Page 9 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le trichloroéthylène
8.0 Effets sur la santé
8.1 Effets chez l'être humain
Les effets sur le système nerveux central sont les principaux effets qu'on a notés à la suite d'une exposition aiguë au TCE par inhalation chez les êtres humains : les symptômes comprennent la somnolence, la fatigue, les maux de tête, la confusion et des sensations d'euphorie (ATSDR, 1997). Une exposition simultanée au TCE et à l'éthanol provoque une inhibition marquée du métabolisme du TCE, ce qui entraîne une accumulation de TCE dans le sang et aggrave la dépression du système nerveux central (Muller et coll., 1975). On a aussi noté des effets sur le foie, les reins, l'appareil gastro-intestinal et la peau (ATSDR, 1997). Les solutions concentrées de TCE, très utilisé comme anesthésique inhalé chez les êtres humains, se sont révélées très irritantes pour le tractus gastro-intestinal et ont provoqué des nausées et des vomissements (DeFalque, 1961).
On a étudié les informations tirées d'expositions à moyen et à long terme aux TCE par les voies respiratoire et cutanée (ATSDR, 1997). Ces études ont indiqué que le système nerveux central était l'organe le plus sensible à la toxicité, suivi du foie et des reins, deuxièmes par leur sensibilité à la toxicité chronique causée par l'exposition au TCE. Des rapports d'études de cas portant sur des expositions professionnelles à moyen et à long termes mentionnent des effets comme des étourdissements, des maux de tête, de la somnolence, des nausées, de la confusion, une vision floue, un engourdissement du visage et de la faiblesse. Les effets hépatiques notés comprennent l'hépatomégalie et une élévation des concentrations sériques des enzymes hépatiques. Les effets sur les reins comprennent une élévation de la N-acétyle-β-D-lucosaminidase. On a aussi observé des effets sur l'appareil cardiovasculaire, l'immunité, la reproduction, ainsi que des effets cancérogènes (ATSDR, 1997).
La démonstration de la toxicité génétique du TCE chez les êtres humains est en grande partie non concluante. Quatre études portant sur l'échange de chromatides soeurs (ECS) dans les cultures de lymphocytes périphériques provenant de travailleurs exposés ont révélé des effets nuls ou mineurs sur les fréquence d'ECS (Gu et coll., 1981a,b; Nagaya et coll., 1989; Brandom et coll., 1990; Seiji et coll., 1990). Bien que les études réalisées par Gu et coll. (1981a,b) suggèrent que le TCE ou un métabolite aurait pu causer des aberrations chromosomiques ou des ECS chez les êtres humains soumis à une exposition chronique, on ne peut exclure l'exposition à d'autres composés, y compris des contaminants du TCE. Konietzko et coll. (1978) ont constaté une incidence plus élevée de cellules hypodiploïdes et des ruptures de chromosomes plus fréquentes chez les travailleurs exposés que chez un groupe de témoins non jumelés. Les auteurs n'ont pas considéré que cette augmentation était biologiquement significative et n'ont produit aucune évaluation statistique des données. Rasmussen et coll. (1988) ont constaté une augmentation très importante de la fréquence des aberrations structurelles et des cellules hyperdiploïdes dans des lymphocytes de cultures provenant d'agents de dégraissage au TCE. Toutefois, et malgré le fait que le groupe témoin de cette étude était constitué de médecins et n'équivalait donc pas au groupe exposé, l'étude n'a pas tenu compte des habitudes de vie différentes des deux groupes et des facteurs de confusion comme le tabagisme, ni d'une exposition simultanée possible à de nombreuses autres substances, dont éventuellement des hydrocarbures aromatiques polycycliques génotoxiques.
La plupart des études épidémiologiques n'ont trouvé aucun lien entre les effets indésirables sur la reproduction des êtres humains et l'exposition au TCE dans l'eau potable contaminée (PISC, 1985; ATSDR, 1997). Bien qu'une étude épidémiologique portant sur 2 000 travailleurs et travailleuses exposés au TCE par inhalation n'a révélé aucune augmentation des malformations chez les bébés nés après l'exposition (PISC, 1985), on a trouvé un lien entre les cas de cardiopathies congénitales chez les enfants et un approvisionnement en eau potable contaminé par le TCE et d'autres produits chimiques semblables (PISC, 1985). Des facteurs de confusion comme, notamment, l'exposition possible à beaucoup d'autres contaminants ou composés qui produisent des métabolites semblables, l'absence de caractérisation des doses d'exposition et des populations exposées, et la non-caractérisation de la nature de la « cardiopathie congénitale » qui peut ne pas équivaloir nécessairement à une anomalie cardiaque, ont eu un effet sur ces études antérieures. L'utilisation de ces dernières dans l'établissement d'un lien de cause à effet entre le TCE et les anomalies cardiaques congénitales demeure donc très limitée. Des études épidémiologiques plus récentes portant sur des femmes exposées à des solvants de dégraissage, y compris le TCE, ont signalé des risques élevés d'anomalies cardiaques chez leur progéniture (Goldberg et coll., 1990; Ferencz et coll., 1997; Wilson et coll., 1998). On a observé un surnombre important et statistiquement significatif de certaines malformations cardiaques : malformations obstructives du côté gauche (rapport de cotes [RC] = 6,0, intervalle de confiance [IC] à 95 % = 1,7-21,3) et hypoplasie du coeur gauche (RC = 3,4, IC à 95 % = 1,6-6,9) et risque attribuableNote de bas de page 2 de 4,6 % (Wilson et coll., 1998). On a aussi noté des défauts du tube neural à la suite d'une exposition professionnelle ou par l'eau potable à des solvants, y compris le TCE (Holmberg et Nurminen, 1980; Holmberg et coll., 1982; Bove et coll., 1995). Dans l'ensemble, ces études épidémiologiques manquent de clarté en fonction de la coexposition de fond. Dans une étude de Wilson et coll. (1998), par exemple, les chercheurs ont interrogé les sujets sur leur exposition « à des solvants ou composés de dégraissage », mais pas spécifiquement au TCE. On reconnaît toutefois généralement que des sujets travaillant dans des bases des forces aériennes sont exposés aux carburants d'aviation, ainsi qu'à d'autres solvants tous les jours (Stewart et coll., 1991), mais qu'il est peu probable que ces personnes connaissent les composés exacts contenus dans les agents de dégraissage ou les solvants. Ce qui indique que, compte tenu des études actuellement disponibles sur les êtres humains, on ne peut incriminer spécifiquement le TCE. On peut toutefois utiliser ces études comme données probantes d'appui qui complètent les effets sur le développement et la reproduction signalés à la suite d'études sur des animaux. Dans une étude au cours de laquelle on a évalué les paramètres du sperme chez des travailleurs exposés au TCE (Chia et coll., 1996), on a constaté une différence importante au niveau de la densité des spermatozoïdes entre des sujets peu exposés et des sujets très exposés. Au cours d'une étude récente portant sur un nombre limité de sujets, on a repéré la présence de TCE et de ses métabolites dans le sperme de travailleurs exposés au TCE (Forkert et coll., 2003), ce qui indique que le TCE peut jouer un rôle dans les effets observés sur les paramètres du sperme.
On a étudié la cancérogénicité du TCE au cours de plusieurs études épidémiologiques réalisées sur des populations exposées. Ces études n'ont pas permis d'observer de façon constante un lien entre un type spécifique de cancer et l'exposition au TCE. On a comparé, au cours de plusieurs études, l'apparition de cancers chez des populations exposées à de l'eau potable contaminée par diverses concentrations de TCE, mais l'interprétation des résultats de ces études est compliquée par des problèmes de méthodologie.
