Gouvernance du contenu numérique et fiducies de données — Diversité des contenus à l’ère numérique

Février 2020

Digital Public

Sur cette page

Liste des acronymes et abréviations

ACEUM
L'Accord Canada–États-Unis–Mexique
CCFA
L'alliance des pêcheurs de Cape Cod
LPRPDE
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

Exonération

Le présent document a été préparé pour le ministère du Patrimoine canadien et la Commission canadienne pour l’UNESCO par l’entreprise Digital Public. Les opinions et les recommandations exprimées dans le présent rapport sont celles de l’auteur et ne reflètent pas forcément la politique ou la position officielle du gouvernement du Canada. Toute erreur, interprétation ou omission est de la seule responsabilité de l’auteur.

Introduction : Une approche pratique de la gouvernance du contenu numérique

Le ministère du Patrimoine canadien s’est engagé à adopter une approche proactive pour assurer la diversité des contenus à l’ère numérique. Dans le cadre de sa stratégie de mobilisation internationale, Patrimoine canadien s’est associé à la Commission canadienne pour l’UNESCO en 2019 pour organiser une réunion d’experts internationaux sur l’atteinte de plusieurs objectifs stratégiques fondamentaux, en vue de préserver le caractère et la disponibilité de contenu diversifié dans les écosystèmes des médias numériques. Les résultats de cette réunion se sont déclinés en trois considérations prioritairesNote de bas de page 1 :

En outre, la réunion a mis en évidence le potentiel d’utilisation des fiducies numériques et des fiducies de données comme un ensemble d’outils pour commencer la mise à l’essai de modèles en vue d’atteindre ces objectifs. Le présent rapport est le prolongement de cette recommandation et explore en détail le recours possible à des fiducies de données pour atteindre ces objectifs dans les écosystèmes de contenu numérique.

Le présent rapport examine le rôle des fiducies de données en les situant dans les marchés du contenu numérique et de la distribution. Il présente d’abord les types de marchés du contenu numérique concernés, puis les mécanismes des fiducies de données et le rôle de la gouvernance des données, pour ensuite explorer les points précis d’intervention dans les marchés de la production et de la distribution du contenu numérique. L’analyse se termine par plusieurs recommandations sur les façons de mettre en œuvre des approches fondées sur les fiducies de données pour réaliser les objectifs du ministère du Patrimoine canadien dans le contexte de sa stratégie de mobilisation sur la diversité des contenus.

Contenu numérique

L’un des principaux défis de toute approche de réglementation de contenu numérique est le fait que ledit contenu est par définition ambigu et qu’il peut faire référence à un nombre presque infini de choses. Le contenu numérique peut faire référence à la représentation numérique de n’importe quoi, qu’il s’agisse de jeux vidéo, d’images de caméras de police, d’antécédents d’achat ou de pronostic de santé. Il arrive parfois que les ambiguïtés créées par la numérisation soient utilisées pour distraire ou entraver les tentatives de réglementation des écosystèmes numériques du domaine public. Par ailleurs, à juste titre, une réglementation à portée excessive peut être préjudiciable. Bien que cette analyse soit centrée sur le contenu numérique axé sur la culture et les nouvelles, l’ambiguïté des termes eux-mêmes peut rendre les politiques générales difficiles à mettre en œuvre.

Plutôt que d’essayer de saisir l’ensemble du contenu numérique, le présent rapport tire parti des structures du marché et des attentes raisonnables des intervenants pour définir les points d’intervention. Les marchés du contenu numérique se divisent en trois catégories principales : la production, la distribution et la consommation. À chacune de ces étapes du marché, les intervenants détiennent des droits et des pouvoirs importants.

La principale valeur des fiducies de données en tant qu’outil opérationnel est la consolidation de l’effet de levier des droits collectifs pour rendre les marchés numériques plus transparents, plus diversifiés et plus équitables.

Introduction aux fiducies de données

Les transformations numériques réorientent les relations entre les individus, les gouvernements et l’industrie. Ces changements se produisent, pour la plupart, sans la transparence, la participation et la responsabilisation publiques nécessaires pour gagner la confiance d’autrui et procurer une certaine légitimité. Bien que les gouvernements et les acteurs de l’industrie se donnent beaucoup de mal pour mener des consultations, rendre publics leurs engagements stratégiques et éthiques et réclamer une réglementation renforcée, il peut quand même être extrêmement compliqué de comprendre ses droits dans les écosystèmes numériques et encore plus de les faire valoir. Dans le présent document, le terme « droit » désigne les intérêts reconnus par la loi. Ces intérêts peuvent être divers, mais l’idée sous-jacente est qu’un « ayant droit » est une personne ou une organisation dont les intérêts et les revendications seront protégés par la loi dans un contexte particulier.

