ARCHIVÉ - Au croisement des secteurs - expériences en action intersectorielle, en politique publique et en santé
4. Action intersectorielle : contournement des obstacles et facilitateurs
Moteurs de l’action intersectorielle
La nécessité de passer à l’action est un moteur fondamental des efforts faits dans le cadre d’une AS. Voici quelques autres catalyseurs de l’action intersectorielle :
- le lobbying et les pressions politiques du public, des parties d’opposition, des organismes non gouvernementaux, des médias, ou des coalitions de groupes intéressés qui ont pour objet de relever un important défi stratégique;
- des conditions économiques favorables favorisant une action intersectorielle qui vise à surmonter des obstacles stratégiques complexes. Étant donné que l’AS est souvent plus onéreuse à court terme que des solutions, « miracles » plus simples, ce sont les économies fortes qui peuvent investir en permanence des ressources dans le travail intersectoriel. Dans les périodes de réduction budgétaire, des approches novatrices en matière d’action intersectorielle peuvent être adoptées pour remédier au chevauchement et à l’entrecroisement des mandats organisationnels;
- l’existence d’une boucle de « rétroaction » entre les citoyens et le gouvernement, afin d’orienter et de définir les enjeux et d’y donner suite. La communication en temps opportun de renseignements entre les citoyens et le gouvernement est nécessaire;
- des organismes centraux forts qui supervisent et guident les approches pour garantir le respect des mandats, pouvoirs et obligations redditionnelles des organisations. Même si ce ne sont pas nécessairement les organismes centraux qui tiennent les rênes de ces approches, ils jouent souvent un rôle de soutien important en fournissant des ressources adéquates au titre des initiatives; en orientant les politiques à travers le pro-cessus décisionnel formel; et en concevant et supervisant l’application des cadres de responsabilisations; et
- des données tirées de rapports de commissions ou de groupes de travail, des études, des statistiques, des résultats de sondage qui sont défavorables. Les mauvaises nouvelles attirent parfois plus l’attention du public et des politiciens que les exemples de réussite. La comparaison de l’état de santé et des conditions sanitaires des nations peut susciter de l’intérêt à l’égard des efforts intersectoriels axés sur la résolution des problèmes communs et la promotion de conditions équitables en matière de santé et de développement social.
Les expériences documentées démontrent clairement que le contexte et la culture sont des éléments essentiels du succès des initiatives intersectorielles. Des conditions ou approches procurant des résultats dans un certain secteur ou milieu peuvent ne pas avoir le même effet dans un autre. La documentation laisse supposer que, même s’il n’y a pas de manière unanimement « correcte » de faire des efforts associés à une AS, le respect de certains principes favorise le succès de l’AS.
La documentation des exposés liée à la promotion de la santé dans les écoles (Rowling et Jeffreys, 2005) illustre ce point. Au nombre des obstacles devant être surmontés aux fins d’établissement d’une collaboration entre les secteurs de la santé et de l’éducation, mentionnons : « le financement vertical; la diversité des paradigmes et opinions profes-sionnels; les priorités et processus décisionnels concurrents; et les processus complexes de l’engagement. » Même si la recherche sur la santé est fondée sur l’hypothèse voulant que les stratégies de promotion de la santé peuvent être aussi efficaces dans n’importe quelle école, la recherche effectuée dans le domaine de l’éducation a fait ressortir un facteur crucial, à savoir que les écoles ont des cultures très différentes [p. ex. écoles rurales, compara-tivement aux écoles d’un centre-ville]–et que ces cultures dépendent d’une foule de facteurs changeants. La collaboration effective entre les secteurs n’est possible qu’à condition qu’elle soit synonyme, aux yeux des partenaires, de « résultats mutuellement bénéfiques, de stratégies de mise en application faisables et de méthodes de suivi et d’évaluation compatibles. »
Dans des États déchirés par des conflits et fragiles sur le plan politique, les actions intersectorielles ont fait la preuve qu’elles étaient essentielles au rétablissement de la sécurité et à la promotion de l’équité en santé. Dans certaines circonstances, la décentralisation du gouvernement a contribué à faire de l’AS une méthode de travail acceptée–chose qui n’a pas toujours été possible dans des environnements mieux établis (WHO: Health Systems Knowledge Network, 2006).
