ARCHIVÉ - Au croisement des secteurs - expériences en action intersectorielle, en politique publique et en santé
3. Action intersectorielle pour la santé : une large gamme d’approches
Le concept de l’action intersectorielle a été introduit à la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, tenue à Alma-Ata au Kazakhstan en 1978. Le modèle de soins de santé primaires fait explicitement état de la nécessité d’avoir une « stratégie détaillée en matière de santé qui, non seulement prévoit la prestation de services de santé, mais s’attaque également aux causes sociales et économiques fondamentales d’un mauvais état de santé » (WHO, 2005b, p. 11). Dans les années 1980, la nécessité d’une collaboration entre les secteurs aux fins de réalisation de gains en matière de santé a de nouveau été mise en lumière à des conférences ayant pour thème l’AS et la Charte d’Ottawa. Selon l’OMS, « Bon nombre de pays ont intégré un engagement formel en matière d’AS à leurs cadres officiels de politique sanitaire dans les années 1980. Le bilan des résultats réels de la mise en œuvre de l’AS dans ces pays est toutefois peu reluisant... . L’AS axée sur des déterminants sociaux et environnementaux de la santé s’est d’ordinaire avérée, dans la pratique, le volet le plus faible des stratégies associées à la Santé pour tous » (WHO, 2005b, p. 15). Dans les années 1990, les efforts en vue d’une action intersectorielle se sont multipliés, à mesure que s’accumulaient les connaissances sur les déterminants de la santé. En 1997, l’OMS a organisé une conférence spéciale sur l’AS (comme mentionné dans les commentaires introductifs du présent document). En 2000, la Charte de Bangkok pour la promotion de la santé a confirmé la nécessité de transcender les limites sectorielles. Des politiques particulières visant à remédier aux inégalités en matière de santé ont par la suite été élaborées dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Les politiques du Royaume-Uni et de la Suède sont souvent données en exemple.
En 2006, l’Union européenne a introduit La santé dans toutes les politiques, une directive de vaste portée ayant des répercussions sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques intersectorielles (Evans et Vega, 2006, diapo 6). Une conférence ayant pour thème « La santé dans toutes les politiques » a été organisée par l’Union européenne en septembre 2006, pour laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé de la Finlande a produit un ouvrage intitulé Health in all Policies – Prospects and Potentials. Ce dernier décrit les expériences sec-torielles en santé dans toutes les politiques, par exemple, celles ayant trait à la santé du cœur ou à la santé en milieu de travail. Une partie est égale-ment consacrée aux possibilités et aux défis liés à la gouvernance en santé, une autre à l’évaluation des répercussions du point de vue de la santé. Dans les conclusions, il est admis que même si dans bon nombre de stratégies la combinaison de la santé et d’autres politiques se traduira par un « gain mutuel », dans d’autres cas il est possible que les valeurs et les objectifs des diverses stra-tégies soient incompatibles. Dans ces cas, on suggère que les buts et les objectifs doivent faire l’objet de négociations et que des compromis doivent être établis (Ståhl, T. et coll. 2006).
| Principaux événements liés à l’action intersectorielle pour la santé |
(Evans et Vega 2006) |
Le présent document porte sur des efforts récents–c.-à-d. ceux entrepris au cours des dix dernières années–visant à cerner les variables et les schémas pour mieux comprendre les faits nouveaux en matière d’AS dans divers contextes socio-politiques. Plus précisément, il traite des questions suivantes :
- Quel genre de problèmes l’action intersectorielle a-t-elle permis de résoudre?
- Quelles sont quelques-unes des diverses approches en matière d’action intersectorielle qui ont été utilisées?
- Comment ces diverses formes de collabo-ration ont-elles été catégorisées?
- Comment peut-on renforcer l’action intersectorielle?
Les prochains chapitres cernent une gamme de défis en matière de politiques publiques, de même que des approches intersectorielles précises pour les relever.
L’action intersectorielle à divers échelons de la prise de décisions
Des approches intersectorielles pour la santé ont été mises en application à bon nombre de niveaux de gouvernance ou de juridiction différents : par exemple, à travers des programmes internationaux lancés par l’Organisation mondiale de la Santé ou d’autres organismes des Nations Unies, des cadres stratégiques régionaux ou nationaux, des initiatives infranationales et l’élaboration et la mise en œuvre de politiques communautaires ou institutionnelles.
