Page 9 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le tétrachlorure de carbone

Partie II. Science et considérations techniques - suite

8.0 Cinétique et métabolisme

8.1 Absorption

Le tétrachlorure de carbone passe facilement, par absorption, du tube digestif à la circulation générale chez les animaux. Chez des rats, 80 à 86 % d'une dose orale de tétrachlorure de carbone marquée au 14C a été excrétée dans l'air expiré dans les 10 à 18 h (Paul et Rubinstein, 1963; Marchand et coll., 1970). Dans des études expérimentales, le type de véhicule utilisé et le mode d'administration se sont révélés avoir une influence sur le taux d'absorption orale. Le tétrachlorure de carbone était rapidement et largement absorbé à partir du tube digestif de rats à jeun lorsqu'il était administré dans l'eau ou dans une émulsion aqueuse d'Emulphor, mais l'huile de maïs retardait de façon marquée son absorption orale (Kim et coll., 1990a). Dans des études chez le rat dans lesquelles on comparait la pharmacocinétique du tétrachlorure de carbone après une infusion gastrique et un gavage en bolus, on a observé que les concentrations sanguines maximales de tétrachlorure de carbone étaient plus élevées après l'administration du bolus qu'après l'infusion en 2 h (Sanzgiri et coll., 1995). Bien qu'aucune étude quantitative n'ait été recensée concernant l'absorption du tétrachlorure de carbone chez l'humain après une exposition orale, de nombreuses études de cas d'ingestion accidentelle ou intentionnelle du produit suggèrent que son absorption à partir du tube digestif chez l'humain est probablement importante (ATSDR, 2005).

Des études chez l'animal indiquent que le tétrachlorure de carbone passe facilement, par absorption, du poumon à la circulation générale. Chez des singes exposés à une dose de tétrachlorure de carbone de 46 ppm pendant une période allant jusqu'à 5 h, en moyenne 30 % de la quantité totale inhalée était absorbée (McCollister et coll., 1951). Chez des souris exposées par inhalation à 5 µL de tétrachlorure de carbone marqué au 14C pendant 10 min, 84 % de la dose administrée a été absorbée (Bergman, 1979). Une absorption rapide du tétrachlorure de carbone à partir du poumon a été observée chez des rats exposés à une dose de 100 ou 1 000 ppm pendant 2 h (Sanzgiri et coll., 1995). Chez des rats, des souris et des hamsters, immédiatement après l'exposition pendant 4 h à des vapeurs de tétrachlorure de carbone à une concentration de 20 ppm, la charge corporelle initiale des équivalents du tétrachlorure marqué au 14C s'élevait respectivement à 12,1, 1,97 et 3,65 µmol (Benson et coll., 2001). Bien que l'on dispose de peu d'information quantitative sur l'absorption du tétrachlorure de carbone inhalé chez l'humain, ce produit est probablement facilement absorbé vu le nombre élevé de cas de toxicité humaine après une exposition à ses vapeurs (ATSDR, 2005).

L'absorption cutanée du tétrachlorure de carbone liquide a été démontrée chez la souris, le cobaye et le rat (Tsuruta, 1975; Jakobson et coll., 1982; Morgan et coll., 1991); cependant, l'absorption cutanée des vapeurs du produit est faible. Chez le singe, l'exposition cutanée pendant 4 h à des vapeurs de tétrachlorure de carbone marqué au 14C s'est soldée par la présence de quantités négligeables de l'élément radioactif dans le sang et l'air expiré (McCollister et coll., 1951). Chez l'humain, le tétrachlorure de carbone peut être absorbé par la peau, mais pas autant que pendant l'inhalation ou l'exposition orale (ATSDR, 2005). L'absorption cutanée était importante chez des volontaires ayant immergé leurs pouces dans du tétrachlorure de carbone liquide pendant 30 min (Stewart et Dodd, 1964).

8.2 Distribution

Les études chez l'animal montrent que, une fois absorbé, le tétrachlorure de carbone est distribué dans tous les principaux organes en fonction du flux sanguin et du contenu en graisses des tissus, les plus fortes concentrations étant observées dans les tissus graisseux, le foie, le rein, le cerveau, le poumon, la moelle osseuse et les surrénales (McCollister et coll., 1951; Dambrauskas et Cornish, 1970; Marchand et coll., 1970; Bergman, 1983; Paustenbach et coll., 1986a; Sanzgiri et coll., 1997; Benson et coll., 2001). Sanzgiri et coll. (1997) ont comparé l'absorption et la distribution du tétrachlorure de carbone administré à des rats par inhalation, infusion gastrique et bolus oral. Les concentrations de tétrachlorure de carbone dans tous les tissus étaient beaucoup plus faibles dans le groupe ayant reçu une infusion gastrique que dans le groupe ayant reçu un bolus oral et le groupe exposé par inhalation. Dans les trois groupes, les concentrations de tétrachlorure de carbone dans les graisses augmentaient lentement mais progressivement, devenaient plus élevées que dans les autres tissus et demeuraient plus élevées beaucoup plus longtemps. C'est dans le foie que les concentrations étaient les plus élevées parmi les tissus non graisseux après l'administration d'un bolus oral; par contre, les concentrations étaient plus faibles dans le foie que dans tout autre organe du groupe ayant reçu une infusion gastrique. Ces résultats laissent croire que la dose administrée par bolus oral dépassait probablement la capacité d'élimination hépatique et pulmonaire de premier passage (Sanzgiri et coll., 1997). Aucune étude quantitative sur la distribution du tétrachlorure de carbone chez l'humain n'a été recensée.