C’est particulièrement le cas pour les systèmes de contenu numérique, où une foule de nouveaux outils, plateformes, infrastructures, modalités de facturation et façons de mesurer les comportements ont fondamentalement changé le mode de fonctionnement des marchés des médias. Pour de nombreux intervenants des marchés du contenu numérique, il n’existe pas de moyens accessibles pour comprendre les déterminants de leur propre succès. Pour que les marchés du contenu numérique puissent fonctionner de façon durable — et répondre aux exigences des politiques publiques en matière de diversité, d’équité et de discours politique —, il est indispensable de mettre en place des structures pour la conclusion de l’accord entre les intérêts publics et le secteur privé.

Les fiducies de données sont un moyen de mettre en place des structures de gouvernance transparentes et responsables en matière de propriété et de droits numériquesNote de bas de page 2. Les fiducies sont des instruments juridiques qui attribuent le pouvoir de gestion d’un bien à un administrateur — le fiduciaire —, qui utilise cet actif pour atteindre un objectif au nom du propriétaire final de ce bien – le bénéficiaire (ou le groupe de bénéficiaires). Les fiducies de données adoptent la même architecture juridique, mais elles les appliquent aux données et aux droits qu’impliquent les transactions numériques pour atteindre l’objectif établi par le bénéficiaire. Les fiducies de données civiques adaptent les structures de fiducie traditionnelles pour créer des modèles de gouvernance — comme les conseils municipaux —, pour gérer les droits numériques au lieu de nommer un seul fiduciaire. Les fiducies sont des instruments de la common law, et varient en fonction de la mise en œuvre au niveau national et de la théorie du droit. Bien qu’un certain nombre de systèmes juridiques ne reconnaissent pas officiellement les « fiducies », un grand nombre de pays ont des moyens similaires de déléguer légalement des pouvoirs. D’autres administrations utilisent le terme « fiducie » pour désigner plusieurs choses, y compris les organismes de bienfaisance. Au Canada, les fiducies de données font désormais partie de la réforme proposée de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) et sont largement reconnues comme un moyen de créer une responsabilité fiduciaire dans les relations de mise en commun de données.

Il existe trois différences essentielles entre les fiducies et les autres attributions de pouvoirs : 1) il s’agit de vastes attributions de pouvoirs, par opposition aux contrats qui sont précis, 2) elles créent ce que l’on appelle des obligations fiduciaires, essentiellement des exigences juridiquement exécutoires selon lesquelles les fiduciaires doivent utiliser l’actif dans l’intérêt véritable du bénéficiaire, de manière désintéressée, 3) elles sont ancrées dans la propriété sous-jacente des données et des droits numériques eux-mêmes, et survivent donc au transfert. En d’autres termes, l’éventail de caractéristiques juridiques associé aux fiducies fait de celles-ci un ensemble d’outils particulièrement rigoureux pour gérer les négociations sur les droits numériques, notamment lorsque ces négociations nécessitent la conciliation des intérêts de plusieurs parties, parfois concurrentes.

Éléments d’une fiducie

Concédant/Constituant :
Personne ou organisation qui possède le bien et le confie au bénéficiaire (fiducie).

Bien :
Les données ou les droits numériques à gérer.

Fiduciaire :
La personne, l’organisation ou l’organisme de gouvernance qui supervise le bien.

But :
La chose que la fiducie est censée réaliser.

Bénéficiaire :
La personne ou le groupe de personnes que le fiduciaire sert, et le(s) propriétaire(s) du bien.

Rôles des fiducies de données

Bien entendu, les structures des fiducies ne présentent un intérêt que si elles permettent d’atteindre un certain nombre d’objectifs particuliers. Il est vrai que les fiducies de données sont un ensemble d’outils au stade embryonnaire en regard de leur potentiel, mais un certain nombre de fiducies de données existantes présentent déjà certains de leurs cas d’utilisation les plus prometteurs et les plus demandés :

Professionnaliser la gouvernance

Les marchés et les chaînes d’approvisionnement numériques sont caractérisés par des liens d’interdépendance, bien souvent dans le cadre d’arrangements informels ou implicites. Les fiducies de données sont un moyen utile de consolider mutuellement les relations de mise en commun des données entre plusieurs parties, et ainsi créer des retombées positives pour l’ensemble de l’écosystème. Dans le domaine de la gouvernance des contenus, on peut par exemple s’accorder sur des licences de données communes, sur des exigences de transparence réciproque au sujet du rôle des algorithmes dans la distribution des contenus, et/ou sur la mise en commun des métadonnées des modèles de distribution et de consommation.

