Page 10 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le chlorure de vinyle
Partie II. Science et considérations techniques (continué)
Le chlorure de vinyle est un narcotique; l'exposition à des concentrations élevées de ce produit (25 000 mg/m3) peut causer un évanouissement. Une exposition aiguë à des fortes concentrations dans l'air peut aussi entraîner une dépression du système nerveux central, accompagnée de symptômes tels que des étourdissements, des vertiges, des nausées, des maux de tête, une irritabilité, des troubles de mémoire, des picotements, une perte de poids, une irritation des voies respiratoires ainsi qu'une bronchite chronique (CIRC, 2008). L'autopsie de plusieurs travailleurs exposés au chlorure de vinyle morts des suites de l'exposition à de fortes concentrations du produit a révélé une congestion de foie, de la rate et des reins (Cook et coll., 1971).
L'association entre le chlorure de vinyle et le risque de décès causé par un angiosarcome du foie (ASF; cancer des vaisseaux sanguins du foie) a été dévoilée au public à la suite de la découverte de trois cas dans une usine de chlorure de vinyle (Creech et Johnson, 1974). Quelques études controversées attribuaient des tumeurs des voies respiratoires, du système digestif, de système cardiovasculaire et d'autres parties de l'organisme à l'exposition au chlorure de vinyle; cependant, il a été établi par de nombreux chercheurs que le risque d'ASF augmentait avec la durée et l'intensité de l'exposition, la période de latence, l'année d'embauche (avant 1970) et l'âge lors de la première exposition (Simonato et coll., 1991; Mundt et coll., 2000; Wong et coll., 2002; Bosetti et coll., 2003; Lewis et coll., 2003). D'autres cancers, comme le cancer du cerveau et des poumons, des lymphomes et ces CHC, ont été observés dans de rares cas (Monson et coll., 1975; Waxweiler et coll., 1976; Pirastu et coll., 1990; Simonato et coll., 1991; Wong et coll., 1991), et des doutes demeurent quant à leur lien avec l'exposition au chlorure de vinyle.
Dans les années 1970, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a coordonné une étude multicentrique en Europe (Italie, Norvège, Suède et Royaume-Uni) auprès de 14 351 personnes employées dans 19 usines; cette étude concernait la relation entre l'exposition au chlorure de vinyle et le cancer du foie et les risques de développer un cancer à d'autres sites que le foie. Le CIRC (1979) a conclu que le chlorure de vinyle pouvait être associé à des CHC, des tumeurs du cerveau, à des tumeurs des poumons et à l'apparition de tissus lymphatiques et hématopoïétiques malins. Les données analysées par Simonato et coll. (1991), ont révélé presque trois fois plus de décès attribuables à un cancer du foie, soit 24 cas observés par rapport à un nombre attendu de 8,4 (ratio standardisé de mortalité [RSM] = 286; intervalle de confiance [IC] à 95 % = 186 à 425). La surmortalité par cancer du foie était clairement reliée au temps écoulé depuis la première exposition, à la durée d'emploi et à l'importance de l'exposition selon le poste occupé (catégories d'exposition : ≤ 50, 50 à 499, ≥ 500 ppm; estimations de l'exposition cumulative : 0 à 1 999, 2 000 à 5 999, 6 000 à 9 999, ≥ 10 000 ppm-années). Aucune surmortalité statistiquement significative attribuable à l'exposition au chlorure de vinyle n'a été enregistrée pour les cancers ailleurs qu'au foie. Dans une analyse subséquente, Ward et coll. (2001) ont effectué un suivi de la mortalité et de l'incidence de cancer sur 8 années de plus, et ont constaté que la mortalité, toutes causes confondues, était plus faible que prévu, tandis que la mortalité par cancer était proche de la valeur prévue. Au total, on a recensé 53 décès attribuables à un cancer primitif du foie (RSM = 2,40; IC à 95 % = 1,80 à 3,14) et 18 cas de cancer du foie, dont 37 ASF, 10 CHC et 24 autres formes de cancer du foie; une relation entre l'exposition et le cancer a été clairement établie pour tous les cancers du foie, les ASF et les CHC. Bosetti et coll. (2003) ont confirmé le lien entre le cancer du foie et l'exposition au chlorure de vinyle; cependant, ils ont remarqué que la tendance à la hausse était beaucoup moins prononcée dans le cas des CHC que dans celui des ASF, et que le risque relatif de CHC n'était significatif que dans la catégorie d'exposition cumulative la plus forte. Encore une fois, aucune association n'a été établie pour les autres types de cancer.
Une cohorte multicentrique de travailleurs exposés au chlorure de vinyle en Amérique du Nord a été suivie par divers chercheurs, surtout les travailleurs des usines à Calvert City et à Louisville, au Kentucky (Creech et Johnson, 1974; Monson et coll., 1975; Waxweiler et coll., 1976; Lewis et Rempala, 2003; Lewis et coll., 2003). Monson et coll. (1975) ont été les premiers à relever un accroissement de la mortalité attribuable à tous les cancers, surtout le cancer du foie, du tractus biliaire (RSM = 11,0) et du cerveau (RSM = 4,2), mais également des poumons (RSM = 1,6) et des tissus lymphatiques (RSM = 1,5). Dans un suivi fondé sur le classement des travailleurs selon l'estimation de l'exposition cumulative subie (< 100, 100 à 400, 400 à 1 000 et > 1 000 ppm, fois le nombre de mois de travail), Lewis et Rempala (2003) ont confirmé une occurrence élevée de cancers du foie et du cerveau parmi les travailleurs de l'usine de Louisville. Les décès attribuables à toutes les formes de cancer du foie et aux ASF étaient fortement corrélés avec l'intensité de l'exposition (P < 0,001). Wong et coll.(1991) ont procédé à une analyse des données, dont celles issues de l'usine de Louisville, relatives à 10 173 hommes exposés au chlorure de vinyle pendant au moins 1 an avant 1973 à 37 usines aux États-Unis. Il s'agit là du plus grand groupe de travailleurs exposés au chlorure de vinyle en Amérique du Nord. L'étude a confirmé qu'il existait, chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle, une surmortalité significative attribuable aux ASF (15 décès), au cancer du foie (type non précisé) et du tractus biliaire (RSM = 641) ainsi que du cancer du cerveau et du système nerveux central (23 décès, par rapport à une valeur attendue de 12,8; RSM = 180). Cependant, la moitié des cas de cancer du cerveau étaient associés à deux usines fabriquant seulement du PVC. On a constaté une hausse de l'occurrence avec la durée de l'exposition et la période de latence depuis la première exposition ainsi qu'une tendance inversement proportionnelle à l'âge lors de la première exposition seulement dans le cas des décès par cancer du foie. L'étude n'a pas révélé de cancers des voies respiratoires ou de cancers lymphatiques ou hématopoïétiques en surnombre. Lewis et coll. (2003) ont isolé les cas de Louisville du reste de la vaste cohorte de travailleurs exposés au chlorure de vinyle aux États-Unis, et ont ainsi pu constater que la mortalité par cancer du foie était élevée, dans ce sous-groupe, par rapport à la valeur enregistrée pour l'ensemble de la cohorte américaine (RSM = 400 et 359, respectivement), et que le nombre de décès par cancer du cerveau était remarquablement plus élevé dans le sous-groupe que dans le reste de la cohorte (RSM = 229 et 142, respectivement). Un autre suivi effectué le 31 décembre 1995 par Mundt et coll. (2000) a permis d'ajouter le nombre de décès après une période de latence de 20 à 50 ans. Encore une fois, le risque de cancer était plus élevé pour les travailleurs dont l'embauche remontait à une date éloignée (RSM = 499 avant 1950) et qui avaient travaillé longtemps (RSM = 434 pour 30 ans de travail ou plus). Les cas de cancer du foie et du tractus biliaire étaient là encore en surnombre, malgré une légère baisse depuis les années 1980, et le nombre de décès par cancer du cerveau ne se distinguait plus de la valeur enregistrée chez les témoins.