Le CIRC a étudié à fond les données probantes portant sur les cancers provoqués par le TCE chez les êtres humains (1995). Trois études de cohortes ont été considérées comme pertinentes pour l'évaluation du TCE. Deux d'entre elles, réalisées en Suède et en Finlande (Axelson et coll., 1994; Anttila et coll., 1995), portaient sur des sujets qu'on a suivis à la suite d'une exposition au TCE en mesurant la concentration de TCA dans leur urine. La troisième étude, réalisée aux États-Unis (Spirtas et coll., 1991), portait sur des travailleurs exposés au TCE pendant l'entretien d'avions militaires et de missiles. Certains d'entre eux ont aussi été exposés à d'autres solvants. Aucune des études de cohortes disponibles n'a permis d'évaluer des facteurs de confusion possibles, comme le tabagisme (CIRC, 1995). Fait encore plus important, un risque élevé de cancer du foie et du tractus biliaire a été observé, en plus d'un risque moyennement élevé de lymphome non hodgkinien dans les études de cohortes. Il a été fait mention d'un risque légèrement accru de lymphome non hodgkinien dans les régions où l'eau souterraine est contaminée par le TCE (CIRC, 1995). Le nombre de cas de cancer du rein n'était pas élevé dans les études de cohortes, bien qu'une étude portant sur des travailleurs allemands exposés au TCE ait mis en évidence cinq cas de cancer du rein, comparativement à aucun dans un groupe témoin de comparaison (CIRC, 1995).
Après une méta-analyse des quatre études professionnelles (Garabrant et coll., 1988; Spirtas et coll., 1991; Axelson et coll., 1994; Anttila et coll., 1995), on a calculé les ratios standardisés de mortalité (RSM) suivants : cancer du foie, 1,32; cancer de la prostate, 1,09; cancer du rein, 1,09; cancer de la vessie, 1,15; lymphome non hodgkinien, 1,25. Le nombre restreint de cas (sauf dans le cas du cancer de la prostate), malgré le regroupement du nombre de cas des quatre études, limite toutefois l'interprétation des résultats. À cela s'ajoutent d'autres limitations, telles qu'une définition étroite des groupes exposés, le manque de données sur les facteurs de confusion possibles comme le tabagisme, l'alimentation et l'exposition à d'autres solvants, ainsi que l'absence de mesure directe de l'exposition personnelle.
Les auteurs d'une étude rétrospective de cohortes réalisée sur 169 travailleurs d'une usine de carton en Allemagne exposés au TCE pendant au moins un an entre 1956 et 1975 affirment qu'il y a un lien de cause à effet entre le cancer et l'exposition au TCE (Henschler et coll., 1995a,b). À la fin de l'étude en 1992, 50 membres du groupe étaient morts, dont 16 d'une tumeur maligne. Dans deux cas sur 16, la mort était attribuable à un cancer du rein (RSM= 3,28, par rapport à la population locale). On a diagnostiqué un cancer du rein chez cinq travailleurs : quatre avaient un hypernéphrome et le cinquième, un cancer urothélial du bassinet du rein (ratio standardisé d'incidence [RSI] = 7,77, IC à 95 % = 2,50-18,59). Une fois la période d'observation terminée, on a diagnostiqué deux tumeurs supplémentaires du rein (une tumeur rénale et une tumeur urothéliale) chez les membres du groupe d'étude. À la fin de l'étude, 52 membres du groupe témoin, qui était constitué de 190 travailleurs non exposés provenant de la même usine, étaient morts −16 de tumeurs malignes, mais aucun du cancer du rein. On n'a diagnostiqué aucun cas de cancer du rein chez les membres du groupe témoin. Pour les sept cas de cancer du rein, la durée moyenne de l'exposition s'établissait à 15,2 ans (plage de 3 à 19,4 ans).
La famille multigénique de la GST encode des enzymes multifonctionnelles qui catalysent plusieurs réactions entre la GST et des composés électrophiles et hydrophobes (Raunio et coll., 1995). On sait qu'il y a un lien reconnu entre certains gènes défectueux de la GST et un risque accru de différents types de cancer. Une étude cas-témoin récente (Bruning et coll., 1997b) a porté sur le rôle des polymorphismes de la GST sur l'incidence de l'hypernéphrome dans deux groupes professionnels exposés à de fortes concentrations de TCE. Les données indiquent un risque plus élevé d'apparition d'hypernéphromes si les personnes exposées au TCE sont porteuses du gène GSTTI ou GSTM1. Les auteurs ont conclu que ce polymorphisme génétique pouvait être un signe de prédisposition à l'hypernéphrome causé par le TCE. Ces résultats vont dans le sens de l'opinion selon laquelle le mode d'action du cancer du rein provoqué par le TCE fait intervenir des métabolites dérivés de la voie tributaire du GSH, du moins chez les êtres humains. L'étude réalisée par Henschler et coll. (1995a), qui réaffirme la pertinence des incidences accrues de tumeurs du rein dans une cohorte de travailleurs du carton exposés au TCE, appuie ces résultats.
McLaughlin et Blot (1997) ont procédé à une analyse critique des études épidémiologiques du TCE et du perchloroéthylène (PCE) qui traitent du risque de cancer du rein. Selon eux, il y a peu d'indications d'un risque accru de cancer du rein attribuable à une exposition au TCE ou au PCE. Les rares études où il est question d'élévation du risque comportent d'importantes lacunes méthodologiques. Même s'il est à peu près impossible d'exclure de façon concluante, en se fondant sur des données épidémiologiques, une faible augmentation du risque de cancer du rein, il est clair que la totalité des données épidémiologiques n'appuient pas l'existence d'un lien de cause à effet avec le TCE ou le PCE (McLaughlin et Blot, 1997). Bien que McLaughlin et Blot (1997) aient critiqué l'étude de Henschler et coll. (1995a), il est impossible de ne pas prendre en compte les constatations de ces derniers (Henschle et coll., 1995ba), compte tenu particulièrement de la réponse des auteurs à la critique publiée (Henschler et coll., 1995b).
Wartenberg et coll. (2000) ont étudié plus de 80 communications et lettres publiées sur l'épidémiologie du cancer chez les personnes exposées au TCE. Ils y ont relevé des preuves d'une incidence excédentaire de cancer chez les cohortes professionnelles où l'exposition est évaluée plus rigoureusement, dans le cas du cancer du rein (risque relatif [RR] = 1,7, IC à 95 % = 1,1-2,7), du cancer du foie (RR = 1,9, IC à 95 % = 1,0-3,4) et du lymphome non hodgkinien (RR = 1,5, IC à 95 % = 0,9-2,3), ainsi que dans le cas du cancer du col de l'utérus, de la maladie de Hodgkin et du myélome multiple. Comme il y a toutefois peu d'études qui isolent l'exposition au TCE, l'exposition à d'autres solvants et facteurs de risque constitue probablement un facteur de confusion au niveau des résultats. On a réaffirmé plus récemment l'existence d'un lien positif entre le cancer du rein et une exposition professionnelle prolongée à de fortes concentrations de TCE (Bruning et coll., 2003) dans une étude cas-témoin réalisée en Allemagne qui a porté sur 134 patients atteints de cancer du rein et 410 témoins, groupe constitué de travailleurs de secteurs d'activité entraînant et n'entraînant pas une exposition au TCE. Lorsqu'on a corrigé les résultats en fonction de l'âge, du sexe et du tabagisme, on a calculé un risque excédentaire significatif dans le cas des emplois occupés depuis le plus longtemps dans les industries entraînant une exposition au TCE (RC = 1,80, IC à 95 % = 1,01-13,32). On a constaté que toute exposition à des agents dégraissants constituait un facteur de risque de cancer du rein (RC = 5,57, IC à 95 % = 2,33-13,32), tandis qu'on a établi un lien entre les symptômes narcotiques autodéclarés, signe d'expositions de pointe, et un risque excédentaire de cancer du rein (RC = 3,71, IC à 95 % = 1,80-7,54). Les niveaux d'exposition professionnelle mesurés au cours de l'étude étaient toutefois très élevés et il est peu probable que l'exposition environnementale les atteigne. L'exposition prolongée à des concentrations élevées a probablement un effet sur le métabolisme du TCE et la production nette de métabolites actifs, cause sous-jacente de l'apparition de cancer du rein chez les travailleurs de l'industrie exposés dans le contexte de leurs activités professionnelles.