Voici des exemples d’action intersectorielle pour la santé à l’échelon planétaire :
- le Sommet mondial pour le développement durable de 2002, qui a réuni une vaste gamme d’intervenants, entre autres des représentants du secteur de la santé;
- l’Alliance en faveur d’un environnement sain pour les enfants, faisant office de plate-forme de mise à exécution qui facilite le travail intersectoriel sur les questions touchant la santé des enfants et la salubrité de l’environnement (van Schirnding, 2005);
- le mouvement prônant la Santé pour tous; et
- le Programme des cités durables relevant du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). (Huchzermayer, Burton et Harpham, 2001).
À l’échelon planétaire/régional, l’Union euro-péenne a fait de l’évaluation des incidences sur la santé (EIS) un outil dont elle se sert pour circonscrire les liens entre la santé et les autres politiques sectorielles. La discussion porte sur l’utilisation des évaluations des répercussions sur la santé et également sur les fondements législatifs des évaluations des répercussions sur la santé dont font l’objet des politiques censées avoir une incidence sur la santé. Le centre régional de l’OMS pour les activités en matière de salubrité de l’environnement, qui fait la promotion de la salubrité de l’environnement grâce à un soutien technique dans 23 pays membres, est un exemple de la manière dont ce genre de collaboration a été institutionnalisé. Cette collaboration découle de la nécessité qu’on tienne compte, aux fins du développement durable et de la gestion des ressources naturelles, non seulement des questions de développement, mais également de la complexité des considé-rations environnementales et sanitaires en jeu. (Lock et McKee, 2005, p. 356-60).
À l’échelon national, le recours à des approches intersectorielles visait à résoudre des problèmes complexes et polyvalents grâce à la conjugaison des efforts des ministères et organismes gouverne-mentaux pertinents en une seule stratégie coordonnée :
- Au Royaume-Uni et en Suède, des cadres stratégiques généraux ou des approches pangouvernementales ont été adoptés pour corriger les inégalités ou les injustices grâce à l’action intersectorielle et aux stratégies connexes.
- Au Canada et en Australie, les expériences du domaine de l’action intersectorielle décrites dans la documentation consultée portent essen-tiellement sur des populations particu-lières, comme les enfants, ou des contextes particuliers (collectivités à faible revenu, écoles et lieux de travail).
À l’échelon infranational, l’action intersectorielle a permis de relever une gamme de défis stratégiques ayant trait à l’équité en santé :
- La Loi sur la santé publique adoptée en 2001 au Québec « reconnaît que divers textes de loi et règlements d’autres organismes gouvernementaux peuvent influer sur la santé et le bien-être de la population. Elle autorise donc le ministre de la Santé et des Services sociaux à se tourner vers l’action intersectorielle pour appuyer l’élaboration de politiques publiques favorables à la santé » (Bernier, 2006, p. 26). Deux stratégies favorisent sa mise en œuvre : le lancement d’une évaluation intragouvernementale des répercussions sur la santé et les contributions à l’élaboration de la recherche. Le volet de la recherche comprend notamment « le soutien financier au titre de la conception de nouveaux outils d’évaluation des effets de la politique publique sur la santé. Font partie du programme de transfert du savoir, des examens et des mémoires ayant pour objet d’aviser les ministères gouvernementaux des répercussions possibles sur la santé des lois et règlements en voie d’élaboration » (Bernier, 2006, p. 32).
À l’échelon communautaire, les réseaux rassemblent souvent une vaste gamme d’intervenants, par exemple, des cliniciens, des chercheurs, des décideurs sectoriels (p. ex. santé, éducation, services sociaux et environnement), de même que des représentants de la société civile et du secteur privé. Ces réseaux donnent à des groupes qui passent inaperçus, comme les professionnels de la santé, les organismes sanitaires des collectivités ou les services communautaires, l’occasion de travailler de concert à la résolution de problèmes qui les concernent tous. Entre autres exemples, mentionnons :
- En Australie, le projet de réseautage Here for Life Networking Project (Queensland) et les projets High Street Community Linkage (Sydney) et Connexions (Melbourne).