Les données provenant de 9 usines de chlorure de vinyle au Royaume-Uni, concernant 7 717 travailleurs employés entre 1940 et 1974, ont révélé seulement 2 cas d'ASF (Fox et Collier, 1977). Un suivi auprès de 5 498 travailleurs de cette étude a permis d'ajouter 10 ans à la période de latence; en outre, lors de ce suivi, on a établi des catégories d'exposition en fonction du poste occupé et de la durée d'emploi (Jones et coll., 1988). Une hausse significative du nombre de décès par cancer du foie (RSM = 567) a été signalée parmi les travailleurs affectés à l'autoclave subissant la plus forte exposition au chlorure de vinyle; on a enregistré 11 décès, alors qu'on en attendait 2, et 7 des 11 décès étaient en grande partie attribuables à des ASF (RSM = 1 842).
Pirastu et coll. (1990) ont procédé à une étude de la mortalité chez 5 946 travailleurs fabriquant du chlorure de vinyle et du PVC dans 9 usines en Italie. L'analyse des données concernant 253 décès (certificats de décès, données cliniques et pathologiques) a confirmé l'effet cancérogène du chlorure de vinyle : 14 cancers du foie, mais aucun cancer dans les autres organes cibles supposés (c'est-à-dire les poumons, les tissus lymphopoïétiques et le cerveau). Ces cancers ont été observés chez des travailleurs occupant divers postes associés à une exposition à différentes concentrations de produit; cependant, ces degrés d'exposition n'ont pas été indiqués par les auteurs. Parmi les 14 cancers du foie, 7 étaient des ASF, et 2, des CHC. Pirastu et coll. (2003) ont subséquemment mis à jour les données sur la mortalité et sur l'historique professionnel pour une usine située à Porto Marghera (données jusqu'à 1999). L'exposition cumulative a été déterminée d'après des estimations propres aux postes occupés et à un certain découpage temporel, et six catégories d'exposition ont ainsi été établies (0 à 735, 735 à 2 379, 2 379 à 5 188, 5 188 à 7 531 et 7 531 à 9 400 ppm-années); on a aussi pris en compte le travail à l'autoclave (a travaillé à l'autoclave/n'a jamais travaillé à l'autoclave) dans les analyses. Les données cliniques et pathologiques correspondant au meilleur diagnostic ont été utilisées pour recenser les cas d'ASF et de CHC. D'après les taux régionaux utilisés comme référence, la mortalité dans la cohorte, toutes causes confondues (RSM : 0,75; IC à 90 % : 0,68 à 0,83) et tous cancers confondus (RSM : 0,94; IC à 90 % : 0,81 à 1,09) était plus basse que prévu. Toutes causes de décès confondues, l'analyse en fonction du temps écoulé depuis la fin de l'emploi, avec ajustement pour la latence, a montré que le RSM pour l'année suivant le terme de l'emploi était de 2,76 (IC à 90 % : 1,94 à 3,91). Le taux de mortalité associée à des ASF (6 cas) augmentait avec la durée de latence et avec l'exposition cumulative; cependant, aucun cas n'a été constaté parmi les travailleurs employés moins de 12 ans, avec une période de latence de moins de 10 ans ou une exposition cumulative de moins de 2 379 ppm-années. Le taux de mortalité associée à des CHC (12 cas) et à des cirrhoses du foie (20 cas) suivait une tendance semblable. Pour cette cohorte, Mastrangelo et coll. (2003, 2008) ont confirmé que la hausse des décès liés au cancer du foie était associée à l'exposition au chlorure de vinyle par inhalation.
Boffetta et coll. (2003) ont analysé les données issues de six études menées auprès de cohortes américaines et européennes. Ils ont noté un faible accroissement du RSM moyen pour les cancers du foie autres que les ASF (RSM = 1,35; IC à 95 % = 1,04 à 1,77). Sur les six études, quatre demeuraient positives pour les cancers du foie lorsqu'on excluait les ASF. Par ailleurs, aucune association n'a été établie entre le cancer du cerveau ou les néoplasmes lymphatiques ou hématopoïétiques et l'exposition au chlorure de vinyle, contrairement aux conclusions de Theriault et Allard (1981) et de Wong et coll. (1991).
Laplanche et coll. (1992) ont analysé les données issues de l'étude prospective d'une cohorte française menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) auprès de 1 100 sujets exposés et de 1 100 sujets non exposés. Les maladies respiratoires étaient les mêmes dans les deux groupes (risque relatif [RR] = 1,1; IC à 95 % = 0,7 à 1,8); cependant, 3 cas d'ASF et 14 cas de maladie de Raynaud ont été relevés dans le groupe exposé, et 1 cas de maladie de Raynaud, parmi les sujets non exposés.
Les données relatives à des travailleurs de sexe masculin employés pendant au moins 1 an entre 1950 et 1992 à Taïwan ont été analysées par Wong et coll. (2002). Le fait d'avoir été embauché à moins de 30 ans accroît le risque de décès (RSM = 2,24). Les hommes employés avant 1970 sont 5 fois plus susceptibles de développer un cancer du foie (type non précisé) que la population générale. Aucun accroissement du risque n'a été constaté avec la durée de l'emploi ou pour le développement de tumeurs du cerveau. L'étude a confirmé l'accroissement de la mortalité par cancer (RSM = 1,30), le foie constituant le principal organe cible (RSM = 1,78).
D'après cinq sources d'archives au Royaume-Uni, dont le registre national des cancers et les certificats de décès, aucun cas d'ASF d'origine non professionnelle ne s'est déclaré parmi les résidants dans un rayon de 10 km d'un site de fabrication industrielle de chlorure de vinyle (Elliott et Kleinschmidt, 1997). Parmi les 52 cas d'ASF répertoriés entre 1979 et 1986, seuls 11 étaient dans un rayon de 10 km d'un site de fabrication industrielle de chlorure de vinyle. Sur ces 11 cas, 10 touchaient des personnes employées à l'usine de chlorure de vinyle, et on pense que le dernier cas serait un diagnostic d'ASF mal classé.
Infante et coll. (2009) ont rapporté deux cas d'ASF chez des coiffeurs et des barbiers qui avaient utilisé des fixatifs contenant du chlorure de vinyle comme agent propulsant pendant une période de 4 à 5 ans entre 1966 et 1973. L'exposition pic pour le cas 1 (coiffeur) a été estimée dans la gamme 129-1234 ppm, avec une moyenne pondérée dans le temps (TWA) sur 8 heures d'exposition au chlorure de vinyle estimée dans la gamme 70-1037 ppm (TWA médiane estimée à 228 ppm). Les estimations pour le cas 1 étaient dépendantes des produits utilisés (le % de chlorure de vinyle variait en fonction du produit utilisé), de la durée de pulvérisation du produit et du nombre estimé de changements d'air par heure. Pour le cas 2 (barbier), les niveaux atmosphériques de chlorure de vinyle dus à une pulvérisation de 22 secondes dans une pièce soumise à 4 changements d'air par heure ont été estimés de 129 ppm au temps zéro à 40 ppm après 40 minutes, pour une exposition moyenne de 70 ppm pendant ces 40 minutes. Les auteurs ont conclu qu'à leur connaissance ceci représente le premier cas d'ASF rapporté dans la littérature chez des coiffeurs et des barbiers qui ont utilisé des fixatifs contenant du chlorure de vinyle comme agent propulsant.
Le foie demeure le principal organe cible pour les effets autres que cancérogènes du chlorure de vinyle (U.S. EPA, 2000b). L'exposition en milieu professionnel à de fortes concentrations de chlorure de vinyle (2 400 ppm-mois) est un facteur de risque indépendant de développer une fibrose du foie (cirrhose) (Hsiaos et coll., 2004). De nombreux auteurs ont relevé des perturbations du fonctionnement du foie, s'accompagnant de signes de porphyrie, d'hypertrophie du foie, d'hypertrophie hépatocellulaire et de fibrose, chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle pendant une durée variable, mais considérable (Gedigk et coll., 1975; Lilis et coll., 1975; Popper et Thomas, 1975; Berk et coll., 1976; Doss et coll., 1984).