La consultation de la documentation nous apprend que les bonnes intentions ne sont pas un gage de réussite des initiatives intersectorielles. La stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes en Australie (National Youth Suicide Prevention Strategy) n’a pas atteint les objectifs fixés en raison d’une foule de facteurs non inten-tionnels : manque de consultation avec les états et les territoires; insuffisance du réseautage; manque d’expérience du per-sonnel affecté au projet; et insuffisance des processus de planification gouvernementaux. Les expériences de l’Australie où cette stratégie a été adoptée sont une leçon pré-cieuse sur l’importance de la planification préalable qui permet d’éviter les pièges et d’atténuer les risques.
Paramètres du succès
De nombreuses sources fournissent des conseils sur les conditions du succès de l’AS aux échelons local, national et régional, et dans l’ensemble des secteurs de compétence (Comité consultatif FPT sur le VIH/sida, 1999; OMS, 1997; Agence de coopération en vue du développement international de la Suède, 1999, Rychetnik et Wise, 2004, Association canadienne de santé publique, 1997). L’ouvrage intitulé : « Working together: Intersectoral Action for Health » (Harris et coll. 1995) renferme une liste exhaustive de ces facteurs habilitants, ou conditions de succès.
Paramètres de l’efficacité de l’action intersectorielle |
(Adapté de Harris et coll. 1995) |
D’autres textes et listes de vérification proposent des variations et des considérations additionnelles (Rachlis, 1999; FPT, 1999; Bauld, 2005 et Goumans, 1997). Certains des éléments sous-mentionnés figurent sur bon nombre de listes de « facilitateurs » :
- Créer un cadre et une approche philosophiques en matière de santé qui favorisent l’AS. Par exemple, en mettant l’accent sur les déterminants de la santé plutôt que sur une approche axée sur la maladie, on peut automatiquement nouer des liens avec d’autres secteurs et ces derniers sont en mesure d’envisager le rôle qu’ils peuvent jouer dans la résolution de ce problème.
- Insister sur les valeurs, les intérêts et les objectifs qu’on en commun les partenaires et les éventuels partenaires. Beaucoup de rédacteurs ont mis en lumière l’importance de cultiver la confiance et des valeurs communes : les personnes qui prennent part à l’AS doivent avoir des vues similaires. Pour les particuliers, les valeurs personnelles sont des indicateurs plus significatifs que l’adhésion à des valeurs organisationnelles. Les valeurs sociétales qui sont alignées sur les objectifs de l’AS peuvent également avoir de l’influence.
- Assurer le soutien politique; miser sur les facteurs positifs de l’environnement politique. Souvent, les politiciens mènent ou défendent les initiatives progressives du domaine de l’AS, tant dans le secteur de la santé qu’à l’extérieur de ce dernier. C’est en établissant de solides liens avec les leaders politiques, les administrateurs et les médias qu’on peut s’assurer de leur appui.
Un mandat clair et un environnement politique coopératif sont tout aussi souhaitables pour établir un climat de solidarité, faciliter une action collective, reconnaître la nécessité d’un investissement à long terme dans l’AS et susciter un climat économique favorable. Subsidiairement, il est possible que les initiatives intersectorielles fassent de l’établis-sement d’un environnement politique plus coopératif un de leurs objectifs futurs. Une attitude proactive est recommandée. Il pourrait s’agir, par exemple, d’aider les décideurs et les responsables de l’élaboration des politiques de tous les secteurs à découvrir les avantages de l’AS, et de les inciter à promouvoir l’action intersectorielle dans les domaines de la recherche, des politiques et de la pratique. - Mobiliser les partenaires clés au tout début : être inclusif. Des partenaires solides et dévoués sont des éléments essentiels du succès de l’action intersectorielle. La participation des bonnes personnes et des bons établissements et le recours, non pas seulement au secteur public, mais également à la société civile et au secteur bénévole sont des étapes cruciales.
- Assurer l’établissement de liens horizontaux pertinents dans l’ensemble des secteurs, de même que de liens verticaux au sein des secteurs. Lorsque des liens sont établis dans l’ensemble des secteurs et entre les ordres de gouvernement, la « structure » qui en résulte est plus solide. Toutefois, il est essentiel qu’on soit conscient de la possibilité d’un échec attribuable à une insuffisance sur les plans de la com-munication ou de la consul-tation, à un manque de cohérence politique, à un manque de clarté quant aux rôles respectifs et à l’insensibilité aux déséquilibres de pouvoirs.
