Guide de discussion 2018 - Créer une législation sur les langues des Premières nations, des Inuit et des Métis

Table des matières

Message de la ministre Joly

Ministre Mélanie Joly

Dans la lettre de mandat qui m’a été adressée en 2015, le très honorable Justin Trudeau indique qu’« aucune relation n’est plus importante [...] que celle [entretenue] avec les peuples autochtones. Il est temps de renouveler la relation de nation à nation avec les peuples autochtones pour qu’elle soit fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. » On m’a également demandé à ce moment-là de travailler en collaboration avec la ministre des Affaires autochtones et du Nord à la préservation, à la promotion et au renforcement des langues et des cultures autochtones.

Le gouvernement du Canada a entrepris une initiative importante et historique annoncée par le premier ministre en décembre 2016, à savoir notre engagement à promulguer une loi sur les langues autochtones élaborée conjointement avec les peuples autochtones. C’est avec beaucoup d’humilité et un grand honneur que je dirige ces travaux, au nom du gouvernement du Canada.

En juin 2017, l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami, la Nation métisse et le gouvernement du Canada avons donné le coup d’envoi au processus d’élaboration conjointe d’une loi sur les langues autochtones et ont convenu d’un processus de mobilisation axée sur la collaboration en vertu duquel Patrimoine canadien et les trois organisations autochtones nationales mobilisaient des spécialistes des langues autochtones, des gardiens des langues et des experts pour commencer à réfléchir aux éléments qui devraient composer la loi.

Depuis lors, mon secrétaire parlementaire, Arif Virani, et moi avons participé à plusieurs séances de mobilisation, partout au Canada, avec les spécialistes et les experts en langues autochtones des Premières Nations, des Inuit et des Métis. L’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et la Nation métisse ont également mobilisé les experts linguistiques qu’ils comptent parmi leurs membres. Les résultats de ces séances constituent le socle de la liste d’éléments à prendre en compte dans le présent guide de discussion.

La prochaine étape consiste à approfondir notre réflexion collective sur les sujets dont cette législation pourrait traiter, ainsi que sur la structure de cette dernière. Conformément au mandat qui m’a été confié par le premier ministre, mon intention est que ces travaux aient lieu dans un esprit de respect, de coopération et de partenariat.

Nous avons besoin d’entendre vos avis pour créer une législation qui facilitera la préservation, la promotion et la revitalisation des langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis. Au cours des prochains mois, mon ministère et moi solliciterons vos idées sur les éléments importants à prendre en compte lors de la rédaction de la législation.

Le gouvernement du Canada s’est engagé à collaborer avec vous. Je suis encouragée par les progrès que nous avons accomplis jusqu’à présent et il me tarde d’entendre ce que vous avez à dire.

L’honorable Mélanie Joly

Tirer profit de ce que nous savons

Commission royale sur les peuples autochtones

« La langue est l’un des principaux instruments qui permettent de transmettre la culture d’une génération à l’autre et d’interpréter l’expérience collective. »

« Les langues autochtones ont subi un dur coup lorsque les autorités scolaires ont forcé tous les enfants autochtones à parler le français ou l’anglais. »Note de bas de page 1

Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones et la culture

« Nous croyons qu’il est temps que le Canada reconnaisse que le patrimoine linguistique du pays est plus ancien que le français ou l’anglais. En réalité, les histoires orales, les histoires sur la Création qui tentent d’expliquer comment les premiers peuples sont arrivés sur ce territoire mille ans avant les Français ou les Anglais, les chants et les danses qui parlent de nos liens avec cette terre, voilà ce qui donne à notre tissu social sa texture et sa vivacité uniques, qui font que la société canadienne n’est pareille à nulle autre au monde. Ces trésors nationaux doivent être protégés à l’intention des générations futures. »Note de bas de page 2

Au cours des deux dernières décennies, il a été reconnu dans de nombreuses présentations de rapports, dans de nombreuses études liées aux lois, aux politiques et aux programmes canadiens, et par des commissions, qu’il est urgent de préserver, de promouvoir et de revitaliser* les langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis au Canada. Ces rapports comprennent tous une mention sur l’importance des langues pour la culture.