L'information moléculaire sur le gène suppresseur de la tumeur de von Hippel Landau (VHL) constitue une nouvelle caractéristique récente de la base de données sur le cancer dans le cas du TCE. On a établi un lien entre des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL et le risque accru d'hypernéphrome. Des études récentes démontrent qu'il est possible d'établir un lien entre l'exposition au TCE et les mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL chez les patients atteints d'hypernéphrome (Bruning et coll., 1997a; Brauch et coll., 1999). Bruning et coll. (1997a) ont étudié la mutation du gène suppresseur de la tumeur de VHL par polymorphisme de conformation de l'ADN à simple brin (PCAS) chez 23 patients atteints d'hypernéphrome dont l'exposition professionnelle à de fortes concentrations de TCE était documentée. On a constaté des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL chez tous les patients (100 %) atteints d'hypernéphrome à la suite d'une exposition au TCE, ce qui représente un taux plus élevé que la fréquence naturelle (33-55 %) chez les patients non exposés atteints d'hypernéphrome. Au cours d'une étude de suivi pendant laquelle ils ont déterminé des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL par PCAS et séquençage direct des mutations dans les tissus rénaux de 44 patients atteints d'hypernéphrome à la suite d'une exposition au TCE, Brauch et coll. (1999) ont constaté des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL chez 75 % des patients exposés au TCE et noté que 39 % présentaient une mutation de C à T au niveau du nucléotide 454. Les transitions de C à T chez les patients témoins atteints d'hypernéphrome étaient relativement rares (6 % de l'incidence totale). Au cours de l'étude de Brauch et coll. (1999), on a détecté des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL chez les patients exposés à des concentrations moyennes et élevées de TCE, mais non à de faibles concentrations, même si trois patients seulement avaient été classés comme ayant été faiblement exposés. Ces données indiquent un lien très significatif (p = 0,0006) entre l'exposition au TCE et la multiplicité des mutations du gène suppresseur de la tumeur de VHL.
Dans l'ensemble, et bien que plusieurs études aient indiqué l'existence d'un lien positif entre une exposition aux solvants et le cancer chez les êtres humains, une étude plus poussée s'impose afin de mieux spécifier les agents précis à l'origine de ce risque et d'évaluer l'ordre de grandeur du risque en question (Wartenberg et coll., 2000).
8.2 Effets chez les animaux de laboratoire et in vitro
On a analysé de nombreuses études portant sur un vaste éventail de paramètres ultimes fondés sur des expositions répétées par voie orale au TCE (NTP, 1985, 1986, 1990; Barton et coll., 1996; Kaneko et coll., 1997). Comme le TCE est très peu soluble dans l'eau, les études qui ont utilisé l'eau comme milieu sont peu nombreuses (Tucker et coll., 1982); certaines études sur l'exposition par l'eau potable ou par gavage d'eau ont toutefois utilisé des agents émulsifiants. De nombreuses études présentent donc des facteurs de confusion attribuables à l'utilisation de l'huile de maïs comme milieu, qui modifie les caractéristiques pharmacocinétiques du TCE et a un effet sur le métabolisme des lipides et d'autres phénomènes pharmacodynamiques. La neurotoxicité, l'hépatotoxicité, la néphrotoxicité et la toxicité pulmonaire chez les animaux adultes sont au nombre des effets systémiques les mieux documentés. Les effets sur la reproduction et sur le développement ont également été étudiés de façon approfondie.
8.2.1 Toxicité aiguë
On a signalé des effets neurologiques, pulmonaires, rénaux et cardiaques chez des animaux soumis à une exposition aiguë au TCE (ATSDR, 1993, 1997). Les tests comportant une exposition aiguë des rats et des souris ont démontré que le TCE avait une faible toxicité à la suite d'une exposition par inhalation et une toxicité moyenne à la suite d'une exposition par voie orale (RTECS, 1993; ATSDR, 1997). On a calculé que dans le cas du TCE, les valeurs DL50 à la suite d'une exposition aiguë par voie orale d'une durée de 14 jours s'établissaient à 2 400 mg/kg p.c. chez les souris (Tucker et coll., 1982) et à 4 920 mg/kg p.c. chez les rats (Smyth et coll., 1969; PISC, 1985; ATSDR, 1993, 1997). On a calculé que la CL50 à la suite d'une inhalation d'une durée de quatre heures s'établissait à 12 500 ppm chez les rats (Siegel et coll., 1971) et à 8 450 ppm chez les souris (Fan, 1988). Une révision d'études portant sur l'exposition de lapins au TCE par voie cutanée indique que l'irritation cutanée fait son apparition après 24 heures à 0,5 ml et que des changements dégénératifs de la peau font leur apparition dans les 15 minutes à 1 ml chez les cobayes (Fan, 1988). L'instillation de 0,1 mL dans des yeux de lapin a provoqué une conjonctivite et une kératite, mais les sujets se sont rétablis entièrement dans les deux semaines.
8.2.2 Exposition de courte durée
Au cours d'une étude d'une durée de 13 semaines portant sur l'exposition par voie orale, on a administré à des rats Fischer 344/N et à des souris B6C3F1 (10 par sexe par dose) du TCE dans de l'huile de maïs par gavage, à des doses pouvant atteindre 1 000 mg/kg p.c. par jour chez les rats femelles et 2 000 mg/kg p.c. par jour chez les rats mâles, ou 6 000 mg/kg p.c. par jour chez les souris des deux sexes, pendant cinq jours par semaine (NTP, 1990). Le poids corporel a diminué chez les rats mâles à une dose de 2 000 mg/kg p.c. par jour. On a signalé une vasculite pulmonaire atteignant les petites veines chez les rats femelles à une dose de 1 000 mg/kg p.c. par jour. On a constaté une cytomégalie et une caryomégalie bénignes à moyennes des cellules épithéliales des tubules rénaux chez les rats exposés à une dose de 1 000 mg/kg p.c. par jour (femelles) ou de 2 000 mg/kg p.c. par jour (mâles). La dose sans effet nocif observé (NOAEL, de l'anglais « no observed adverse effect level ») chez les rats a été établie à 1 000 mg/kg p.c. par jour (mâles) et 500 mg/kg p.c. par jour (femelles). Chez les souris, on a constaté des diminutions de la survie chez les deux sexes et un gain de poids corporel chez les mâles à des doses de 750 mg/kg p.c. et plus par jour. On a établi un lien entre des doses de 3 000 mg/kg p.c. et plus par jour d'une part, et une nécrose centrilobulaire, une calcification multifocale du foie, ainsi qu'une cytomégalie et une caryomégalie bénignes à moyennes des cellules épithéliales des tubules rénaux d'autre part chez les deux sexes. On a calculé une NOAEL de 375 mg/kg p.c. par jour chez les souris.
On a évalué l'exposition au TCE par l'eau potable au cours d'études subchroniques (Sanders et coll., 1982; Tucker et coll., 1982). On a administré à des souris albinos exogames CD-1 et ICR (140 par sexe par dose) du TCE dans une solution à 1 % d'Emulphor dans de l'eau potable à des doses de 0, 0,1, 1,0, 2,5 ou 5,0 mg/L (équivalant à 0, 18,4, 216,7, 393 ou 660 mg/kg p.c. par jour) pendant quatre à six mois. Les femelles exposées à des doses de 5,0 mg/L et les mâles exposés à des doses de 2,5 mg/L et plus ont consommé moins d'eau que les témoins. On a constaté une baisse du gain de poids corporel chez les deux sexes et une augmentation (p < 0,05) du poids des reins chez les mâles à une dose de 5,0 mg/L. À une dose de 5,0 mg/L, on a en outre constaté une élévation des concentrations de protéines et de cétones urinaires chez les deux sexes, des baisses des numérations leucocytaires et érythrocytaire chez les mâles, une altération des temps de coagulation chez les deux sexes et une diminution des temps de Quick chez les femelles. À des doses de 2,5 mg/L, on a constaté une hépatomégalie et une élévation des concentrations de protéines et de cétones urinaires chez les mâles. On a constaté une inhibition de l'immunité humorale, de l'immunité à médiation cellulaire et de la colonisation de cellules souches de la moelle osseuse chez les femelles exposées à des doses de 2,5 mg/L et plus. On a fixé la plus faible dose avec effet nocif observé (LOAEL, de l'anglais « lowest observed adverse effect level ») à 2,5 mg/L en se fondant sur une baisse de la consommation d'eau, l'hépatomégalie, les élévations des concentrations de protéines et de cétones urinaires chez les mâles (indication d'effets rénaux) et les changements des paramètres immunitaires chez les femelles. À la suite de ces études, on a fixé la NOAEL à 1,0 mg/L (ce qui équivaut à 216,7 mg/kg p.c. par jour). Dans plusieurs études antérieures sur l'exposition par voie orale réalisées chez des animaux, les chercheurs n'avaient pas documenté les preuves de néphrotoxicité chez des souris ou des rats exposés au TCE (Stott et coll., 1982).