Les travailleurs chargés du nettoyage des réservoirs de chlorure de vinyle sont exposés à des concentrations de chlorure de vinyle de l'ordre de centaines de parties par million, ce qui entraîne divers effets, notamment des syndromes apparentés à la maladie de Raynaud, une acroostéolyse (résorption des os des doigts et des orteils), une thrombocytopénie, des dermatites de type sclérodermique, une insuffisance thyroïdienne, des dommages au foie (stéatohépatite), à la rate et aux poumons, ainsi que des perturbations du fonctionnement du système nerveux central (Cook et coll., 1971; Lilis et coll., 1975; ECETOC, 1988; U.S. EPA, 2000b). On n'a pas relevé de coronaropathies associées au chlorure de vinyle, mais un lien direct a été établi entre l'exposition au chlorure de vinyle et l'hypertension artérielle (Kotseva, 1996). Ho et coll. (1991) ainsi que McClain et coll. (2002) ont signalé une hausse des concentrations de sérum glutamopyruvique transaminase et d'acide hyaluronique sérique, respectivement, avant et après la survenue de troubles hépatiques chez les travailleurs exposés à des concentrations de chlorure de vinyle allant de 1 à 21 ppm.
L'exposition accidentelle et professionnelle au chlorure de vinyle et à ses métabolites a été associée à des aberrations chromosomiques et à des mutations géniques chez les humains. On a constaté, après une exposition aiguë unique à du chlorure de vinyle dans l'air causée par un rejet accidentel dans l'environnement en Allemagne, une légère augmentation des cassures de chromatides, des fragments asymétriques, des chromosomes dicentriques et des translocations dans les lymphocytes du sang périphérique chez 27 personnes exposées par rapport aux observations faites chez des sujets non exposés (Hüttner et Nikolova, 1998). Cependant, l'exposition n'a pas causé d'anomalies chromosomiques significatives au locus HPRT des lymphocytes, telles que mesurées immédiatement ou 2 ans plus tard, par rapport aux observations faites chez 29 sujets non exposés (Becker et coll., 2001).
Des mutations des gènes procancérogènes p53 (mutations A:T faux-sens) et ras, menant à l'expression de protéines p53 et p21ras altérées (Trivers et coll., 1995), ont été décelées dans des échantillons de tumeurs prélevés chez des travailleurs ayant développé un ASF ou un CHC à la suite d'une exposition professionnelle au chlorure de vinyle aux États-Unis, en France et à Taïwan (Marion et coll., 1991; De Vivo et coll., 1994; Weihrauch et coll., 2000, 2001, 2002). Une relation dose-réponse a été observée entre l'exposition au chlorure de vinyle et la mutation des gènes p53 et ras (Smith et coll., 1998). En outre, l'exposition professionnelle chronique à des concentrations de chlorure de vinyle de 1,3 à 16 ppm a entraîné des échanges de chromatides sœurs et des aberrations chromosomiques telles que des cassures de l'ADN au sein d'un groupe de 52 travailleurs (Sinués et coll., 1991) et d'un autre groupe de travailleurs exposés à une concentration moyenne de chlorure de vinyle de 2 ppm et, à l'occasion, à des concentrations allant jusqu'à 1 000 ppm (Purchase et coll., 1985).
On a signalé un polymorphisme génique chez des travailleurs exposés au chlorure de vinyle à Taïwan et en Chine. Une augmentation des échanges de chromatides sœurs et du nombre de micronoyaux a été observée chez des travailleurs exposés et chez des individus exprimant certains allèles en particulier. Par exemple, chez les sujets homozygotes porteurs de l'allèle c2c2 du gène CYP2E1 (P < 0,05) ou l'allèle variant Arg399Gln du gène de réparation de l'ADN XRCC1 (P < 0,05), on a relevé davantage de micronoyaux (Wong et coll., 2003; Ji et coll., 2010). L'allèle variant c2c2 du gène CYP2E1 métaboliserait le chlorure de vinyle plus rapidement, ce qui générerait plus d'OCE par unité de temps (Wong et coll., 2003). Une hausse significative de l'incidence de fibrose du foie a été signalée chez les porteurs de l'allèle c2c2 du gène CYP2E1 parmi un groupe de 320 travailleurs exposés au chlorure de vinyle dans 5 usines de chlorure de vinyle à Taïwan (Hsieh et coll., 2007). Fucic et coll. (1996) ont montré que les dommages chromosomiques étaient réversibles lorsque l'exposition professionnelle baissait à moins de 1 ppm de chlorure de vinyle dans les usines. Cependant, les échanges de chromatides sœurs étaient persistants, et on les détectait toujours jusqu'à 10 ans après la dernière exposition professionnelle à des concentrations supérieures à 1 ppm (Fucic et coll., 1996).
Chiang et coll. (1997) ont signalé que l'exposition à de l'OCE ou à du CAA 16 µM pendant 24 heures induisait la même fréquence de mutation au locus HPRT des lymphocytes B humains, mais que le CAA était plus cytotoxique (test de prolifération cellulaire). Lorsqu'on porte en graphique les mutations induites par l'OCE en fonction de la survie relative, on constate que le taux de mutation associé à ce produit est similaire à celui du chlorure de vinyle, mais qu'il est 6 fois plus élevé que celui du CAA. Les auteurs ont conclu que l'OCE est responsable de suppressions plus importantes, de même que de la plupart des mutations induites par l'exposition au chlorure de vinyle (Chiang et coll., 1997).
On n'a signalé aucun effet néfaste sur le plan de la reproduction chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle (Hemminki et coll., 1984); par contre, quelques chercheurs soupçonnent une augmentation du nombre total de malformations congénitales au sein des populations employées dans l'industrie du chlorure de vinyle (Infante et coll., 1976; Theriault et coll., 1983). Il pourrait également exister un lien entre l'exposition professionnelle des parents au chlorure de vinyle et les pertes fœtales (RR = 1,8) (Infante et coll., 1976; Waxweiler et coll., 1976), mais l'exposition n'a pas été mesurée.
Theriault et coll. (1983) ont étudié l'incidence des malformations congénitales chez les bébés nés entre 1966 et 1979 de parents habitant à Shawinigan, au Québec, ville où une usine de polymérisation du chlorure de vinyle était en activité depuis 1943. L'incidence des malformations congénitales (159 observées, par rapport à 107 attendues) était significativement plus élevée à Shawinigan que dans n'importe laquelle ou dans l'ensemble des villes témoins appariées sans potentiel d'exposition au chlorure de vinyle. L'incidence culminait en mars, et connaissait sa valeur la plus basse en septembre, ce qui correspond à la variation des concentrations atmosphériques de chlorure de vinyle pendant les trois premiers mois de la grossesse (on ne détectait pas de chlorure de vinyle monomérique dans les échantillons d'air prélevés entre décembre et février). Aucune variation de la sorte n'a été enregistrée dans les collectivités témoins. Cependant, on n'a pas noté d'augmentation du nombre de mortinaissances à Shawinigan. Comme plusieurs autres industries émettent des polluants dans l'atmosphère à Shawinigan, ces observations ne sont pas concluantes.
Les Mutagénicité et génotoxicité résultats des études sur les animaux semblent indiquer que les très jeunes enfants seraient particulièrement sensibles aux effets cancérogènes du chlorure de vinyle (voir la section 9.2.6). Le taux de division cellulaire dans le cerveau, le foie et les reins est considérablement plus élevé pendant les deux premières années de vie que plus tard dans l'enfance, ce qui rend le foie plus sensible aux adduits d'ADN et à l'hépatocarcinogénèse associés à l'exposition au chlorure de vinyle pendant ce temps (Ginsberg, 2003). Il se pourrait que le foie connaisse une autre poussée de croissance autour de l'âge de 6 ans; les enfants de cet âge pourraient donc aussi être sensibles au chlorure de vinyle (Ginsberg, 2003).