- Investir dans le processus d’établis-sement d’une alliance en tentant d’en arriver à un consensus à l’étape de la planification. L’assurance que l’action est bien planifiée, ou que les parties entretiennent de bonnes relations, n’est pas un gage de succès. Les efforts peuvent être consolidés grâce à la mobi-lisation de tous les intervenants dès le début, l’affrontement des divergences et l’incitation à collaborer au processus de planification.
- Mettre l’accent sur les objectifs concrets et les résultats tangibles. En soi, le fait de fixer des objectifs en santé est peu utile aux fins de la promotion de l’action intersectorielle. Certaines provinces canadiennes ont décidé de se fixer d’importants objectifs pangouvernementaux, mais il est trop tôt pour qu’on puisse conclure à l’efficacité, ou l’inefficacité, de cette approche. Le suivi de l’avancement de la réalisation de ces objectifs est égale-ment difficile.
Bien que les gains à court terme puissent être très motivants, ils peuvent également aller à l’encontre du but recherché, comme cela est le cas pour les zones d’action en matière de santé établies au Royaume-Uni. - S’assurer les partenaires se partagent le leadership, les responsabilités et les récompenses. Les particuliers et les organismes du secteur de la santé jouent de plus en plus des rôles différents en ce qui a trait à l’AS. Les partenaires doivent apprendre à être efficaces, quel que soit le rôle qu’ils jouent : catalyseurs, leaders, partenaires ou partisans. Tous les partenaires du travail intersectoriel doivent constater que le processus est mutuel-lement bénéfique et que les responsabilités et les récompenses sont équitablement réparties.
- Former des équipes stables composées de personnes qui travaillent bien ensemble et dotées de réseaux de soutien pertinents. Goumans (1997) établit une distinction entre les membres du « groupe central » et ceux du « groupe périphérique ». Idéologiquement, les membres du groupe central souscrivent au concept de l’AS. Pour leur part, les personnes qui font partie du groupe péri-phérique prennent part à l’activité parce que celle-ci est apparentée à leurs intérêts particuliers. Cette observation met en lumière le rôle important de chaque parti-cipant sur le plan de l’efficacité de l’action intersectorielle. L’accès à des capacités et ressources suffisantes, des objectifs communs, le respect mutuel et la confiance sont des éléments qui incitent les personnes à s’engager à long terme à travailler dans les différents secteurs.
- Élaborer des modèles pratiques, des outils et des mécanismes à l’appui de la mise en œuvre de l’action inter-sectorielle. La pénurie de mécanismes de soutien appropriés peut être un obstacle à l’action intersectorielle. En guise d’exemples de soutien tangible, signalons les modèles de planification coopérative, les cadres d’évaluation permettant d’examiner de nombreux indicateurs, les modèles de responsabilité partagée et les structures de gouvernance novatrices.
- Garantir la participation du public; éduquer la population, et la sensibiliser aux déterminants de la santé et à l’action intersectorielle. Il doit y avoir une voie de communication claire entre les citoyens et le gouvernement – pour transmettre et recevoir de la rétroaction, pour évaluer correctement le succès de l’action intersectorielle et pour prendre des mesures correctives, au besoin. Les approches pangouvernementales imposent de nouveaux impératifs dont dépend le succès de l’action intersectorielle. Une fois convenue la nécessité de travailler ensemble, la façon de procéder doit être soigneusement déterminée. Voici quelques-unes des mesures proposées afin de créer les conditions du succès (National Audit Office, 2001; Exworthy, Berney et Powell, 2002; Bauld, 2005) : renforcer les directives en y assortissant l’obligation de collaborer prévue par la loi, le cas échéant; s’assurer que les organismes partenaires alignent leur vision et leurs objectifs stra-tégiques et que les organismes centraux évitent toute ingérence injustifiée dans les partenariats (tout en fournissant une orientation pertinente); fournir des incitatifs à travailler conjointe-ment (p. ex. incitatifs financiers, processus décisionnel flexible ou évaluation pertinente du rendement). La restriction de la diversité des voies de financement, l’établissement de budgets communs et la réduction des fardeaux administratif et redditionnel sont également des incitatifs efficaces; fixer des délais réalistes en vue de l’obtention des résultats; et s’assurer que des voies de recours claires sont mises à la disposition des citoyens et qu’un cadre redditionnel clair est mis en place.