Sovrin est une société d’identité numérique qui aspire à devenir un service public mondial. Dans le but d’établir un marché multipartite avec des normes crédibles et des limites à la mise en commun des données, Sovrin a fondé sa gouvernance sur le cadre fiduciaire de Sovrin (Version PDF, 423 Ko) (en anglais seulement). Le cadre fiduciaire définit les principes du marché, les normes, les mécanismes d’adaptation et les relations de mise en commun des données. Autre : La Scott Family Trust (propriétaire du quotidien britannique The Guardian).

Cape Cod Fisherman’s Alliance (CCFA) : La CCFA est un réseau de pêcheurs, de défenseurs des politiques et de chercheurs soucieux de ne pas tomber dans l’oubli en raison de la numérisation de leur secteur. Compte tenu des obligations en matière de reddition de compte fédérales, de la surveillance publique et des préoccupations de saisie économique, la CCFA établit une fiducie de données pour tirer parti de son rôle dans la chaîne d’approvisionnement numérique afin de protéger les intérêts pratiques et financiers de ses membres. Autres : Data for Black Lives, le Light Collective.

Action collective et négociation

Comme pour l’organisation traditionnelle du travail, les marchés numériques créent des asymétries importantes qui nécessitent souvent une action collective pour les rééquilibrer. Les fiducies de données peuvent être un moyen pour les détenteurs de droits numériques de consolider l’effet de levier de ces droits et de s’en servir pour négocier de meilleures conditions. Dans d’autres cas, les fiducies de données permettent à des acteurs puissants de regrouper leurs revendications dans les espaces numériques. Aux États-Unis, les agents des partis républicain et démocrate utilisent les fiducies de données (pas toujours l’outil juridique) pour faciliter l’accès aux dossiers de leurs électeurs. Parmi les exemples dans le domaine de la gouvernance du contenu numérique, on trouve les collaborations en matière de production de contenu, les groupes de défense des droits civils et politiques et, dans une certaine mesure, les organismes de réglementation qui fixent des normes sur des questions telles que la désinformation, la vie privée et la protection des données.

Recherche

Dans un éventail de secteurs, y compris la réglementation des plateformes numériques elles-mêmes, il existe des inefficiences entre la production et l’utilisation des données. Cela est particulièrement vrai pour les chercheurs, qui jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation du public et des décideurs à certains aspects souvent négligés et imprévus des écosystèmes numériques. L’une des principales utilisations des fiducies de données est la mise en commun d’informations provenant d’ensembles d’acteurs historiquement disparates à des fins limitées de recherche d’intérêt public. Concernant l’espace de contenu numérique, un exemple de cela pourrait inclure les plateformes de médias sociaux, les chercheurs universitaires, les groupes de la société civile et les utilisateurs acceptant un processus collaboratif de mise en commun des données sur la désinformation politique.

Le Cincinnati Children’s Hospital Medical Center collabore avec un réseau de recherche pédiatrique et des réseaux de soins pour mettre en commun des données et ainsi faire progresser leurs recherches médicales complémentaires. La fiducie de données est constituée pour formaliser et normaliser les relations de mise en commun entre les nœuds de leur réseau, à mesure que celui-ci se développe et produit des résultats commercialement intéressants Autres : Johns Hopkins University Hospital Data Trust (en anglais seulement), Structural Genomics Consortium Open Science Trust (en anglais seulement).

Conformité

L’une des principales fonctions de toute industrie réglementée est de faire rapport aux autorités et il faut noter que bon nombre de processus de production de rapports deviennent de plus en plus numériques. Cette numérisation des rapports de conformité a eu à la fois des avantages — un certain nombre d’entreprises offrent des outils de protection des données et de respect de la vie privée — et des coûts – la privatisation de cette fonction crée elle-même un marché potentiellement asymétrique. Dans le cas des marchés du contenu numérique, les moyens d’action des organismes d’exécution et de réglementation varient selon la compétence, le mandat et la relation avec l’industrie, mais il y a une augmentation relativement uniforme de l’officialisation de la réglementation des données, ainsi que des marchés émergents axés sur la transformation numérique des étapes existantes liées à la conformité.