La Commission royale sur les peuples autochtones (1996) a souligné que le nombre de locuteurs des langues autochtones était, à cette époque déjà, bien inférieur au nombre de membres des populations autochtones, que le groupe démographique constitué des personnes parlant une langue autochtone vieillissait et que même les langues que l’on entendait le plus fréquemment étaient en danger d’extinction, et ce, en raison de la baisse du nombre de jeunes capables de parler couramment ces langues.

En 2005, le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones a présenté un rapport détaillé, intitulé Le début d’un temps nouveau : Premier rapport en vue d’une stratégie de revitalisation des langues et des cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le rapport comprend 25 recommandations visant à fournir des conseils au gouvernement du Canada, en vue d’aider à préserver, à revitaliser et à promouvoir les langues et les cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Plus récemment, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, au moyen de ses appels à l’action, a de nouveau exhorté le gouvernement à reconnaître la nécessité d’une législation pour atteindre cet objectif.

*Si les termes « préserver », « promouvoir » et « revitaliser » sont utilisés pour qualifier l’objectif de la législation sur les langues autochtones, ils ne servent toutefois qu’à exprimer l’intention qui sous-tend cette initiative. Le ministère du Patrimoine canadien reconnaît qu’ils peuvent avoir une signification différente pour d’autres personnes. Nous reconnaissons que les langues des communautés et des groupes linguistiques autochtones peuvent présenter divers niveaux de vitalité, de sorte que la législation devra être suffisamment souple pour répondre aux besoins et aux priorités de chaque groupe distinct. Par conséquent, les termes utilisés tout au long du présent guide visent seulement à entamer une discussion sur la vitalité des langues et les besoins en la matière; ils ne doivent pas être interprétés comme limitant les possibilités en matière d’intention et de répercussions de la législation.

Commission de vérité et réconciliation du canada : appels à l’action

Langue et culture

13. Nous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître que les droits des autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones.

14. Nous demandons au gouvernement fédéral d’adopter une loi sur les langues autochtones qui incorpore les principes suivants :

  1. les langues autochtones représentent une composante fondamentale et valorisée de la culture et de la société canadiennes, et il y a urgence de les préserver;
  2. les droits linguistiques autochtones sont renforcés par les traités;
  3. le gouvernement fédéral a la responsabilité de fournir des fonds suffisants pour la revitalisation et la préservation des langues autochtones;
  4. ce sont les peuples et les collectivités autochtones qui sont les mieux à même de gérer la préservation, la revitalisation et le renforcement des langues et des cultures autochtones;
  5. le financement accordé pour les besoins des initiatives liées aux langues autochtones doit refléter la diversité de ces langues.

15. Nous demandons au gouvernement fédéral de nommer, à la suite de consultations avec les groupes autochtones, un commissaire aux langues autochtones. Plus précisément, nous demandons que ce commissaire soit chargé de contribuer à la promotion des langues autochtones et de présenter des comptes rendus sur l’efficacité du financement fédéral destiné aux initiatives liées aux langues autochtones.Note de bas de page 3

Outre tous les ouvrages nationaux sur le sujet, un certain nombre d’articles figurant à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones soutiennent les droits liés aux langues et aux cultures, dont les droits à l’instruction dans les langues autochtones (voir l’annexe A). La Déclaration souligne la nature étroitement liée des droits des peuples autochtones. Autrement dit, les droits linguistiques sont essentiels à la reconnaissance des autres droits prévus dans cette dernière, comme le droit à l’éducation, les droits relatifs à l’autodétermination et le droit de protéger et de revitaliser les cultures autochtones. Par conséquent, la législation sur les langues des Premières Nations, des Inuit, et des Métis forme la pierre angulaire du programme du gouvernement visant la mise en œuvre intégrale de la Déclaration.