Plusieurs études ont évalué la toxicité du TCE pour les rongeurs à la suite d'une exposition de courte durée par inhalation. Au cours d'une étude d'une durée de 14 semaines portant sur l'exposition par inhalation, on a exposé des rats à 0, 49, 175 ou 330 ppmv de TCE pendant quatre heures par jour, cinq jours par semaine, pendant 14 semaines. On a exposé des sujets d'un autre groupe à 55 ppmv de TCE pendant huit heures par jour, cinq jours par semaine, pendant 14 semaines. Le poids absolu et relatif du foie des animaux exposés a augmenté de façon significative (p < 0,01) comparativement aux témoins, même si les résultats des tests des fonctions hépatique et rénale des animaux exposés sont demeurés dans les limites normales (Kimmerle et Eben, 1973). Une étude au cours de laquelle des souris, des rats et des gerbilles (de souches non précisées) ont été exposés sans interruption par inhalation à une concentration de 150 ppmv de TCE pendant 30 jours a produit une augmentation significative (p < 0,05) du poids du foie des sujets des trois espèces (Kjellstrand et coll., 1981). On a aussi signalé des effets rénaux attribuables à une exposition au TCE par inhalation (Kjellstrand et coll., 1981, 1983a,b). On a constaté une augmentation du poids des reins (p < 0,05) de gerbilles mâles et femelles exposées sans interruption pendant 30 jours à des niveaux de 150 ppmv de TCE. Chez des souris NMRI exposées sans interruption à 37, 75, 150 ou 300 ppmv de TCE pendant 30 jours, le poids des reins a augmenté de façon significative (p < 0,05) à une concentration de 75 ppmv chez les mâles et de plus de 150 ppmv chez les femelles. Il n'y a pas eu d'effets rénaux évidents chez les autres souches de souris (Kjellstrand et coll., l983a).
8.2.3 Exposition de longue durée et cancérogénicité
On a établi un lien entre l'administration, à des rats et des souris, de fortes doses de TCE par gavage pendant des périodes prolongées et une néphropathie et des changements dégénératifs caractéristiques de l'épithélium des tubules rénaux (NCI, 1976), mais on a signalé une néphrose toxique, caractérisée par la cytomégalie de l'épithélium des tubules rénaux, au cours d'études de dosage du cancer réalisées chez des souris et des rats (NTP, 1983, 1988, 1990). On a étudié la toxicité du TCE chez des rats F344 et des souris B6C3F1 (50 par sexe par dose) auxquels on a administré des doses de TCE de 0, 500 ou 1 000 mg/kg p.c. par jour (rats) et de 0 ou 1 000 mg/kg p.c. par jour (souris) dans de l'huile de maïs, cinq jours par semaine pendant 103 semaines. La survie a diminué chez les rats et les souris mâles, mais non chez les femelles (NTP, 1983). Une néphrose toxique, décrite comme une cytomégalie de l'épithélium des tubules rénaux, a fait son apparition à une dose de 500 mg/kg p.c. par jour et plus chez les rats et de 1 000 mg/kg p.c. par jour chez les souris. On a établi des LOAEL de 500 mg/kg p.c. par jour chez les rats et de 1 000 mg/kg p.c. par jour chez les souris dans le cas des effets de longue durée. On n'a pas déterminé de NOAEL (NTP, 1990).
Des études portant sur la cancérogénicité du TCE administré par voie orale à des rongeurs ont démontré la présence de tumeurs hépatiques reliées au traitement chez les souris des deux sexes et de tumeurs rénales chez les rats des deux sexes (NCI, 1976; NTP, 1983, 1988, 1990). On a aussi démontré que l'exposition au TCE par voie orale augmentait le nombre de lymphomes malins chez les souris femelles (EPA des États-Unis, 2001a). On a également signalé une augmentation de l'incidence de tumeurs à cellules interstitielles du testicule chez les rats mâles. À cause des lacunes de l'étude, on n'a toutefois pas pu interpréter de façon concluante les données sur l'incidence des tumeurs à cellules interstitielles (NTP, 1988). Les études sur la cancérogénicité du TCE absorbé par inhalation ont révélé la présence de tumeurs reliées au traitement dans les poumons de souris femelles et mâles (Fukuda et coll., 1983; Maltoni et coll., 1986), les testicules de rats (Maltoni et coll., 1986), le système lymphoïde (lymphomes) de souris femelles (Henschler et coll., 1980), les reins de rats mâles et le foie de souris des deux sexes (Maltoni et coll., 1986). L'utilisation de matériau d'essai impur (TCE) que l'on a stabilisé avec d'autres composés reconnus en soi comme cancérogènes, comme l'épichlorhydrine, a toutefois constitué un facteur de confusion dans les premières études sur l'exposition par voie orale.
Au cours d'un dosage biologique de la cancérogénicité chez les rongeurs où on a administré du TCE par gavage (NTP, 1983), on a constaté une augmentation importante des cas des carcinomes hépatocellulaires (p < 0,05) chez les souris mâles (13/49 par rapport à 8/48 chez les témoins) et d'adénomes hépatocellulaires (p < 0,05) chez les souris femelles (8/49 comparativement à 2/48 chez les témoins) (Tableau 1). Les rats ne présentaient pas de tumeurs hépatiques reliées au traitement. Chez les rats mâles qui ont reçu 1 000 mg/kg p.c. par jour et qui ont survécu jusqu'à la fin de l'étude, on a enregistré une incidence plus élevée (p = 0,028) d'adénocarcinomes des tubules rénaux (3/16 comparativement à 0/33 chez les témoins, Tableau 1). Ces tumeurs rénales ont été jugées biologiquement significatives compte tenu de la rareté des tumeurs du rein dans cette souche de rats.
Dose (mg/kg p.c. par·jour) |
Souris B6C3F1Tableau 1 note de bas de page c | Rats F344/NTableau 1 note de bas de page c | |
---|---|---|---|
Mâles, incidence des carcinomes hépatocellulaires |
Femelles, incidence des adénomes hépatocellulaires |
Mâles, incidence des adénocarcinomes des tubules rénaux |
|
0 | 8/48 | 2/48 | 0/49 |
500 | n.d. | n.d. | 0/49 |
1000 | 13/49 | 8/49 | 3/49 |
Au cours d'une autre étude sur la cancérogénicité (NTP, 1988) exposant quatre souches différentes de rats (ACI, August, Marshall et Osborne-Mendel) au TCE par gavage, les rats Osborne-Mendel mâles ont montré une augmentation statistiquement significative (p < 0,05) de l'incidence des adénomes et adénocarcinomes du rein (Tableau 2). L'incidence des tumeurs à cellules interstitielles du testicule a aussi augmenté chez les rats Marshall mâles (Tableau 2). Des vérifications plus attentives de cette étude ont toutefois indiqué que la documentation de nombreux aspects de l'étude comportait des lacunes et ne pouvait permettre une interprétation appropriée des données signalées sur l'incidence des tumeurs, quoique, compte tenu de la rareté des tumeurs du rein chez les rats, les constatations de l'étude ont quand même été jugées importantes. On n'a pas signalé d'autres tumeurs reliées au traitement chez ces souches de rats.
Dose (mg/kg p.c.·par jour) |
IncidenceTableau 2 note de bas de page c des tumeurs du rein chez les rats Osborne-Mendel (mâles) | IncidenceTableau 2 note de bas de page c des tumeurs à cellules interstitielles du testicule chez les rats Marshall (mâles) |
---|---|---|
0 (témoin non exposé) | 0/46 | 16/46 |
0 (témoin milieu) | 0/47 | 17/46 |
500 | 6/44 | 21/33 |
1000 | 2/33 | 32/39 |
Au cours d'une étude plus récente sur la cancérogénicité (NTP, 1990), lorsqu'on a administré à des souris B6C3F1 et à des rats F344/N du TCE par gavage, on a constaté une augmentation importante (p < 0,05) des incidences de carcinomes et d'adénomes hépatocellulaires combinés (p < 0,05) chez les souris femelles (Tableau 3). On n'a pas observé de tumeurs rénales reliées à l'exposition chez les souris. Même si les auteurs de l'étude ont jugé les résultats équivoques à cause de la survie réduite chez les groupes exposés, les incidences des tumeurs rénales chez les rats étaient statistiquement significatives (p < 0,05) lorsqu'on les a corrigées en fonction de la survie réduite et elles ont été jugées significatives sur le plan toxicologique parce que les tumeurs du rein sont rares chez les rats (Tableau 3).