BrightHive, Sightline Innovation et Truata sont des entreprises qui utilisent le terme « fiducie de données » dans le cadre de leur offre de services commerciaux qui concernent, de manière variable, des fiducies de données juridiques. BrightHive et Sightline proposent toutes deux des plateformes numériques qui permettent aux utilisateurs de gérer l’accès aux données et les rapports de conformité en matière de gestion des données grâce à une gouvernance multipartite. Truata est un service tiers d’anonymisation des données qui veille à ce que les transferts de données respectent les normes de conformité en vigueur.

Surveillance et sécurité

Les plateformes de médias sociaux et de contenu numérique doivent servir de médiateur entre des intérêts concurrents – souvent de manière à tirer parti de l’engagement des utilisateurs ou d’autres intervenants. Les plateformes ont de plus en plus recours à des organisations de la société civile tierces pour établir des normes ayant un impact social — par exemple, en ce qui concerne la crédibilité des sources d’information — et pour collaborer avec des groupes de surveillance indépendants. Une utilisation convaincante des fiducies de données consiste à créer un organisme de surveillance crédible, indépendant et juridiquement responsable, afin d’assurer la meilleure utilisation possible de la plateforme sous-jacente pour atteindre les objectifs d’intérêt public.

En fin de compte, les fiducies de données dans les écosystèmes de contenu numérique ne visent pas la création de nouvelles formes d’autorité, mais permettent à des intervenants existants mais différents de s’engager dans des négociations collectives, de nommer un organe de gouvernance indépendant et de créer un moyen de participer véritablement à la détermination de la manière dont les normes et les politiques sont élaborées dans les écosystèmes numériques. Les fiducies de données sont un outil permettant d’officialiser les marchés, les chaînes d’approvisionnement et les mécanismes de gouvernance de façon à ce que toutes les parties concernées répondent des attentes du public, et ce, afin de légitimer les transformations numériques. En termes simples, les fiducies de données sont un moyen d’intégrer la gouvernance officielle des données et des contenus numériques.

Le conseil de surveillance de Facebook est organisé comme une fiducie de données aux États-Unis. Dans sa forme actuelle, il est administré par l’ancien dirigeant d’Article 19 — une organisation numérique à but non lucratif de défense des droits de la personne — et a la possibilité de définir et de modifier la politique éditoriale de Facebook. Bien que l’autorité du conseil de surveillance soit moins traditionnellement ancrée dans les « données », son autorité de surveillance est contraignante pour la gouvernance d’entreprise de Facebook et est inévitablement exécutée par l’entremise d’enquêtes et de moyens numériques. Certes, il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure le conseil de surveillance sera efficace, mais son adoption par des entreprises comme Alphabet et Facebook, ainsi que par des gouvernements comme le Royaume-Uni et le Canada, démontre son potentiel pour combler les écarts entre les politiques publiques et privées.

Gouvernance du contenu numérique

La gouvernance du contenu numérique est l’acte de définir les conditions et les caractéristiques d’un écosystème d’information, notamment l’accès, les types de participation, la rémunération, l’amplification, la sécurité, la génération de revenus, les rôles et le contrôle des utilisateurs. Les décisions relatives à la gouvernance du contenu numérique sont souvent prises dans plusieurs parties d’un écosystème de médias ou de plateformes – qu’il s’agisse de la stratégie commerciale dans la salle de conférence, d’indicateurs algorithmiques utilisés pour amplifier des éléments de contenu particuliers dans un bureau d’ingénieur, ou des producteurs et des détaillants de contenu qui dépendent des plateformes pour leur subsistance. Pourtant, ce sont précisément ces décisions qui définissent l’équité, la transparence, la diversité et l’intégrité des écosystèmes de contenu numérique. La meilleure façon de s’assurer que les systèmes de gouvernance du contenu numérique produisent des résultats d’intérêt public est d’officialiser leur fonctionnement et d’établir des attentes claires en matière de participation et de résolution des litiges.

De nombreux participants à la stratégie de mobilisation de Patrimoine canadien sur la diversité des contenus à l’ère numérique reconnaissent que les interventions en matière de gouvernance du contenu numérique constituent une priorité stratégique pour accroître la transparence et la diversité des écosystèmes de contenu numérique. Ils reconnaissent également que la conception et l’imposition de tout niveau de gouvernance ajoutent une complexité non négligeable. Pour être efficace, tout véritable mécanisme de gouvernance devra trouver l’équilibre entre la crédibilité de chaque groupe d’intervenants, les revenus durables pour soutenir les opérations et, au minimum, une certaine forme d’influence véritable sur les acteurs extranationaux.