Raisons justifiant une législation sur les langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis

Au Canada, aucune langue autochtone n’est considérée comme étant en sécurité. Toutes les langues autochtones actuellement parlées au Canada sont classées dans l’un des quatre niveaux de langue en danger..Note de bas de page 4 De plus, la majorité des Inuit au Canada parlent une langue autochtone. Le gouvernement fédéral a fourni un appui par le biais de programmes, ainsi que des fonds connexes limités, en vue de régler certains des problèmes liés aux langues autochtones. Si l’appui par l’intermédiaire de programmes et de politiques est une mesure importante, il ne fournit toutefois aucune garantie à plus long terme, contrairement à des mesures législatives telles que la création, au moyen d’une législation, d’infrastructures institutionnelles (par exemple, des établissements et des commissions spécialisés) ou leur amélioration.

Par ailleurs, une législation pourrait comprendre des dispositions reconnaissant l’importance fondamentale des langues des peuples autochtones pour leur culture, leur identité et leur spiritualité; la présence antérieure des autochtones, l’évolution de leurs langues et leur contribution au Canada. Il serait possible d’y tenir compte du statut constitutionnel des langues autochtones et de leur importance régionale, des préjudices infligés par le passé aux langues autochtones par certaines politiques et pratiques gouvernementales, ainsi que de la nécessité d’adopter des approches multidimensionnelles pour préserver, promouvoir et revitaliser les langues autochtones.

Une législation sur les langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis pourrait prévoir les mesures politiques, les mesures programmatiques et les mesures fondées sur les droits nécessaires pour bien soutenir la préservation, la promotion et la revitalisation des langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis afin qu’elles puissent être transmises aux générations futures de locuteurs.

Au sujet de la mobilisation intensive

La mobilisation intensive comprend une mobilisation directe ou en personne, d’une part, sous la forme de séances de « travail » organisées avec les Premières Nations, les Inuit et les Métis dans tout le pays, et une mobilisation indirecte, d’autre part, qui consiste à fournir aux personnes ou aux groupes ne pouvant pas participer en personne aux séances de mobilisation directe l’occasion de transmettre leurs commentaires grâce à divers moyens, c’est-à-dire des questions en ligne et l’envoi de commentaires ou de présentations par écrit ou en format électronique.

De nombreux groupes titulaires de droits autochtones au Canada ont signé des traités modernes, des revendications territoriales globales ou des ententes d’autonomie gouvernementale. Bien qu’elles ne soient pas toutes identiques, ces ententes comprennent généralement des dispositions relatives aux langues et à la culture. De nombreuses ententes prévoient également un pouvoir législatif en ce qui concerne les questions liées aux langues, à la culture et à l’éducation. Il est entendu que les signataires de ces ententes ont des intérêts différents de ceux des autres groupes. Le processus de mobilisation consistera notamment à recueillir les points de vue de ces groupes, afin de garantir que la législation est compatible avec les droits et les pouvoirs législatifs décrits dans les ententes et qu’elle les respecte.

Éléments de la loi qui facilitent la préservation, la promotion et la revitalisation des langues autochtones

  1. Au début de la mobilisation, nous avons découvert qu’une approche « panautochtone » ne serait pas adéquate, compte tenu des divergences d’état importantes d’une langue à une autre des Premières Nations, des Inuit et des Métis, et des différences qui en découlent en matière d’approches et de priorités. Par conséquent, la structure de la législation pourrait comprendre des éléments communs, qui auraient une incidence identique sur tous les groupes autochtones, ainsi que des sections distinctes pour les langues des Premières Nations, des Inuit ou des Métis, de façon à prendre en compte les besoins et les priorités distinctes de chaque groupe linguistique en matière de législation.