Dose (mg/kg p.c. par jour) |
IncidenceTableau 3 note de bas de page c des carcinomes et adénomes hépatocellulaires combinés chez les souris B6C3F1 | IncidenceTableau 3 note de bas de page c des adénomes et adénocarcinomes des tubules rénaux chez les rats mâles F344/N | |
---|---|---|---|
Mâle | Femelle | ||
0 (témoin non exposé) | 14/48 | 6/48 | 0/48 |
0 (témoin milieu) | n.d. | n.d. | 0/46 |
500 | n.d. | n.d. | 2/46 |
1000 | 39/50 | 22/49 | 3/33 |
Au cours d'une étude de longue durée portant sur la cancérogénicité reliée à l'exposition par inhalation (Maltoni et coll., 1986), corrigée en fonction de la survie, l'incidence accrue des adénocarcinomes des tubules rénaux chez les rats mâles était statistiquement significative (p < 0,05) (EPA des États-Unis, 2001a) (Tableau 4). Les auteurs ont signalé un manque d'importance statistique mais indiqué que les constatations étaient biologiquement significatives à cause de la rareté des adénocarcinomes des tubules rénaux chez les animaux témoins et de la rareté des tumeurs du rein chez les témoins historiques (0/460) (Maltoni et coll., 1986).
Dose (mg/m³) |
IncidenceTableau 4 note de bas de page c des adénocarcinomes des tubules rénaux chez les rats mâles |
---|---|
0 | 0/120 |
112,5 | 0/118 |
337,5 | 0/116 |
675 | 4/122 |
Dans l'ensemble, les études sur la cancérogénicité chez les animaux réalisées au moyen de TCE pur ont montré qu'une exposition chronique à ce composé par voie orale causait des tumeurs malignes du foie chez les souris des deux sexes et des tumeurs du rein chez les rats mâles, tandis qu'une exposition par inhalation entraînait l'apparition de lymphomes chez les souris femelles, de tumeurs malignes du foie et du poumon chez les souris des deux sexes, et de tumeurs malignes du rein chez les rats mâles.
8.2.4 Mutagénicité/génotoxicité
On a procédé à tout un éventail de dosages biologiques couvrant une large plage de paramètres génétiques pour évaluer les effets génotoxiques possibles du TCE ou de ses métabolites. On a évalué les effets dommageables pour l'ADN ou les chromosomes chez des bactéries, des champignons, des levures, des végétaux, des insectes, des rongeurs et des êtres humains. Les paramètres génétiques mesurés par ces dosages biologiques comprennent la mutation directe et la mutation inverse, l'ECS, la synthèse d'ADN non programmée, la conversion de gènes, les aberrations chromosomiques, la formation de micronoyaux et la recombinaison mitotique. On a aussi examiné l'induction de la réparation de l'ADN et la formation de liaisons covalentes avec l'ADN.
Les données sur la génotoxicité du TCE sont souvent contradictoires, en partie à cause de la présence d'impuretés ou d'agents stabilisants mutagènes dans le milieu d'essai. Il se peut en fait que l'information tirée d'un grand nombre des premières études ne suffise pas pour procéder à l'évaluation complète de la génotoxicité possible du TCE, car il y a peu d'études qui ont précisé la catégorie et la pureté du TCE analysé. En outre, certains échantillons de TCE utilisés contenaient un agent stabilisant mutagène et on a utilisé dans d'autres dosages biologiques des échantillons purs sans agent stabilisant, qui ont pu se décomposer en produits chimiques mutagènes, aggravant ainsi la confusion dans l'interprétation de l'importance des constatations.
Des études de génotoxicité réalisées jusqu'au milieu des années 90 ont souvent donné des résultats contradictoires; c'est pourquoi les données probantes indiquant que le TCE ou ses métabolites sont de puissants agents mutagènes sont très limitées. Le TCE a une faible activité à la fois in vitro et in vivo, provoquant des réactions de recombinaison, y compris l'ECS, et des aneuploïdies, y compris des micronoyaux. Il semble toutefois incapable de provoquer des mutations géniques ou des aberrations chromosomiques structurelles (Crebelli et Carere, 1989; Fahrig et coll., 1995). On a aussi remarqué que le TCE provoquait une augmentation de la synthèse de l'ADN et de la mitose dans le foie de souris in vivo (Dees et Travis, 1993). En dépit de l'absence apparente de génotoxicité « typique », le TCE pourrait jouer un rôle dans l'expression de mutations provoquées par un agent cancérogène parce qu'il peut induire une recombinaison et une aneuploïdie (Fahrig et coll., 1995). En général, on a démontré que le TCE, le TCA et le DCA pouvaient causer des ruptures des brins d'ADN dans les cellules de foie de rongeurs in vivo et dans des cultures, à des concentrations élevées, sous forme soit de molécules parentes, soit de métabolites (Bull, 2000). Les résultats de certaines études semblent toutefois contredire ces constatations (Styles et coll., 1991; Chang et coll., 1992) et l'on ne sait toujours pas trop si les ruptures des brins d'ADN sont provoquées par le TCE même ou par ses métabolites.
On a réalisé de nombreuses études sur la génotoxicité des principaux métabolites du TCE. Au cours d'une étude récente, Moore et Harrington-Brock (2000) ont conclu que le TCE et ses métabolites CH, DCA et TCA devaient être présents à de très fortes doses pour être génotoxiques, et qu'il n'y avait pas suffisamment de renseignements pour tirer des conclusions dans le cas du TCOH et de ses conjugués DCVC et DCVG. L'information disponible ne permet donc pas de conclure de façon absolue que le TCE provoquera la formation de tumeurs chez les êtres humains par un mode d'action mutagène.
Dans l'ensemble, même si les données sur la génotoxicité ne sont pas entièrement concluantes, elles semblent indiquer que le TCE a un effet génotoxique faible, probablement indirect, à fortes doses. On ne peut donc écarter d'emblée la mutagénicité possible de ce composé.
8.2.5 Toxicité pour la reproduction et le développement
Les effets génésiques, embryotoxiques/foetotoxiques et tératogènes du TCE ont été étudiés chez plusieurs espèces (Smith et coll., 1989; Dawson et coll., 1990, 1993; Johnson et coll., 1998a,b). Au cours d'une étude sur la toxicité pour la reproduction de l'exposition par inhalation, on a exposé des rats Long-Evans à des doses de 1 800 ppmv de TEC pendant six heures par jour, cinq jours par semaine pendant 12 semaines avant l'accouplement; pendant six heures par jour, sept jours par semaine pendant la gestation jusqu'au jour 21 de la gestation; ou : pendant six heures par jour, cinq jours par semaine, pendant deux semaines avant l'accouplement, et pendant six heures par jour, sept jours par semaine, pendant la gestation jusqu'au jour 21 de la gestation. Une ossification incomplète du sternum, signe de retard de la maturation, a été relevée chez les animaux exposés pendant la gestation, tandis qu'on a constaté une baisse importante du gain de poids après la naissance chez les petits des sujets du groupe exposé avant l'accouplement. On n'a pas observé de toxicité maternelle, de tératogénicité ni d'autres effets sur les paramètres de la reproduction (Dorfmueller et coll., 1979).
Au cours d'une étude sur la toxicité pour la reproduction qui a porté sur deux générations, on a soumis des rats Fischer 344 mâles et femelles à une alimentation contenant du TCE en microcapsules à des doses d'environ 0,75, 150 ou 300 mg/kg p.c. par jour, en commençant sept jours avant l'accouplement et jusqu'à la naissance de la génération F2. Bien que le poids du testicule et de l'épididyme gauches ait diminué chez les sujets des générations F0 et F1, on n'a pas observé de changements histopatologiques connexes. On a attribué les changements de poids à une toxicité générale plutôt qu'à une toxicité pour la reproduction (NTP, 1986). Au cours d'une étude semblable de toxicité pour la reproduction portant sur deux générations, on a constaté chez les souris CD-1 auxquelles on a administré des doses de TCE pouvant atteindre 750 mg/kg p.c. par jour une réduction de 45 % de la motilité des spermatozoïdes chez les mâles F0 et de 18 % chez les mâles F1, mais il n'y a eu aucun effet relié au traitement sur l'accouplement, la fertilité ou la reproduction effective chez les animaux F0 ou F1 (NTP, 1985).
