaux régionaux et locaux. À ce jour, leurs efforts pour obtenir un traitement et des soins pour leurs besoins mentaux et physiques subis en soutenant nos troupes se sont heurtés à l'inaction. Les traitements médicaux et les compensations financières pour les blessures ont été inadéquats ou inexistants.
Quinze de ces anciens CLC ont contacté mon bureau depuis juillet 2023. Ils m'ont contacté après avoir été incapables d'obtenir un règlement satisfaisant de leurs demandes auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de l'Ontario, sous les auspices de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État. Bien qu'une procédure d'appel soit en cours pour certains d'entre eux, les faits de cette affaire démontrent un manque de soutien de la part du gouvernement pour ces Canadiens. Cette affaire est sur le point de devenir un chapitre honteux de l'histoire militaire du Canada.
Citoyens canadiens ayant servi en dehors des barbelés en temps de guerre.
Comme indiqué précédemment, ces anciens CLC sont des citoyens canadiens, dont la plupart étaient originaires d'Afghanistan ou du Pakistan et connaissaient la langue et la culture afghanes. La communauté du renseignement des FAC les a recrutés pour ce travail. Nombre d'entre eux ont déclaré qu'ils avaient le devoir d'aider le pays qui leur avait tout donné, à eux et à leur famille. Ceux qui ont servi aux côtés des anciens CLC les ont décrits comme essentiels aux opérations des FAC. Nombre d'entre eux ont servi sans relâche, sur le théâtre des opérations, pendant plus de cinq ans, recevant des éloges et des louanges de la part des dirigeants successifs de la force opérationnelle. Au départ, ils ont été informés que leur emploi de CLC se ferait dans les limites relativement sûres de l'aérodrome de Kandahar. Cependant, quelques jours après leur arrivée sur le théâtre des opérations, ils se sont retrouvés aux côtés des FAC dans le cadre d'opérations visant des bases d'opérations avancées, des villages, des convois, ainsi que divers champs de bataille.
Connaissant les risques inhérents à leur travail essentiel de soutien des membres des FAC déployés, des efforts appropriés n'ont pas été entrepris pour s'assurer du bien-être des CLC après le déploiement. De nombreux anciens CLC étaient réticents à consulter un médecin pour de graves problèmes de santé mentale apparus après leur retour au Canada, car ils craignaient de devoir divulguer des informations sensibles ou classifiées sur leur séjour en Afghanistan.
Malgré les efforts déployés par le sous-ministre adjoint des ressources humaines (civiles) de Direction, Santé globale pour aider ces anciens CLC en validant la nature de leur travail spécialisé et dangereux, les décisions de la CSPAAT ont jusqu'à présent été défavorables aux CLC et pourraient indiquer que la CSPAAT n'est pas calibrée de manière adéquate pour ces délibérations.
Décisions de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB)
Mon bureau a évalué le traitement de ces quinze anciens CLC. En outre, notre bureau a lu de nombreuses décisions de la CSPAAT. Bien que je n'aie pas le mandat d'examiner ou d'évaluer l'équité des décisions de la CSPAAT, il semble que son système n'ait pas été conçu pour traiter des employés occupant des postes semblables à ceux des CLC. Malheureusement, seuls le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes comprennent les nuances du temps de guerre et de la sécurité opérationnelle. Le refus de la plupart des demandes d'indemnisation a empêché les anciens CLC d'avoir un accès approprié aux soins, aux avantages et aux services qui reflètent leurs sacrifices.
L'attention des médias
Cette question a déjà fait l'objet d'une attention significative de la part des médias. Depuis 2019, une série d'articles nationaux ont mis en lumière les préoccupations relatives à la santé et au bien-être des CLC. Des membres actuels et anciens des FAC et des membres de la communauté de la Défense, ainsi que des Canadiens de tout le pays, ont exprimé publiquement leurs préoccupations, contactant souvent vos prédécesseurs, demandant instamment de l'aide. La réaction du public est majoritairement favorable à l’apport d'un soutien approprié aux CLC.
Au printemps 2023, un autre rapport médiatique de CBC soulignant l'incapacité de la CSPAAT à rendre des décisions opportunes et appropriées a été atténué par une promesse de dernière minute des dirigeants de la CSPAAT de réexaminer certains cas. Malgré cette promesse, nous n'avons pas vu la CSPAAT s'occuper de ce groupe de personnes.
Malgré les efforts récents du ministère pour fournir une validation à la CSPAAT à l'appui de leurs demandes, aucune aide significative n'a été apportée. Laisser cette question en suspens ne sert ni le gouvernement du Canada, ni les anciens CLC, ni les intérêts des Canadiens.
Précédents d'action
Il existe un précédent pour la mise en place de programmes et de services destinés à des groupes de personnes touchées par des tragédies, des injustices et d'autres épreuves. Je vous donne l'exemple de l'explosion survenue en 1974 dans un camp de cadets à la BFC Valcartier. Le rapport d'enquête et les recommandations de mon prédécesseur ont permis aux FAC d'établir un solide programme pour aider les personnes touchées, blessées et tuées lors de l'incident.
Tout examen, toute conception de programme et tout résultat équitable pour les anciens CLC doivent se faire par le biais d'une directive ministérielle, et non par des moyens bureaucratiques. Les hauts responsables du MDN et des FAC doivent agir dans le cadre des voies établies. Les décisions de cette nature doivent être prises par la branche exécutive du gouvernement.
Comme je l'ai déclaré au sous-ministre de la Défense nationale en 2019, "si l'obligation morale de prendre soin des militaires et de les soutenir occupe une place prépondérante dans la conscience canadienne contemporaine, il est moins évident que l'on considère des obligations similaires pour les employés civils qui peuvent souffrir de blessures ou de maladies semblables à celles dont souffrent les membres des [Forces armées canadiennes], du fait de leur contribution aux mêmes opérations internationales".
La prise en charge de ces anciens conseillers linguistiques et culturels est une obligation morale, et leur bien-être relève de la responsabilité du gouvernement du Canada.
Je suis à votre disposition pour discuter de cette question urgente à tout moment.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées,
Gregory A. Lick, CD
Ombudsman