9.2 Effets sur les animaux de laboratoire et effets in vitro
Prodan et coll. (1975) ont indiqué que l'exposition par inhalation à des fortes concentrations de chlorure de vinyle pendant deux heures a un effet narcotique, se traduisant par une phase d'agitation, suivie d'une phase d'apathie, puis de la mort. Les animaux de laboratoire les plus sensibles étaient les souris (70 % de mortalité à 107 mg/L), puis les rats (23 % de mortalité à 375 mg/L), les cobayes (75 % de mortalité à 600 mg/L et les lapins (50 % de mortalité à 600 mg/L), ce qui correspond à des doses létales médianes (DL50) de 27 419, 47 640, 236 215 et 263 215 ppm, respectivement, pour ces 4 espèces.
L'administration de chlorure de vinyle monomérique en solution dans de l'huile de soja à des groupes de rats Wistar (30 par groupe), cela en doses de 0, 30, 100 ou 300 mg/kg p.c. par jour, 6 jours par semaine, pendant 13 semaines, n'a pas entraîné d'effets néfastes à la dose de 30 mg/kg p.c. par jour. On a constaté une augmentation du poids relatif du foie en fonction de la dose aux deux doses les plus fortes; cependant, cette augmentation n'était statistiquement significative qu'à 300 mg/kg p.c. par jour (Feron et coll., 1975).
Les cobayes, les rats, les lapins et les chiens exposés par inhalation à des doses de 50 ppm (130 mg/m3), 100 ppm (260 mg/m3), 200 ppm (540 mg/m3) ou 500 ppm (1 300 mg/m3) de chlorure de vinyle 7 heures par jour, 5 jours par semaine pendant 26 semaines n'ont subi aucun effet néfaste sur le plan de l'apparence, de la croissance, de l'hématologie, du poids du foie et de la mortalité; par contre, on a observé chez des rats exposés à 100 ppm du produit une augmentation du poids du foie, qui constitue un des indicateurs les plus sensibles d'hépatotoxicité (Torkelson et coll., 1961). L'exposition à une concentration de 200 ppm a entraîné une augmentation du poids du foie chez les rats mâles et femelles, mais on n'a relevé aucun signe biochimique ou microscopique de dommages au foie; on a noté des changements histologiques chez les lapins (caractérisés par une dégénérescence granuleuse et par une nécrose avec une certaine vacuolisation et une infiltration cellulaire) dans la zone centrolobulaire du foie. Aucun effet n'a été constaté chez les cobayes et les chiens exposés à une concentration de 200 ppm. Des lésions histopathologiques dans le foie (dégénérescence granulaire centrolobulaire) ainsi qu'une augmentation du poids des organes ont été observées chez les rats exposés à une concentration de 500 ppm.
L'administration de chlorure de vinyle par inhalation ou par ingestion a induit des néoplasmes à divers sites chez plusieurs espèces animales. Chez le rat, la souris et le hamster, le traitement a induit des hémangiosarcomes hépatiques (l'équivalent des ASF chez les humains), des tumeurs de la glande de Zymbal, des néphroblastomes, des tumeurs des poumons et des glandes mammaires ainsi que des papillomes du préestomac.
La dose minimale à laquelle des tumeurs associées à ce composé ont été induites après inhalation du produit (4 heures/jour, 5 jours/semaine) était de 10 ppm (26 mg/m3) pendant 52 semaines pour les rats, de 50 ppm (130 mg/m3) pendant 30 semaines pour les souris, et de 500 ppm (1 300 mg/m3) pendant 30 semaines pour les hamsters (Maltoni et coll., 1981). Lorsqu'on a administré du chlorure de vinyle sous forme de poudre de PVC par voie orale à des rats, la dose minimale de chlorure de vinyle ayant entraîné des effets (tumeurs au foie) était de 1,7 mg/kg p.c. par jour (Til et coll., 1991).
Les premières données expérimentales sur les effets cancérogènes du chlorure de vinyle chez les rats ont été publiées par Viola et coll. (1971). Des rats Wistar mâles exposés par inhalation à de très fortes doses de chlorure de vinyle (30 000 ppm) pendant 4 heures chaque jour, 5 jours/semaine, pendant 12 mois ont développé des tumeurs de la peau, des tumeurs des poumons et des ostéochondromes. De plus, on a observé une dégénérescence généralisée du système nerveux central, en particulier une dégénérescence des cellules granulaires, des cellules de Purkinje et du cervelet chez les rats de trois mois.
Les bioanalyses les plus exhaustives de la cancérogenèse qui s'appliquent à l'évaluation des risques associés à l'ingestion de chlorure de vinyle sont celles de Maltoni et coll. (1981), de Feron et coll. (1981) et de Til et coll. (1983, 1991). Des groupes de rats Sprague-Dawley (40 mâles et 40 femelles, soit 80 sujets par groupe) de 13 semaines ont reçu par intubation gastrique des doses de 0, 3,33, 16,65 ou 50 mg/kg p.c. par jour de chlorure de vinyle en solution dans de l'huile d'olive, 4 ou 5 fois par semaine, pendant 52 semaines; le traitement a été suivi par une longue période d'observation (Maltoni et coll., 1981). À 136 semaines, on n'a observé d'angiosarcome hépatique chez aucun des sujets traités à faible dose ou des sujets témoins. On n'a constaté aucune relation dose-réponse du point de vue de l'induction de tumeurs chez ces animaux. On a relevé 2 néphroblastomes (1 cas chez les mâles et 1 chez les femelles), 1 tumeur de la glande de Zymbal, 1 angiosarcome thymique et 1 angiosarcome intraabdominal dans le groupe traité à raison de 50 mg/kg p.c. par jour; 2 carcinomes de la glande de Zymbal (1 cas chez les mâles et 1 chez les femelles) et 3 néphroblastomes (2 cas chez les mâles et 1 chez les femelles) chez les rats traités à raison de 16,65 mg/kg p.c. par jour. On a observé 17 angiosarcomes du foie (8 cas chez les mâles et 9 chez les femelles) dans le groupe traité à une dose de 50 mg/kg p.c. par jour; 10 ASF (4 cas chez les mâles et 6 chez les femelles) ont été recensés chez les rats ayant reçu une dose de 16,65 mg/kg p.c. par jour (Maltoni et coll., 1981).
Dans une autre expérience, Maltoni et coll. (1981) ont administré des doses de chlorure de vinyle de 0,003, 0,3 ou 1,0 mg/kg p.c. par jour par intubation gastrique à des rats de 10 semaines (75 sujets de chaque sexe par groupe), 5 jours/semaine, pendant 59 semaines. À 136 semaines, on n'a relevé aucune tumeur du foie ou des reins associée à l'exposition chez les animaux témoins et les animaux traités à faible dose. On a noté des ASF chez 1 mâle sur 74 et chez 2 femelles sur 75, parmi les sujets traités à raison de 1,0 mg/kg p.c. par jour, et chez 1 femelle sur 73 dans le groupe ayant reçu une dose de 0,3 mg/kg p.c. par jour; cependant, cette hausse d'incidence n'était pas statistiquement significative. Chez des rats Sprague-Dawley exposés à de très fortes concentrations par inhalation (plus de 10 000 ppm) pendant 4 heures par, 5 jours/semaine, pendant 52 semaines, on a constaté une hausse significative des cas d'ASF, de carcinomes de la glande de Zymbal, de tumeurs du préestomac et de neuroblastomes. On a enregistré des tumeurs mammaires chez les rats femelles exposées à des concentrations de 5 ppm ou plus, tandis que des néphroblastomes se sont développés chez les mâles exposés à des concentrations de 100 à 2 500 ppm (Maltoni et coll., 1981).