Objectifs de l’initiative canadienne sur la diversité des contenus à l’ère numérique

  1. Accès et découvrabilité
  2. Rémunération et répartition de la valeur
  3. Diversité et qualité de l’information/du contenu
  4. Transparence et responsabilisation algorithmique

Considérations pratiques

Chacune de ces considérations est un élément important de tout mécanisme crédible de gouvernance du contenu numérique, mais elles varieront nécessairement selon le contexte. Les plateformes de contenu numérique se sont internationalisées et sont verticalement intégrées au point de ne plus être reconnaissables comme un type d’entreprise ayant un précédent traditionnel. Il est certes presque impossible d’établir une définition claire du « contenu numérique », mais il est également difficile d’établir une définition claire de la « gouvernance du contenu numérique ».

Plutôt que de se concentrer sur les entités qui peuvent jouer un rôle dans la gouvernance du contenu numérique, la présente analyse est axée sur les rôles typiques dans la gouvernance et la distribution du contenu afin d’identifier les détenteurs de droits en tant que moyen de détermination des points d’intervention pour l’action collective et la gouvernance.

Marchés et gouvernance du contenu numérique

Il existe diverses façons d’influer sur les marchés du contenu numérique, en particulier lorsqu’on prend en compte la vaste gamme d’outils à la disposition des acteurs gouvernementaux. Les fiducies de données, tout en étant capables d’administrer les pouvoirs délégués des gouvernements, ne possèdent pas de caractère réglementaire inhérent. Cette analyse est explicitement axée sur le recours aux fiducies de données dans une gouvernance des écosystèmes de contenu numérique qui ne repose pas sur une autorité de réglementation souveraine, et s’appuie plutôt sur le potentiel d’organisation collective des intervenants de la chaîne d’approvisionnement. De même, il existe un éventail d’approches pour gérer la gouvernance du contenu numérique en manipulant les entreprises qui possèdent des plateformes par des tactiques comme l’activisme des actionnaires, l’autorégulation industrielle et les niveaux de nationalisation – des approches qui pourraient toutes utiliser des fiducies, mais ne sont pas propres aux marchés du contenu numérique.

Les fiducies de données, en tant que modèle d’intervention, cernent les possibilités d’intérêt mutuel et public, en intégrant la gouvernance dans la gestion fonctionnelle ou la surveillance des flux de travail et des transactions de base sur un marché. Les marchés du contenu sont un ensemble de structures, de normes et de pouvoirs qui sont réorganisés grâce à la transformation numérique, et peuvent faire l’objet de renégociations au moyen d’un éventail d’approches de la gouvernance collective. Cette analyse divise les marchés du contenu numérique en fonction de trois grands rôles : 1) la production, 2) la distribution, et 3) la consommation. Cette catégorisation est générale et est axée sur les exigences essentielles des marchés du contenu numérique.

Cependant, les intérêts de tiers comme les annonceurs viennent compliquer les marchés du contenu numérique. L’efficacité croissante des annonceurs numériques attire des clients du domaine de la surveillance dont les intérêts divers accroissent la complexité sociale et politique de la gestion de leurs services. Il existe une tension inhérente entre l’intégrité des marchés du contenu et le rôle des annonceurs, bien souvent leur principale source de revenus, tension qui est antérieure à l’ère de l’Internet. Il est possible d’utiliser les fiducies de données pour créer une transparence, une responsabilité et une gouvernance publiques crédibles en matière de publicité et de distribution de contenu, mais ces méthodes ne sont pas forcément propres aux marchés du contenu numérique.

La présente analyse est axée sur les marchés du contenu directs, qui s’apparentent à la transformation numérique dans les industries connexes, ainsi que sur les modèles d’action collective et d’influence que les différents groupes d’intervenant pourraient utiliser pour imposer la diversité des contenus, la transparence et l’équité des marchés.

Modèles d’influence dans la production de contenu

Les marchés du contenu numérique commencent avec les producteurs de contenu. Pour les producteurs de contenu numérique, les plateformes numériques sont des éléments importants du cycle de vie complet du processus de commercialisation – combinant les moyens de production avec les outils de distribution et de consommation. Dans de nombreux cas, les plateformes mixtes revendiquent également la propriété du contenu produit à l’aide de leurs outils – soit en totalité, soit au moyen de licences qui leur accordent d’importants droits. Ici, les producteurs de contenu font face à la fois à la nature asymétrique de la négociation et à leur isolement en tant que producteurs individuels sans grande représentation collective. Au-delà des négociations sociales et/ou commerciales, les associations professionnelles et les organismes de l’industrie constituent souvent des forces importantes pour définir les normes contextuelles sociales et politiques, comme les dimensions de la diversité des contenus.