    Voici d’autres facteurs dont il faudrait tenir compte :

    • discuter d’une possible définition plus détaillée des termes « préservation », « promotion » et « revitalisation », afin de garantir que tout le monde les entend de la même manière;
    • discuter de la nécessité de créer des parties distinctes de la législation qui seraient suffisamment souples pour appuyer les régimes législatifs, politiques et de programmes qui visent à renforcer la vitalité des langues autochtones, qu’ils soient communautaires, provinciaux, territoriaux ou régionaux.
  2. La législation devra respecter et appuyer les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Par conséquent, nous devrons y reconnaître les langues autochtones en tant que droits, ainsi que ce qui suit :
    • les langues autochtones en tant qu’élément essentiel de l’identité de peuples autochtones, de leurs croyances spirituelles, de leur relation aux terres, de leur vision du monde et de leur culture;
    • le caractère essentiel des langues autochtones pour l’autodétermination;
    • l’importance des langues autochtones pour la guérison et la réconciliation;
    • les préjudices infligés aux langues et aux cultures autochtones par certaines lois, politiques et mesures gouvernementales;
    • l’importance des peuples autochtones en tant que premiers peuples ayant donné naissance aux premières langues, lesquelles ont évolué au fil du temps et continuent de le faire.

    L’on pourrait envisager des dispositions qui témoignent de la reconnaissance de droits linguistiques autochtones, en tant que droits détenus par les peuples autochtones en ce qui concerne le perfectionnement, l’utilisation et la transmission de leurs langues.

    Voici d’autres facteurs dont il faudrait tenir compte :

    • des moyens d’harmoniser les lois fédérales relatives aux droits linguistiques autochtones avec celles des provinces et des territoires, notamment les lois déclarant des langues autochtones langues officielles dans certaines provinces ou certains territoires, tout en respectant les compétences provinciales et territoriales;
    • la possibilité de tenir compte des politiques et des programmes provinciaux et territoriaux (y compris ceux portant sur les études) qui favorisent la prestation des services dans les langues autochtones dans les lois, et d’utiliser celles-ci pour appuyer les politiques et programmes en question, grâce notamment à une application plus générale dans d’autres provinces et territoires;
    • la reconnaissance que les traités modernes, les revendications territoriales et les ententes sur l’autonomie gouvernementale décrivent des droits uniques et, dans certains cas, des pouvoirs législatifs en matière de langues et de culture, et que toute législation devrait être compatible avec ces ententes et les respecter;
    • une approche pangouvernementale (à l’échelle fédérale) pour la préservation, la promotion et la revitalisation des langues, ce qui comprend l’éducation dès la petite enfance, l’éducation en immersion pour tous les groupes et d’autres approches compatibles avec tous les groupes d’âge et toutes les langues à divers niveaux de viabilité, compte tenu des compétences et des pouvoirs que certaines entités pourraient avoir dans ces domaines.
  3. La loi devrait fournir un cadre juridique pouvant évoluer et que l’on pourrait modifier de façon à le renforcer et à en combler les lacunes. Nous devrions par ailleurs prévoir les dispositions nécessaires pour permettre des examens périodiques.

    Il peut s’agir de dispositions adéquates, comme celles relatives à des examens périodiques précis, à la surveillance et à la production de rapports qui témoignent de notre volonté de veiller à ce que la législation puisse être mise à jour à mesure que les travaux de préservation, de promotion et de revitalisation des langues autochtones évolueront.