Dans une étude sur la cancérogénicité sur toute la durée de vie chez le rat (Feron et coll., 1981), on a administré à des rats Wistar un mélange de chlorure de vinyle monomérique et de poudre de PVC par voie alimentaire. Des groupes de 60 à 80 rats de chaque sexe ont reçu du chlorure de vinyle en dose 0, 1,7, 5,0 ou 14,1 mg/kg p.c. par jour dans leur alimentation; à titre de témoin positif, on a également traité des sujets en leur administrant quotidiennement, par gavage, du chlorure de vinyle dissous dans de l'huile de soja (300 mg/kg p.c.), 5 jours/semaine. L'expérience a pris fin lorsqu'un taux de mortalité de 75 % a été atteint dans le groupe témoin (135 semaines dans le cas des mâles, et 144 semaines dans celui des femelles). On a noté des angiosarcomes hépatiques et pulmonaires chez les mâles (27/55, 27/59, 6/56) et les femelles (2/59, 9/57, 29/54) des 3 groupes ayant reçu les plus fortes doses (5,0, 14,1 et 300 mg/kg p.c. par jour), respectivement, mais pas dans le groupe traité à faible dose ou dans le groupe témoin. Les mâles ayant reçu des doses de 5,0 et de 14,1 mg/kg p.c. par jour ont été 3 fois plus nombreux à développer des angiosarcomes que les femelles. On a observé des CHC et une incidence accrue des foyers d'altération cellulaire dans le groupe traité à la plus faible dose (1,7 mg/kg p.c. par jour). De plus, on a constaté une dégénérescence centrolobulaire, une nécrose et des dommages aux mitochondries dans le parenchyme hépatique.
Til et coll. (1983) ont effectué une étude de suivi, dans les mêmes conditions, à 2 exceptions près : ils ont employé des doses plus faibles, et ils ont utilisé une concentration de PVC de 1 % plutôt que de 10 %, comme l'avaient fait Feron et coll. (1981); les résultats sont exposés dans Til et coll. (1991). Des doses de chlorure de vinyle de 0,017, 0,17 et 1,7 mg/kg p.c. par jour (soit 0,014, 0,13 et 1,3 mg/kg p.c. par jour, si l'on ne considère que le chlorure de vinyle absorbé) ont été administrées par voie orale à des groupes de 100 mâles et de 100 femelles pendant 149 semaines; seul le groupe traité à la plus forte dose comportait seulement 50 mâles et 50 femelles. Une augmentation de l'incidence des nodules hépatiques a été la seule réponse néoplasique chez les rats ayant reçu 0,17 mg/kg p.c. par jour, mais on a relevé des CHC (3 cas chez chacun des sexes) et des ASF (chez 1 mâle sur 49 et chez 2 femelles sur 49) ont été relevés chez les sujets traités à la plus forte dose (1,7 mg/kg p.c. par jour); seule l'incidence des CHC chez les mâles était statistiquement différente de la valeur enregistrée chez les témoins (Til et coll., 1983, 1991). Aucun ASF n'avait été constaté à la dose de 1,7 mg/kg p.c. par jour dans l'étude originale (Feron et coll., 1981). Des effets non néoplasiques au niveau du foie, par exemple altération cellulaire accrue, polymorphisme et formation de kystes, ont été enregistrés chez les mâles du groupe traité à la plus forte dose (1,7 mg/kg p.c. par jour). Toutefois, des foyers basophiles ont été observés chez les femelles du groupe ayant subi les plus faibles expositions (0,017 et 0,17 mg/kg p.c. par jour) (Til et coll., 1983, 1991); ces foyers ne sont pas considérés comme des précurseurs à la formation de tumeurs hépatocellulaires puisqu'ils ont une origine différente (U.S. EPA, 2000b). Les auteurs ont estimé à 0,13 mg/kg p.c. par jour la dose sans effet nocif observé (NOAEL) pour ce qui est de l'induction de tumeurs chez les rats (Til et coll., 1983, 1991).
La seule bioanalyse de la cancérogénicité dans laquelle on ait administré du chlorure de vinyle à des rats par l'intermédiaire de l'eau potable est le travail d'Evans et coll. (ECETOC, 1988), qui n'a pas fait l'objet d'une publication. Des groupes de rats Wistar mâles et femelles (150 par groupe) ont été exposés à des concentrations de chlorure de vinyle dans l'eau potable de 0, 2,5, 25 ou 250 mg/L (ce qui équivaut à l'ingestion quotidienne d'environ 0, 0,12, 1,2 ou 12 mg/kg p.c. par jour dans le cas des mâles, et de 0, 0,22, 2,2 ou 22 mg/kg p.c. par jour dans le cas des femelles) pendant une période allant jusqu'à 152 semaines, sauf le groupe de mâles et de femelles ayant reçu la dose la plus forte, qui a été traité pendant 115 et 101 semaines, respectivement. Chez les rats ayant reçu la plus forte dose, on a observé une incidence significativement plus élevée d'ASF (8 mâles sur 50, 8 femelles sur 49) et d'hépatomes (CHC) (3 mâles sur 50, 3 femelles sur 49). Parmi les 47 mâles traités à raison de 25 mg/L, un seul a développé des angiosarcomes hépatiques. On n'a pas constaté de relation dose-réponse pour ce qui est de l'apparition de tumeurs des reins et du cerveau chez ces animaux.
Dans une étude de la toxicité sur le plan de la reproduction et du développement menée sur des rats Sprague-Dawley (Thornton et coll., 2002), on a noté une augmentation du poids du foie à 10, 100 et 1 100 ppm chez tous les rats de la génération F0, et à 100 et 1 100 ppm chez les rats mâles de la génération F1 exposés par inhalation dans les conditions décrites à la section 9.2.5. Chez les mères exposées à une concentration de 100 ppm, on n'a pas constaté de hausse statistiquement significative du poids relatif des reins par rapport à celui du corps tandis que, dans le groupe exposé à une concentration de 1 100 ppm, on a enregistré une augmentation statistiquement significative du poids du foie et des reins par rapport à celui du corps.
Des souris CD-1 et B6C3F1 femelles, des rats Fischer-344 mâles et des hamsters Golden Syrian ont été exposés à des concentrations fixes de chlorure de vinyle (50, 100 et 200 ppm, respectivement) 6 heures par jour, 5 jours/semaine, pendant 6, 12, 18 et 24 mois (Drew et coll., 1983). Tous les animaux exposés à l'âge de 8 mois ont vu leur durée de vie raccourcie. Toutes les espèces ont développé au moins trois types de cancer, dont des ASF, des adénocarcinomes des glandes mammaires, des CHC, des carcinomes pulmonaires et des adénomes de l'estomac. Le chlorure de vinyle a induit des ASF chez les trois espèces (Maltoni et coll., 1984).
Divers auteurs ont signalé l'incidence de différents types de cancers chez des espèces de mammifères. Drew et coll. (1983) ont relevé une incidence de cancer 4 à 5 fois que ne l'avaient fait Maltoni et coll. (1981). Toutefois, cela peut s'expliquer par le fait que, dans l'étude de Drew et coll. (1983), les sujets étaient exposés plus jeunes et pendant plus longtemps au produit. Bi et coll. (1985) ainsi que Lee et coll. (1978) ont eu aussi constaté une occurrence accrue de sarcomes pulmonaires chez des rats Wistar exposés à des concentrations de 100 et de 3 000 ppm de chlorure de vinyle dans l'air (6 heures par jour, 6 jours par semaine, pendant 18 mois), mais avec une incidence plus faible d'ASF; on n'a pas observé de sarcomes pulmonaires chez les souris; par contre, on a signalé des carcinomes des glandes mammaires, des adénocarcinomes et des carcinomes chez les souris, mais pas chez les rats (Lee et coll., 1978; Drew et coll., 1983). Les sujets exposés jeunes ont été plus nombreux à développer des cancers (Lee et coll., 1978; Drew et coll., 1983; Maltoni et coll., 1984; Bi et coll., 1985). Les souris Swiss semblent être plus sensibles que les souris B6C3F1, puisqu'on a constaté chez elles des carcinomes pulmonaires après six mois d'exposition, ce qui laisse supposer une variabilité interspécifique. On a observé des ASF et des carcinomes des glandes mammaires chez les deux souches (Maltoni et coll., 1984). Chez les hamsters, on a enregistré la plus forte incidence de cancer chez les sujets exposés pendant les 12 premiers mois de leur vie, comparativement aux valeurs observées chez les sujets exposés à un âge supérieur à 12 mois (Drew et coll., 1983). Les rats exposés à un âge supérieur à 12 mois n'ont pas développé de néoplasmes induits par le chlorure de vinyle, mais une période de latence plus courte de 6 mois a fait considérablement augmenter les cas d'adénocarcinomes des glandes mammaires, de CHC et d'ASF. Le rat est la seule espèce chez laquelle on a noté des carcinomes de la glande de Zymbal, des néphroblastomes ou des neuroblastomes ainsi que des CHC; cependant, l'apparition des CHC ne semblait pas être en corrélation avec la dose. On n'a pas constaté de carcinomes mammaires, d'adénomes pulmonaires ou d'hépatomes chez les hamsters (Maltoni et coll., 1984; Whysner et coll., 1996); toutefois, c'est seulement chez cette espèce qu'on a trouvé des tumeurs au niveau de l'épithélium du conduit auditif (Maltoni et coll., 1984). À part ce dernier effet, les souris et les hamsters ne développent pas de tumeurs autres que celles signalées chez les rats (Maltoni et coll., 1984). La prolongation de l'exposition au-delà de un an, dans le cas des rats, et de six mois, dans le cas des souris et des hamsters, n'a généralement pas accru beaucoup le développement de cancers chez les sujets exposés dès un jeune âge (Drew et coll., 1983).