On peut soutenir que la plus grande « innovation » dans la production de contenu numérique a été le passage à la surveillance comportementale et le ciblage. Les supports analogiques, bien que financièrement tributaires de la publicité, n’ont pas été en mesure d’exercer une influence sur le contenu avec une granularité ou une ampleur comparable à celle que les plateformes numériques sont en mesure de fournir. Par conséquent, nous avons plus de possibilités de comprendre la valeur et l’impact du contenu, de participer à la conception du contenu que nous voulons amplifier et de façonner la façon dont nous découvrons de nouvelles choses. L’obstacle, dans de nombreux cas, réside dans le fait que l’information sur le fonctionnement du marché du contenu numérique est protégée par des secrets commerciaux, tout comme les moyens de distribution. En même temps, les marchés sont généralement réglementés – non seulement en fonction des résultats, mais aussi des droits et des dépendances des participants. Ces droits protègent les acteurs du marché et les créateurs, et offrent tous deux d’importants points de départ pour l’accroissement de la transparence et la diversité et l’utilisation des fiducies de données pour améliorer la gouvernance.

Tableau 1 : Utilisation des fiducies de données dans la production de contenu
Droit des intervenants Droit légal Cas d’utilisation de fiducies de données Exemple
Création Droits d’auteur/licences Les producteurs de contenu collaborent pour négocier les divulgations sur le marché et la représentation collective, la participation et les droits de rémunération. L’Innovation Asset Collective (en anglais seulement) du Canada, des producteurs de contenu pourraient utiliser des fiducies de données pour mettre en commun la propriété et l’accès des actifs comme pouvoir de négociation collectif.
Ressemblance Représentation Utiliser des outils d’action collective pour régir la façon dont les représentations et les réputations numériques sont utilisées pour façonner les marchés de distribution de contenu. National Football League Players Union : (en anglais seulement) Pour les sources de données, on pourrait regrouper des droits de représentation limités en ayant recours à une fiducie de données pour négocier l’utilisation légitime des données et la rémunération.
Nouveau venu sur le marché Contrat Tout comme les associations de l’industrie, il faut équilibrer les investissements dans le marché, le contenu et la qualité de négociateur des fournisseurs en vue d’améliorer la transparence, l’équité et la responsabilisation. Alliance of Canadian Cinema, Television, and Radio Artists : les fiducies de données pourraient établir des conditions pour l’indexation, la diversité et les normes de transparence en lien avec la production de contenu numérique.

Modèles d’influence dans la distribution de contenu

Les points de contrôle les plus puissants sur les marchés du contenu numérique sont les plateformes de distribution, ce qui est également vrai dans de nombreux écosystèmes de contenu analogique. Les plateformes de distribution — qu’il s’agisse de chaînes de télévision, de mises en page de journaux ou de flux d’informations algorithmiques — ont toujours mené leurs activités au point de jonction entre la production, la consommation et les revenus des contenus. Chaque plateforme de distribution de contenu remplit une fonction de contrôle, en choisissant le contenu à distribuer, à amplifier et à monétiser. Cette fonction de contrôle est intrinsèquement politique et historiquement soumise à un examen public, une réglementation et des critiques importants. Presque toutes les organisations de distribution de contenu s’efforcent de maintenir l’intégrité éditoriale qui définit leur image de marque, tout en se livrant concurrence pour attirer les annonceurs et en assurant un produit utile pour leurs consommateurs.

Les plateformes de production de contenu numérique ont initialement éludé une part importante de la responsabilité de contrôle des contenus en se concentrant sur la responsabilité des utilisateurs finaux, en automatisant la modération du contenu et en soumettant les litiges au service à la clientèle ou à l’arbitrage, qui sont tous des processus opaques. Cependant, cette approche se révèle graduellement moins efficace, alors que les plateformes de distribution de contenu numérique commencent à comprendre la complexité sociale et l’importance de leur travail. Les grandes plateformes verticalement intégrées de distribution de contenu numérique sont de plus en plus pointées du doigt pour leur rôle dans les grands scandales, qu’il s’agisse de contribuer à des génocides, de manipuler les élections démocratiques ou d’exacerber la propagation de pandémies. Par conséquent, il existe une occasion sans précédent de structurer la gouvernance participative dans les niveaux les plus critiques de la distribution de contenu numérique.

