Anne Kenney et Nancy McGovern sur les dix bonnes raisons pour envisager la préservation numérique

Voici Anne Kenney et Nancy McGovern de la bibliothèque de l'Université Cornell.

Dix bonnes raisons pour envisager la préservation numérique

(10:09 min, en anglais)

Transcription de Anne Kenney et Nancy McGovern sur les dix bonnes raisons pour envisager la préservation numérique

Dix bonnes raisons pour envisager la préservation numérique

Intervieweuse : Si l'information que nous avons est exacte, vous avez établi une méthode de préservation numérique en dix étapes. Nous aimerions donc passer en revue ces étapes avec vous et voir si vous pourriez apporter des précisions.

Anne Kenney : Eh bien, alors que nous développions le programme de préservation numérique, nous avons d’abord pensé à dix raisons pour lesquelles on ne procéderait pas à la préservation numérique. Puis nous avons regardé l'envers de la médaille, soit les dix raisons pour lesquelles on devrait procéder à la préservation numérique. Je crois qu'elles s'appliquent toutes aux établissements qui veillent au patrimoine culturel, comme les bibliothèques, les archives et les musées. Nous allons donc examiner chacune de ces raisons et fournir quelques explications du point de vue des musées, des bibliothèques et des archives.

1. Le matériel lié au patrimoine culturel qui est créé aujourd'hui l'est de plus en plus en mode numérique exclusivement.

Anne Kenney : La première raison pour laquelle vous devriez envisager la préservation numérique est que le matériel lié au patrimoine culturel qui est créé aujourd'hui l'est de plus en plus en mode numérique exclusivement. En effet, une étude effectuée il y a plusieurs années au sujet du nouveau contenu créé a révélé que plus de 90 p. 100 de tout le contenu est numérisé. Il s'agit d'une donnée importante pour les musées en particulier, étant donné que nous commençons à penser à de nouvelles formes d'expression. L'art numérique est un art de plus en plus populaire et il n'y a pas d'équivalent analogique, de sorte que même si actuellement, quelques musées traitent l'information numérique, tous les musées s'y verront bientôt contraints.

2. Il est nécessaire de protéger les avoirs et les investissements des institutions.

Anne Kenney : Une deuxième raison pour laquelle nous parlons de préservation numérique est qu'elle est nécessaire pour protéger les actifs et investissements institutionnels. La numérisation est utilisée depuis plus d'une décennie maintenant; elle est passée du texte, au matériel photographique et aujourd'hui, à des objets tridimensionnels et du matériel audio-visuel comme les films et les enregistrements sonores.

La numérisation a donné lieu à des substituts numériques pour des objets de musée ou des formes d'expression et même si nous les avons considérés comme des substituts des originaux, ils deviennent des biens en soi et à mesure qu'un plus grand nombre de personnes les utilisent et y ont accès, ils sont devenus d'une importance aussi capitale dans la compréhension de la mission des musées que les sources originales l'étaient. C'est une excellente façon de faire passer le message à l'extérieur des murs des musées eux-mêmes.

3. Des actions peuvent être prises… même si nous ne possédons pas toutes les réponses!

Nancy McGovern : Une troisième raison est qu'il est possible de prendre des actions… même si nous ne possédons pas toutes les réponses à nos défis! Pendant longtemps, les organisations ont concentré leurs efforts sur l'aspect technologique et ont été mal préparées à la préservation numérique. Or, actuellement, les organisations doivent se concentrer sur leurs acquis et développer des politiques et des procédures. Par ailleurs, les institutions ne doivent pas commencer par la technologie, elles doivent plutôt l'intégrer à ce qui est déjà en place.

4. Les institutions patrimoniales sont les seules à composer avec un mandat de conservation.

Anne Kenney : Une quatrième raison est que les institutions patrimoniales sont les seules à avoir un mandat de conservation qui est basé sur la valeur du contenu pour les chercheurs et pour la société. Les aspects économiques ou juridiques associés à sa mise à jour ne sont pas considérés. En fait, si les institutions qui gèrent le patrimoine culturel actuellement ne s'occupent pas de numériser le matériel important, nous allons devoir inventer de nouvelles institutions pour faire le travail de préservation numérique parce que c'est une mission très précise dont l'importance pour les sociétés va au-delà des considérations économiques.

5. Il n'y a aucune preuve que d'autres organisations feront de la préservation numérique.

Nancy McGovern : Cinquièmement il n'y a aucune preuve que d'autres organisations, en plus des institutions qui gèrent le patrimoine culturel, feront de la préservation numérique. Actuellement, nous constatons que lorsque le contenu numérique est nouveau, il y a beaucoup de monde prêt à s'en occuper, mais dans le cas des donateurs pour les musées (qui bien souvent ont le même âge que ce qu'ils donnent, une situation que l'on retrouve dans tous les environnements), il devient important de s'impliquer dès le début dans le cycle de vie du contenu numérique afin de s'assurer que des gens s'y intéressent et s'en occupent non seulement au début mais durant tout le cycle de vie.

6. La nécessité de garantir un accès permanent à l'information.

Anne Kenney : Une sixième raison est qu'il est nécessaire de garantir l'accès permanent à l'information et je pense que la préservation numérique en est la clé. La préservation numérique s'inscrit dans un tout; c'est un principe facile à endosser en général, mais lorsqu'il est question d'engager des ressources, il devient très difficile de le justifier lorsqu'on doit arrêter de faire certaines autres choses. Donc, si vous argumentez que la préservation numérique est la contrepartie de l'accès permanent à l'information, vous augmentez les chances qu'on envisage de consacrer des ressources à long terme parce que la préservation numérique serait considérée comme faisant partie des responsabilités générales de l'organisation.