Des éthénoadduits d'ADN, qui se forment de manière naturelle chez les bactéries et les animaux, peuvent être générés et détectés chez les mammifères (souris, rat, singe, humain, hamster) in vivo de même que chez les bactéries et les levures in vitro si on incube préalablement le système microsomal des mammifères dans le chlorure de vinyle (Bartsch et coll., 1975; Laib et Bolt, 1977; Swenberg et coll., 1992, 2000; Dogliotti, 2006).
Selon le test d'Ames, le chlorure de vinyle et ses métabolites sont mutagènes (Rannug et coll., 1974; Bartsch et coll., 1975). Les mutations se multiplient avec l'accroissement de la dose et de la durée d'exposition (Malaveille et coll., 1975; Bartsch et coll., 1976, 1979; CIRC, 1979; ECETOC, 1988). La mutagénicité du chlorure de vinyle pour les souches TA1530, TA1535 et G-46 de Salmonella typhimurium a été stimulée par l'ajout de fractions du système d'activation S9 provenant de foie d'humain ou de rat (Rannug et coll., 1974; Bartsch et coll., 1975; Bartsch et coll., 1975; Malaveille et coll., 1975; Sabadie et coll., 1980), préincubées ou non avec des inducteurs des cytochromes P450 (phénobarbital, 3-méthylcholanthrène ou Aroclor 1254), et d'un système générant du nicotinamide adénine dinucléotide phosphate réduit (NADPH) (Malaveille et coll., 1975; Loprieno et coll., 1976).
Des microsomes hépatiques de rat coexposés à de l'OCE directement ou à de l'OCE généré après incubation avec du chlorure de vinyle et de la polyadénosine ou de l'acide polycytidylique (cytidine artificielle) formeraient des adduits d'acide ribonucléique (ARN) (Laib et Bolt, 1977, 1978; Guengerich et Watanabe, 1979). L'OCE et le CAA produisent des adduits qui induisent des transversions (A↔T), mais surtout des transitions (GC→AT) chez S. typhimurium et au niveau de gènes clés chez les mammifères, par exemple les gènes p53 et k-ras (Matsuda et coll., 1995; Barbin, 2000; Gros et coll., 2003). Seul, l'OCE est beaucoup plus puissant que le CAA pour ce qui est d'induire des mutations inverses S. typhimurium (Malaveille et coll., 1975; Loprieno et coll., 1976; Bartsch et coll., 1979) et chez les souches A3, A11, A23, A58, A88, A446 et A46 d'Escherichia coli (Barbin et coll., 1985; Perrard, 1985), cela à des concentrations d'à peine 0,1 mM maintenues pendant 1 heure. Il a été établi que l'ajout d'époxyde hydrolase et de glutathion-S-transférase in vitro, ce qui élimine l'OCE, inhibe la liaison du CAA et de l'OCE à l'ADN (Guengerich et coll., 1979; Guengerich et Shimada, 1991).
Chez la levure Saccharomyces pombe, les mutations se multipliaient avec l'allongement de la durée d'exposition (5 à 60 minutes) à du chlorure de vinyle 16 à 48 mM seulement en présence d'un système d'activation exogène provenant de microsomes de foie de souris (Loprieno et coll., 1976).
On a relevé des adduits d'ARN avec l'adénosine (Laib et Bolt, 1977; Guengerich et coll., 1979) et la cytidine (Laib et Bolt, 1978) chez des rats exposés par inhalation à une concentration de chlorure de vinyle de 50 ppm pendant 5 heures. Le nombre d'adduits aurait diminué au fil du temps, après la fin de l'exposition (Bolt et coll., 1980). L'adduit le plus répandu, même s'il n'est pas mutagène, est la 7-(2-oxoéthyl)-guanosine, son occurrence étant de 98 % (Bolt et coll., 1986) chez les rats exposés au chlorure de vinyle (Swenberg et coll., 1992). Viennent ensuite la N2,3-éthénoguanosine et la 3,N4-éthénocytosine, deux substances persistantes induisant des erreurs de codage, la proportion de chacune étant de ~ 1 %, et la 1,N6-éthénoadénosine, autre substance persistante induisant des erreurs de codage, son occurrence étant rarement inférieure à 1 % (Fedtke et coll., 1990; Basu et coll., 1993). Chez des rats nouveau-nés de 10 jours et leurs mères, exposés pendant 4 jours à 600 ppm de chlorure de vinyle, on a observé la présence de fortes concentrations de 7-(2-oxoéthyl)-guanosine et de N2,3-éthénoguanosine par CG et par chromatographie en phase liquide haute performance, respectivement (Fedtke et coll., 1990). L'accumulation de N2,3-éthénoguanosine dans le foie des rats suivait une progression linéaire entre 10 et 1 100 ppm (Morinello et coll., 2002a), et augmentait avec la durée d'exposition entre 2 et 8 semaines chez les rats exposés à 500 ppm (Guichard et coll., 1996). Aucune différence n'a été notée quant à la quantité de N2,3-éthénoguanosine dans les hépatocytes et dans les cellules hors parenchyme dans le foie mais, dans les mêmes conditions, on comptait 2 à 3 fois plus d'adduits chez les petits sevrés que chez les rats adultes (Morinello et coll., 2002a). De plus, on a trouvé de la 3,N4-éthénocytosine et de la 1,N6-éthénoadénosine dans le foie des rats exposés pendant 2 ans à une concentration de 250 mg/L de chlorure de vinyle dans l'eau potable, mais aucune donnée n'a été fournie sur les rats non exposés (Green et Hathway, 1978).
Chez les rats, on a constaté une mutation AT→TA sur le codon 61 du gène ha-ras après exposition par inhalation à 500 ppm de chlorure de vinyle 8 heures/jour pendant 33 jours, ce qui a causé des tumeurs du foie (Marion et Boivin-Angele, 1999; Boivin-Angele et coll., 2000), mais pas sur le codon 13, comme chez les humains souffrant d'ASF. En fait, les gènes ha-ras et ki-ras interviennent dans l'activation de la croissance des cellules hépatocytaires chez le rat et des cellules sinusoïdales chez l'humain, respectivement. De plus, les codons 12, 13 ou 61 associés à la cancérogénicité du chlorure de vinyle chez l'humain n'avaient pas muté dans les ASF des rats (Marion et Boivin-Angele, 1999; Barbin, 2000; Boivin-Angele et coll., 2000). La transversion de la paire de bases AT causée par la 1,N6-éthénoadénosine sur le gène p53 a été associée à des ASF chez les rats et les humains après une exposition au chlorure de vinyle (Boivin-Angele et coll., 2000), ce qui indique une concordance entre les espèces. On n'a observé aucune différence quant à la quantité de 3,N4-éthénocytosine chez les rats qu'on a exposés pendant 4 semaines, avant de les laisser récupérer pendant 1 semaine, par rapport aux quantités mesurées chez les sujets sacrifiés immédiatement (Morinello et coll., 2002a). Chez les rats Alderley Park exposés par inhalation à 1 500 ppm de chlorure de vinyle 6 heures par jour pendant 5 jours, on a enregistré une fréquence des lacunes sur les chromatides de la moelle osseuse similaire à celle notée chez les rats exposés au même traitement pendant 3 mois (Anderson et Richardson, 1981). Cependant, les groupes ne comptaient que deux rats par dose.