Il existe toute une série d’applications pour utiliser les fiducies de données comme moyen de mettre en place une gouvernance plus participative et plus inclusive dans des fonctions clés comme la supervision de la conception et de l’adaptation des algorithmes d’amplification du contenu, l’élaboration, la localisation et l’application des politiques en matière de discours politique, y compris pour le ciblage de la publicité; ainsi que la représentation des intérêts de plusieurs intervenants dans la formulation des licences de contenu et des restrictions concernant la redistribution. Aucune de ces fonctions n’est simple; elles posent toutes des défis stratégiques cruciaux. Les plateformes de distribution de contenu numérique ont exprimé leur volonté de relever ces défis, en particulier lorsque cela permet d’atténuer leur responsabilité sur le plan de la représentation ou sur le plan financier.

Tableau 2 : Utilisation des fiducies de données dans la distribution de contenu
Droit des intervenants Droit légal/responsabilité juridique Cas d’utilisation de fiducies de données Exemple
Amplification et modération du contenu

Liberté d’expression

Préjugé, pratique commerciale déloyale, application injustice, incitation

Les distributeurs de contenu pourraient utiliser les fiducies de données pour créer des réseaux de conception et de gouvernance limités afin de superviser, d’examiner publiquement et d’ajuster les systèmes d’amplification du contenu pour protéger les intérêts du public, ainsi que des groupes marginalisés. Un large éventail de journaux (en anglais seulement) locaux utilise des comités consultatifs de lecteurs pour évaluer les décisions journalistiques, suggérer des ajustements dans la couverture et fournir de la rétroaction sur les litiges avec les clients.
Profil des utilisateurs

Connaître son client

Violation, négligence

Afin de parvenir à une diversité de représentation, les fonctions et les paramètres d’établissement de profils des utilisateurs pourraient être examinés et supervisés de manière indépendante par une fiducie de données dont la gouvernance évoluerait. Le nouveau conseil de surveillance (en anglais seulement) de Facebook est organisé comme une fiducie de données dans le Delaware, dont la vaste mission est de protéger les intérêts des consommateurs et de définir les politiques de Facebook.
Courtage de données Contrat Les fiducies de données pourraient être utilisées pour assurer une surveillance indépendante de l’utilisation et du courtage des données des plateformes de contenu numérique, en gérant la conformité à l’échelle régionale et la protection des consommateurs. La Silicon Valley Regional Data Trust (en anglais seulement) supervise la gestion et l’utilisation d’une base de données d’informations sur les étudiants afin de garantir la qualité et le type d’utilisation des données tout en limitant l’exposition des étudiants.

Modèles d’influence dans la consommation de contenu

La raison principale pour laquelle les plateformes de distribution de contenu numérique sont souvent considérées comme le « sommet » de la chaîne alimentaire commerciale est leur capacité de centraliser l’attention et la demande. Ce faisant, elles ont toujours été en mesure d’isoler et de marginaliser le rôle des tactiques de défense des intérêts des consommateurs, comme les boycottages. Pour la plupart des plateformes de contenu numérique, la consommation est tellement diffuse à l’échelle mondiale qu’il peut être impossible d’organiser des actions de défense des droits unifiées, et même les efforts de coalitions à grande échelle ont eu du mal à gagner du terrain.

L’émergence de fissures politiques importantes et d’interventions réglementaires concernant des questions comme la désinformation a poussé les grandes plateformes à commencer à mettre à l’essai la gouvernance participative du contenu. Il existe un certain nombre de modèles concernant cette participation, allant de l’attribution de l’autorité de modération à des bénévoles — comme Wikipédia et Reddit, à l’externalisation des décisions politiques en les confiant à des groupes de normes professionnelles ou à des services de modération de contenu — comme l’International Fact Checking Network et Cognizant. Au fur et à mesure de leur évolution, ces modèles pourraient inclure une gouvernance contextualisée et adaptable – à la fois comme structures organisationnelles indépendantes et, éventuellement, comme options intégrées dans la manière dont les gens utilisent les plateformes de contenu numérique.

Les fiducies de données sont déjà utilisées pour certifier les caractéristiques des produits de contenu numérique – comme l’anonymisation ou le consentement valide. Les consommateurs de contenu numérique pourraient également les utiliser pour, par exemple, rendre compte de manière indépendante du niveau de diversité du contenu produit par une plateforme, de la façon dont les producteurs sont (ou ne sont pas) rémunérés pour le contenu, et/ou de l’importance de la controverse et de la participation des utilisateurs à la prise de décisions en matière de gouvernance.