    Voici d’autres facteurs dont il faudrait tenir compte :

    • réfléchir aux moyens de réviser la législation et à la fréquence de ces examens, y compris l’identité des personnes chargées de réaliser ces examens et de celles qui recevront les rapports et les recommandations connexes;
    • discuter de la participation complète et significative des peuples autochtones;
    • réfléchir à la portée et à la finalité de tout examen, quel qu’il soit, par exemple en mettant l’accent sur la mise en œuvre de la législation, y compris l’efficacité et l’efficience de la loi, des règlements, des politiques ou des programmes et autres questions connexes.
  4. L’objectif de la législation devrait être de définir des droits linguistiques particuliers et de prévoir les moyens et les mesures de redressement nécessaires à leur mise en œuvre. D’autres aides institutionnelles pourraient être nécessaires pour diverses fonctions à l’échelle locale, régionale et nationale. Une seule entité permettrait-elle de répondre à tous les besoins, étant donné la diversité des personnes, des langues, des facteurs géographiques et des compétences, et le fait qu’il existe déjà, dans certaines administrations, des lois, des commissaires et d’autres entités de surveillance?

    Il sera essentiel d’adopter des approches multidimensionnelles pour tous les groupes d’âge, y compris en ce qui concerne le système éducatif, indépendamment du lieu de résidence (apprentissage continu), afin de permettre aux peuples autochtones de rétablir la maîtrise des langues à tous les âges. Chaque situation exigera d’appliquer une méthodologie distincte, de façon à déployer les moyens les plus adéquats pour promouvoir, préserver et revitaliser les langues. Dans cette optique, les mesures législatives devraient offrir assez de souplesse pour appuyer diverses approches.

    Voici d’autres facteurs dont il faudrait tenir compte :

    • la difficulté de trouver un équilibre idéal entre une surveillance adéquate et des financements aussi importants que possible pour les collectivités, afin de satisfaire leurs principaux intérêts;
    • la reconnaissance des connaissances et des capacités des organismes et des mécanismes existants, dont il faudra tirer parti;
    • le rôle et la fonction de toute nouvelle entité créée aux fins d’appui ou de surveillance.
  5. La loi devrait faciliter la création de mécanismes d’appui adéquats, prévisibles et durables, ainsi que des mécanismes d’appui à long terme.

    Il peut y avoir des dispositions qui créent des mécanismes et politiques qui pourront être liés à l’appui adéquat, prévisible et durable visant à préserver, à promouvoir et à revitaliser les langues autochtones, et ce, conformément aux nouvelles approches en matière de relations financières; ces mécanismes et politiques pourront être mis en place ou exécutés au moyen de règlements ou de politiques.

    Voici d’autres facteurs dont il faudrait tenir compte :

    • étant donné que les termes « adéquat », « prévisible » et « durable » servant à désigner des fonds auront une signification différente selon les personnes, la mobilisation devrait prévoir une discussion sur les méthodes nécessaires pour obtenir un résultat que chacun considérera comme approprié et équitable;
    • d’autres mécanismes comme des règlements et des politiques à l’appui de cet objectif;
    • la possibilité d’établir des dispositions transitoires;
    • les moyens de faire participer à cette discussion les signataires de traités modernes, de revendications territoriales et d’ententes sur l’autonomie gouvernementale.

Questions

Dans son appel à l’action no 13, la Commission de vérité et réconciliation du Canada « [demande] au gouvernement fédéral de reconnaître que les droits des autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones ».

  1. Quelles devraient être les répercussions concrètes de la reconnaissance, au moyen d’une loi, des langues autochtones en tant que droit? (selon vous, que signifie le fait de reconnaître les langues autochtones comme un droit au quotidien?)

Le Canada compte de nombreux organismes locaux et régionaux liés aux langues autochtones. Les premières séances de mobilisation et les travaux ultérieurs du Groupe de travail sur l’élaboration conjointe (formé de représentants de Patrimoine canadien, de l’Assemblée des Premières Nations, d’Inuit Tapiriit Kanatami et de la Nation métisse) nous ont permis de conclure que l’un des éléments essentiels à prendre en compte est le développement des capacités des entités existantes, ainsi que la création d’un comité national de surveillance.