Chez les drosophiles exposées par inhalation à des concentrations de chlorure de vinyle de 30 à 10 000 ppm pendant 3 à 17 jours, on a remarqué une hausse des mutations létales récessives dans le sperme mature, mais aucune aberration chromosomique (Verburgt et Vogel, 1977). Aucun effet létal dominant n'a cependant été observé jusqu'aux jours 12 à 14 de la gestation après exposition de souris CD-1 mâles à du chlorure de vinyle en concentration de 10 000 ppm 4 heures par jour pendant 5 jours, ou de 5000 ppm 4 heures par jour, 5 jours/semaine, pendant 10 semaines (Himeno et coll., 1983). Chez les souris NMR femelles et les hamsters chinois femelles exposées par inhalation à du chlorure de vinyle en concentration de 500 ppm pendant 5 jours et de 12 500 ppm pendant 6 heures, respectivement, on a constaté un accroissement des cassures simple brin (Basler et Rohrborn, 1980; Walles et Holmberg, 1984).
Aucun effet d'embryotoxicité, de fœtotoxicité ou de tératogénicité significatif n'a été relevé dans des groupes de souris CF-1, de rats Sprague-Dawley ou de lapins Néo-Zélandais blancs femelles enceintes exposées 7 heures/jour par inhalation à du chlorure de vinyle en dose de 50 ou de 500 ppm aux jours 6 à 15 de la gestation (souris) ou à des doses de 500 ou de 2 500 ppm aux jours 6 à 15 (rats) ou 6 à 18 (lapins) de la gestation (John et coll., 1981). Une toxicité pour les mères, notamment un taux de mortalité plus élevé, une diminution de la consommation alimentaire et une augmentation du poids du foie, a été notée chez les souris et les rats exposés respectivement à 500 ppm et à 2 500 ppm. Les effets sur les fœtus comprenaient un retard du développement du squelette chez les souris, et un accroissement de l'incidence de la dilatation de l'uretère chez les rats après exposition à une dose toxique pour les mères (John et coll., 1981).
Biet coll. (1985) ont étudié les changements au niveau du système reproducteur en fonction de la dose chez des rats exposés au chlorure de vinyle; à cette afin, ils ont soumis des rats Wistar à une exposition chronique 6 heures par jour, 6 jours/semaine, pendant 3, 6, 12 ou 18 mois, à des concentrations de chlorure de vinyle dans l'air de 0, 10, 100 et 1 000 ppm. Les auteurs ont observé une diminution significative du poids des testicules en fonction de la dose à 100 et 1 000 ppm, cet effet s'accompagnant de perturbations de la spermatogénèse, notamment la fusion des spermatides ainsi qu'un gonflement et une nécrose des cellules des canalicules séminifères, et la gravité de ces effets étant en corrélation directe avec la concentration de chlorure de vinyle. D'après Heywood et James (1978), environ 20 % des rats nourris normalement auraient développé une atrophie des testicules. Sokal et coll. (1980) ont exposé des rats à du chlorure de vinyle en concentration de 50, 500 et 20 000 ppm pendant 10 mois. Ils ont signalé une dégénérescence des cellules des canalicules séminifères ainsi que des perturbations de la spermatogénèse; cependant, ces effets ne s'aggravaient pas en fonction de la dose, aux concentrations d'exposition plus élevées. La fertilité des mâles, la capacité à produire une descendance ainsi que le caractère réversible des effets du chlorure de vinyle n'ont pas été examinés. D'après les résultats de ces deux études, il faudra approfondir les recherches pour déterminer s'il existe une relation claire entre le chlorure de vinyle et des effets sur la reproduction.
Une étude sur l'effet de l'inhalation de chlorure de vinyle sur le développement embryo-fœtal et sur la reproduction chez les rats a été effectuée plus récemment par Thornton et coll. (2002). Quatre groupes de rats formant la génération F0 ont été soumis à une exposition subchronique au chlorure de vinyle. Des sujets mâles et femelles (120 de chaque sexe) ont été exposés pendant 10 semaines avant l'accouplement, et pendant 3 semaines au cours de la période d'accouplement, après quoi les mâles ont subi une exposition continue, et les femelles enceintes, 20 jours d'exposition à des concentrations de 0, 10, 100 ou 1 100 ppm 6 heures/jour. Trente petits de chaque sexe ont été choisis parmi les rejetons de chacun des quatre groupes. La génération F1 a été soumise aux mêmes conditions d'exposition. Les sujets des générations F0 et F1 ont été examinés deux fois par jour, cela afin de déceler tout signe d'effet toxique. Une évaluation de l'état physique des petits des générations F1 et F2 a été effectuée aux jours 0, 4, 7, 14, 21 ou 25 de la période d'allaitement. On a procédé à un examen macroscopique et microscopique des organes reproducteurs de 15 mâles et de 15 femelles des générations F1 et F2 sacrifiés au moment du sevrage. La qualité du sperme a également été analysée chez les sujets des générations F0 et F1 dans chacun des groupes d'exposition. L'étude confirme les résultats de John et coll. (1981) : elle ne révèle aucune altération du développement embryo-fœtal, aucune tératogénicité et aucun effet sur le plan de la reproduction dans les quatre groupes de rats exposés au chlorure de vinyle. Le poids corporel, le taux de conception, les observations post-mortem, l'état de l'utérus, la consommation alimentaire et la durée de la gestation sont demeurés inchangés avant l'accouplement, pendant la période d'accouplement et après l'accouplement. On n'a noté aucun signe d'effet néfaste au niveau des organes reproducteurs, y compris en ce qui concerne la mobilité, le nombre et la morphologie des spermatozoïdes (Thornton et coll., 2002). Chez les petits de la génération F1, l'indice de naissances vivantes était plus faible dans le groupe traité à raison 1 100 ppm (0,98), tandis que la viabilité était plus faible dans les groupes traités à raison de 10 et de 100 ppm (0,89 et 0,88, respectivement). Cependant, les auteurs ont cité des données historiques expliquant ces résultats. Dans les portées de la génération F2, les auteurs ont noté un nombre plus faible de petits au sein du groupe traité à 1 100 ppm par rapport aux valeurs enregistrées chez les témoins de la génération F2; par contre, une viabilité accrue a été signalée pour les rejetons de la génération F2 dans les groupes exposés à des doses de 10, 100 et 1 100 ppm. Aucune relation dose-réponse n'a été observée quant au taux de naissances après l'exposition au chlorure de vinyle (Thornton et coll., 2002). Les auteurs ont établi à 1 100 ppm la concentration sans effet nocif observé (NOAEC) pour ce qui est du développement embryo-fœtal et de la reproduction chez les rats.
Les études sur les rongeurs ont montré que, chez les animaux de moins de 4 semaines, le chlorure de vinyle est davantage susceptible d'induire la formation et la persistance d'adduits d'ADN (Grosseet coll., 2007). Morinello et coll. (2002a) ont constaté que les concentrations de N2,3-éthénoguanine étaient 2 à 3 fois plus élevées chez les petits sevrés que chez les adultes exposés pendant la même durée. Les données dont on dispose indiquent que le risque de cancer associé à une exposition de durée relativement courte chez les jeunes est à peu près égal au risque associé à une exposition à long terme chez les adultes; on a obtenu des résultats similaires pour bien d'autres cancérogènes génotoxiques (Ginsberg, 2003).