8.3 Métabolisme

Le tétrachlorure de carbone est principalement métabolisé dans le foie, mais peut aussi l'être dans d'autres tissus. Chez le rat et la souris, le cytochrome P450 (CYP) 2E1 est le principal responsable de la bioactivation du tétrachlorure de carbone (Raucy et coll., 1993; Wong et coll., 1998). Des études sur les microsomes hépatiques humains ont montré que le CYP2E1 était la principale enzyme humaine responsable de l'activation du tétrachlorure de carbone à des concentrations faibles, correspondant à celles présentes dans l'environnement (Zangar et coll., 2000). Cette isoenzyme catalyse la déchloration réductrice du tétrachlorure de carbone, formant le radical réactif trichlorométhyle (CCl3·). Dans des conditions anaérobies, ce radical peut se lier aux lipides et aux protéines, former du chloroforme (CHCl3) après avoir réagi avec l'hydrogène, former de l'hexachloroéthane après dimérisation ou subir une réduction plus poussée qui aboutit à la formation de monoxyde de carbone (Uehleke et coll., 1973; Wolf et coll., 1977). Dans des conditions aérobiques, le radical trichlorométhyle peut réagir avec l'oxygène et former le radical trichlorométhylperoxyle (CCl3OO·). Ce radical hautement réactif peut provoquer la peroxydation des lipides ou réagir davantage et produire du phosgène (COCl2) (Mico et Pohl, 1983; Pohl et coll., 1984). La déchloration hydrolytique du phosgène entraîne la formation de dioxyde de carbone (Shah et coll., 1979).

8.4 Excrétion

Le tétrachlorure de carbone est excrété principalement dans l'air expiré, les selles et, dans une moindre mesure, l'urine. Dans des études chez l'animal, on a constaté que l'excrétion du tétrachlorure de carbone et de ses métabolites variait selon l'espèce, la dose et la voie d'exposition. Reynolds et coll. (1984) ont administré par voie orale diverses doses de tétrachlorure de carbone marqué au 14C à des rats et a ensuite observé la récupération du tétrachlorure de carbone et de ses métabolites dans l'air expiré, le foie, l'urine et les excréments pendant 24 h. À la plus faible dose (0,1 mmol/kg), moins de la moitié de la dose a été récupérée dans l'air expiré : 28 % sous forme de dioxyde de carbone, 19 % sous forme de tétrachlorure de carbone et <1 % sous forme de chloroforme. Par contre, aux doses de 0,3 mmol/kg et plus, la plus grande partie de la dose (71 à 89 %) a été récupérée dans l'air expiré sous forme de tétrachlorure de carbone. L'élimination de premier passage efficace de la plus faible dose par le foie a probablement diminué la quantité de tétrachlorure de carbone disponible pour l'élimination pulmonaire. Lorsque la dose de tétrachlorure de carbone augmentait, la fraction récupérée sous forme de métabolites diminuait, ce qui indique que la capacité de métaboliser le tétrachlorure de carbone était dépassée ou altérée. Sur la totalité des métabolites récupérés en 24 h, la plus grande partie était constituée de dioxyde de carbone expiré (50 à 86 %). Une proportion importante des métabolites totaux a été récupérée dans les excréments (7 à 30 %) et sous forme de chloroforme expiré (0,3 à 19 %); de petites fractions ont été récupérées dans l'urine (2,7 à 9,7 %) et le foie (1,9 à 4,3 %) (Reynolds et coll., 1984).

Benson et coll. (2001) ont fait inhaler pendant 4 h à des rats, des souris et des hamsters des vapeurs de tétrachlorure de carbone marqué au 14C à une concentration de 20 ppm. Dans les 48 h suivant l'exposition, 65 à 83 % de la charge corporelle initiale du 14C a été éliminée dans l'air expiré sous forme de dioxyde de carbone et de COV. Les rats ont expiré environ trois fois plus de l'élément radioactif sous forme de COV (61 %) que de dioxyde de carbone (22 %), alors que les souris et les hamsters en ont expiré une quantité environ égale sous forme de COV et de dioxyde de carbone (30 à 39 %). Les rats ont éliminé moins de 10 % de la charge corporelle initiale sous forme d'équivalents de tétrachlorure de carbone dans l'urine et les excréments combinés, alors que les souris et les hamsters en ont éliminé >20 % dans l'urine et les excréments (Benson et coll., 2001). Dans une étude antérieure, Paustenbach et coll. (1986b) ont exposé de façon répétée, pendant 1 ou 2 semaines, des rats à des vapeurs de tétrachlorure de carbone marqué au 14C à une concentration de 100 ppm. Sur la totalité de l'élément radioactif excrété dans les 64 à 108 h suivant l'exposition, 32 à 59 % a été excrété dans l'air expiré sous forme de tétrachlorure de carbone, moins de 2 %, dans l'air expiré sous forme de dioxyde de carbone, 32 à 62 %, dans les excréments et 4 à 8 %, dans l'urine (Paustenbach et coll., 1986b). D'après un modèle PBPK (modèle pharmacocinétique à base physiologique) conçu pour décrire ces résultats, une petite quantité du tétrachlorure de carbone initialement métabolisé était directement convertie en dioxyde de carbone et rapidement éliminée; toutefois, la plus grande partie du tétrachlorure de carbone métabolisé était liée dans les compartiments et lentement éliminée dans les excréments et l'urine (Paustenbach et coll., 1988).

On dispose de peu de données quantitatives sur l'élimination du tétrachlorure de carbone chez l'humain; toutefois, du tétrachlorure de carbone non modifié a été détecté dans l'air expiré après l'exposition orale, l'inhalation et l'exposition cutanée (Stewart et coll., 1961, 1963; Stewart et Dodd, 1964).

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