On a réalisé de nombreuses études sur la tératogénicité du TCE administré à la fois par voie orale et par inhalation. Des souris Swiss Webster exposées par inhalation à 300 ppm de TCE pendant sept heures par jour pendant les jours 6 à 15 de la gestation n'ont pas présenté de signes observables de toxicité maternelle ni de tératogénicité reliées à l'exposition (Leong et coll., 1975). Lorsqu'on a exposé par inhalation des souris Swiss Webster et des rats Sprague-Dawley à 1 600 mg/m³ (300 ppmv) de TCE pendant sept heures par jour pendant les jours 6 à 15 de la gestation, on a observé une baisse significative (p < 0,05) du gain de poids chez la mère et des signes d'hémorragie dans les ventricules cérébraux, mais aucun effet tératogène ni génésique (Schwetz et coll., 1975). On a par ailleurs signalé une baisse importante du poids du foetus et une augmentation des résorptions foetales chez les rats (souche non précisée) exposés à 100 ppmv de TCE pendant quatre heures par jour pendant les jours 8 à 21 de la gestation (Healy et coll., 1982).
Au cours d'une étude portant sur les effets d'une exposition au TCE sur le développement et la reproduction, on a exposé des rats femelles Sprague-Dawley à des doses de 0, 1,5 ou 1 100 ppm (équivalant à 0, 0,18 ou 132 mg/kg p.c. par jour) de TCE dans l'eau potable en suivant un des trois régimes suivants de dosage : pendant trois mois avant la gestation; pendant deux mois avant la gestation et 21 jours au cours de la gestation; ou pendant 21 jours durant la gestation seulement (Dawson et coll., 1993). On n'a observé aucune toxicité maternelle à aucune concentration ni à aucun régime de dose. On a observé une augmentation de l'incidence des malformations cardiaques chez les foetus (3 % témoins, 8,2 % et 9,2 %), chez les animaux exposés aux deux doses (0,18 ou 132 mg/kg p.c. par jour), chez les mères exposées avant et pendant la gestation, et à la dose élevée seulement (132 mg/kg p.c. par jour) (10,4 % contre 3 % chez les témoins) chez les animaux exposés uniquement pendant la gestation. La LOAEL a été fixée à 0,18 mg/kg p.c. par jour, compte tenu de l'incidence accrue de malformations cardiaques chez les foetus nés de mères exposées avant et pendant la gestation. L'étude comportait toutefois des limites, car elle a exprimé l'incidence des malformations seulement en fonction du nombre total de foetus du groupe exposé à la dose et n'a pas essayé d'établir l'incidence des malformations cardiaques par portée. En dépit de cette lacune, l'étude appuie des constatations semblables concernant une augmentation des malformations congénitales établies à la suite d'études épidémiologiques (Goldberg et coll., 1990; Bove et coll., 1995), même s'il n'y pas de lien dose-réponse clair.
Une étude subséquente (Fisher et coll., 2001) réalisée sur des rats Sprague-Dawley qui ont reçu des doses de TCE, TCA et DCA pouvant atteindre 400 mg/kg p.c. par jour n'a pas réussi à reproduire les malformations cardiaques signalées dans l'étude de Dawson et coll. (1993). Il y avait toutefois, entre les deux études, des différences conceptuelles qui peuvent expliquer en partie la non-convergence des résultats. Premièrement, dans l'étude de Fisher et coll. (2001), on a utilisé l'huile de soja comme milieu, tandis que dans celle de Dawson et coll. (1993), les chercheurs ont utilisé l'eau. Deuxièmement, au cours de l'étude de Fisher et coll. (2001), on a administré une dose très forte de TCE (400 mg/kg p.c. par jour) dans l'huile de soja sous forme de bols au cours des jours 5 à 16 seulement de la gestation, tandis que dans l'étude de Dawson et coll. (1993), les chercheurs ont administré des doses relativement plus faibles de TCE dans l'eau potable (maximum 1 100 ppm, ou 129 mg/kg p.c. par jour) ad libitum soit durant toute la gestation (jours 1 à 21 de la gestation) soit avant et pendant celle-ci. La forme de l'agent d'essai et le moment de l'administration de la dose peuvent tous deux expliquer en partie les variations entre les deux études. Troisièmement, l'étude de Fisher et coll. (2001) a présenté une incidence de fond très élevée de malformations cardiaques (par portée) chez les foetus des témoins dans le cas d'une exposition par l'huile de soja (52 %), taux beaucoup plus élevé que l'incidence de malformations cardiaques enregistrées chez les témoins parallèles dans le cas d'une exposition par l'eau potable (37 %), tandis que l'étude de Dawson et coll. (1993) a signalé une incidence beaucoup plus faible de malformations cardiaques (25 % des foetus) chez les foetus de témoins pour une exposition par l'eau. L'incidence de fond élevée de malformations cardiaques associées au milieu chez les témoins dans l'étude de Fisher et coll. (2001) pourrait avoir masqué les effets chez les sujets des groupes traités au TCE. Enfin, il se peut aussi que de légères différences entre les souches chez les rats Sprague-Dawley et des différences au niveau de la pureté des agents d'essai utilisés puissent expliquer la non-convergence des constatations des deux études. Curieusement, l'étude de Fisher et coll. (2001) n'a pas réussi à reproduire de malformations cardiaques chez les animaux exposés à de fortes doses de TCA ou de DCA qui, comme on l'avait démontré auparavant, avaient causé des malformations cardiaques chez des rats Sprague-Dawley (Johnson et coll., 1998a,b) et des rats Long Evans (Smith et coll., 1989, 1992; Epstein et coll., 1992).
Une récente étude sur la toxicité pour le développement réalisée par Johnson et coll. (2003) a utilisé un concept et un protocole expérimental semblables à ceux qu'on a utilisés dans l'étude de Dawson et coll. (1993), et a pu corroborer l'apparition des malformations cardiaques liées au traitement signalées dans l'étude de Dawson et coll. (1993). Au cours de cette étude (Johnson et coll., 2003), on a exposé des rates Sprague-Dawley enceintes au TCE pendant toute la gestation. On a constaté une augmentation significative du pourcentage de coeurs anormaux chez les sujets traités. Le pourcentage des portées dont les petits présentaient une anomalie cardiaque a varié de 0 à 66,7 % chez les animaux traités, comparativement à 16,4 % chez les témoins (Tableau 5). Bien que l'étude semble indiquer la présence d'une relation dose-réponse dont les effets commencent à se manifester à une faible dose de 250 µg/L (0,048 mg/kg p.c. par jour) et une NOAEL de 2,5 µg/L (0,00045 mg/kg p.c. par jour), un examen plus approfondi montre que cette relation n'est pas aussi claire qu'il le paraît à prime abord.
Concentration de TCE dans l'eau potable |
Dose de TCE (mg/kg p.c. par·jour) |
% de portées de rats avec coeurs anormaux | % rats aux coeurs anormaux |
---|---|---|---|
0Tableau 5 note de bas de page b | 0Tableau 5 note de bas de page b | 16,4 | 2,2 |
2,5 | 0,00045 | 0 | 0 |
250 | 0,048 | 44,4 | 45 |
1 500 | 0,218 | 38,5 | 5 |
1 100 000 | 129 | 66,7 | 10,5 |
Bien que les auteurs de l'étude concluent que leurs données appuient la tératogénicité cardiaque du TCE, ce qui semble tout à fait raisonnable, leur affirmation selon laquelle le seuil se situe au-dessous de 250 µg/L semble moins certaine lorsqu'on analyse de près la relation dose-réponse. Les auteurs signalent que les doses, même celle qui n'a pas d'effet, dépassent de loin celles qu'indiquent les études épidémiologiques; il faudrait toutefois plus de données à cet égard, avec éventuellement des groupes de doses plus importants et une plage plus étendue de doses. Ce résultat, qui découle d'une exposition de très courte durée (aiguë), mérite d'être étudié de près et est choisi comme paramètre critique compte tenu des données actuellement disponibles.