Laib et coll. (1989) ont constaté, en se servant de chlorure de vinyle radiomarqué, que l'alkylation de l'ADN dans le foie des jeunes rats était 8 fois plus importante que chez les rats adultes; cette différence a été attribuée à un taux de synthèse d'ADN par cellule plus élevé chez les jeunes rats.
Maltoni et Cotti (1988) ont examiné quel effet avait l'âge au début de l'exposition sur la toxicité du chlorure de vinyle; pour cela, ils ont exposé des rats reproducteurs (âgés de 13 semaines au début de l'expérience) et leurs petits (âgés de 12 jours au début de l'expérience) à du chlorure de vinyle pendant 104 semaines. Un autre groupe de petits a été exposé pendant 15 semaines, après quoi tous les rats ont été observés jusqu'à leur mort. L'incidence des hépatocarcinomes était à son maximum dans les deux groupes de petits; l'incidence des ASF était à son maximum parmi les petits exposés pendant 104 semaines. Par contre, la fréquence des neuroblastomes était plus élevée chez les rats exposés pendant 104 semaines, quel que soit leur âge au début de l'exposition. Les auteurs ont conclu que l'incidence des hépatocarcinomes dépendait de l'âge au début de l'exposition, que celle des ASF dépendait à la fois de l'âge au début de l'exposition et de la durée d'exposition, et que l'incidence des neuroblastomes dépendant seulement de la durée d'exposition.
Cogliano et coll. (1996) ont examiné des données sur l'exposition au chlorure de vinyle en début de vie. Ils ont conclu que le risque de cancer est, pour une exposition brève en début de vie (semaines 1 à 5, dans le cas des rats), à peu près équivalent au risque de cancer associé à une exposition chronique à la même concentration dans l'air à maturité, mais que les effets d'une exposition en début de vie et sur toute la durée de vie peuvent être différents.
L'U.S. EPA (2000b) a examiné les données sur le risque de cancer en début de vie et chez les adultes issues d'études portant sur une exposition répétée de jeunes animaux (de la naissance à l'âge de 5 semaines) et d'animaux adultes (de 13 à 52 semaines après la naissance) à des cancérogènes génotoxiques, dont le chlorure de vinyle. D'après l'étude de Maltoni et Cotti (1988), principalement, les ratios moyens de risque de cancer chez les jeunes par rapport aux adultes, pour ce qui est des ASF induits par l'exposition au chlorure de vinyle, se situaient entre 9,8 et 29 (moyenne géométrique = 14); pour les hépatomes, ces ratios allaient de 32 à 58 (moyenne géométrique = 47). Pour les autres cancers découlant de l'exposition au chlorure de vinyle, aucune tendance claire n'indiquait un risque de cancer plus élevé chez les jeunes que chez les adultes.
Le cancer du foie primaire ou, plus précisément, les angiosarcomes du foie (ASF, c'est-à-dire un cancer des vaisseaux sanguins du foie) est l'effet le plus grave de l'exposition par voie orale (aliments ou eau) ou par inhalation au chlorure de vinyle, d'après la concordance des résultats d'études épidémiologiques et d'études sur des animaux de laboratoire (Albertini et coll., 2003).
La première étape clé du mécanisme de toxicité induit par le chlorure de vinyle est la formation de métabolites oxydés, l'OCE et le CAA, dans les hépatocytes CYP2E1 (Bolt, 1986; Barbin et Bartsch, 1989; Albertini et coll., 2003). Les métabolites migrent d'une cellule à l'autre, passant du site des cytochromes P450 aux cellules sinusoïdales (Morinello et coll., 2002b), où les ASF se développent.
La deuxième étape clé est la génération d'adduits d'ADN (PISSC, 1999; Holt et coll., 2000). L'OCE, hautement réactif, est le principal métabolite responsable de leur formation. Le mode d'action est corroboré par le fait que la toxicocinétique de la production du métabolite, qui dépend du degré d'activité des CYP2E1 et de la conjugaison avec le glutathion, catalysée par la glutathion-S-transférase, est en corrélation avec la formation d'adduits (PISSC, 1999; U.S. EPA, 2000b). Cette seconde étape est souvent caractérisée par la persistance des adduits d'ADN. Les cellules sinusoïdales expriment les enzymes de réparation de l'ADN à un taux moins élevé que les hépatocytes (site de métabolisation), ce qui pourrait expliquer la présence d'éthénoadduits d'ADN plus nombreux dans ces cellules (Swenberg et coll., 1999; Holt et coll., 2000; U.S. EPA, 2000b; Morinello et coll., 2002a). Chez des rats exposés pendant 4 semaines à une concentration de chlorure de vinyle de 1 100 ppm, une période de rétablissement de 5 jours a permis une baisse significative de la quantité de N2,3-éthénoguanosine dans les hépatocytes des rats, mais pas dans les cellules hors parenchyme, par rapport aux valeurs enregistrées chez les sujets sacrifiés immédiatement après le terme de l'exposition (Morinello et coll., 2002a). On a observé des différences quant au délai de réparation entre les trois adduits d'ADN communs chez les rats après une exposition quotidienne de 4 heures à 600 ppm de chlorure de vinyle pendant 5 jours; la réparation était plus longue dans le cas de la 3,N4-éthénocytosine et de la 1,N6-éthénoadénosine (Swenberg et coll., 1992; Dosanjh et coll., 1994; OEHHA, 2000; Dogliotti, 2006).
La troisième étape clé est l'apparition de mutations propres au chlorure de vinyle (Bolt, 2005). Les éthénoadduits, qui sont les plus persistants, mais aussi les moins nombreux (~ 2 %), entraînent une transition des paires de bases et des mutations de transversion au niveau des gènes régulant la croissance cellulaire (Swenberg et coll., 2000). En fait, on a observé des transversions A→T rares au niveau du gène p53 dans trois des six cas d'ADF chez des travailleurs exposés au chlorure de vinyle (Hollstein et coll., 1994), ainsi qu'une tendance linéaire quant à l'expression du gène p53 mutant en fonction de l'intensité de l'exposition des travailleurs (Marion et Boivin-Angele, 1999; Wong et coll., 2002; Luo et coll., 2003). Cette mutation est propre au produit chimique, puisqu'on ne l'observe pas dans le cas des ASF induits par le Thorotrast (solution de dioxyde de thorium radioactif), et qu'elle est peu commune dans les cas sporadiques d'ASF (Barbin, 2000). Chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle ayant développé des ASF, les mutations de transition GC→AT activatrices de l'oncogène ki-ras sur le codon 13 sont nombreuses (Marion et coll., 1991; De Vivo et coll., 1994; Marion et Boivin-Angele, 1999). Le chlorure de vinyle produit également des échanges de chromatides sœurs, une clastogénicité et l'apparition de micronoyaux chez les humains (U.S. EPA, 2000b).
La quatrième étape est l'effet de génotoxicité, soit la perte de régulation du cycle cellulaire, ainsi que la progression tumorale (CIRC, 2008). L'intensité de l'exposition subie par les travailleurs a été mise en corrélation avec le niveau d'expression des protéines mutantes p53 et Asp13-p21-ki-ras (De Vivo et coll., 1994; Trivers et coll., 1995; Weihrauch et coll., 2000, 2001; Luo et coll., 2003). La plausibilité biologique est corroborée par l'association entre les mutations des protéines p53 et ras et le développement d'ASF ainsi que de CHC chez les travailleurs exposés au chlorure de vinyle (Weihrauch et coll., 2000). Une méthylation de l'ADN au niveau du gène p23INK4A, qui inhibe la progression du cycle cellulaire, a également été observée dans une cohorte de travailleurs exposés au chlorure de vinyle ayant développé un CHC (Weihrauch et coll., 2001).
Le mode d'action autre que cancérogène du chlorure de vinyle n'est pas aussi clairement établi que son mécanisme de cancérogénicité (U.S. EPA, 2000b).
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