7. La préservation numérique peut être commandée par toutes sortes d'exigences juridiques et financières.

Nancy McGovern : Une septième raison concerne les exigences juridiques et financières associées à la préservation numérique. En effet, il est possible que dans les musées, la numérisation n'ait pas été une nécessité, mais de plus en plus, à mesure qu'il est nécessaire de tenir des archives institutionnelles ou que les donateurs transfèrent des droits qu'il faut gérer à long terme, c'est dans ce genre de secteur qu'il faut examiner les exigences. La préservation numérique peut être commandée par toutes sortes d'exigences juridiques et financières.

8. Mieux vaut prévenir que guérir!

Nancy McGovern : Huitièmement, il est plus rentable de prévenir les désastres associés à la préservation numérique que de les réparer. Nous avons vu des choses, des exemples comme le livre Domesday Book (anglais seulement) au Royaume Uni où non seulement il a été numérisé non pas une fois mais plusieurs fois. Ensuite il en coûte très cher d'avoir à faire de l'archéologie du numérique pour tenter de trouver des gens qui pourraient encore connaître la technologie utilisée pour créer le contenu numérique. Il est donc plus rentable de numériser le contenu au début de son cycle de vie que d'avoir à effectuer des missions de sauvegarde.

9. Notre engagement avec les utilisateurs et les donateurs est basé sur notre capacité de conserver les informations et les collections.

Anne Kenney : La neuvième raison, et je pense qu'elle est fondamentale pour nous, est que notre engagement avec les usagers et les donateurs est basé sur notre capacité de conserver les informations et les collections. Il s'agit dans le monde analogique d'une responsabilité traditionnelle qui deviendra de plus en plus importante dans l'univers du numérique. Si nous ne réussissons pas à convaincre les utilisateurs et les donateurs que nous pouvons conserver le matériel sur des horizons plus longs que deux, trois ou quatre ans, quel est l'incitatif pour eux de, un, donner du matériel à des institutions culturelles et deux, pour les usagers de revenir et de compter sur ces ressources pour leurs propres recherches, leur satisfaction culturelle et leur bien-être général.

10. La préservation numérique ne devrait pas être dictée uniquement par la technologie.

Nancy McGovern : Finalement, la dernière raison est que la préservation numérique ne devrait pas être dictée uniquement par la technologie. Nous avons vu que les fournisseurs ne sont pas intéressés à se préoccuper de la rétro-compatibilité des versions, et nous ne pouvons pas compter sur le fait que la technologie à elle seule peut s'occuper de l'avenir du contenu numérique. Au cours de l'atelier (anglais seulement), nous avons examiné ces différents points, le contexte organisationnel et technologique de même que les ressources. Ainsi, lorsqu'ils sont combinés, ces trois éléments (le quoi, le comment et ensuite le combien) deviennent beaucoup plus efficaces. Les gens ont tendance à croire que la technologie peut s'occuper elle-même du contenu numérique.

Intervieweuse : Très bien, merci. Par curiosité, et ça ne fait pas partie des questions prévues, je crois – du moins, c'est ce que j'ai constaté dans le cadre de mon travail au sein du RCIP – qu'il s'agit, ou plutôt qu'il s'agissait, d'une tâche intimidante pour la communauté du patrimoine en particulier ainsi que pour la communauté des musées. Aussi, avez-vous constaté dans le cadre de vos conversations, de votre participation à des congrès et de vos travaux de recherche que la tâche devenait moins ardue ou bien qu'elle demeurait imposante?

Anne Kenney : Anne Kenney : Il s'agit certainement d'une entreprise des plus intimidantes, mais le thème général de notre atelier est de considérer des solutions à court terme pour des problèmes à long terme. Il n'y a pas de remède miracle. Ce qu'il faut faire, c'est diviser le problème en composantes raisonnables et selon un calendrier plus serré, et trouver une méthode de gestion sur 3 ans plutôt que de tenter de déterminer où nous en serons dans 50 ans, car nous n'avons aucune idée de ce que sera l'environnement à ce moment-là.

Intervieweuse : Je vois. J'espère que cela réduira l'anxiété éprouvée.

Nancy McGovern : Nous avons créé l'atelier parce que nous avons constaté que les organisations n'implantaient pas vraiment de programme de préservation numérique. Au cours des… depuis 2003 en fait, nous avons rencontré 240 intervenants – des gestionnaires – provenant de quelque 170 organisations, et nous constatons maintenant l'impact de ces gens. En effet, les gestionnaires commencent à prendre de l'assurance dans ce type de décision. De plus, les experts en technologie nous assurent que cela est faisable. Il faut toutefois se demander si on peut se le permettre d'un point de vue financier. Est-ce que cette façon de faire correspond à vos besoins? Il faut prendre les décisions et les mesures nécessaires pour pouvoir y parvenir, et non pas se demander si on possède la technologie pour le faire.

Anne Kenney : Les établissements qui veillent au patrimoine culturel sont tout désignés pour s'occuper de la préservation numérique parce qu'il faut miser sur l'engagement d'une organisation ou d'une institution, et non penser en fonction d'une personne.


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