L’interaction entre les entités locales et régionales actuelles et une entité nationale éventuelle serait un facteur tout à fait pertinent à considérer, en vue d’appuyer les projets sur le terrain et de favoriser l’échange de pratiques avisées. De nombreux organismes locaux et régionaux ont créé des réseaux solides et possèdent une connaissance approfondie non seulement des différentes réalités linguistiques et régionales, mais aussi des solutions aux divers états actuels des langues, que ces dernières soient vivantes ou quasi disparues (par exemple, « langues dormantes »).

  1. Serait-il utile de créer des établissements locaux et régionaux liés aux langues autochtones ou d’améliorer les établissements actuels? Si oui, en quoi serait-ce utile?

Dans son rapport final de 2005 intitulé Le début d’un temps nouveau : Premier rapport en vue d’une stratégie de revitalisation des langues et des cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones a recommandé – en s’appuyant sur les commentaires qu’il avait recueillis lors du processus de consultation – que les rôles clés d’un organisme national lié aux langues comprennent la coordination de la recherche et la planification d’une stratégie des langues à long terme; le renforcement de la sensibilisation à l’importance des langues des Premières Nations, des Inuit et des Métis; la création de partenariats avec l’industrie, les gouvernements et les peuples autochtones du monde; ainsi que le versement de fonds aux collectivités.

Il a été conclu que cette entité devrait être simple, apolitique et disposer d’une infrastructure minimale. La prise de décisions serait déléguée à un niveau régional, un appui financier immédiat irait aux collectivités ne comptant plus que quelques locuteurs parlant couramment les langues concernées, et les communautés obtiendraient du financement pour la réalisation de travaux de recherche sur la collectivité et la planification linguistique à long terme. Tous les intervenants ont convenu que les programmes devraient mettre l’accent principalement sur des approches multidimensionnelles. Bon nombre d’entre eux ont par ailleurs recommandé que l’entité coordonne un ou plusieurs centres d’échange permettant de partager les ressources et les recherches sur les pratiques exemplaires.

  1. Quelle serait l’utilité d’un établissement national des langues autochtones (géré par les peuples autochtones) et quel rôle celui-ci devrait-il jouer, en particulier concernant l’appui aux entités locales et régionales? Est-ce qu’un établissement national est nécessaire?

Des entités locales et régionales liées aux langues autochtones existent déjà dans certaines régions. Il est important que toute entité nationale qui pourrait être proposée soit complémentaire et appuie ces entités locales et régionales. Des accords pourraient être conclus entre les entités, afin de garantir l’efficacité et d’éviter tout dédoublement des efforts.

Des commissaires aux langues, au Canada et dans le monde, se consacrent aux questions linguistiques. Leurs rôles et leurs responsabilités sont souvent semblables à ceux d’un ombudsman. Le commissaire aux langues s’efforce de promouvoir, de préserver et d’instaurer des droits linguistiques. Il a pour but de protéger ces droits, grâce à une surveillance et à des enquêtes sur les règles régissant les dispositions législatives relatives à la fonction publique. Par ailleurs, il informe le gouvernement sur les questions linguistiques en fournissant des rapports et des recommandations.

À ce jour, le Canada n’a nommé aucun commissaire aux langues responsable des langues autochtones. Toutefois, dans son appel à l’action no 15, la Commission de vérité et réconciliation du Canada exhorte le gouvernement à « nommer, à la suite de consultations avec les groupes autochtones, un commissaire aux langues autochtones ». Ce commissaire devra être « chargé de contribuer à la promotion des langues autochtones et de présenter des comptes rendus sur l’efficacité du financement fédéral destiné aux initiatives liées aux langues autochtones ».

  1. Selon vous, quel rôle du ou des commissaires aux langues autochtones serait important?

Au fil des ans, les organismes internationaux et les États ont surtout financé la promotion des langues, ce qui a permis de sensibiliser le public au plurilinguisme, plutôt que de financerles efforts qui visent à accroître le nombre de locuteurs ou à restaurer le système naturel de transmission des langues d’une génération à l’autre.