Tableau 3 : Utilisation des fiducies de données dans la consommation de contenu
Droit des intervenants Droit légal/responsabilité juridique Cas d’utilisation de fiducies de données Exemple
Consommateur Protection des consommateurs et transparence de la chaîne d’approvisionnement Les consommateurs de contenu pourraient organiser des fiducies de données qui organisent des systèmes de production et de distribution de contenu éthiques, diversifiés et équitables, semblables à l’évaluation du contenu ou aux certifications de production agricole. Meedan (en anglais seulement) et Stanford’s Internet Observatory (en anglais seulement) compilent des bases de données axées sur la désinformation, l’objectif étant de faire participer le public à la détermination, l’annotation et la garantie de l’intégrité de l’information sur les plateformes de contenu numérique.
Personne concernée Vie privée et représentation Les fiducies de données peuvent être utilisées comme outils d’action collective (en anglais seulement) pour mettre en commun les droits civils et commerciaux, à la recherche d’une gamme de recours juridiques et créatifs visant à permettre aux bénéficiaires d’exercer leurs droits. La toute première référence (en anglais seulement) aux fiducies de données a proposé leur utilisation pour la protection collective de la vie privée et l’application des droits relatifs aux données.

Isoler le rôle des algorithmes

L’une des principales distinctions entre la gouvernance du contenu numérique et celle du contenu analogique réside dans le fait que les plateformes technologiques réduisent en général la dimension politique de leurs responsabilités éditoriales en une combinaison de responsabilité de l’utilisateur et d’algorithmes. Cette politique est parfaitement illustrée aux États-Unis par l’article 230 de la Communications Decency Act qui accorde aux plateformes une vaste protection pour le contenu mis en commun qu’elles contiennent. De plus, elle fait partie d’une série d’accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Cette position fait l’objet d’une contestation politique – la récente directive de l’Union européenne sur le droit d’auteur, par exemple, établit une responsabilité concernant les plateformes qui commercialisent du contenu protégé.

Les fiducies de données sont un outil utile pour établir des relations de mise en commun de données limitées et d’intérêt public entre les intervenants dans le cade des écosystèmes de contenu numérique. Comme c’est le cas pour tout secteur en pleine évolution, les acteurs établis et émergents commencent à investir dans la qualité à long terme — et donc dans la durabilité — de leur domaine. À mesure que les fonctions de transformation numérique et de gouvernance des écosystèmes de contenu évolueront, elles pourraient utiliser les fiducies de données comme un moyen de validation fiduciaire et indépendante de la conception des algorithmes d’amplification du contenu, de mises à l’essai et de garanties contre les défaillances courantes, voire comme un moyen d’offrir des mécanismes directs de reddition de comptes ou de règlement des différends concernant les décisions algorithmiques. En fin de compte, chacune de ces fonctions est essentielle, mais dépend d’une possibilité d’intervention en matière de gouvernance et/ou d’un effet de levier important qui peuvent tous deux être invisibles ou impossibles à isoler au sein d’écosystèmes de contenu complexes. Les relations de mise en commun de données entre le secteur public et le secteur privé axées sur la recherche, comme le projet Social Science Research One, sont des signes initiaux prometteurs, mais nous ne faisons que commencer à comprendre les répercussions de ces relations sur la gouvernance.

Conclusion et recommandations

La gouvernance du contenu numérique est l’une des questions les plus complexes et les plus urgentes de notre époque, et la manière dont nous organisons, regroupons et exerçons nos activités collectives continuera à jouer un rôle essentiel dans la définition de notre présent et de notre avenir. Heureusement, les défis de l’action collective et de la gouvernance ne sont pas nouveaux dans l’expérience humaine; il existe un large éventail d’outils, d’interventions, de sources d’influence et d’approches prometteuses qui intègrent nos lois, nos marchés et nos infrastructures politiques. Les fiducies de données sont l’un de ces outils. Elles offrent une première occasion de mettre à l’essai des structures de gouvernance collective capables de fournir des écosystèmes de contenu numérique et d’opérer des transformations numériques dans l’intérêt du public.

Cependant, afin d’atteindre ce potentiel, la présente analyse se concentre sur cinq domaines nécessitant des explorations en recherche et en élaboration de politiques :

Les fiducies de données constituent une approche prometteuse pour l’établissement d’une gouvernance équitable des plateformes de contenu numérique. Cependant, elles ne réaliseront pas cette promesse par leur simple existence. Afin d’établir un écosystème de contenu numérique diversifié, inclusif et transparent, il faudra un large éventail de systèmes de gouvernance, adaptés au contexte spécifique dans lequel ils fonctionnent. En investissant dans un environnement favorable qui énonce clairement les droits numériques, facilite l’attribution des droits aux responsables de la gestion et incite les marchés à privilégier la qualité et l’intégrité, les intervenants de l’intérêt public mettent en place l’infrastructure d’action collective et les incitatifs du marché pour un écosystème de contenu numérique diversifié, transparent et équitable.

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