8.2.6 Modes d'action du TCE
La similitude entre les effets cancérogènes provoqués par le composé d'origine et ses métabolites appuie la conclusion selon laquelle les métabolites du TCE causent principalement des tumeurs du foie et du rein observées au cours de dosages biologiques du TCE. C'est particulièrement vrai dans le cas des hypernéphromes, conclusion qu'appuient aussi des preuves de dépendance d'isozymes de la GST chez les êtres humains et d'adduits de l'ADN formés à partir des métabolites de DCVC génotoxiques. La mutation du gène suppresseur de la tumeur de VHL suivie de l'induction de la néoplasie peut constituer le mode d'action des hypernéphromes provoqués par le TCE chez les êtres humains (Bruning et coll., 1997a). On a en fait constaté de multiples mutations des gènes suppresseurs de la tumeur de VHL, et principalement des changements de C à T, y compris du nucléotide 454, chez les patients atteints d'un hypernéphrome qui ont été exposés pendant longtemps à de fortes concentrations de TCE (Bruning et coll., 1997b; Brauch et coll., 1999). Ces constatations appuient la conclusion selon laquelle l'exposition à de fortes concentrations de TCE présente un risque élevé de cancer du rein chez les êtres humains.
La complexité du métabolisme et de la clairance du TCE complique l'identification d'un métabolite auquel on pourrait attribuer les effets produits par le TCE. Il y a plus d'un mode d'action qui peut expliquer la cancérogénicité provoquée par le TCE et on a avancé plusieurs hypothèses à cet égard. Il est fort probable que de nombreux événements seraient significatifs pour l'apparition de tumeurs chez les rongeurs dans les conditions de dosage biologique. On ne connaît toutefois pas avec certitude les événements qui pourraient être plus pertinents pour l'exposition humaine au TCE aux concentrations présentes dans l'environnement.
On a pensé que la cancérogenèse dans le foie de souris survenait parallèlement à la prolifération des peroxysomes (PP) dans le foie causée par des métabolites du TCE. Même si l'on a établi un lien entre la PP et la cancérogenèse, on ne connaît pas le mécanisme réel de la cancérogenèse relié à la PP (Bull, 2000). La PP est plus importante chez les souris que chez les rats (Bogen et Gold, 1997). L'opinion qui prévaut au sujet de la cancérogenèse dans le foie de souris provoquée par le TCE est que ces tumeurs apparaissent parallèlement à la PP dans le foie, causées par des métabolites du TCE (Elcombe, 1985; Elcombe et coll., 1985; Goldsworthy et Popp, 1987; Melnick et coll., 1987; DeAngelo et coll., 1989; Cattley et coll., 1998). On a toutefois remis en question le rôle de la PP comme mode d'action de la cancérogenèse dans le foie des êtres humains. Comme on n'a pas observé de PP chez les êtres humains, il est peu probable que les agents à l'origine de ces résultats chez le rongeur constituent un danger de cancer du foie pour les êtres humains.
Il est probable que la modification des voies de transmission des signaux cellulaires par le TCA et le DCA, qui provoquent des altérations de la réplication, de la sélection et de l'apoptose (mort programmée) cellulaires contribue considérablement à l'hépatocancérogénicité du TCE et de ses métabolites (Bull, 2000). La capacité du TCA d'activer le récepteur activé de la prolifération des peroxysomes (PPAR) et la cascade de réponses qui en découlent, y compris les effets sur la transcription des gènes, constituent un exemple de transmission de signaux par les cellules. On a démontré aussi que l'exposition au DCA agit sur d'autres voies de transmission des signaux cellulaires, et les perturbations observées éclairent des hypothèses relatives au mode d'action qui ont trait à l'induction des tumeurs par le DCA.
On a évalué et jugé peu probable la possibilité que la PP joue un rôle dans la néphrotoxicité provoquée par le TCE (Lash et coll., 2000). Même si l'on a signalé que le TCE provoquait la PP dans le rein de rats et de souris, et que les souris y réagissaient davantage, on n'a pas montré qu'il provoquait le cancer du rein chez la souris. Les études indiquent en outre que les peroxysomes rénaux réagissent en général moins que les peroxysomes hépatiques aux agents de prolifération des peroxysomes (Lash et coll., 2000).
L'alpha-2u globuline est un constituant majeur des protéines urinaires particulier aux rats mâles et l'on pensait auparavant que son accumulation contribuait à l'apparition de tumeurs rénales causées par le TCE. Des renseignements plus récents indiquent que le TCE ne provoque pas d'accumulation d'α2u globuline (Goldsworthy et coll., 1988). On a en outre déterminé que le TCE cause des dommages rénaux tant chez les rats mâles que chez les femelles (Barton et Clewell, 2000). C'est pourquoi l'accumulation d'α2u globuline ne semble pas constituer un mode d'action de la néphrotoxicité causée par le TCE, comme on le croyait auparavant.
Au cours de dosages biologiques sur la génotoxicité de Salmonella, on a démontré que les deux intermédiaires de la cystéine et du GSH formés pendant le métabolisme du TCE, soit DCVC et DCVG, peuvent provoquer des mutations ponctuelles. L'intermédiaire DCVC provoque en outre l'expression de proto-oncogènes, y compris c-jun, c-fos et c-myc, dans des tumeurs de foie de souris (Tao et coll., 2000a,b). On croit que le proto-oncogène c-myc joue un rôle dans le contrôle de la prolifération et de l'apoptose cellulaires, ce qui pointe aussi le doigt vers des mécanismes épigénétiques dans l'induction de tumeurs hépatiques chez la souris. On a aussi démontré que l'intermédiaire DCVC de la cystéine provoque des ruptures bicaténaires de l'ADN et une synthèse non programmée de l'ADN dans les cellules LLC-PK1 (Lash et coll., 2000). Ces données indiquent aussi que les intermédiaires DCVC et DCVG peuvent causer des dommages primaires à l'ADN dans des cellules de mammifères (OEHHA, 1999). D'autres données probantes appuient le mode d'action cytotoxique. Des dosages biologiques effectués par le National Cancer Institute et le National Toxicology Program ont montré qu'une néphrose toxique a fait son apparition chez la plupart des rats exposés de façon chronique au TCE et une cytomégalie, qui était la plus évidente chez les rats mâles, a fait son apparition chez plus de 90 % des rats (et des souris). Outre ces constatations, les tumeurs rénales ont augmenté chez les rats mâles seulement. Les conjugués du TCE, soit 1,2 DCVC et S-(2,2-dichlorovinyle)-L-cystéine (2,2-DCVC), ainsi que les acides mercapturiques correspondants - N-acétyle-S-(1,2-dichlorovinyle)-L-cystéine (1,2-DCVNac) et N-acétyle-S-(2,2-dichlorovinyle)-L-cystéine (2,2-DCVC) - sont néphrotoxiques pour les rongeurs et, peut-être aussi, pour les êtres humains. Ces composés peuvent provoquer une nécrose des tubules proximaux et d'autres lésions dans le rein de rat après une conversion en intermédiaires mutagènes réactifs causée par la β-lyase, conjugué de la cystéine cytosolique (Goeptar et coll., 1995).
On croit que les tumeurs rénales provoquées par le TCE peuvent découler d'une nécrose cellulaire et de l'activation de mécanismes de réparation qui entraînent la prolifération cellulaire. L'étude de ce mode d'action a aussi porté avant tout sur les intermédiaires DCVG et DCVC. Par l'intermédiaire de l'enzyme β-lyase ou d'autres mécanismes enzymatiques, ces métabolites entraînent la production d'espèces réactives qui peuvent être à l'origine de la néphrotoxicité (Lash et coll., 2000; Vaidya et coll., 2003). Les espèces réactives peuvent provoquer une dysfonction des mitochondries, une alkylation des protéines ou de l'ADN et un stress oxydatif. Ces effets provoquent des effets cytotoxiques supplémentaires, ainsi que des réactions de réparation et de prolifération dans un continuum qui peut déboucher sur une tumorigenèse (Lash et coll., 2000; Vaidya et coll., 2003). La formation in vivo de DCVG et de DCVC chez les animaux et les êtres humains indique que ce mode d'action peut être pertinent pour l'évaluation du mode d'action chez les êtres humains. Même si la cytotoxicité peut jouer un rôle important dans le cancer du rein provoqué par le TCE chez les rongeurs, on ne sait pas trop quel rôle elle joue dans le cas des cancers provoqués chez les êtres humains par une exposition à des concentrations de TCE moins élevées que celles qui sont reconnues comme clairement néphrotoxiques.