- La désignation, par le ministère de la Santé de la Nouvelle-Zélande, de trois types d’action (ministre de la santé de la Nouvelle-Zélande, 2001) relevant de l’action intersectorielle communautaire pour la santé :
- secteur très important, ou initiatives axées sur un cadre : Health Action Zones (zones d’action pour la santé), Healthy Cities (villes-santé), et Healthy Schools (écoles-santé);
- initiatives axées sur des enjeux : programmes communautaires liés à la lutte contre l’alcoolisme, la prévention des blessures, la nutrition, la santé et au logement; et
- services de gestion des cas : consolidation des familles, gestion coopérative des cas, travailleurs sociaux dans les écoles, centres de services aux familles et services complets aux enfants souffrant de troubles émo-tionnels, mentaux et comportementaux, ou aux enfants ayant de multiples difficultés et besoins, ou les deux.
Coopération entre divers échelons
La collaboration horizontale s’établit entre divers secteurs (ou sous-secteurs d’un même secteur). D’ordinaire, ce type de collaboration met en cause des particuliers ou groupes de même niveau de prise de décisions ou de compétence, qui travaillent ensemble à la réalisation d’une série d’objectifs.
La collaboration verticale consiste à relever des défis stratégiques nécessitant la prise de décisions par plus d’un ordre de gouvernement sans égard aux limites de compétence. Il peut s’agir d’établissements internationaux qui travaillent avec des administrations régionales ou nationales, ou de gouvernements nationaux qui collaborent avec l’administration d’un État, d’une province ou d’une municipalité en vue de surmonter des obstacles stratégiques complexes. La collaboration verticale permet de « regrouper des partenaires ayant des caractéristiques et des exigences uniques indissociables du rôle qu’ils jouent dans le secteur public...elle doit respecter les mandats et responsabilités juridictionnels des partenaires des divers ordres de gouvernement tout en misant sur les valeurs, les intérêts et les objectifs communs » (Comité consultatif [canadien] fédéral-provincial-territorial sur le sida, 1999, p. 4). Il arrive souvent que l’engagement horizontal des autres parties en soit le complément, par exemple celui des organismes non gouvernementaux et des donateurs de nations ayant un revenu faible ou moyen.
Si l’on se fie aux observations concernant la lutte contre le VIH/sida qui transcende les frontières organisationnelles, c’est la conjugaison de la collaboration verticale et horizontale qui permet d’atteindre le maximum d’efficacité du point de vue de l’action intersectorielle et d’obtenir les meilleurs résultats :
L’AS est plus fructueuse lorsqu’elle associe la collaboration verticale et la collaboration hori-zon-tale. La combinaison de ces deux dimensions maximise les chances de renforcer et potentialiser les effets (Comité consultatif [canadien] fédéral-provincial-territorial sur le sida, 1999, p. 4).
L’orchestration de ces éléments procure un produit final souple et durable ainsi qu’un bouclier contre l’inaction, l’intérêt défaillant ou la désintégration. Parallèlement, compte tenu de la vaste gamme d’intérêts en cause, un effort additionnel ou une négociation pourrait être nécessaires en vue de la compréhension commune des objectifs, des rôles respectifs et des responsabilités quant aux résultats.
Problèmes réglés grâce à l’AS : mise en contexte des questions relatives à la politique publique
L’action intersectorielle est une stratégie utilisée pour résoudre des problèmes stratégiques complexes qu’un pays, gouvernement, ministère ou secteur ne peut régler à lui seul. L’action intersectorielle permet de mettre le cap sur des déterminants précis de la santé, des maladies, des populations (p. ex. peuples autochtones, enfants), des collectivités géographiques, des comportements sanitaires et des facteurs de risque.
Qui plus est, suivant la documentation consultée, l’action intersectorielle a permis de renforcer le développement communautaire, la prévention du crime, la prévention des maladies, l’essor économique, le développement durable, l’édu-cation et l’emploi, la promotion de la santé, la protection de la santé, les soins primaires, la santé publique, la sécurité publique et la cohésion sociale.
Sont associés à chacune de ces politiques de « point d’entrée » une base conceptuelle particulière; des hypothèses connexes, un vocabulaire et des méthodes de mesure; une série d’intervenants institutionnels; et des instruments stratégiques d’usage courant. La manière de mettre en contexte une question détermine souvent quels organismes gouvernementaux et autres organismes prendront la tête des efforts en vue de relever le défi stratégique. L’incidence de la mise en contexte est débattue plus en profondeur au chapitre 5 : Approches visant à faciliter l’action conjointe.