On a considéré l’éducation et les programmes d’immersion comme les solutions à ce problème. Toutefois, les chercheurs et les défenseurs de la revitalisation des langues ont découvert qu’il est plus efficace d’adapter les solutions à l’état de la langue en question. L’éducation et les programmes d’immersion ne permettent pas de remédier à tous les états possibles d’une langue. Certains planificateurs et défenseurs de la revitalisation des langues ont utilisé l’échelle de Fishman (annexe B) pour déterminer la répartition des ressources humaines et financières. Dans les endroits comptant peu de personnes parlant couramment la langue en question, par exemple, un programme d’apprentissage sous forme de mentorat est une stratégie centrale et pertinente pour régler la situation.

Il est tout aussi important de déployer simultanément plusieurs stratégies dans un même lieu. Pour restaurer la transmission naturelle des langues entre les générations il est nécessaire de faire participer tous les groupes d’âge. Par exemple, dans un lieu qui comprend quelques personnes parlant couramment la langue en question, il est possible de déployer simultanément un programme d’immersion préscolaire, un système d’apprentissage sous forme de mentorat, un programme d’immersion pour adultes et une documentation sur la langue. C’est ce que l’on appelle une « approche multidimensionnelle ».

  1. Selon vous, quel est l’aspect le plus important à prendre en compte pour préserver, promouvoir et revitaliser les langues autochtones?

Depuis la Commission royale sur les peuples autochtones et les consultations avec les peuples autochtones qui ont suivi, y compris le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones de 2005, les peuples autochtones n’ont cessé de recommander d’augmenter le financement à l’appui des activités linguistiques telles que les programmes d’immersion et autres méthodes pédagogiques destinés aux collectivités autochtones dans tout le Canada. Ils insistent également sur d’autres modèles de financement et de contrôle des fonds. Par ailleurs, le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones de 2005 a indiqué dans son rapport qu’il faudrait créer un organisme national, doté de pouvoirs décisionnels à l’échelle régionale, afin d’orienter directement les fonds vers les collectivités.

Le message général que l’on peut dégager de toutes ces recommandations est une invitation à décentraliser le financement fourni par le gouvernement fédéral, afin d’accorder aux peuples autochtones plus de contrôle et de pouvoirs décisionnels.

  1. Que pensez-vous d’une stratégie de financement? Quelle serait la meilleure façon pour les collectivités autochtones d’accéder à des fonds?

Donnez votre avis

Envoyez vos réponses au questionnaire, vos idées, vos suggestions et vos rapports par courriel, à l’adresse pch.lla-ill.pch@canada.ca ou par la poste, à l’adresse ci-dessous :

Ministère du Patrimoine canadien
Loi sur les langues autochtones
25, rue Eddy, 12e étage, salle 085
Gatineau (Québec) J8X 4B5

Annexe A

Déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones

Article 2

Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones.

Article 3

Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

Article 8

  1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.
  2. Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :
    1. Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique;
    2. Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources;
    3. Toute forme de transfert forcé de population ayant pour but ou pour effet de violer ou d’éroder l’un quelconque de leurs droits;
    4. Toute forme d’assimilation ou d’intégration forcée;
    5. Toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d’encourager la discrimination raciale ou ethnique ou d’y inciter.

Article 11

  1. Les peuples autochtones ont le droit d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l’artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature.
  2. Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces – qui peuvent comprendre la restitution – mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes.

Article 13

  1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.
  2. Les États prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les procédures politiques, juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d’interprétation ou d’autres moyens appropriés.

Article 14

  1. Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage.
  2. Les autochtones, en particulier les enfants, ont le droit d’accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune.
  3. Les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les autochtones, en particulier les enfants, vivant à l’extérieur de leur communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre langue.

Annexe B

Propositions d’intervention selon les différents niveaux de danger des langues

Niveaux

État actuel de la langue

Interventions proposées

Niveau 8

Seuls quelques aînés parlent la langue.