On a aussi posé en hypothèse que l'acide formique joue un rôle dans la néphrotoxicité (Green et coll., 1998). L'exposition au TCE entraîne une augmentation de l'excrétion d'acide formique qui peut avoir un lien avec la carence en folate. On a signalé une néphrotoxicité chez les êtres humains et les lapins exposés à l'acide formique. Il n'y a toutefois pas de données qui indiquent que l'acide formique provoque des tumeurs rénales (Bogen et Gold, 1997).
On croit que l'accumulation de CH, métabolite du TCE, est à l'origine de la cancérogénicité pulmonaire causée par le TCE, car l'exposition au CH provoque des lésions pulmonaires identiques aux tumeurs causées par le TCE (Green et coll., 1997; Green, 2000). On croit que l'accumulation de CH dans les cellules de Clara du poumon entraîne l'apparition de tumeurs pulmonaires en causant des dommages cellulaires et en provoquant une réplication cellulaire compensatoire qui entraîne à son tour la formation de tumeurs (Green et coll., 1997; Green, 2000). On croit que le mécanisme par lequel le CH provoque la formation de tumeurs chez les animaux n'est peut-être pas pertinent pour les humains, car l'enzyme CYP2E1 est peu active dans les poumons humains (Green et coll., 1997; Green, 2000). On a provoqué l'apparition de tumeurs pulmonaires chez des souris femelles exposées au TCE (Odum et coll., 1992). On a constaté la présence d'une lésion particulière, caractérisée par la vacuolisation des cellules de Clara, chez les souris seulement; des souris exposées au chloral à une concentration de 100 ppm dans l'air présentaient des lésions semblables. On a constaté des effets légers seulement à la suite d'une inhalation de TCOH et l'administration de TCA par voie intrapéritonéale n'a produit aucun effet. Ces résultats suggèrent que la toxicité pulmonaire aiguë du TCE peut être attribuable à l'accumulation de chloral dans les cellules de Clara chez les souris. Comme le chloral est aussi génotoxique, la toxicité observée à la suite d'expositions intermittentes est susceptible d'exacerber tout effet génotoxique par une prolifération cellulaire compensatoire chez les rongeurs.
En conclusion, le mode d'action tumorigène du TCE peut être attribué à des phénomènes non génotoxiques reliés à la cytotoxicité; à la prolifération des peroxysomes et à une altération de la transmission des signaux des cellules; à des phénomènes génotoxiques comme la production de métabolites génotoxiques tels que le chloral et le DCVC; ou à la production d'espèces réagissant à l'oxygène reliée à l'induction des peroxysomes dans le foie. On ne peut écarter le rôle possible de plusieurs métabolites mutagènes ou cancérogènes du TCE, compte tenu particulièrement des données probantes à l'appui que constituent les adduits de l'ADN humain formés à partir de métabolites génotoxiques de l'intermédiaire DCVC et des données portant sur la mutation des gènes suppresseurs de la tumeur de VHL chez les patients atteints d'un cancer du rein et ayant été exposés au TCE (Bruning et coll., 1997a).
L'information sur le mode d'action des effets non cancérogènes du TCE est plus limitée et les hypothèses reposent en grande partie sur des observations d'activités communes avec d'autres agents. Les principaux effets sur le système endocrinien associés à une exposition au TCE comprennent l'apparition de tumeurs du testicule (cellules de Leydig) chez les rats (Maltoni et coll., 1988; NTP, 1988). On a constaté que le TCE et ses métabolites TCA et TCOH se dissocient dans les organes reproducteurs mâles des rats à la suite d'une exposition par inhalation (Zenick et coll., 1984). On a identifié les mêmes composés dans le liquide séminal d'êtres humains exposés au TCE au travail (Forkert et coll., 2003).
En général, les agents qui ont un effet sur les concentrations d'hormones stéroïdiennes comme la testostérone, l'estradiol et l'hormone lutéinisante provoqueront aussi des tumeurs à cellules de Leydig chez le rat (Cook et coll., 1999). On a aussi démontré que les produits chimiques qui provoquent la prolifération des peroxysomes induisent des tumeurs à cellules de Leydig en modulant l'expression du facteur de croissance par l'estradiol (Cook et coll., 1999). Les produits chimiques qui provoquent la prolifération des peroxysomes induisent l'activité de l'aromatase hépatique, qui peut augmenter les concentrations d'estradiol dans le sérum et le testicule. L'augmentation des concentrations d'estradiol dans le liquide interstitiel peut moduler des facteurs de croissance, y compris le facteur de croissance transformant-α (TGFα), et stimuler la prolifération des cellules de Leydig (Cook et coll., 1999). Étant donné que chez les rats comme chez les êtres humains, les hormones stéroïdes sont régies par l'axe hypothalamique-pituitaire-testiculaire, les agents qui provoquent chez les rats des tumeurs à cellules de Leydig en perturbant cet axe présentent peut-être un risque pour les êtres humains (Cook et coll., 1999). L'apparition de tumeurs à cellules de Leydig chez les rats exposés au TCE peut donc signaler un trouble du système endocrinien et être un indicateur de troubles endocriniens possibles chez les êtres humains. Des recherches plus poussées s'imposent sur les effets d'une perturbation du système endocrinien dans la population humaine exposée au TCE.
Les études portant sur les hypothèses relatives aux modes d'action dans le cas des effets sur le développement observés à la suite d'une exposition au TCE, au TCA et au DCA, ainsi que les données spécifiques à l'exposition au TCE, sont aussi rares. Les malformations oculaires (microphtalmie et anophtalmie) chez les rats et les malformations cardiaques chez les rats et les êtres humains sont au nombre des effets sur le développement qu'on a associés à l'exposition au TCE ou à ses métabolites. On a signalé des cas de microphtalmie chez des êtres humains nés d'une mère exposée à l'alcool et à l'acide rétinoïque. Comme le TCE, l'acide rétinoïque et l'éthanol agissent tous deux sur les récepteurs des peroxysomes. Il se peut que l'activation du récepteur-α activé de la prolifération des peroxysomes (PPARα) joue un rôle important dans l'apparition d'anomalies oculaires à la suite d'une exposition au TCE, même s'il n'y a actuellement pas de données qui appuient cette hypothèse (Narotsky et Kavlock, 1995; Narotsky et coll., 1995).
On évalue à l'heure actuelle le mode d'action de la tératogénicité cardiaque provoquée par le TCE pour déterminer si l'expression génique critique pour un développement normal du coeur est affectée pendant la cardiogenèse. Un traitement au TCE (équivalant à 110 ppm) a produit une inhibition dépendante de la dose de la transformation des cellules du mésenchyme (événement critique dans le développement du coeur) dans les cellules souches des valvules et des cloisons du coeur in vitro (Boyer et coll., 2000). Même si le débat se poursuit au sujet des données expérimentales qui établissent un lien entre des anomalies cardiaques observées au cours de dosages du développement, le TCE semble avoir un effet sur des événements importants pour le développement du coeur, événements qui correspondent à une induction d'anomalies cardiaques (Boyer et coll., 2000).
Le TCA et le DCA, métabolites du TCE, produisent tous deux des anomalies cardiaques chez les rats (Smith et coll., 1989, 1992; Epstein et coll., 1993; Johnson et coll., 1998a,b). Le DCA se concentre aussi dans les mitochondries du myocarde du rat (Kerbey et coll., 1976), franchit librement le placenta (Smith et coll., 1992) et présente une toxicité reconnue pour les tissus qui tirent leur énergie de la glycolyse (Stacpoole et coll., 1979; Katz et coll., 1981; Yount et coll., 1982; Cicmanec et coll., 1991). Des recherches plus poussées sur le TCE et ses métabolites s'imposent pour expliquer plus complètement les modes d'action possibles dans le cas des effets observés dans des protocoles de développement normalisés.
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