Mettre en œuvre le modèle d’apprentissage sous forme de mentorat de Hinton (1994), selon lequel un aîné parlant couramment la langue fait équipe avec un jeune adulte souhaitant apprendre la langue. Les aînés situés dans des lieux isolés peuvent enseigner la langue aux autres par téléphone…

Niveau 7

Seuls des adultes qui ne sont plus en âge de procréer parlent la langue.

Créer des « nids linguistiques », à l’image des modèles maoris et hawaïens, selon lesquels des adultes plus âgés assurent la garde des enfants au niveau préscolaire, afin de leur fournir une immersion en langue autochtone…

Niveau 6

Quelques personnes utilisent la langue sur plusieurs générations.

Créer des lieux communautaires dans lesquels on encourage, protège et utilise exclusivement la langue concernée. Encourager plus de jeunes parents à parler la langue autochtone à la maison et en présence de leurs jeunes enfants.

Niveau 5

La langue est encore très vivante et utilisée au sein de la communauté.

Déployer des mesures d’alphabétisation dans la langue minoritaire. Promouvoir les programmes facultatifs dans les écoles et d’autres établissements communautaires, afin d’améliorer le prestige et l’utilisation de la langue. Utiliser la langue dans l’administration locale, en particulier dans les services sociaux. Récompenser les efforts locaux spéciaux au moyen de distinctions, par exemple.

Niveau 4

La langue est obligatoire dans les écoles primaires.

Améliorer les méthodes pédagogiques reposant sur une réponse active non verbale, la communication narrative reposant sur une réponse active non verbale et d’autres techniques d’enseignement en immersion. Enseigner la lecture, l’écriture et des compétences linguistiques de niveau supérieur… Élaborer des programmes bilingues bidirectionnels, s’il y a lieu, au cours desquels les élèves de niveau élémentaire ne parlant aucune langue apprennent une langue autochtone, tandis que les élèves parlant une langue en apprennent une autre, nationale ou internationale. Élaborer des manuels pour enseigner les langues autochtones et du matériel pédagogique spécialisé.

Niveau 3

La langue est utilisée dans les lieux d’affaires et parmi les employés dans des milieux de travail moins spécialisés.

Promouvoir la langue en l’élevant au statut de langue de travail dans toute la collectivité… Perfectionner le vocabulaire, de façon à ce que les travailleurs de bureau puissent exécuter leurs tâches quotidiennes en langue autochtone.

Niveau 2

La langue est utilisée par les administrations locales et dans les médias de masse au sein de la collectivité minoritaire.

Encourager l’utilisation de la forme écrite de la langue pour les activités et les dossiers des administrations et des entreprises. Promouvoir les bulletins d’information, les journaux, les stations de radio et les chaînes de télévision en langue autochtone.

Niveau 1

La langue est utilisée aux échelons supérieurs du gouvernement et dans le cadre des études supérieures.

Offrir des cours spécialisés dans la langue concernée au sein des collèges tribaux. Étoffer la littérature orale et écrite dans la langue autochtone, au moyen de pièces de théâtre et de publications. Remettre des distinctions tribales ou nationales pour les publications en langue autochtone et autres efforts significatifs visant à promouvoir ces langues.

Source : adaptation de l’échelle des ruptures intergénérationnelles liées aux langues en danger de Fishman (1991, p. 88 à 109), article de Jon Reyhner intitulé Some Basics of Indigenous Language Revitalization [Quelques notions de base sur la revitalisation des langues autochtones], issue de l’ouvrage Revitalizing Indigenous Languages [La revitalisation des langues autochtones], publié par Jon Reyhner, Gina Cantoni, Robert N. St. Clair et Evangeline Parsons Yazzie (Flagstaff, Ariz. : Northern Arizona University, 1999). Article pouvant être consulté à l’adresse http://jan.ucc.nau.edu/~jar/RIL_Intro.html.

Détails de la page

Date de modification :